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RAPPORT SUR UN RHUMATISME INFLAMMATOIRE AIGU
ОглавлениеQUI A PROFONDÉMENT ALTÉRÉ LES PARTIES MOLLES ET LES OS, QUI A CAUSÉ LA MORT, ET DONT L’OBSERVATION A ÉTÉ PRÉSENTÉE
Par M. le docteur BALLOT (de Gien) .
Messieurs,
Vous avez nommé une commission, composée de M. Maingault et moi, pour vous rendre compte d’une observation qui vous avait été adressée par M. le docteur Ballot (de Gien): je vais avoir l’honneur de vous en entretenir. Bien que cette observation ne soit pas très-longue, elle est si intéressante et présente des faits si peu connus, qu’elle est bien digne de toute votre attention et méritera de notre part des réflexions étendues.
Jolly, âgé de vingt ans, était employé, depuis un an, comme batelier, au passage de la Loire, dans une petite commune voisine de Gien. Quoique, dans l’exercice de sa profession, il eût été fréquemment mouillé sans pouvoir changer de vêtements, et qu’il eût surtout passé souvent la nuit sans abri sur le bord du fleuve, cependant il n’avait encore éprouvé aucun symptôme de rhumatisme, lorsque le 4 février 1837, étant bien portant d’ailleurs, il fut pris, en manœuvrant sa barque, d’une douleur très-vive dans le genou gauche, sans gonflement ni rougeur. Après divers remèdes insignifiants, il entra à l’hospice de Gien, où le vit le docteur Ballot.
Il exprimait la douleur la plus forte lorsqu’on lui palpait la cuisse gauche et surtout lorsqu’on essayait de faire exécuter quelque mouvement à ce membre qui n’offrait, non plus que le genou, quoique le malade y souffrît vivement, ni rougeur, ni gonflement. D’ailleurs, point de changement dans la longueur, la direction ni le volume du membre, mais fièvre assez intense et cent pulsations par minute. Antiphlogistiques, dérivatifs, hypnotiques, sudorifiques, bains, diète: pas d’amélioration; vésicatoire sur la cuisse, amélioration, puis abcès reconnu à une fluctuation obscure vers le quart inférieur de la cuisse; ouverture de l’abcès, contre-ouverture, séton pour favoriser l’écoulement du pus. Par la suite, suppuration continuelle, altération du pus, colliquation, eschares aux régions du sacrum, des trochanters, mort le 17 mai, après cent cinq jours de souffrances et de douleurs semblables à celles d’une piqûre profonde produite par la pression des parties molles contre l’os, qu’à l’aide du stylet on reconnaît être irrégulier et dénudé.
Autopsie. — Ulcérations gangréneuses vers le sacrum, les grands trochanters, muscles externes de la hanche et de la cuisse réduits en une vaste collection de matières noires, putrilagineuses, fétides, qui entourent le fémur jusque vers ses condyles, remplissent la fosse iliaque externe, pénètrent dans l’articulation iléo-fémorale, ulcérée et ouverte à son côté externe, dépouillée de cartilage, cariée sur ses deux os, privée de ligament interosseux. Au-dessous de la tête, et surtout vers les trochanters, la ligne âpre et la partie inférieure de l’abcès où ont été faites les ouvertures pour le séton, le fémur est affecté d’une altération que je ne saurais, dit M. Ballot, rapporter à aucune maladie des os dont la description me soit connue. Elle «est constituée, ajoute-t-il, par une ossification irrégulière, disposée en stalactites et en lamelles, et dont le périoste, irrité par la présence du pus, semble avoir été l’origine». Il n’y avait pas d’altération au genou.
M. Ballot ne s’est point trompé en jugeant cette observation assez importante pour vous être adressée; c’est ce que prouveront, j’espère, les réflexions dans lesquelles je vais entrer.
La cause de l’affection dont nous venons de tracer l’histoire abrégée paraît être le froid et l’humidité auxquels Jolly était exposé depuis un an par sa profession de batelier, et peut-être surtout par ses imprudences. Nous reviendrons, au reste, plus bas sur l’influence de cette double cause, qui recevra un degré d’évidence de plus de la nature de la maladie.
