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II — AMPUTATION DE LA MACHOIRE INFÉRIEURE DANS LE CAS DE NÉCROSE

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Table des matières

Une autre maladie que le cancer peut nécessiter l’amputation ou la résection de la mâchoire inférieure; c’est la nécrose.

Un trouve dans les auteurs un assez bon nombre d’exemples de cet accident, mais dans aucun de ceux que j’ai lus on n’a été obligé d’en venir à une opération semblable à celle dont nous parierons plus bas, et que nous avons pratiquée à l’hôpital Saint-Louis; je crois devoir joindre ce cas à ceux qui existent déjà dans la science, pour en montrer la différence et pour enhardir les chirurgiens qui, sur la foi des observations connues, voudraient attendre trop longtemps la séparation spontanée d’une nécrose.

Voici en abrégé quelques-uns de ces faits.

I. F. Plater, dans ses observations mêlées , raconte très-succinctement l’histoire d’une jeune fille qui, ayant eu «un sphacèle à la mâchoire d’en bas après le chancre, comme on le nomme, des gencives, et icelle «ayant été ôtée avec les dents, elle put néanmoins se servir de ce qu’il en restait pour mâcher sans qu’il parût une grande difformité à la face».

II. On lit dans Duverney qu’une femme ayant passé par les grands remèdes, il survint un ulcère à la gencive sur un des cotés de la mâchoire, suivi bientôt de la dénudation et de la séparation de la partie attenante de l’os; à l’aide d’une incision on retira près de la moitié de la mâchoire, et la malade guérit sans difformité.

III. Bordenave, dans son Mémoire sur la nécrose de la mâchoire inférieure , rapporte les quatre observations suivantes:

4° Une femme affectée d’une vérole intense ayant fait abus des mercuriaux, il en résulta une maladie fongueuse des gencives, et par suite la nécrose de la mâchoire qui devint branlante. A l’aide de simples tractions exercées avec un davier sur une dent solidement enchâssée dans son alvéole, Leguernery, auteur de cette observation, put enlever «toute la portion de la mâchoire inférieure au-dessus de son angle droit, et depuis sa division en apophyse coronoïde et condyloïde jusqu’entre la première et la seconde des dents molaires antérieures du côté gauche, en une seule pièce: il ne restait du côté droit que le condyle dans la cavité articulaire du temporal. A l’aide d’un bandage en fronde, Leguernery soutint la partie privée d’os. La malade guérit parfaitement; les mouvements s’exécutaient en toute liberté, et du côté malade les gencives fort tranchantes offraient une base conformée de même que du côté opposé ?»

2° Une femme de soixante-dix ans, fort délicate, portait à la joue une fistule à la suite d’abcès dans cette région. Des symptômes de scorbut se manifestèrent, plusieurs dents se détachèrent, et au bout de quatre mois on enleva sans efforts les deux tiers du corps de la mâchoire inférieure. La guérison eut lieu en six semaines. Cependant, ajoute Belmain qui rapporte le fait, il n’y eut pas de reproduction osseuse: «C’est au rapprochement et au recollement des parties molles qu’il faut attribuer les mouvements de la mâchoire, qui ne faisaient la mastication que du côté opposé à la perte de substance.»

3° Walker, en Amérique, enleva successivement, chez un jeune nègre, les deux branches et la table externe du corps de l’os du côté droit, nécrosée à la suite d’abcès anciens. La mastication se rétablit parfaitement, malgré la perte de substance.

4° Raygerus a vu à Bourges une femme de quatre-vingts ans qui, deux ans auparavant, avait perdu tout le côté droit de la mâchoire. Cet accident était le résultat de fluxion et d’abcès dans cette partie. A l’époque où Raygerus l’observa, il n’y avait pas de réparation, mais seulement les gencives étaient fort dures là ou la perte de substance avait eu lieu.

VII. Enfin le Journal de chirurgie de Desault renferme quatre autres faits extrêmement curieux, dont deux ont été recueillis dans la pratique de cet illustre chirurgien; les deux autres ont été extraits de la Bibliothèque chirurgicale de Richter; Wanwy en est l’auteur. Je commence par ces derniers.

