Читать книгу Essai d'Introduction à l'Histoire Généalogique - Oscar de Poli - Страница 9

CHAPITRE VII

Оглавление

Table des matières

Royaume en petit.—Stipendiaires.—Le génie du Christianisme et la chevalerie.—Tancrède.—La fraternité vraie.—La charité devient la grande loi féodale.—Coup d'œil sur les concessions des seigneurs aux populations rurales.—Les forêts du Roi.—Opinion de Pecquet.—Influence de la Religion.—Esprit de réciprocité.—La féodalité, plus libérale que la révolution et l'état moderne.—Risum teneatis!

Au début de la féodalité, chaque seigneur a ses barons[35], ses pairs, généralement de son estoc, qui composent sa cour et son conseil; car chaque fief est un royaume en petit, avec ses gens de justice et ses gens de guerre, milites, tant nobles que non nobles[36], aux gages du seigneur[37]; et cet état de stipendiaire, considéré comme dérogeant,

jette sur les milites un vernis de défaveur et même comme une sorte de déshonneur[38]. Le génie du Christianisme s'empare de ces hommes farouches, barbares, prompts à toutes les audaces de la force brutale, les assouplit au respect des lois divines, les convertit à la religion du devoir, les transforme en chevaliers de Jésus-Christ, et la qualification de miles, naguère entourée de crainte et de sourd mépris, devient le titre d'honneur le plus éclatant, le plus envié, le plus haut[39], à ce point que Tancrède le plaçait au-dessus même du titre de Roi[40]. Le père consigne avec orgueil dans les chartes que son fils, tout jeune encore, est déjà revêtu de l'ordre de chevalerie[41]. Sous l'influence féconde de l'Eglise, la charité devient la grande loi féodale; l'amour des pauvres, des humbles, des faibles, la fraternité chrétienne, la fraternité vraie, celle-là, inspirent et multiplient les fondations généreuses, les donations aux monastères,

ministres nés de l'aumône privée et de l'assistance discrète, les hospices et les maladeries pour les vassaux et les pauvres voyageurs, les concessions de droits d'usage dans les bois seigneuriaux, si précieuses pour les populations rurales; et, sur ce dernier point, j'invoquerai le témoignage d'un ancien chef de l'administration forestière, homme éminent que la mort a brusquement enlevé à ses consciencieux et remarquables travaux; la citation sera longue, mais probative.

«Si on considère qu'une portion souvent importante, quand ce n'était pas la totalité des produits forestiers, était absorbée par ces usages, il serait injuste de méconnaître que la concession de la plupart de ces droits a été, de la part des seigneurs, un sacrifice tout aussi grand que la constitution des forêts communales cédées en toute propriété. Il serait injuste, soit de déprécier outre mesure la valeur des donations faites par les seigneurs, soit de rabaisser la libéralité de ces hauts et puissants personnages qui, héritiers des conquérants et par conséquent possesseurs par le droit de conquête, auraient pu très probablement se refuser envers des communautés d'habitants sans puissance, à des concessions que leurs successeurs ont été jusqu'à détruire. Par exemple, dans une forêt de 5,000 hectares, ancienne propriété des comtes d'Alençon, les droits réglementés au profit de deux abbayes, d'un prieuré, d'une réunion de prêtres séculiers, de six particuliers, de vingt paroisses environnant la forêt, consistaient en 150 cordes de bois de feu équivalentes à six cents stères actuels, en bois à bâtir pour une des abbayes et pour la réunion des prêtres séculiers, en droits au mort-bois et au bois mort, au bois cassé, brisé et tombé, en droits de pâturage et de panage pour au moins 1,900 brebis, 1,000 chevaux, 3,000 porcs, 1,000 bêtes à cornes, en totalité plus de 6,900 têtes d'animaux. Or, si, indépendamment de ce qui précède, on remarque avec le célèbre commentateur Pecquet, grand maître des eaux et forêts de Normandie en 1753, qu'avant l'ordonnance de 1669, «presque toutes les forêts du Roi étaient inondées de droits de pâturage gratuits, qu'il n'y avait personne, un peu voisin des forêts, qui n'y fût usager, qu'en parlant du droit de pâturage il dit aussi: C'est une grâce des Rois, une aisance qu'ils ont bien voulu accorder à leurs sujets,» on comprend quelle était autrefois l'importance des forêts pour l'approvisionnement des populations d'alentour et pour la nourriture de leurs animaux domestiques...

«... Ceux-là, mêmes qui avaient pu abuser de la puissance que l'institution féodale avait mise entre leurs mains, ont pu aussi céder à l'influence de la civilisation religieuse, obéir aux sentiments généreux que l'ardente foi de cette époque et la charité leur inspiraient envers les peuples dont ils étaient les maîtres plus cléments que leurs prédécesseurs. Si même on considère que les importantes concessions dont je parle ont coïncidé avec les croisades, avec l'honneur chevaleresque, avec l'apparition de grandes individualités laïques et religieuses, avec de nombreuses fondations de charité et avec l'élévation des grandes basiliques chrétiennes; si on considère enfin que c'est au moyen âge que la religion chrétienne et la charité ont eu le plus grand développement et ont exercé le plus d'influence, il ne faut pas s'étonner qu'un même esprit, qu'un même courant d'idées ait inspiré ces mouvements généreux d'une époque qui, malgré ce qu'avait d'oppressif une autorité si morcelée et sans contrôle, se distinguait, au moins, par l'indépendance et les autres vertus viriles de ces fiers seigneurs.