Plusieurs ordres de symptômes caractérisèrent l’affection: d’abord un symptôme sympathique de douleur dans l’articulation inférieure à la jointure malade; plus tard, quelques jours avant la suppuration, de la douleur locale dans toute la cuisse, au moindre mouvement et lorsqu’on la palpait; en même temps que ces dernières souffrances, de la fièvre et quelques autres symptômes sympathiques; une amélioration dans les souffrances après la suppùration et après l’ouverture de l’abcès qui en était le résultat; plus tard encore, des sensations de piqûre profonde par la pression des parties molles contre le fémur; enfin, une suppuration colliquative, la consomption et la mort.
La douleur dans une articulation inférieure à la jointure malade est un phénomène bien connu dans les maladies articulaires et particulièrement dans celles que l’on connaît vulgairement sous le nom de tumeurs blanches et que l’on pourrait peut-être désigner sous le nom d’arthrites chroniques. Du moins, je préférerais cette dénomination à celle d’artropathie proposée tout récemment. Il est très-commun dans ces affections de voir la douleur se manifester, même très-vive, dans l’articulation placée au-dessous de celle qui est réellement affectée. Cette année 1839, à l’hôpital de la Charité, nous avons vu bien des fois le même phénomène, et entre autres chez trois malades en même temps. L’un avait une maladie de la hanche et se plaignait exclusivement du genou; le second avait le genou affecté et souffrait du cou-de-pied; le troisième, qui était une jeune femme, avait une tumeur blanche du coude et se plaignait du poignet. Néanmoins, tous les trois souffraient de la jointure malade quand on y déterminait des mouvements, et dans certains endroits quand on y exerçait une compression plus ou moins forte, surtout la jeune femme. Mais aucun de ces trois malades ne souffrait aussi vivement que celui du docteur Ballot, à en juger par ce qu’il en rapporte. L’affection était donc plus aiguë chez ce dernier. C’est ce que prouvent encore les autres symptômes, comme nous verrons.
A quoi peut tenir la souffrance d’une articulation inférieure à la jointure malade? C’est un fait que nous ignorons complétement. Mais comme les parties intermédiaires ne souffrent point, et qu’il n’est pas possible de l’expliquer par la continuité ni par la contiguïté des parties, voilà pourquoi j’ai dit que c’était un phénomène sympathique. Tel est en effet le caractère des phénomènes indépendants de la contiguïté et de la continuité des parties voisines, et s’ils tenaient à l’un de ces deux modes de connexion, ils ne seraient pas plus sympathiques que les battements du pouls ne le sont de ceux du cœur, que les mouvements des os ne le sont de ceux des muscles. Personne, en effet, ne s’avise d’expliquer, par la sympathie, la relation de ces phénomènes les uns avec les autres, parce que tout le monde voit, au premier coup d’œil, qu’elle est duc à la contiguïté ou à la continuité des parties.
La douleur locale, très-vive, qui s’est peu à peu développée dans toute la cuisse, n’était si aiguë que parce qu’elle précédait et accompagnait un travail de suppuration considérable, que parc qu’elle accompagnait un phlegmon aigu. Elle était plus vive encore par les mouvements que par le palper pratiqué sur le membre malade, parce qu’elle avait son siège dans les muscles en même temps que dans le périoste; mais il n’est pas certain qu’elle se manifestât dans le fémur lui-même, car les os enflammés et suppurants souffrent assez rarement, j’aurais dû dire ne souffrent pas toujours.
La fièvre et ses troubles généraux se sont montrés du côté du cerveau et des organes digestifs, parce que la maladie était tout à la fois aiguë et surtout très-intense et très-étendue; mais, comme d’habitude, l’orage s’est apaisé aussitôt que la suppuration fut accomplie et surtout quand on lui eut donné issue. Ce résultat général de l’ouverture des abcès prouve, contradictoirement à l’opinion de beaucoup de pathologistes, que le pus agit d’une manière nuisible aux parties, soit parce qu’il les distend, soit parce qu’il les baigne sans les distendre.
