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PRÉFACE d’ARMAND SILVESTRE

Table des matières

ÉCRITE POUR LA PREMIÈRE ÉDITION

C’est une chose rare qu’un livre de belle humeur et de réelle érudition tout ensemble. Aussi ai-je accepté de grand cœur de présenter celui-ci au public, malgré que le vêtement qui l’a inspiré me soit un objet d’horreur tout à la fois et d’envie, car, non seulement le pantalon féminin m’irrite par son manque de beauté, mais, aussi par les privautés impertinentes dont il jouit dans la vie sociale.

Qu’a fait, après tout, ce chiffon ridicule, pour mériter d’aussi belles destinées? Lui qui peut dire, comme le poète persan: «Je ne suis pas la rose, mais j’ai gardé un peu de son parfum!»

Les disciples de Zoroastre, admirateurs des astres, n’en voulaient pas davantage aux nuages légers qui voilaient parfois le disque lumineux de la Lune, en sa plénitude majestueuse, que moi à ce malencontreux habit qui dissimule des rondeurs bien autrement harmonieuses. Que vient faire, dans le ciel de nos lits, cette vapeur de toile ou de batiste malséante, dont certaines refusent de se dépouiller même pour réjouir nos mains seulement, dans la pénombre familière?

Mais je me suis vite convaincu que l’auteur était aussi antipathique que moi à cette mode, qu’il fait seulement remonter à Salomé, mais qui proclama, dans l’histoire de l’humanité, la déchéance d’Ève. Car la feuille de vigne fut la première culotte et le symbole d’un premier châtiment. Encore que la pitié de Dieu,—

Les dieux parfois, mon fils, sont bons quand ils sont jeunes

comme dit le vieux Thamus de Paul Arène—n’eût imposé à la femme coupable ce vêtement que d’un côté, ce qui laissait les horizons libres de l’autre et ne gênait en rien le point de vue que j’appellerai culminant. C’est ce qui fit faire immédiatement un demi-tour à Adam, qui trouva que la vie était encore supportable avec cette copieuse consolation. Comment la femme en vînt-elle à aggraver, elle-même, sa punition, en se voilant aussi l’autre face? Ce précieux volume abonde, sur ce point, en hypothèses dont aucune ne me satisfait. Je ne crois pas, comme Vignola, que ce fut pour monter plus commodément à cheval, l’amazone ayant été une exception dans l’histoire des races. Ni pour se garantir du froid, comme quelques médecins le lui ont conseillé. Allez donc voir si elle écoute ceux-ci quand ils lui interdisent de se décolleter! Je ne m’en plains pas; mais si abondant que soit ce que nous révèle leur corsage ouvert, la compensation est insuffisante. De simples satellites de la Lune! voilà tout!

Je ne puis trouver, à cet usage, qu’un motif ou déshonnête ou désobligeant. Salomé était dans le premier cas. Ses brayes, si consciencieusement décrites par Flaubert, étaient un excitant aux rêveries malsaines du vieil Antipas. «L’indécent n’est pas le nu, mais le troussé», a dit si justement Diderot. Ainsi les courtisanes vénitiennes qui portaient des pantalons luxueux, comparables à de très fines voiles palpitantes au moindre souffle. Car Théophile Gautier me montra, dans un livre ancien, qu’elles recouraient encore à un autre raffinement, écrasant au moment psychologique, entre les plis de leur double rose naturelle, de petites vessies pleines de parfums, simulant, par le bruit, une distraction embaumée. Il y avait même la plaisante aventure d’un amoureux se précipitant sous les draps pour humer cet arome et en sortant désappointé par une distraction réelle. Ainsi les contemplatifs pouvaient-ils s’imaginer qu’ils voyageaient vers Cythère poussés par un vent léger et chargé d’odeurs suaves. Dans ces deux cas, le pantalon fut visiblement inventé pour émoustiller les vieux cochons.