4° Un homme de trente-huit ans portait une fistule salivaire rebelle; bientôt il perdit toutes les dents de la mâchoire inférieure; les gencives devinrent engorgées, douloureuses, saignantes; l’os fut dénudé, il se nécrosa, et, dans l’espace de trois mois, s’exfolia successivement. Après sa chute il se forma une nouvelle mâchoire qui, d’abord assez peu consistante pour que Wanwy la compare à un morceau de cuir, acquit bientôt assez de dureté pour permettre au malade de broyer des aliments solides. Le menton était arrondi, plus court et moins large qu’avant l’accident, de telle sorte que la partie antérieure ne s’appliquait pas exactement contre les dents supérieures.

2° Un homme de soixante-dix ans avait depuis longtemps une douleur profonde du côté gauche de la face, surtout le long de la mâchoire inférieure, avec inflammation et gonflement. Ces accidents avaient succédé à la perte d’une dent molaire gâtée. Ils se calmèrent pendant quelque temps, mais bientôt la dou leur se ranima; à l’angle de la mâchoire il se forma un dépôt qui, après son ouverture, laissa l’os à découvert. Bientôt il se manifesta une salivation opiniâtre; la moitié gauche de la mâchoire se dénuda et tomba tout entière; à la place il se reforma un nouvel os qui s’adapta parfaitement à la portion restée intacte.

3° Un homme de trente-huit ans, ayant une dent cariée du côté droite éprouva un refroidissement; bientôt survinrent une fluxion, un abcès; toutes les molaires, sauf la première, se détachèrent. Le côté correspondant de la mâchoire était dépouillé de son périoste. Desault retira par la bouche toute la branche de la mâchoire, excepté le condyle et l’apophyse coronoïde. En dehors et en arrière du lieu occupé par la nécrose était un nouvel os, ce qui permit au malade d’exercer sur-le-champ les mêmes mouvements qu’auparavant.

4° Une fille de dix ans eut, à la suite d’une variole, un dépôt dans l’épaisseur de la joue gauche; l’abcès s’ouvrit dans la bouche; deux abcès se formèrent successivement et furent suivis de la chute des dents molaires; un suintement continuel avait lieu par la bouche. Au bout de quelque temps, on put enlever toute la branche gauche avec ses apophyses. L’os régénéré paraissait avoir la même solidité que le reste de la mâchoire; seulement il était plus saillant en dehors et en arrière, parce qu’il s’était formé en bas et en dehors du séquestre.

XI. Enfin , et nous terminerons par ce fait, M. Pingeon a consigné dans les Mémoires de l’Académie des sciences de Dijon l’histoire d’un enfant de trois ans, scrofuleux, qui perdit la moitié de la mâchoire par suite de nécrose; le travail dura deux ans. Un os très-dur restant à la place, l’auteur est porté à penser que la table externe seulement s’exfolia.

J’adresserai à ces diverses observations un même reproche: c’est de manquer de détails importants sur la durée de l’exfoliation, sur la manière dont le nouvel os s’est formé, et sur les accidents qui se sont manifestés dans le cours de la nécrose. Plusieurs, enfin, ont omis de noter comment s’effectuait la mastication, et ici je ne veux surtout parler que du cas dans lequel le corps de l’os a été emporté ; car, si une moitié s’est détachée, comme on ne mâche jamais que d’un côté à la fois , la mastication ne sera pas gênée d’une manière remarquable; je fais cette réflexion pour l’observation de Leguernery.

OBSERVATION. — Martinetti, peintre en bâtiment, âgé de vingt-neuf ans, entra à l’hôpital Saint-Louis le 16 décembre 1833, fut placé dans mon service, que dirigeait M. Guersent fils pendant mon absence; voici ce qui me fut raconté à mon retour dans les premiers jours de mars:

Le 16 décembre, Martinetti tomba du haut d’un échafaudage assez élevé et se fractura la mâchoire inférieure et l’avant-bras gauche. Conduit immédiatement à l’hôpital, on put constater que l’os maxillaire inférieur était rompu un peu à gauche de la symphyse, et que les fragments chevauchaient l’un sur l’autre; en même temps, au-dessous du menton existait une plaie contuse qui communiquait avec la fracture et même avec l’intérieur de la bouche. Les deux os de l’avant-bras étaient fracturés à trois pouces environ au-dessus de l’articulation radio-carpienne. Dès le principe il se manifesta, du côté de la bouche et de l’avant-bras, des accidents inflammatoires qui cédèrent à un traitement antiphlogistique assez énergique. On essaya à plusieurs reprises, mais en vain, de contenir la fracture réduite. Malgré des efforts considérables, on ne put y parvenir, et l’on dut suspendre ces tentatives, qui étaient excessivement douloureuses pour le blessé. Cependant une suppuration abondante s’écoulait par la plaie du menton, et déjà l’on pouvait pressentir que les extrémités des fragments couraient grand risque d’être nécrosées. Dès les premiers jours de janvier, il se développa une stomatite pseudo-membraneuse fort intense qui vint encore mettre obstacle à tout ce que l’on pouvait tenter pour la consolidation de la fracture. Cette phlegmasie fut combattue par plusieurs applications de sangsues au-dessous des oreilles, et des gargarismes chlorurés; on faisait, en outre, plusieurs fois par jour, des injections chlorurées dans la bouche, de manière à les faire ressortir par la plaie du menton. On empêchait ainsi le pus de baigner constamment les bouts de la fracture, et, dans le même but, lorsque la stomatite eut cédé, on fut obligé de passer une mèche par la plaie. Vers la même époque (18 janvier), une inflammation phlegmoneuse s’empara du tissu cellulaire de l’avant-bras, et vint apporter un nouvel obstacle à la consolidation des deux os qui semblait à peine commencée, depuis plus d’un mois que le membre était dans l’appareil: toute la partie inférieure de l‘avant-bras et de la face dorsale de la main fut envahie par une suppuration énorme à l’écoulement de laquelle plusieurs contre-ouvertures pratiquées en différents sens suffisaient à peine. Bientôt même (premiers jours de février), des accidents de résorption se manifestèrent,, le pouls devint petit, fréquent; le malade était pâle, affaibli, tourmenté de frissonnements, surtout pendant la nuit. Enfin, il se joignit au dévoiement un peu de délire. On dut se relâcher de la diète assez rigoureuse à laquelle le malade avait été soumis; des potages furent accordés, et en même temps un traitement chloruré administré à l’intérieur (15 gr. de chlorure par pot de chiendent). Au bout de sèpt à huit jours, les principaux accidents disparurent; mais le dévoiement persistait, sans toutefois être porté au point d’épuiser le malade. De nouvelles tentatives, dans le but de favoriser la réunion des fragments de l’os maxillaire, furent encore infructueuses, et bientôt un examen attentif ne permit plus de douter que les extrémités ne fussent dénudées de leur périoste et déjà frappées de nécrose. Dès lors on se borna à favoriser la cicatrisation de la plaie du menton, qui ne tarda pas à guérir en même temps, c’est-à-dire vers les premiers jours de mars. Les foyers de l’avant-bras se tarirent, et l’on put appliquer un appareil que la consolidation de la fracture rendit bientôt inutile.

Lorsque je repris mon service (10 mars), je trouvai les deux extrémités des fragments de la mâchoire dénudés dans l’espace de 8 à 10 lignes. J’espérais que la nécrose se bornerait à cette étendue, et qu’une fois le séquestre détaché, il me serait encore possible d’obtenir la guérison du malade. Mais il n’en fut pas ainsi; malgré tous mes efforts, la dénudation s’étendit de proche en proche, et, au mois de mai, elle avait déjà gagné les branches; le dévoiement continuait; le malade était pâle, bouffi, la bouche était sans cesse baignée et infectée d’une suppuration excessivement fétide, à laquelle je ne pouvais m’empêcher d’attribuer une partie des accidents. Voyant de jour en jour la constitution du malade, d’ailleurs vigoureuse, s’affaiblir et se détériorer, je me déterminai à lui proposer une opération qu’il accepta et qui fut pratiquée le 4 juin.