Quoi qu’il en soit, bientôt se montra un phénomène particulier, mais très-facile à comprendre. Le malade souffrait la sensation d’une piqûre intérieure quand on pressait les parties molles de la cuisse contre l’os. Cette douleur était évidemment causée parla pression des chairs malades contre les saillies plus ou moins aiguës dont le fémur était couvert, ainsi que l’a vu M. Ballot.
La continuation de la suppuration, son altération progressive, l’amaigrissement, la consomption et la mort qui survinrent enfin sont des symptômes bien communs dans les affections suppurantes des os, surtout quand elles envahissent de grandes articulations et occupent une étendue considérable.
Mais arrivons à la partie vraiment intéressante de cette observation, aux altérations de l’os, car ce sont ces faits qui sont très-peu connus, et qui méritent réellement toute notre attention, et, je crois, toute celle de l’Académie. M. le docteur Ballot, en avouant qu’il ne connaissait point de description à laquelle il pût rapporter les altérations du fémur qu’il avait sous les yeux et qu’il nous a envoyées, a confessé une situation que votre rapporteur serait obligé de confesser lui-même s’il n’avait, depuis plusieurs années, fait des recherches nombreuses et toutes particulières sur les maladies des os. C’est en s’aidant de ces recherches qu’il va décrire, expliquer et déterminer les diverses altérations morbides du fémur que nous tenons du docteur Ballot. L’analyse des altérations de l’os prouve que ce sont des nécroses, des caries, des sécrétions périostiques, des sillons, des ouvertures et des canaux vasculaires. Parlons d’abord des nécroses: elles occupent la tête, le col et le corps du fémur.
La tête de l’os approprié par la macération probablement, et tel que l’a envoyé le docteur Ballot, est dépouillée de son cartilage et de son écorce osseuse presque sur toute la portion articulaire, et laisse à nu un tissu qu’on nomme spongieux, et dont la surface est criblée de trous plus ou moins arrondis. Nous avons démontré que ce tissu est formé par des canalicules perpendiculaires aux surfaces articulaires, et néanmoins légèrement tortueux, très-fins et communiquant les uns avec les autres par une multitude d’ouvertures qui donnent au tissu canaliculaire l’apparence d’un amas de cellules disposées sans ordre. Dans plusieurs points d’ailleurs on distingue la lame épiphysaire, qui est mince et non encore criblée comme elle l’est après l’ossification.
Comment s’est détruite l’écorce compacte, mince et articulaire de la tète du fémur? Le fait a pu s’accomplir par plusieurs mécanismes que j’ai observés: 1° par le développement de la couche mince du tissu cellulaire sous-cartilagineux, résorbant l’écorce osseuse sous-jacente en même temps que le cartilage; 2° par une inflammation éliminatoire développée sous l’écorce compacte dont nous nous occupons, ou dans son épaisseur; 3° par l’ulcération de la surface libre du cartilage se propageant à l’os sous-jacent.
Le premier fait est très-commun dans les tumeurs blanches. Aussi n’est-il point rare de trouver, à l’autopsie de ces affections, le cartilage diarthrodial perforé et en partie recouvert par des fongosités qui, fixées à la surface articulaire de l’os proéminent, flottent par la perforation du cartilage résorbé, et s’étendent parfois en large membrane, de manière à simuler la membrane synoviale. Si alors on enlève ces fongosités, on ne trouve que l’os à nu, au-dessous, point de cartilage. D’autres fois, tandis que le cartilage est aminci comme une feuille de parchemin, la surface de l’écorce osseuse articulaire est cariée, érodée et criblée d’ouvertures par lesquelles le tissu cellulo-vasculaire intérieur de l’os communique avec le tissu sous-diarthrodial. Dans cet état, j’ai trouvé le cartilage souple, flexible et mobile sur la tête de l’os, dont il était facile de le détacher.
Dans un temps, j’ai cru que les cartilages ne se ramollissaient pas, et que ce n’était point par ce mécanisme qu’ils disparaissaient de dessus les surfaces articulaires. Jusque-là je les avais toujours trouvés doués de leur fermeté naturelle, même lorsqu’il n’en restait plus que des parties fort étroites au-milieu des fongosités sous-cartilagineuses, dont les surfaces articulaires étaient couvertes.
