Читать книгу Mélanges d'anatomie, de physiologie et de chirurgie. Chirurgie - Pierre-Nicolas Gerdy - Страница 10
III. — FRACTURES COMPLIQUÉES DU COL DU FÉMUR
ОглавлениеOn est loin de connaître les fractures compliquées du col du fémur aussi bien que les fractures simples; on le conçoit: elles sont moins fréquentes et on a beaucoup moins d’occasions de les étudier. Ce n’est qu’en réunissant une grande masse de faits que l’on pourra espérer d’avoir l’ensemble, sinon de toutes les complications qui peuvent se présenter, du moins de leurs analogues. Ce travail est encore à faire, et c’est pour y contribuer que nous publions l’observation suivante:
Observation de fracture du col du fémur avec blessure de l’artère crurale. Ligature. Emploi de l’appareil à extension continue de Boyer. Guérison. — Tirebac (Bernard), ancien militaire, âgé de trente ans, demeurant à Paris, a été reçu à l’hôpital Saint-Louis le 28 juillet 1830. Il est d’une assez grande taille, d’un tempérament sanguin et d’une bonne constitution. Il a servi pendant huit ans, et n’a jamais eu d’autre maladie qu’un point de côté qui lui a duré environ quinze jours, c’était la suite d’un refroidissement. En 1823, à l’attaque du Trocadéro, il reçut, au-devant de la rotule, un coup de baïonnette; l’instrument n’avait pas pénétré, et la plaie fut guérie au bout de trois semaines. Il put ensuite revenir à pied de Cadix à Paris.
Il a quitté le service en 1827. Jusqu’à cette époque il a été sujet à des épistaxis; mais depuis elles se supprimèrent, et Tirebac fut, à plusieurs reprises, incommodé par le sang. Pour la première fois, il y a deux ans, puis au commencement de l’année dernière (1829), et ensuite à l’automne, il lui est survenu, à chacune de ces époques; une éruption pustuleuse avec gonflement à la partie supérieure de la face, et principalement au front, laquelle a été guérie à chaque fois par une saignée copieuse. Aux pustules ont succédé des croûtes qui ont laissé de légères cicatrices. Il est, du reste, sujet aux étourdissements et aux maux de tête. Marié peu de temps après sa libération, il a exercé dès ce moment le métier de plombier.
Le 28 juillet 1830, il reçut, sur le boulevard Saint-Martin, une balle qui, pénétrant dans la région inguinale au niveau de l’articulation coxo-fémorale, est ressortie à la partie postérieure inférieure et externe de la fesse. Recueilli d’abord dans une maison voisine, il fut transporté à Saint-Louis au bout d’une demi-heure environ. A son arrivée, on reconnut une fracture de l’extrémité supérieure du fémur, intéressant très-probablement le col de cet os. L’écoulement sanguin était alors peu considérable; l’état du malade était alarmant; une saignée abondante fut sur-le-champ pratiquée, et le membre placé sur des coussins à la manière de Pott, parce que le malade, souffrant et indocile, ne voulait pas d’autre appareil, et que je craignais beaucoup d’ajouter à ses souffrances. A peine une heure s’était-elle écoulée, que je fus averti d’un accident formidable qui venait de se manifester. Une hémorrhagie considérable était survenue, le sang avait traversé les matelas et la paillasse et coulait déjà sur le carreau. L’appareil enlevé, je reconnus que la plaie postérieure donnait issue à un courant de sang vermeil. Cet indice et la situation de la plaie me prouvèrent que l’une-des circonflexes, ou les deux, étaient blessées. Que fallait-il faire? Amputer dans l’article? Je l’avoue, l’idée d’une opération qui, chez cet homme très-fort et très-robuste, eût entraîné une plaie immense, une horrible mutilation et très-probablement une mort prompte, m’effraya. La ligature m’offrait un moyen à peu près certain d’arrêter l’hémorrhagie; j’avais en outre l’espoir de rendre par là moins intenses les accidents inflammatoires qui pouvaient survenir. Mon parti fut donc pris sur-le-champ. Je liai la crurale au niveau de l’arcade de ce nom, et sur-le-champ l’écoulement sanguin fut arrêté. Tranquille du côté de l’hémorrhagie, il fallait songer à la fracture. Je réappliquai l’appareil et plaçai le membre sur un double plan incliné, fait de coussins peu élevés, sans pratiquer aucune extension de peur d’éveiller des douleurs et les accidents inflammatoires que je redoutais.
