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V

Les trois lits de la salle où se trouvait Pierre d’Arnaud étaient occupés.

C’était d’abord un capitaine de hussards. «Eclat d’obus au mollet gauche: Champigny, 30 novembre», comme disait la petite pancarte sur papier glacé, assez semblable à un menu de grande maison, que Massard avait fait placer au chevet de chaque lit. C’était le blessé gandin, le blessé poseur; dès qu’il était seul, il tirait de dessous son oreiller un petit miroir à main et une petite brosse, et se peignait les moustaches.

Il était échu à madame de Savignac, après la fin malheureuse de son premier.

La négligence forcée de sa toilette désespérait le capitaine de hussards. Un matin, comme il se retournait sous ses couvertures, inquiet, énervé, sa belle garde-malade se pencha vers lui.

–Je voudrais…

–Quoi donc, mon ami? Parlez. De la tisane? un prêtre?

–Non. Un coiffeur.

Et il montrait avec angoisse sa barbe longue de huit jours.

Madame de Savignac courut chez Massard. Celui-ci pâlit en constatant une aussi importante lacune dans l’organisation de l’ambulance modèle. Il dépêcha aussitôt la sœur Agathe chez Lespès, avec ordre de ramener un garçon qui resterait désormais-attaché au service des blessés.

«L’éclat d’obus au mollet gauche»(pour parler comme l’interne Jolibois, qui estimait d’un chic suprême de désigner chaque blessé par la description de sa blessure), «l’éclat d’obus au mollet gauche» quand il fut rasé, poussa un grand soupir de joie, tandis que madame de Savignac, tirant une houppe mignonne d’une petite boîte d’or, secouait en riant son fin nuage de veloutine sur le menton bleu du jeune capitaine.

Le voisin de lit était un grand gaillard à barbe blonde, un Polonais, lieutenant aux Amis de la France. Très gravement blessé, il avait été confié par Massard à une infirmière qui faisait un contraste profond avec le reste du personnel, madame Berthier: une femme simple et douce, bien que très riche; cinquante ans passés, les cheveux déjà blancs. Mais le Polonais, malgré ses souffrances, aurait préféré à cette bonne maman une infirmière plus capiteuse, et jetait des regards d’envie sur l’heureux «éclat d’obus au mollet gauche.» Un soir, comme madame de Savignac passait près de son lit, il effleura de ses lèvres, au passage, ses beaux doigts chargés de bagues. Elle ne s’en offensa pas. Un blessé… un moribond peut-être… Est-ce que cela tire à conséquence?

A côté de Pierre d’Arnaud était étendu un capitaine de ligne, à moustaches grises, un vieux comme disent avec mépris les jeunes Saint-Cyriens. Fils de paysans, il avait conquis ses grades lentement, péniblement, sans aide, sans protection aucune. Et encore, n’était la guerre, il ne serait jamais passé capitaine.

Il échangeait parfois quelques mots avec Pierre. Il lui racontait qu’il avait encore sa bonne vieille femme de mère là-bas, au pays.

Le brave homme avait pour infirmière madame de Santa-Fe, une élégante éplorée, une élégiaque, pâle comme la lune et brune comme la nuit, qui parlait sans cesse, les larmes aux yeux, de son cher Antonio, mort au Mexique je ne sais quand et que personne n’avait jamais vu. Elle assommait de phrases mystiques et prétentieuses le pauvre vieux capitaine, singulièrement intimidé par ce jargon inconnu, par ces grands yeux humides et par cette poitrine aristocratique et sévère; poitrine assez opulente, d’ailleurs, mais que contenait un corset rigide, inflexible comme les principes de madame de Santa-Fe.

Souvent, tandis que.la veuve sentimentale répandait des flots d’éloquence sur sa grosse tête, rougeaude, effarée sous les cheveux gris coupés en brosse, le blessé n’osait pas ramener l’infirmière à des détails plus matériels. Il se tordait dans ses draps, avec des jurons étouffés.

Un jour, n’y tenant plus, il confia ses tortures à Massard, qui passait, majestueux et paternel.

Massard fut un peu choqué. Il fallait être sans éducation pour parler de choses aussi vulgaires dans son ambulance.

Il prévint pourtant la sœur Alice, et les yeux du blessé se reposèrent désormais avec confiance sur ce bon visage de vieille, strié de rides régulières, comme si une petite charrue l’avait soigneusement labouré.