Mais, depuis, j’ai rencontré des cartilages ramollis et ulcérés dans différents points de leur surface libre; j’en ai trouvé de perforés, et, je n’en doute plus, ils disparaissent aussi par ce mécanisme, comme l’enseignent plusieurs auteurs et notamment M. Sanson.
Comment se développe la couche sous-diarthrodiale? Il est très-probable qu’elle existe naturellement, quoique très-mince, entre le cartilage et l’os, et que dans l’inflammation elle s’accroît, comme tous les tissus enflammés, tant que le cartilage n’est pas perforé ; mais qu’après l’avoir perforé, elle s’accroît par sécrétion de fluides organisables, absolument comme le font les fongosilés qui proéminent de plus en plus à la surface d’un vésicatoire, ou semblent végéter du fond d’un cautère. Ce fait explique pourquoi le tissu cellulaire sous-diarthrodial, mis à nu par la disparition du cartilage dans les tumeurs blanches, se confond avec la synoviale par sa circonférence; il se confond même avec cette membrane par sa couleur, parce qu’ils sont enflammés de la même manière, baignés par les mêmes fluides, et qu’ils sont d’ailleurs d’une nature analogue.
L’écorce osseuse, compacte et mince de la surface articulaire est aussi résorbée, cariée par le tissu cellulo-vasculaire sous-jacent à cette écorce. Il est probable que c’est ce qui arrive lorsque la maladie articulaire commence par l’intérieur des os. Alors l’écorce osseuse des surfaces articulaires peut être résorbée et perforée de. dedans en dehors par le tissu cellulo-vasculaire de l’os, soulevée par des fongosités. C’est ainsi que s’établissent une foule de caries à la surface des os du crâne.
Dans les derniers temps que je passai à l’hôpital Saint-Louis, je donnai mes soins à une femme d’environ soixante ans, qui avait une dénudation du frontal. Peu à peu la couche extérieure de l’os, amincie, perforée par des fongosités sous-jacentes, fut enfin soulevée et éliminée par une inflammation ulcérative qui laissa une surface rouge, couverte de fongosités vermeilles. La portion rejetée était la lame externe amincie du frontal, qui était en partie résorbée et perforée, en partie nécrosée et séparée par une ostéite éliminatoire. J’ai observé plusieurs fois des phénomènes du même genre dans les articulations, et c’est par l’un ou l’autre de ces mécanismes, et peut-être par tous les deux en même temps, que s’est accomplie l’altération dont la tête du fémur qui nous occupe est le siège.
Dans les altérations de ce genre, plusieurs cas peuvent se présenter à l’autopsie: tantôt on trouve la cavité articulaire remplie d’une poussière osseuse, dure et plus ou moins fine, qu’on regarde à tort comme le résultat d’une carie qu’on appelle une vermoulure. En effet, il est très-probable, pour ne pas dire certain, que cette poussière dure et résistante est un détritus de nécrose, et qu’elle est produite par une lame nécrosée, broyée par les mouvements articulaires à mesure qu’elle se détache, plutôt que par une nécrose primitivement pulvérulente. Tantôt il peut y avoir une poussière très-fragile ou des esquilles criblées par l’inflammation, la carie, et peu résistantes, et c’est de l’ostéite simultanée à la périostite. Il n’y a ni poussière, ni séquestre d’aucune espèce dans la jointure; c’est donc qu’alors la couche compacte des surfaces articulaires a été entièrement résorbée?
Ainsi, dans le cas présent, la lame de la surface articulaire a été éliminée ou résorbée. Mais comme le docteur Ballot ne dit pas avoir trouvé de poussière osseuse dans l’articulation malade, ni dans le pus pendant la vie, je conserve des doutes sur les phénomènes morbides qui se sont passés dans l’articulation affectée.
