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ОглавлениеCes vertugalles ouvertes
Laissent les fesses découvertes[20]
L'on ne tarda guère pourtant à y mettre bon ordre:
«Par-dessus le corps piqué fut mis un pourpoint auquel s'attachaient les chausses. Les femmes furent amenées par la mode des jupes écartées à s'approprier cet attribut tout viril. C'est pour désigner les chausses de dames que le mot caleçon fut crée» (Quicherat)[21].
Le mot n'aurait-il pas été imité, plutôt, de l'italien calzone, comme l'indique M. le professeur Nardi? l'objet, comme les vertugades, dont il corrigeait les écarts et l'indiscrétion, semblant venir d'Italie.
Taboureau des Accords donne, cependant, une étymologie, très française, si française même que sa gauloiserie me force à la passer sous silence. C'est de la linguistique: les premières lignes suffiront à donner le ton du morceau. Elles ont, également, le mérite d'établir la nouveauté du mot et de la chose:
«On dit que quand les dames de la Cour commencèrent à porter des hauts-de-chausses, elles firent une convocation générale pour sçavoir comment elles les nommeroient, à la différence de celles des hommes: Enfin, du consentement de toutes, elles furent surnommez de ce nom caleson...»[22].
Henri Estienne, signale en moraliste, ou peu s'en faut, cette mode nouvelle.
Il y a, avec de l'esprit et du gai savoir en plus, du Père la Pudeur dans ses appréciations:
«Celtophile.—Or ça, les vertugales ou vertugades qui avoyent la vogue de mon temps, sont-elles demeurées?
Philosaune.—Ouy, mais elles ont depuis commancé à porter aussi une façon de haut-de-chausses qu'on appelle des calçons; et comme elles portent des hauts-de-chausses, aussi portent-elles des pourpoints: tellement que vous en verriez maintenant beaucoup en chausses et en pourpoint, aussi bien que les hommes.
Celtophile.—De mon temps cela eust esté trouvé fort estrange.
Philosaune.—Elles ont toutesfois quelque excuse honneste à ceste sorte d'habillement, je ne dis pas simplement Excuse honneste, comme on parle ordinairement, mais regardant à l'honnesteté qu'elles allèguent.
Celtophile.—Comment?
Philosaune.—Qu'elles usent de ces calçons, pour ce qu'elles ont l'honnesteté en grande recommandation. Car outre ce que ces calçons les tiennent plus nettes, les gardans de la poudre (comme aussi ils les gardent du froid), ils empeschent qu'en tumbant de cheval, ou autrement, elles ne mostrent ha cryptein ommat' arsen[Greek: omega]n chre[Greek: omega]n: pour user des mots d'Euripide, où il parle de l'honnesteté de Polyxene, alors mesme qu'elle allet tumber du coup de la mort.
Celtophile.—I'enten bien ces mots d'Euripide, Dieu merci.
Philosaune.—Ces calçons les asseurent aussi contre quelques ieunes gens dissolus, car venans mettre la main soubs la cotte, ils ne peuvent toucher aucunement leur chair. Mais comme l'abus vient en toute chouse encore que l'invention ne soit pas abusive, quelques-unes de celles qui au lieu de faire lesdits calçons de toile simple, les font de quelque estoffe bien riche, pourroyent sembler ne regarder pas aux chouses que nous avons dictes: mais en se mettant en chausses et en pourpoint, vouloir plustost attirer les dissolus que se défendre contre leur impudence»[23].
Donnant à cette nouveauté une raison moins honnête, le regretté Henri Bouchot, mettait en jeu, dès le début, dans ses Femmes de Brantôme, la coquetterie bien plus que la pudeur:
«Les maigres ont imaginé mille supercheries pour sauver les apparences; elles portent des caleçons rembourrés à la façon des hauts-de-chausses masculins, on a dit par pudeur en dansant la volte, mais en réalité pour mouler la jambe à leur gré. Du Billon dans son zèle excessif, mettait au compte de Sémiramis cette invention biscornue, «tant pour se garder du vent de bise que de la main trop légère des mignons»; mais le caleçon ne dépendait ni de l'une ni des autres comme de bien entendu, il était un objet de luxe, une tromperie. Que de fois la main légère s'égarait sur des tailles robustes et souples où des cartons élastiques suppléaient aux vices de nature. Tout est postiche à la cour de France, il n'y a guère que les dents qu'on ne sache remplacer encore; les patins laissent croire à l'élégance, les caleçons arrondissent les jambes grêles, les cheveux rapportés augmentent la chevelure naturelle détruite par les pommades et les cosmétiques»[24].
