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IV

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Qu’est-ce qu’il fait pour transformer la pensée moderne? Presque rien. Il lui suffit de se donner lui-même; et imposant le silence à la voix froide de l’intelligence, qui était la seule voix permise en son siècle, il laisse parler son cœur. Il fait en somme du mystère chrétien, de la confession, un principe littéraire. Voilà la grande innovation, voilà ce qui doit changer et change l’ordre établi.

En effet, depuis la Renaissance, aucune découverte plus grande ne s’est accomplie, rien de plus fertile en conséquences.

A la littérature ordonnée et décente, tout objective que les Grecs léguèrent à l’Europe, le Genevois substitue, d’un coup de génie, le désordre véhément de la sincérité, le cri des passions et des faiblesses, le déchaînement des sens, la voix des appétits, ce multiple et tumultueux concert du Moi qui se lève dominateur, veut créer une morale à lui, et se fait centre de l’univers.

Pour la première fois, c’est l’écrivain qui parle, se livrant sans voile et sans pudeur, étalant son cœur sans réticences. La littérature cesse d’être un artifice, cesse même d’être, en quelque sorte, un art: elle ne se base plus que sur la sincérité et le tempérament.

C’est merveille de voir ce qu’il a fallu de circonstances accumulées dans la vie et la nature de Rousseau pour que cette simple et énorme innovation se réalise. En dehors peut-être des hérédités et des hasards qui créèrent l’ambiguïté de Renan, je ne connais pas de formation plus complexe, plus rare, plus providentielle que celle de Jean-Jacques.

Tout concourt à le rendre original: la maladie et l’ignorance, sa provenance plébéienne et ses lectures désordonnées, ses phobies et ses vices. On dirait que la nature a devancé les temps en dotant ce vagabond de neurasthénie, en lui donnant cette hyperesthésie, qui devint la faculté dominante de notre époque. Il était nécessaire que, Suisse, il vînt souffrir, s’éblouir et se révolter, au milieu de cette civilisation avancée. Innocent au fond de l’âme, il connut tous les vices et se frotta à tous. Etudiant peu les livres, il observa beaucoup la nature. Mais, surtout, il lui a fallu cette anomalité maladive, qui mêla à la haute moralité foncière de son caractère un élément permanent d’impudeur et comme un besoin de nudité.

A force d’égarements, d’inconscience et de génie, Jean-Jacques accomplit un miracle: il retrouve les sources lyriques et, reflétant le monde en lui afin de s’exalter davantage, opposant ses passions à la morale, il crée une nouvelle littérature.

La génie Européen

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