Martinetti fut couché sur un lit, la tête soutenue par des coussins bien résistants, et maintenue par des aides. Je me plaçai à la droite du malade, et je soulevai le côté gauche de la lèvre inférieure de la main gauche, tandis qu’un aide la soulevait du côté opposé. Alors de la main droite, armée d’un bistouri convexe, je pratiquai une incision qui intéressait toute l’épaisseur de la lèvre, à partir du milieu de son bord libre, et s’étendait jusqu’au milieu de l’os hyoïde. Je disséquai et rejetai de côté les deux lambeaux, de manière à mettre à découvert toute la partie antérieure du corps de la mâchoire jusqu’au niveau des masséters. L’os était dénudé de son périoste dans toute cette étendue et frappé de nécrose; il en était de même de la surface interne. Là, le périoste s’était détaché et épaissi de manière à former, en dedans de l’os, un demi-cercle concentrique d’une résistance et d’une fermeté presque cartilagineuse, adhérent, par ses deux extrémités, au bord antérieur de la face interne des branches, où le périoste reprenait ses rapports d’intimité avec l’os. Les muscles génio-hyoïdien, génio-glosse, etc., en un mot tous les muscles qui s’attachent en dedans de la mâchoire, étaient fixés sur ce plan cartilagineux, et dès lors nous n’avions à craindre ni rétraction de la langue ni aucun des accidents qui suivent la section qu’on est obligé de pratiquer en dedans de l’os pour en isoler les parties molles. Pour achever l’opération, je n’avais plus qu’à écarter chaque fragment en dehors et à retrancher, à l’aide de la scie, tout ce qui était nécrosé. Commençant d’abord du côté droit, je refoulai un peu en dehors le bord antérieur du masséter, et j’incisai, dans l’étendue de quelques lignes, son attache inférieure pour trouver les limites du mal et couper l’os au niveau de l’union du corps avec la branche ascendante. Après quelques tentatives infructueuses faites avec un sécateur très-fort et très-puissant par la grande longueur de ses manches, je portai la scie dans le point indiqué, et pratiquai en quelques instants la section de cette partie de la mâchoire. Restait à détacher la seconde portion: ici le mal paraissait s’étendre sous l’insertion du masséter; et, effectivement, après avoir incisé une portion de ce muscle, je fus obligé d’emporter quelques lignes de la partie antérieure de la branche ascendante. Le malade perdit à peine quelques cuillerées de sang; quelques branches de la faciale intéressées dans la dissection des lambeaux avaient été liées sur-le-champ.

Le malade, reporté dans son lit, fut pansé une demi-heure après l’opération, les lèvres, de la plaie firent rapprochées et maintenues en contact à l’aide de la suture entortillée. Dans la journée il y eut, par l’angle inférieur de la plaie, une légère hémorrhagie qui fut bientôt arrêtée au moyen de l’eau froide et d’une compression légère (diète).

Le jeudi matin, le malade se trouvait bien, il n’avait plus de fièvre.

Vendredi 6 juin. Je lui trouvai un peu de céphalalgie. Il n’y avait pas eu de selles depuis le jour de l’opération (laxatif). Dans la journée, le mal de tête diminua, la nuit se passa parfaitement.

Samedi 7, même état. Le soir survinrent des nausées, un sentiment de malaise général, le pouls était dur et fréquent. Quelques vomissements de matières bilieuses soulagèrent momentanément le malade; la nuit se passa ainsi sommeil.

Le dimanche 8, à la visite, nous eûmes bientôt l’explication de ces phénomènes. La joue gauche de notre opéré était rouge, tendue, luisante, douloureuse, couverte de bulles renfermant de la sérosité jaunâtre; en un mot, un érysipèle s’était déclaré ;. le pouls restait toujours fréquent, la peau chaude et sèche (cataplasmes de fécule sur la joue, cataplasmes de farine de graine de lin très-chauds sur les pieds). Dans la journée, les nausées revinrent, quelques vomissements bilieux peu abondants y succédèrent.

Lundi 9, l’érysipèle n’avait pas fait de progrès, mais le malade souffrait toujours; le pouls offrait quatre-vingt-dix pulsations;. la peau était sèche et brûlante (quinze sangsues autour de la partie enflammée, et un lavement purgatif dans la journée). Une amélioration assez prompte fut le résultat de cette médication; à partir de ce jour, les accidents généraux disparurent, et, dès le lendemain, l’érysipèle commença, à partir de la joue, à diminuer de volume, le pouls retomba à soixante-dix pulsations. Le liquide renfermé dans les bulles se dessécha sous forme de large squames jaunâtres.