L’état du col prouve cependant que des esquilles de carie criblées ou peu résistantes plus ou moins petites ont dû s’écouler pendant la vie avec le pus, ou se trouver, après la mort, dans l’articulation ou hors de l’articulation. En avant et même au-dessus, le col du fémur est irrégulièrement creusé, déchiqueté, carié et dépouillé de ses parties compactes superficielles par une ostéite éliminatoire qui a dû produire des esquilles pulvérulentes et laminées, plus ou moins épaisses, et ces esquilles ont laissé à nu le tissu canaliculaire sous-jacent. On trouve même au-devant du col une lame déjà séparée du tissu sous-jacent par sa surface profonde et ses bords, en sorte que, disposée à la manière d’un pont, elle ne tient plus que par ses deux extrémités. Cette lame, déjà morte, est criblée de trous. Or ces caractères n’appartiennent pas aux séquestres de la nécrose. Ceux-ci sont frappés de mort sans être enflammés, tandis que c’est le contraire pour les esquilles de la carie, qui meurent cernées par une ulcération circonférentielle éliminatoire.
On trouve au contraire des portions nécrosées dont les limites ne sont encore marquées à l’extérieur que par un sillon qu’occupait l’inflammation ulcérative. Cette inflammation éliminatoire est ici provoquée par la présence d’un séquestre qui agit sur les parties vivantes comme un corps étranger.
On observe le séquestre dont je veux parler immédiatement au-dessous du col et au-devant du petit trochanter. On le reconnaît à son aspect compacte, non vasculaire ou non poreux, à sa dureté et à sa sonorité. Enfin le fémur présente encore de la nécrose dans sa moitié inférieure, et c’est là qu’il en offre le plus.
Elle forme là, derrière l’os, une lame osseuse qui occupe la superficie de deux faces latérales de l’os, est soulevée et en grande partie détachée. Cette lame, qui a 6 pouces ou 16 centimètres de haut en bas, 2 pouces et demi ou 6 centimètres au moins de largeur dans le milieu de sa longueur, est épaisse par en haut, où le mal a été plus grave et plus profond, elle devient de plus en plus mince et papyracée par en bas. En plusieurs endroits même elle n’est pas intacte, elle est perforée, brisée, en sorte qu’il a du s’en détacher et s’écouler des fragments osseux avec la suppuration pendant la vie. En bas, contre les condyles, une portion de cette lame. ou de la surface de l’os qu’elle constituait s’est également détachée, et partout où elle manque, le tissu compacte sous-jacent, où s’est développée l’inflammation éliminatoire du séquestre, est irrégulier à sa surface, comme les pierres des monuments, altérées à la longue par l’air et les pluies. Cela est d’autant plus frappant que la surface extérieure de la lame nécrosée est polie et jaunâtre comme celle d’un os sain. Dans plusieurs endroits, le séquestre est recouvert par des sécrétions osseuses périostales papyracées sur lesquelles je reviendrai.
On voit encore à travers ces sécrétions osseuses une portion nécrosée et ovalaire, située au-devant du fémur, dans son quart inférieur. Tous ces séquestres ont les mêmes caractères: ils sont lisses à leur surface extérieure, détachés en partie ou en totalité par des sillons ou des excavations creusées au-dessous. Leur couleur tranche presque partout sur celle du tissu osseux sous-jacent dont la surface est irrégulière; ils sont durs et sonores comme le tissu compacte, quand ils ont un peu d’épaisseur. Enfin, on reconnaît que ce sont des portions d’os qui sont mortes, comme tous les séquestres, sans avoir été enflammées et avant le développement de l’inflammation ulcérative éliminatoire, qui les isole et qu’elles provoquent.
Jusqu’ici nous n’avons parlé que des caries et des nécroses, visibles à la surface du fémur, dont nous analysons les altérations. Nous allons passer maintenant à l’examen des sécrétions périostiques. Elles sont déjà très-visibles et stalactiformes au-devant du fémur, à l’union de la base du col de l’os avec le corps. Séparées par des sillons très-anfractueux, elles sont couvertes de trous arrondis, vasculaires, très-fins, visibles en partie à l’œil nu, mais bien plus visibles à la loupe, et rappelant les myriades de trous apparents à la surface des madrépores. Ces trous sont remplis de vaisseaux et de matière organisable sécrétée par le périoste enflammé. Je possède des exemples nombreux et variés de ces sécrétions périostiques, parfaitement ossifiées. Sur le fémur que je décris, elles sont cependant moins dures et moins cassantes que le tissu osseux parfaitement sain, ou ossifié depuis longtemps.