Quant à madame de Santa-Fe, à qui Massard adressa quelques observations, elle déclara n’être venue quo pour soigner le moral des blessés et non pour d’ignobles besognes, et remit sa démission.

Sabine, cependant, entourait des plus tendres prévenances Pierre d’Arnaud.

Elle trouva un jour madame Berthier qui donnait à boire à Pierre.

–Pardon, fit-elle sèchement en s’emparant du verre de limonade. Madame se trompe sans doute. C’est mon blessé.

Malheureusement pour Sabine, Pierre était dans une disposition d’esprit qui le faisait absolument insensible au charme, troublant pour tout autre, de la jolie fille. Il ne voyait que la couche un peu trop épaisse de poudre de riz dont elle enfarinait son visage, que le rouge artificiel de ses lèvres; l’odeur pénétrante d’héliotrope qu’exhalaient ses vêtements l’entêtait et lui soulevait le cœur, comme un parfum de courtisane.

Gaston s’amusait un peu de cette curieuse antipathie.

Quant à Sabine, elle commençait à s’apercevoir, avec étonnement, du peu d’effet qu’elle produisait sur son blessé, et ses projets d’avenir –car la fine mouche avait pris ses informations –s’en trouvaient singulièrement contrariés. Les bonnes camarades, qui avaient deviné le manège, raillaient tout bas, tout haut même quelquefois.

–Jamais un mot gentil. C’est un ours, ton zouave, disait un matin madame de Savignac.

Elle venait d’assister, par une faveur toute spéciale, ainsi que Sabine, dans la salle des opérations, à l’amputation de la jambe, pratiquée sur l’élégant «éclat d’obus au mollet gauche». La blessure avait mal tourné.

–C’est un peu votre faute, avait dit tout bas Désorbiers à madame de Savignac… Il faut du calme aux blessés… les jolies femmes, très dangereux… l’excitation cérébrale… Doucement, je vous en prie, doucement. Ce pauvre garçon, si vous n’étiez pas si belle, il aurait peut-être encore sa jambe gauche.

La belle infirmière avait souri, comme à une excellente plaisanterie, et elle avait voulu être présente elle-même à l’opération. Mademoiselle de la Grangère, qui était particulièrement crâne, voulut voir aussi. Elle tenait un bras du patient tandis que madame de Savignac tenait l’autre. Seulement, sur les instances de Jousselot, qui craignait pour leurs nerfs, elles durent garder leurs yeux fixés au plafond.

Très belle tenue. Un seul tressaillement, une sensation de froid dans le dos, quand elles entendirent le léger grincement de la scie attaquant l’os. Quand tout fut terminé, on félicita ces dames beaucoup plus que le blessé lui-même. A la porte, elles rencontrèrent madame de Rhuys, qui venait prendre des nouvelles.

–A propos, dit-elle, sans attendre une réponse, vous ne savez pas? mon blessé, mon pauvre sous-lieutenant, qui avait reçu une balle dans l’aine… on craignait… pas pour sa vie… vous me comprenez… Eh bien! il est sauvé. C’est sa jeune femme qui sera heureuse. Ah! ma chère, qu’avez-vous donc? dit-elle tout à coup à Sabine.

C’étaient des gouttelettes de sang qui avaient rejailli sur le tablier à bavette. Sabine le délit tranquillement et retourna près de Pierre d’Arnaud.

Il dormait.

Gaston était à son chevet. Il mit un doigt sur les lèvres en apercevant Sabine et se leva, avec un respect mêlé d’un peu d’ironie, pour lui céder sa place. Sabine la prit sans hésiter, comme si Pierre eût été sa propriété particulière et personnelle.

Pendant ce temps, madame de Savignac, qui portait ce jour-là une robe de satin noir brodée de vieil or, promenait de salle en salle, avec un petit air de triomphe, le récit de l’opération de Joussolot, que ces dames écoutaient avec avidité.

Dans la grande salle, au moment où elle achevait sa troisième narration, agrémentée de détails plus horribles encore que les deux précédentes, les narines délicates de l’auditoire se froncèrent tout à coup; une bouffée d’odeur fade et tiède traversa la pièce. C’étaient deux infirmiers qui emportaient recouvert d’un linge, un baquet rempli de sang.

Il y eut un court silence. Puis, comme si l’odeur de ce sang les avait grisées, chacune des jolies femmes, avec plus d’acharnement que jamais, retourna accabler son blessé de prévenances, de tendresses, de caresses même… oh! bien innocentesv… Les malades ne sont-ils pas des enfants?

Christine Bernard

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