Le mercredi 11, l’érysipèle avait presque complétement disparu, et, malgré cette complication fâcheuse, la cicatrice des quatre cinquièmes supérieurs de la plaie me permit de retirer les épingles, tout en laissant, dans l’angle de la plaie, les fils dont la masse agglutinée et adhérente à la peau maintenait encore rapprochées les lèvres de la plaie.

Le 15 juin, les fils étaient tombés et la cicatrisation était parfaite, sauf, comme nous l’avons-dit, dans l’angle inférieur par lequel s’écoulait un peu de matière sanieuse. La bouche du malade ayant cessé d’être inondée d’un pus fétide, il avait repris de l’appétit et de la gaieté. Le 25, toute la plaie était cicatrisée.

On sentait encore, le long de la branche ascendante de la mâchoire du côté gauche, quelques points dénudés. Le 28 juin, il sortit quelques petites esquilles de la grosseur d’une tête d’épingle.

Pendant tout le reste de l’été, les forces continuèrent à revenir avec une grande rapidité, et cependant, de chaque côté dès branches, la nécrose faisait des progrès, et les masséters se décollaient davantage. Au commencement d’octobre, une partie de la branche du côté gauche était tellement mobile, que nous pûmes l’enlever avec des pinces à pansement; toute cette portion de l’os maxillaire s’était ainsi isolée des parties molles, à l’exception du condyle, qui restait seul. Peu à peu le reste de l’os du côté opposé se nécrosa aussi, et, dans le courant de février de cette année 1835, j’emportai, en deux fois, deux fragments de la branche gauche, comprenant, l’un la partie antérieure de la branche ascendante du maxillaire, l’autre la partie antérieure et inférieure, de sorte qu’il ne restait plus que le condyle, le bord postérieur et l’angle.

Aujourd’hui (mai 1835), Martinetti est dans l’état suivant: la face offre presque son aspect naturel, seulement les joues sont un peu bouffies, le menton est à peine rentré, il est arrondi, et il est impossible de reconnaître, à la simple inspection, la mutilation qu’a éprouvée le malade. En portant le doigt dans la bouche, on sent que l’os a été remplacé par une production cartilagineuse assez résistante, épaisse de plusieurs lignes, et recouverte par la membrane des gencives; cette production forme un arceau transversal qui se perd, de chaque côté, dans la masse, des masséters, et offre une solidité et une dureté cartilagineuses. En arrière, vers les angles, on sent le reste des branches de la mâchoire. Le malade peut se nourrir de mie de pain, de viande tendre et de légumes qu’il pétrit avec la langue contre le palais. En dehors, la bouffissure des joues met obstacle à ce qu’on puisse bien apprécier la solidité et la forme du cartilage.

Diverses causes peuvent amener la nécrose de l’os maxillaire; tantôt c’est une affection syphilitique ulcéreuse de la bouche, comme dans le cas de Leguernery et celui de Duverney, mais le plus souvent la mortification est le résultat d’un décollement du périoste par la suppuration. C’est aussi à la suppuration que la nécrose doit être rapportée chez notre malade. Du reste, ce cas est le seul, parmi ceux que j’ai eus sous les yeux, dans lequel une fracture ait déterminé de pareils accidents.