De semblables sécrétions périostales ossifiées s’observent derrière et au-dessous du petit trochanter. Elles forment une série qui se prolonge inférieurement en ligne irrégulière, pour se réunir en bas en formant un V avec la série des sécrétions précédentes. Dans la partie inférieure de ce V, le fémur, dépouillé de sa surface nécrosée par un travail d’élimination, laisse voir du tissu canaliculaire assez distinct, évidemment dilaté par l’inflammation. Je reviendrai sur cette ostéite sous-superficielle, si je puis parler ainsi.
De nouvelles sécrétions périostiques s’observent depuis le milieu de la longueur du fémur jusqu’à un ou deux travers de doigt de ses condyles. Sur la surface antérieure de l’os, elles affectent la forme d’un amas de gouttelettes irrégulières concrétées. Mais en dedans, en dehors et en arrière de l’os, où se trouve le séquestre laminé ou cortical que j’ai décrit plus haut, la plupart des sécrétions périostiques forment des lames osseuses, disposées en réseaux irréguliers, déchirés par de grandes ouvertures. Les lambeaux de ces réseaux forment deux appendices très-saillants qui expliquent très-bien les piqûres profondes que le malade éprouvait lorsque les parties molles de la cuisse étaient poussées contre le fémur par une pression extérieure.
Les lames osseuses réticulées dont je viens de parler sont d’ailleurs criblées de trous vasculaires et de la même consistance que les autres sécrétions périostales.
Les sillons, les ouvertures et les canaux vasculaires se montrent augmentés et multipliés dans une foule de points; mais surtout aux environs des sécrétions périostales, sur les surfaces rugueuses où s’est accomplie l’élimination d’un séquestre, où se sont développées une inflammation et une ulcération éliminatoires. Partout où il y a eu ostéite s’observent les altérations matérielles, les ouvertures, les sillons et les canaux vasculaires dont les os sont criblés et creusés, comme nous l’avons démontré ces années passées, en 1835 et 1836. L’os que nous a envoyé M. Ballot fournit une nouvelle démonstration de ces vérités, comme il a prouvé l’exactitude de ce que nous avions avancé au sujet des caractères de la nécrose et des sécrétions périostales.
Les ouvertures vasculaires du tissu compacte, les seules dont il s’agisse ici, sont évidemment plus nombreuses et plus sensibles sur presque tous les points du corps de l’os; mais il faut se servir d’une lentille peu forte pour les bien apercevoir; et les bien distinguer. C’est bien évident pour les sillons vasculaires; ils abondent vers les sécrétions périostales, et sont d’autant plus profonds et plus manifestes qu’ils sont plus près de ces sécrétions. Ils dégénèrent même en canal en y parvenant. On les voit arriver en lignes droites, de bas en haut, vers les sécrétions périostales supérieures qui forment un V en descendant l’une vers l’autre, depuis les deux trochanters. Ils affluent de haut en bas au contraire vers les sécrétions osseuses inférieures.
Les sillons vasculaires sont rendus plus manifestes par les sécrétions périostales versées et ossifiées sur les côtés et au-dessous des vaisseaux qu’ils renfermaient. Les ouvertures vasculaires sont plus apparentes et plus nombreuses dans ces sécrétions, parce que tous les os nouvellement formés contiennent plus de vaisseaux qu’ils n’en auront par la suite.
Il suffit de regarder à la loupe toutes ces dispositions pour reconnaître qu’elles sont telles que je les décris, et lorsqu’une fois on les a vues à la loupe on les reconnaît facilement à l’œil nu. Il en est de ces choses comme des personnes. On ne les distingue à de grandes distances et sans beaucoup d’attention que lorsqu’on les a vues de près et qu’on les connaît bien.