Le premier jour, le malade était dans l’affaissement et souffrait peu; mais le lendemain les douleurs s’étant fait sentir, je les calmai au moyen d’une application de 50 à 60 sangsues; le même accident, mais moins intense, nécessita encore à plusieurs reprises l’emploi du même moyen, et, pendant l’espace de six semaines, près de 200 sangsues furent ainsi appliquées en différentes fois. Après dix ou douze jours de diète, on accorda du bouillon, puis quelques potages; et au bout d’un mois le blessé commença à manger un peu. Vers le dixième jour, la plaie postérieure était cicatrisée, l’antérieure et celle faite pour la ligature continuèrent à donner chaque jour un peu de pus.
2 septembre. Six semaines environ s’étaient écoulées; toutes les plaies, dont la marche n’avait été entravée par aucun accident grave, étaient fermées; la consolidation de la fracture paraissait se faire avec un léger raccourcissement qui existait dès le principe. Enfin, tout semblait promettre une guérison heureuse autant qu’inespérée, quand tout à coup un accident vint détruire en un instant des résultats si péniblement achetés, et remettre en question la vie du malade. Un mouvement involontaire pendant son sommeil détruisit la consolidation commencée; une vive douleur s’empara de la région blessée, et des mouvements convulsifs produisirent immédiatement un raccourcissement considérable. 70 sangsues furent appliquées sur-le-champ pendant la nuit, et, le lendemain matin à la visite, nous trouvâmes le membre raccourci de quatre ou cinq pouces, et la fesse soulevée par le grand trochanter remonté. Ce symptôme ne laissait aucun doute sur le siége de la fracture au col de l’os. Le pouls était fréquent, développé, la peau chaude. Le malade désespérait de sa guérison. 50 sangsues furent encore appliquées ce jour-là ; mais le déplacement entretenait une irritation dont je redoutais les suites; il fallait à tout prix le faire cesser. Je résolus d’employer l’appareil mécanique de Boyer, seul et faible espoir de rétablir heureusement l’état des parties et de sauver le malade. Des potions calmantes lui furent administrées, des cataplasmes laudanisés furent constamment appliqués autour de la partie supérieure du membre, et l’on diminuait la pression exercée par les lacs extensifs à l’aide de cardes de coton qui enveloppaient l’aine et le pied. L’appareil fut gênant les premiers jours: le membre étant devenu excessivement douloureux dans toute son étendue, mais surtout au niveau des articulations, je les couvris en entier de coton cardé, afin d’adoucir la pression des lacs, et je pris l’appui de ces derniers, non pas seulement sur le pied, mais sur la jambe et jusque sur la partie inférieure de la cuisse. Une semaine s’était à peine écoulée que la fièvre s’était calmée et que l’état général commençait déjà à s’améliorer. Dès le premier jour de l’application de l’appareil, les plaies antérieures de la ligature de l’artère et de la balle se rouvrirent et commencèrent à suppurer; celle d’entrée de la balle donna une suppuration plus abondante qu’avant sa première cicatrisation. Cependant on exerçait, à l’aide de la vis, des tractions graduées et modérées qui, en sept ou huit jours et sans douleurs, grâce aux précautions ci-dessus mentionnées, ramenèrent le membre à la longueur qu’il présentait avant l’accident du 12 septembre, c’est-à-dire environ un pouce de raccourcissement. Tout n’était pas fini. Au bout de trois semaines, les douleurs se réveillèrent avec une telle vivacité. que le malade fut pendant six nuits privé de sommeil; à peine furent-elles diminuées par deux ou trois applications de 40 ou 50 sangsues et des calmants. Enfin, la sixième nuit un narcotique énergique ayant été administré, les douleurs s’apaisèrent, le sommeil revint, et la santé du malade s’améliora de jour en jour.
Les plaies antérieures, qui s’étaient rouvertes, se cicatrisèrent en quelques semaines. La plaie postérieure, qui s’était rouverte aussi huit jours après l’application de l’appareil, se referma au bout de vingt-quatre heures.