Dans d’autres, il répondit en s’installant dans les mœurs, au besoin inné chez les femmes de faire enrager ceux qui les aiment vraiment. Car vous ne les verrez avoir d’attentions délicates que pour ceux qui leur montrent quelque indifférence, fausse ou réelle. Quant aux vrais fervents de leur chair, elles ne sont préoccupées que de leur en montrer le moins possible. D’autres encore—ce fut certain quand la mode en vint de Londres—l’acceptèrent tout simplement avec enthousiasme parce qu’elles avaient les cuisses défectueuses. Jolie raison pour les autres! Quelle occasion c’était de retirer même ses jupes ou de choir d’âne comme lady Churchill qui se fit aimer en montrant son derrière. Ah! j’oubliais des personnes encore fatalement vouées au culte de ces affreux accessoires: les lingères qui en fabriquent et en aiment particulièrement la confection. Car celle-ci ne demande pas le soin qu’exige un chapeau de la part d’une modiste, et volontiers cette coiffure postérieure va à toutes les physionomies.

Je te vois, petit coquin! comme dit l’inscription foraine qu’on lui pourrait donner pour devise. Je te vois, mais te reconnais à grand’peine! ajouterait un mélancolique.

Ah! qu’on me ramène à l’admirable costume de Notre-Dame de Thermidor, de cette belle Tallien dont la foule saluait au passage les jambes sculpturales, dans les larges échancrures de sa jupe traînante, comme on s’incline devant un front célèbre à la couronne de lauriers! Les vraies époques d’art sont celles où l’on ne parle pas seulement du visage des femmes, quand on s’entretient de leur beauté.

C’est dans le costume des bicyclistes dames qu’on mesure aujourd’hui, l’horreur du pantalon... Et Dieu sait si les séants sont larges! Comme ceux des zouaves, ce qui donne un côté bien particulièrement rétrospectif aux souvenirs d’amour qu’ils peuvent évoquer. Pouah! et, s’il en faut croire M. Lépine, de jeunes personnes qui n’y sont pas forcées, revêtaient ce demi-sac tout simplement pour plaire aux clients de la rue, et sans l’excuse de la moindre bécane à enfourcher postérieurement.

Voilà qui suffirait seul à affirmer la décadence de nos goûts.

Mais je ne veux pas m’attrister en de mélancoliques réflexions sur ce sujet, j’aime bien mieux remercier l’auteur de ces pages érudites et joyeuses, de toutes les citations aimables dont il a repeuplé ma mémoire, depuis les jolis vers de Voiture dont j’avais égaré le texte, jusqu’à la page cueillie dans les Bigarrures et touches du seigneur des Accords,mon livre de chevet quand j’étais à l’École Polytechnique, et que j’avais dérobé à notre bibliothèque scientifique où il se trouvait bien par hasard et où je l’avais découvert. C’était au beau temps de ma jeunesse, durant cette accalmie impériale qui avait du bon: car, autant qu’il m’en souvient, beaucoup de femmes ne portaient pas de culottes, pendant cette période césarienne. Celles d’aujourd’hui en ont fait un symbole de revendication sociale, une façon de drapeau qui ne flotte pas précisément sur leurs têtes. Avocates et médecines rêvent de revêtir notre costume masculin dans toute son infamie. Di avertant omen! Ce sera du joli.

Je ne veux pas retarder davantage le plaisir que goûtera le lecteur à s’instruire sur un sujet très grave et dont les sots, seuls, ne comprennent pas le sérieux, où la forme emprunte au fond une majesté particulière et où le contenant participe à la gloire du contenu. Par cette légende pittoresque et documentée, il sera conduit jusqu’au seuil de ce temps misérable où—souvenir profané des temps divins d’Ève et de Noé!—le vin de nos verres est fabriqué par des chimistes et la feuille de vigne, elle-même, est devenue, aux formes de nos amoureuses, un pantalon!

Armand Silvestre.


LES ORIGINES

L’usage du pantalon dans la toilette des femmes ne se perd pas dans la nuit des temps.

Bertall

Le Pantalon Féminin

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