Les canalicules vasculaires sont visibles, dans l’intérieur du tissu compacte du fémur que nous décrivons, partout où la surface du tissu compacte a été nécrosée et ulcérée par une ostéite éliminatoire. Ils ne sont pas aussi manifestes sans doute que dans le tissu spongieux ou canaliculeux d’un os sain, comme l’extrémité supérieure du tibia sciée longitudinalement et en travers; mais ils sont très-distincts à la loupe pour les personnes auxquelles on les montre, sur la surface antérieure du col de l’os, soit dans l’angle en V des sécrétions sous-trochantériennes et sous-trochitériennes. Ils le sont encore pour des yeux habitués à les reconnaître sur des surfaces creusées par la nécrose au-dessus des condyles et derrière le fémur. Enfin, comme le docteur Ballot a scié le fémur en travers dans le milieu de sa longueur, on peut reconnaître que profondément, et même dans toute son épaisseur, le tissu compacte est parsemé de canalicules qui le raréfient. Cette disposition de canalicules coupés en travers, fêtant peu développée sur le fémur que nous décrivons, pourrait échapper encore à des yeux ou mieux à des esprits qui ne la connaîtraient pas. Mais les pièces que nous possédons, et dont nous présentons Quelques échantillons à l’Académie, montrant les mêmes faits dans un développement très-considérable, ne laisseront de doutes à personne.
Tous ces canalicules agrandis sont autant de témoignages matériels de l’inflammation profonde du tissu compacte. Ce sont si l’on veut des caractères anatomiques de cette inflammation, et ils sont dus eux-mêmes au développement des vaisseaux et des fluides graisseux qui les environnent. Dans l’état sain, les canalicules du tissu compacte sont invisibles même à la loupe. On ne les observe que dans le tissu dit spongieux, qui n’est lui-même qu’un amas de canalicules, ainsi que nous croyons l’avoir démontré, en 1835, dans un mémoire sur la structure des os dans l’état sain.
Voyons maintenant comment se sont développées les altérations dont nous venons de donner l’analyse et de déterminer l’espèce ou la nature. Bien que cette question soit difficile et fort délicate, j’en tenterai la solution; au reste, mes explications ne sauraient nuire à l’exactitude des faits précédents, qui sont tout anatomiques. Voici donc comment je crois que les choses se sont passées.
ase que sous l’influence du froid humide auquel Jolly et exposé depuis un an par sa profession, le périoste du fémur et de l’os iliaque, et peut-être les parties molles articulaires de la jointure de la hanche, et les muscles de la cuisse ont été pris d’un rhumatisme inflammatoire dès le moment où le malade a éprouvé de la douleur au genou; que le périoste s’est décollé, soit par suite de son affection, soit par suite de fluides sécrétés à la surface de l’os par cette membrane; que le périoste étant décollé, la surface de l’os s’est nécrosée dans plusieurs endroits; mais qu’alors le périoste a sécrété des fluides organisai les et ossifiables qui se sont peu à peu consolidés sons formes de stalactites mamelonnées et de réseaux déchirés fort irréguliers. Mais il paraît que ces fluides qui s’organisent et s’ossifient sont ceux qui touchent au périoste, car les sécrétions ossifiées se trouvent autour des portions nécrosées et par-dessus, mais éloignées du séquestre, là où le périoste devait être refoulé par l’épanchement sous-jacent. C’est pourquoi l’on croyait autrefois que les ossifications dont nous parlons étaient produites par l’ossification du périoste lui-même. C’était une erreur. Aussi elles sont souvent fort épaisses, styliformes, bien que le périoste soit une membrane très-mince. Mais les séquestres de la surface des os ne sont pas ordinairement et ne sont peut-être jamais recouverts d’une manière étroite par les ossifications nouvelles.
Quoi qu’il en soit, au reste, de la formation des ossifications nouvelles désignées ici sous le nom de sécrétions périostales, la nécrose ne peut être que la suite du décollement et de l’affection du périoste, quel que soit d’ailleurs le mécanisme de ce décollement.