L’appareil mécanique fut enlevé le 28 novembre; alors le membre n’offrait qu’un pouce et demi de raccourcissement; mais, quoique la consolidation parût assez bien faite, il s’est peu à peu raccourci jusqu’au moment de la sortie du. malade (30 décembre), sans qu’on s’en aperçût d’abord. Depuis dix à douze jours on lui permettait de se lever et de marcher avec des béquilles.
J’ai revu depuis ce malade, et voici l’état dans lequel il est aujourd’hui 9 mars 1831.
Le membre offre un raccourcissement de près de trois pouces; il est comme soudé supérieurement avec l’os de la hanche et ne se meut que par un mouvement de totalité avec le corps. Le genou commence à pouvoir se fléchir un peu; il est probable qu’avec de l’exercice il pourra recouvrer ses mouvements. Quant à la hanche, je ne crois pas que jamais elle puisse prendre de la mobilité. Une saillie osseuse se montre à la partie externe et supérieure de la cuisse, à peu près au niveau du grand trochanter opposé, et un peu plus en avant. Le malade éprouve encore de temps à autre, et surtout dans les changements atmosphériques, des douleurs, tantôt à la hanche, plus souvent au genou, qui est devenu très-sensible toutes les fois que le pied touche à terre ou. vient à heurter contre quelque corps saillant.
J’ai insisté sur les circonstances antécédentes pour bien faire ressortir le tempérament sanguin de cet homme, et faire comprendre comment, après une hémorrhagie aussi abondante, précédée déjà d’une forte saignée, il avait pu supporter les émissions sanguines répétées auxquelles il fut soumis. Malgré ces pertes, le pouls se maintenait fréquent et fort. C’est sur cet état de la circulation que nous nous fondons pour appliquer des sangsues en grand nombre et à plusieurs reprises, et on le voit, un succès complet a couronné nos efforts.
En cas d’hémorrhagie, la ligature de l’artère principale d’un membre affecté de fracture a été conseillée déjà depuis assez longtemps par plusieurs praticiens; mais personne, peut-être, n’a pensé à la faire servir à atténuer l’inflammation terrible et presque constamment mortelle d’une plaie d’arme à feu dans une des plus grandes articulations. Il n’y avait pas à craindre de priver les os du sang indispensable pour la production du cal; il suffit de songer au développement que prennent les vaisseaux après l’oblitération d’un gros tronc artériel, pour n’avoir aucune inquiétude à cet égard.
Ce malade nous a présenté une particularité assez remarquable dans les blessures de l’aine avec fracture de l’os: il n’y a d’ordinaire qu’une seule ouverture. Il semblerait, comme on l’a dit, que le projectile ait épuisé ses forces d’impulsion à traverser une aussi grande épaisseur de parties molles, et à rompre un os: ici la balle était ressortie, et d’après l’indication de l’ouverture postérieure, on voit qu’elle n’avait pas été déviée dans son trajet. La circonstance du séjour de la balle au sein d’une masse charnue est très-fâcheuse, à cause des manœuvres d’extraction qui deviennent indispensables, et qui prédisposent singulièrement les parties à s’enflammer.
Fallait-il débrider les ouvertures d’entrée et de sortie? Je ne le pense pas: l’indication ne s’en présente que quand un engorgement inflammatoire avec étranglement s’est déclaré. Or, comme l’attestent une multitude de faits, comme nous l’avons encore observé à l’occasion des derniers troubles d’avril, cette inflammation peut ne pas survenir: à quoi donc aurait servi l’opération douloureuse du débridement? A rendre la plaie plus large et à faire attendre plus longtemps sa cicatrisation: si l’inflammation survient, les antiphlogistiques peuvent la calmer, et s’ils ne suffisent pas, on est toujours à même d’en venir à l’incision.
Les détails dans lesquels je suis entré plus haut sur les avantages de l’appareil à extension continue me dispensent d’insister sur l’emploi que j’en ai fait sur ce malade dans des circonstances où, aux yeux de plusieurs chirurgiens, il eût paru contre-indiqué.
Les plaies d’entrée et de sortie de la balle n’offraient pas la même étendue. La première était plus large, mais il arrive assez souvent que c’est la seconde qui offre ce caractère; il arrive aussi qu’elles soient égales. J’expliquerai ailleurs à quoi tiennent ces variétés méconnues par les auteurs dans leur fait et leur mécanisme. Je dis dans leur fait, parce que les uns et les autres adoptent les unes et rejettent les autres, tandis qu’elles existent toutes les trois.