Il y a plusieurs différences à noter. Ainsi, relativement à l’étendue de la mortification, dans notre observation, c’est toute la mâchoire qui a été successivement dénudée et privée de la vie; dans les autres, excepté la première de Wanwy, ce n’est qu’une portion plus ou moins considérable de l’os qui s’est détachée. Les auteurs n’ont pas assez insisté sur la durée de la séquestration; on conçoit cependant qu’il serait important de connaître le temps que met ordinairement la nature à séparer la partie nécrosée de la partie saine, afin de voir si les forces du malade peuvent permettre d’attendre, ou bien s’il faut, ainsi que nous l’avons dit, enlever ce qui est déjà mortifié pour soustraire lé malade aux dangers de la suppuration. Chez le premier malade dont parle Wanwy, la mâchoire fut trois mois à s’exfolier. Chez le nôtre, en comptant les dernières portions que j’ai détachées, elle fut plus d’un an. On voit que notre opération est parfaitement justifiée par la lenteur avec laquelle les dernières parties se sont isolées et surtout par la cessation des accidents qui en a été l’incontestable résultat. Tantôt la séparation se fait d’une seule pièce, tantôt par fragments. Le dernier mode est bien plus avantageux, car si à mesure qu’une portion est morte elle se détache, la cicatrisation se fait toujours, en partie du moins, dans le point qu’elle occupait, et dès lors il y a moins à craindre les accidents dits de résorption, que lorsque toute une large surface osseuse entretient la suppuration dans les tissus qu’elle touche. Chez Martinetti, rien n’indiquait que l’exfoliation dût avoir lieu par portions, et le mal faisait de nou veaux progrès vers les branches, sans qu’une rupture s’effectuât dans le corps déjà sphacélé.

Les symptômes locaux n’offrent rien de particulier à noter; ce sont les mêmes que ceux des autres nécroses, il y a seulement de plus ici la facilité de constater la nature et l’étendue de la lésion, à cause de la situation superficielle de l’os. Un accident très-redoutable dans les nécroses fort étendues, c’est l’abondance de la suppuration. On a pu remarquer chez notre malade une singulière disposition à la phlegmasie avec sécrétion purulente: des abcès presque intarissables se formèrent à l’avant-bras, autour du point fracturé, et dans la bouche un pus abondant et fétide baignait sans cesse les fragments. Pour peu qu’on réfléchisse, on verra combien devait être nuisible cette sécrétion continuelle, dont le produit se mêlait aux aliments, était avalé avec les boissons et la salive. Ce groupe de symptômes si analogues à ceux de la fièvre hectique et même de l’état typhoïde, qu’on désigne sous le nom d’accidents de résorption, se manifesta à plusieurs reprises chez notre malade, et ce n’est qu’à l’aide des soins les plus minutieux de propreté et de désinfection, d’une alimentation donnée à propos, qu’on a pu enrayer sa marche. Cependant la constitution allait toujours se détériorant et le dévoiement persistait.

Le pronostic, comme nous venons de le voir, est subordonné à la cause et aux différences d’étendue, de siège, etc., que nous avons signalées.

Le travail réparateur mérite ici de fixer notre attention. Se forme-t-il toujours un nouvel os qui puisse suppléer en partie celui qui a été détruit? Un assez grand nombre d’observations rapportées par les auteurs prouvent que ce travail n’a pas toujours lieu d’une manière identique; en effet, sur dix cas que nous avons rencontrés dans les livres, il y eut dans tous possibilité pour le malade de se livrer à la mastication: mais il n’y en a que quatre où la formation d’un nouvel os soit formellement exprimée; dans les autres il paraîtrait que c’était un tissu fibro-cartilagineux élastique, semblable à celui qui s’est développé chez notre malade. Peut-on espérer que, plus tard, ce tissu se convertisse en un os ferme et solide? Je ne le pense pas: si nous considérons ce qui s’est passé dans les cas dont nous avons parlé, nous verrons qu’il y a, sur-le-champ, reproduction de l’os, ou que, si ce n’est qu’un cartilage, celui-ci persiste sans se modifier. Cette remarque avait d’ailleurs été faite par le rédacteur du journal de Desault, qui rapporte les observations de Wanwy. Dans les réflexions dont il les accompagne, il dit formellement que, dans les- cas qu’il eut occasion de voir et dans ceux cités par les auteurs, la régénération et l’endurcissement eurent lieu avant la chute du séquestre.