«Dans l'appréciation d'une époque, il importe de tenir compte de toutes les circonstances, et il ne faut pas perdre de vue que beaucoup d'historiens n'ont toujours parlé que des méfaits du régime féodal sans jamais vouloir chercher ce qu'il avait pu faire de bien; qu'ils ont fait ressortir tous les abus de l'autorité féodale, mais qu'ils ont passé sous silence l'esprit de communauté ou de réciprocité de certains intérêts qui, aux moments les moins mauvais de l'époque féodale, s'était établi entre beaucoup de seigneurs et les peuples de leurs fiefs, ainsi que le démontrent les concessions forestières faites à tant de réunions d'habitants. Je dois ajouter que ce n'est pas seulement des seigneurs féodaux, mais aussi de nombreuses abbayes ou autres communautés religieuses propriétaires de forêts, que les réunions d'habitants, constituées plus tard en communes proprement dites, ont obtenu au moyen âge de si nombreuses concessions, car il était naturel que les peuples trouvassent ces sortes d'avantages autant auprès de ceux qui prêchaient la charité qu'auprès des seigneurs auxquels elle était prêchée; et on sait d'ailleurs qu'indépendamment de ces jouissances forestières, les anciens monastères employaient leurs revenus à secourir l'infortune et la misère. Il est même permis de se demander quel avantage ont trouvé les malheureux à la destruction de ces établissements de charité.

«... Quiconque étudiera les titres de concessions forestières au moyen âge, pour en découvrir les véritables mobiles, y reconnaîtra sans peine que les donateurs n'ont le plus souvent obéi qu'à des sentiments de religion et de charité, et n'y trouvera pas la moindre trace d'une soumission forcée aux exigences des populations. Je sais que plusieurs attribuent à d'autres causes les concessions forestières. Ces concessions de l'époque féodale ayant été souvent accordées à de simples bourgades, ne jouissant encore d'aucune institution communale, elles sont considérées par certains comme la conséquence naturelle de l'obligation personnelle du contrat qui, lorsque le régime féodal régnait dans toute la plénitude de son principe, liait le seigneur à ses vassaux, ou comme une juste rémunération par le suzerain des prestations et des redevances des vassaux. Quoique dans ce système on ne tienne pas compte des causes morales, religieuses et civilisatrices dont j'ai parlé, il n'est pas moins vrai qu'un système par suite duquel les seigneurs accordaient au peuple de pareilles concessions, en échange même de prestations, de redevances ou d'impôts, était plus libéral envers les peuples qu'on n'a bien voulu le dire, plus libéral surtout, au point de vue forestier, que certains régimes modernes sous lesquels, en rémunération même des impôts plus ou moins équivalents aux prestations du régime féodal, les lois actuelles n'accordent pas aux peuples la moindre jouissance forestière. L'antique libéralité envers ces peuples a progressivement diminué avec l'esprit chrétien et avec la charité qui en était la conséquence nécessaire.

«Enfin, d'autres disent que les seigneurs des dixième, onzième et douzième siècles ont été obligés de céder aux réclamations des habitants des campagnes en leur accordant les concessions forestières. Mais, si c'est à cette cause qu'on doit attribuer ces concessions, il faut avouer qu'au moyen âge les communautés d'habitants luttaient avec avantage contre la puissance des seigneurs féodaux, puisque d'une part les cités, les agglomérations urbaines conquéraient des institutions municipales dont certaines étaient presque républicaines; que, d'une autre part, les bourgades les plus modestes obtenaient, toutes dépourvues qu'elles étaient de moyens de pression violente sur les seigneurs, la consécration des jouissances forestières qu'elles considéraient presque comme des droits, quoique les seigneurs fûssent propriétaires des forêts par un ancien droit de conquête. On ne peut disconvenir que les seigneurs n'avaient plus envers le peuple, à l'époque des concessions, toute la puissance oppressive qu'on leur a attribuée. Ces concessions démontrent même que les désirs ou les réclamations des communes étaient d'un tout autre poids sur l'esprit des chefs de chaque famille féodale, que le seraient les réclamations de ces mêmes communes sur l'Etat abstrait et centralisé d'aujourd'hui.

«... Mais, quelle qu'en ait été au juste la cause, les concessions forestières démontrent d'une manière évidente que, malgré les vices du régime féodal, malgré ce que d'extrêmes inégalités entre les classes composant la nation française et ce que les privilèges dont jouissait la Noblesse ont d'antipathique à l'esprit social et aux idées démocratiques d'aujourd'hui, les peuples avaient plus d'indépendance, plus de moyens de faire respecter leurs droits qu'on n'a cherché à le faire croire. Il est certain aussi qu'aux époques postérieures de notre histoire, de pareils avantages ne furent plut accordés. L'Etat, propriétaire actuel de ces forêts, jouit de leurs revenus à l'exclusion de toute espèce de tolérance. La loi forestière, non seulement supprime jusqu'à l'usage du bois mort, non seulement s'oppose à toute espèce de concession de droits d'usage, à l'avenir, dans les forêts de l'Etat, mais elle ne tend à rien moins qu'à l'abolition complète des droits de pâturage et des droits de chauffage qui ont été maintenus par l'ordonnance de 1669, ainsi que des bois de construction. Aux anciennes libéralités des seigneurs a succédé un régime de moins en moins libéral.

«Les anciens droits d'usage forestiers, les nombreuses tolérances rurales, telles que la vaine pâture dont témoignent les vieilles coutumes, démontrent que, si ce n'est la chasse dont les nobles s'étaient réservé le privilège, la propriété royale, comme celle des seigneurs et celle des particuliers, était autrement accessible à ceux qui ne possédaient rien, que l'est en ce moment la propriété sous la garde de nos lois[42].»

Et voilà comment la révolution a donné la terre aux paysans: en les dépossédant de jouissances et de droits libéralement concédés par les seigneurs! Risum teneatis!

Essai d'Introduction à l'Histoire Généalogique

Подняться наверх