La nécrose comprise, il n’est pas plus difficile de concevoir l’inflammation éliminatoire qui a circonscrit et séparé les séquestres: C’est une inflammation analogue à celle qui se développe dans les parties molles autour de la plupart des corps étrangers; c’est une inflammation ulcérante et suppurante qui sépare, isole, détache par une sécrétion circonférentielle, et entraîne par la suppuration qu’elle produit le séquestre qui irrite les parties vivantes par s’a présence.
Le développement des canaux vasculaires du tissu compacte érodé et comme rongé par l’inflammation ulcérante, même le produit de l’afflux et de la congestion du sang a les vaisseaux des tissus enflammés. Il arrive alors dans les os ce que l’on voit arriver dans les parties molles enflammées où les vaisseaux se multiplient et prennent plus de développement. C’est en partie par la même raison que les sillons et les ouvertures vasculaires de la surface des os sont plus évidents.
La durée de cette affection est remarquable par sa brièveté. C’est que la maladie a marché rapidement pour une affection inflammatoire des os et du périoste. Ordinairement ces maladies sont beaucoup plus longues et diffèrent beaucoup de celle du malheureux Jolly. Mais je ne sais pas si un os qui a été réellement enflammé revient jamais à son état primitif et jouit de la plénitude de la santé.
Ordinairement, l’os reste toujours sillonna de vaisseaux et criblé de trous vasculaires, quelquefois couverts de sécrétions périostales, raréfié et canaliculaire, ou, au contraire, plus dense.
Quelquefois, il est le siège d’une sensibilité obscure, qui est parfois la source de douleurs profondes, nocturnes; plus souvent l’os ne souffre pas, mais les parties molles circonvoisines, devenues par le fait de l’inflammation de l’os le siège d’une congestion sanguine et d’une susceptibilité habituelle plus ou moins prononcée, souffrent spontanément ou à la moindre pression. — D’ailleurs, de temps en temps, tous les hivers, par les froids humides, ou de loin en loin, au bout de plusieurs ou d’un grand nombre d’années, sous l’influence de l’humidité et du froid, d’un coup, d’un ébranlement général, par suite d’une chute, d’une secousse violente, quelquefois sans cause connue, il se développe un travail inflammatoire, tantôt dans le tissu cellulaire voisin de l’os malade, tantôt dans l’os lui-même. Quelquefois, c’est autour d’une portion nécrosée que l’os s’enflamme, quelquefois il se carie, et il en résulte un abcès circonvoisin ou symptomatique, qui finit par s’ouvrir au dehors, tout près ou loin de sa source. Et puis, quand la portion d’os nécrosée est éliminée, rejetée, quand la carie ou toute autre affection de l’os s’est guérie, si elle est susceptible de guérison, quand l’abcès lui-même a suppuré un certain temps, la suppuration se tarit et la guérison de l’abcès s’accomplit.
La guérison de l’abcès achevée, tous les symptômes inflammatoires disparus, les mêmes phénomènes peuvent se rencontrer plus tôt ou plus tard, au bout de plusieurs mois, d’un an, de vingt et trente ans, comme j’en ai de nombreux exemples, en sorte que si la maladie est longue, opiniâtre et probablement interminable, du moins elle n’a point la gravité d’une inflammation vive et aiguë du périoste et de l’os, la gravité de l’inflammation rhumatismale à laquelle a succombé le malade du docteur Ballot, malgré le traitement le mieux indique. M. Ballot, en effet, a bien saisi les indications à remplir; mais le mal, comme il arrive trop souvent, a été plus puissant que son art.
Je n’ai pas envisagé sous le point de vue historique le sujet qui vient de nous occuper; je le ferai dans les mémoires que je présenterai bientôt à l’Académie sur les maladies des os.
Messieurs, je ne terminerai pas ce rapport sans vous proposer d’adresser au docteur Ballot les remercîments de l’Académie pour le zèle qu’il met à lui transmettre ses observations, dont celle-ci n’est ni la première ni la dernière, et sans vous proposer de le porter sur la liste des candidats à la place de membre correspondant. Récompenser les étrangers laborieux et instruits est tout à la fois un acte de prévoyance et d’équité.
N. B. — Les conclusions du rapport ont été accueillies sans opposition par l’Académie.