Comment a lieu la reproduction? Lorsque, par une des causes que nous avons indiquées, la mortification de l’os maxillaire est survenue, une exsudation gélatineuse se produit entre sa face interne et la portion du périoste qui la tapissait. Les origines des muscles qui s’y insèrent et qui y sont nécessairement attachés s’infiltrent elles-mêmes de ce produit et sont converties en une masse de plusieurs lignes d’épaisseur, dans laquelle on ne saurait reconnaître de tissu distinct, mais qui ne tarde pas à s’épaissir et à se changer en tissu cartilagineux, puis osseux, si cette dernière modification doit survenir, absolument comme dans tous les cas de nécrose avec réparation. Une chose assez remarquable dans les deux observations de Desault, c’est que le travail réparateur eut lieu pour les branches en dehors et en arrière, tandis que, pour le corps, il s’effectua constamment en dedans. A quoi peut tenir une semblable différence? La vitalité du périoste qui revêt la face externe, là où s’attache un muscle large et épais, le masséter, est-elle plus développée que celle du périoste de la partie intérieure? Cela n’est guère probable; il faudrait un assez bon nombre de faits bien observés pour décider cette question. Dans le cas cité par M. Pingeon, observation XI, y eut-il véritablement production d’un os complet, ou bien n’y eut-il seulement que la table externe de nécrosée, et dès lors seulement épaississement de la table interne demeurée intacte? L’auteur: lui-même penche pour la dernière opinion, et cette remarque doit, faire reviser avec grand soin toutes les observations-dans lesquelles il est question de la formation d’un os véritable.

Traitement. — On pourrait peut-être nous reprocher comme inutile, ou du moins prématurée, l’opération à laquelle nous avons eu recours chez ce malade. En effet, dans les cas que nous avons rapportés, l’exfoliation eut lieu d’elle-même, et si l’on eut recours à l’instrument tranchant, ce fut pour pratiquer quelques incisions dans l’intérieur de la bouche et retirer plus aisément le séquestre. Mais, dans notre observation, les choses ne se sont pas passées comme dans celles que j’ai citées plus haut, et c’est pour faire ressortir ces différences que j’ai rapporté les cas que j’avais trouvés dans les auteurs. A des indications différentes devaient répondre des moyens différents: Martinetti était épuisé par cinq mois d’une suppuration abondante, tant à la bouche qu’à l’avant-bras. Déjà, à plusieurs reprises, des accidents de résorption s’étaient manifestés, malgré tous les soins de propreté ; malgré des lotions, des injections, le pus séjournait dans la bouche, et devenait une nouvelle cause de dénudation et de nécrose pour les parties encore saines avec lesquelles il était en contact. Les portions nécrosées depuis longtemps ne se détachaient pas, ne se séparaient pas, comme cela est arrivé quelquefois (voy. plus haut). Me fallait-il donc rester spectateur indifférent des accidents auxquels le malade était en proie, en attendant une séparation qui ne devait s’achever qu’au bout de huit mois après l’opération? Fallait-il laisser venir une colliquation imminente? Non sans doute. D’ailleurs, en opérant, j’agissais sur des parties déjà divisées de fait, puisque les parties molles situées en dehors et en dedans étaient isolées de l’os, et seulement j’enlevais le corps étranger qui empêchait la cicatrisation. Emportant l’os, autant que possible, jusqu’aux limites du mal, j’avais l’espérance de voir la nécrose se borner à la partie la plus antérieure des branches ascendantes; tandis qu’en laissant les choses comme elles étaient, la portion d’os déjà morte, continuant d’agir comme corps étranger, étendait de plus en plus loin la suppuration et la dénudation, et causait la mort de l’os entier. Si, après l’opération, les branches étaient envahies par la mortification, eh bien! il n’y aurait de suppuration que dans les points en contact avec ces portions osseuses. Toutes les parties molles qui revêtent le corps devaient se réunir en peu de temps après l’ablation de celui-ci; et quant à l’opération ultérieure à laquelle le malade serait soumis pour l’avulsion de ces mêmes branches, elle devait se borner à quelques incisions en dedans de la bouche, et peut-être même n’en serait-il pas besoin.

Telles furent les réflexions qui nous décidèrent à agir comme nous l’avons fait, et l’événement les a complétement justifiées, puisque, si les branches se sont séparées, la séquestration a eu lieu très-tard et à une époque où, depuis longtemps, toute la partie antérieure et inférieure de la face était parfaitement cicatrisée.

Je n’insisterai pas sur le procédé opératoire mis en usages, nous en avons parlé à propos d’un cancer de l’os maxillaire.

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