Messire Loys Guyon, Dolois, sieur de la Nauche, que nous aurons occasion de retrouver au sujet d'une jeune fille qui, comme les Catayennes, n'en portait pas, dit et vante, d'autre part, la richesse de ces caleçons:
«Les femmes et filles de par deça semblent avoir opinion que les hommes désirent qu'elles ayent les fesses et les cuisses grosses et rebondies, comme les Catayens[25] par ce qu'elles s'estudient à persuader cela aux hommes, par leurs amples vertugadins qu'elles portent. Davantage, elles font plus que icelles Catayennes, d'autant qu'icelles avoyent les fesses et cuysses sous leurs vestemens nües, et les femmes de par deça revestent ces parties de calçons, non pas de petite estoffe, comme de toille, ou de futaine, mais de satin, taffetas, veloux toille d'or et d'argent, qu'on ne leur fait monstrer; au contraire, par nos loix, celles qui les monstrent librement, et sans raison, sont infames: il eust été bien plus seant aux Catayennes de porter des calçons de ces riches estoffes, pour encore adiouster de la grace et allechement à ces parties, pour estre recherchees des hommes, pour les avoir à mary, que non pas à celles de par deçà, comme j'ay dit, qui ne leur est permis de les monstrer, encor moins de se laisser toucher. Ce qui donne occasion à plusieurs, de penser telles femmes, qui usent de ces façons de faire n'estre chastes»[26].
Une finale qui ressemble fort à celle d'Henri Estienne. L'on sait si les héroïnes de Brantôme se gênaient peu pour montrer leurs caleçons et les laisser toucher. Mais qui songea, jamais, à les taxer de pruderie?
Tous les historiens du costume, Racinet, Challamel, Ary Renan et autres ne manquent point de mentionner, avec plus ou moins de détails, cette intrusion du haut-de-chausses dans la toilette féminine.
Racinet et Challamel se montrent, toutefois, moins affirmatif que Quicherat:
«Les dames portaient sous la cage du vertugadin en tambour, le haut-de-chausses ajusté selon l'usage masculin; on lui donnait le nom de caleçon, mais il ne différait pas de celui des hommes; il était attaché à un pourpoint mis pardessus le corps piqué, ou corset à armature; les bas de soie de Naples ou d'Espagne étaient attachés au caleçon avec des aiguillettes ou retenus sous la jarretière comme on le faisait pour le haut-de-chausses; leur couleur était intense, on les portait rouges, violets, bleus, verts, noirs»[27].
Culotte d'homme plutôt que pantalon féminin. Ce travesti rappelle les courtisanes italiennes bien plus que les honnêtes dames du seigneur de Bourdeilles, «chose italienne», dont Racinet nous fournit cet autre exemple:
«Peut-on généraliser l'étrange alliance du costume féminin et du costume masculin dont l'exemple, particularisé par Vecellio et Bertelli, se rencontre ici? On voit par les gravures d'Abraham Bosse qu'au moins cette mode bizarre ne s'était point propagée parmi les courtisanes du nord de l'Europe pendant la première partie du XVIIe siècle. Quant aux grandes dames françaises, l'habitude que Catherine de Médicis leur fit prendre, selon Brantôme, de chevaucher en mettant la jambe dans l'arçon, au lieu de continuer à être assises sur leur monture en ayant les pieds posés sur la planchette, pouvait bien avoir contribué à leur faire adopter par-dessous leurs jupes le complément du costume masculin; leur corsage clos, avec les épaulettes et le mancheron, se rapprochait déjà fort du pourpoint.
«Tous les visiteurs de l'Exposition du costume organisée aux Champs-Élysées, en 1874, par l'Union centrale, ont pu y voir le portrait en pied, de grandeur naturelle, contemporain de l'époque dont nous nous occupons, représentant une dame richement vêtue, qui porte la culotte descendant aux genoux, transparaissant sous une jupe de gaze des plus claires. Le cas est certes rare, mais il ne paraissait pas que cette dame fût une courtisane[28]».
Pour Robida, la jambe passée dans l'arçon donna lieu à cette autre innovation:
«Les femmes empruntèrent au costume masculin une espèce de pourpoint à hauts-de-chausse qui se mettait sous la robe. Ces caleçons, ainsi s'appelaient-ils, permettaient, malgré les larges jupes, d'enfourcher plus commodément les arçons[29]».
Quant à M. Augustin Challamel—sans appuyer son dire sur aucun texte—il se contente de considérer le caleçon des dames de la cour comme l'exception et non comme la règle:
«Quelques-unes portèrent des caleçons par-dessous leurs robes. Mais cette mode ne fut pas généralement adoptée, parce qu'elle ne s'accordait guère avec les accessoires du costume»[30].
L'Histoire de la Mode peut avoir été écrite pour les jeunes filles, ce n'est pas une raison pour ignorer à ce point l'œuvre de Brantôme.
Elle fourmille de détails précieux pour qui veut décrire les élégances du passé: malgré l'encre bleue que devait l'auteur à ses lectrices, elle ne lui aurait point permis de se montrer aussi affirmatif.
LES HÉROINES DE BRANTOME
LES COURTISANES DE VENISE ET DE ROME
Cette curiosité qu'elle avoit d'entretenir sa jambe ainsi belle faut penser que ce n'estoit pour la cacher sous sa juppe, ny son cotillon ou sa robbe, mais pour en faire parade quelques fois avec de beaux callessons de toille d'or et d'argent, ou d'autre estoffe, très proprement et mignonnement faits, qu'elle portoit d'ordinaire.
Brantôme.
La richesse des callessons de la Signora Livia.
Montaigne.