Читать книгу Mélanges d'anatomie, de physiologie et de chirurgie. Chirurgie - Pierre-Nicolas Gerdy - Страница 17
I. — AMPUTATION DE LA MACHOIRE INFÉRIEURE DANS LE CAS DE LÉSION ORGANIQUE.
ОглавлениеSi nous examinons les nombreuses observations d’amputation de la mâchoire rapportées par les auteurs, nous verrons que dans la grande majorité des cas l’opération a été nécessitée par l’affection cancéreuse, qui, des parties molles, s’était étendue au tissu osseux. Ensuite viennent les dégénérations qui ont commencé par l’os lui-même. Deux fois déjà nous avons eu occasion de pratiquer la résection du corps de l’os maxillaire lui-même pour des cancers; c’est de ces deux cas qu’il va être question dans cet article.
OBS. 1re — Dans le courant de l’année 1830, quelques mois avant la révolution de juillet, je reçus dans mon service un homme d’une soixantaine d’années environ, qui était venu des Pyrénées, où il habitait, pour se faire traiter d’une affection cancéreuse occupant toute la partie inférieure de la face. Le mal avait commencé par les parties molles, et quand je l’examinai, les deux lèvres étaient envahies et changées en deux masses fongueuses végétantes, s’étendant en haut jusqu’aux niveau des ailes du nez, et en bas jusqu’au-dessous du menton. L’os maxillaire inférieur était attaqué dans sa région moyenne, et il y avait quelques glandes légèrement engorgées sous la mâchoire. Une opération pouvait seule sauver les jours de ce malheureux, voué par les rapides progrès de sa maladie à une fin prochaine. Après m’ètre assuré que la maladie était locale, en apparence du moins, je pratiquai l’opération de la manière suivante. Le patient étant assis sur une chaise élevée et maintenu par des aides, je cernai la partie affectée au moyen de deux incisions semi-elliptiques, l’une supérieure, passant au niveau des ailes du nez, l’autre, inférieure, passant au-dessous du menton et se réunissant à angle aigu au niveau du bord antérieur des masséters. Ensuite je fis partir du milieu de l’incision inférieure une incision verticale que je prolongeai jusqu’au milieu du larynx, et disséquant de chaque côté le double lambeau que je venais de former, je mis à découvert le corps de la mâchoire inférieure. Cependant, comme toutes les artères de la face avaient pris un développement considérable, elles fournissaient une énorme quantité de sang. Pressé par cette hémorrhagie, je me hâtai de glisser en dedans et sur la face interne de l’os maxillaire inférieur la lame d’un bistouri avec lequel je divisai, le long de cette surface, les parties molles adhérentes à l’os, dans toute l’étendue que je comptais en emporter. Mais alors survint un accident qui m’a fait renoncer depuis à cette section préalable. Un rameau très-développé de l’artère sous-mentale, que je ne pus lier, fournit une hémorrhagie considérable. Pendant que je sciais rapidement l’os d’un côté, le sang s’écoulait si abondamment, que le malade, éprouvant une sorte de syncope, fut pris de mouvements convulsifs qui effrayèrent les assistants; mais alors je le portai sur son lit, où il revint promptement à lui, et malgré quelques mouvements désordonnés, j’achevai la section complète de l’os. Voyant alors largement le fond de la plaie, je pus saisir le vaisseau divisé, et sa ligature mit sur-le-champ l’opéré à l’abri des dangers qu’il venait de courir. Ensuite, pour prévenir la rétraction possible de la langue en arrière, je passai un fil double dans le frein de cet organe, et le laissant sortir par la plaie extérieure, je procédai au rapprochement des lambeaux à l’aide de la suture entortillée. Tout se passa à merveille; le malade but bientôt sans trop de difficulté ; au bout de quelques jours il put se nourrir de bouillons et enfin de potages. La plaie était cicatrisée. Au bout de deux mois, je vis avec peine que le malade perdait une partie de sa salive. Je songeai à remédier à cette infirmité à l’aide d’une nouvelle opération, car le malade, guéri de la première, se promenait dans les cours de l’hôpital. Mais alors arriva la révolution de 1880; Saint-Louis fut encombré de blessés; une épidémie d’érysipèle vint compliquer leurs blessures; mon opéré en fut atteint à la face; l’inflammation s’étendit au crâne; la chaleur de l’atmosphère était excessive, des accidents cérébraux aggravèrent la maladie, et malgré tous mes efforts, j’eus la douleur de perdre mon opéré après la guérison de son amputation de la mâchoire entièrement accomplie. Cependant la bouche était dirigée en bas et restait béante; ses fonctions étaient plus ou moins gênées, et la prononciation était fort altérée.
L’autopsie nous montra la plaie parfaitement réunie, et en dedans s’observait une production fibreuse nouvelle interposée aux fragments de la mâchoire. Là se confondaient les insertions antérieures du génio-glosse.
OBS. 2e — Cléret, âgé de soixante ans, garçon marchand de vin. Taille élevée, mais constitution peu forte. D’après une note écrite par le malade lui-même après l’opération, et sur laquelle est fondée toute l’histoire des circonstances antérieures, on eut beaucoup de peine à l’élever; il était toujours malade. En 1813, étant à Paris, il fit une chute dans une cave. Cet accident fut suivi, au bout de quelques jours, de phénomènes inflammatoires vers l’abdomen, puis d’un abcès froid dans le bras, qui fut très-long à s’ouvrir. Ce dépôt fut sans doute considéré comme scrofuleux, car on le traita par les amers. Ce qui fortifiait cette opinion, c’est que la nourrice chez laquelle il fut placé après sa naissance occupait une habitation si humide, dit le malade, que tout y pourrissait. Quoi qu’il en soit, cette affection était depuis longtemps guérie lorsque, il y a plusieurs années, il fut tourmenté pendant assez longtemps et à plusieurs reprises de vomissements muqueux venant surtout après les repas, et ne cédant qu’au régime antiphlogistique (bains, sangsues, etc.). En 1830, des tumeurs hémorrhoïdales très-douloureuses se formèrent et disparurent au bout de plusieurs mois pour ne plus reparaître. Cléret menait une vie assez réglée malgré sa profession; chaque matin il prenait un verre de vin blanc, et, après son dîner, un petit verre d’eau-de-vie, du reste, très-peu de vin pur. La seule chose qu’il fît avec excès, c’était de fumer.
Il y a un an, dans le courant de juin 1833, il sentit un jour sous la langue un petit bouton qu’il prit d’abord pour un corps étranger, et dont il essaya à plusieurs reprises de se débarrasser avec une épingle. Au bout de plusieurs jours, éprouvant toujours le même phénomène, et voyant que la sensation qui le tourmentait ne cessait pas, il se regarda dans un miroir et vit que c’était, comme nous l’avons dit, un petit bouton qui s’était, formé sous la langue, du côté gauche. En peu de temps il acquit le volume d’un noyau de cerise, et par moments le malade n’était nullement incommodé de sa présence. Du reste, la douleur était peu vive et consistait souvent dans un agacement des dents qui le gênait beaucoup pour manger. Vers le mois de décembre, le mal ayant fait de nouveaux progrès, il essaya de se gargariser la bouche avec un mélange d’eau d’orge et de lait, mais sans avantage. Bientôt même, à la fin de décembre, une glande située sur la mâchoire du côté gauche s’engorgea. Alors ayant consulté un médecin, celui-ci fit appliquer des cataplasmes émollients d’abord, puis quelques emplâtres fondants, et l’engorgement glandulaire disparut. Mais l’affection cancéreuse siégeant sous la langue faisait toujours des progrès, et bientôt le malade s’aperçut que la portion de gencive qui recouvre la partie moyenne de la face externe de l’os maxillaire se tuméfiait. Pour tout traitement on lui fit mâcher du cresson avec du cochléaria, on (lui ordonna des gargarismes émollients (guimauve et lait); tout cela n’aboutissait à rien. On essaya de toucher chaque jour le mal avec de l’eau de Rabel, mais ce fut en vain. La tuméfaction de la muqueuse gingivale continua ses progrès, et le malade ne put plus manger que des potages. Depuis quelques mois il avait peu à peu cessé de fumer, et supprimé vin pur et liqueur, lorsque enfin, fatigué de voir le mal augmenter sans cesse, il entra à l’hôpital Saint-Louis.
Examiné le 1er juin, il se présenta à nous dans l’état suivant: la lèvre inférieure est refoulée en avant par une tumeur du volume d’une grosse noix environ, qui semble prendre naissance à la face externe de l’os maxillaire. La muqueuse, qui de la face interne de la lèvre se porte sur le bord alvéolaire, est épaissie et profondément altérée. Au-dessous on sent la tumeur dont je viens de parler. En dedans de la bouche, la glande sublinguale du côté gauche est tuméfiée, saillante; elle refoule le frein de la langue du côté droit, et gêne considérablement la déglutition et la mastication. La nature des douleurs et la marche de la maladie décelaient trop bien une affection cancéreuse pour qu’il fùt possible de s’y méprendre. En outre, l’os semblait malade, et le mal allait toujours croissant; il ne restait donc qu’une seule ressource, l’opération: proposée au malade et acceptée sur-le-champ, elle fut pratiquée le 4 juin.
Opération. — Le malade étant couché sur le dos, la tête un peu étendue, je fis saisir par un aide la commissure gauche de la lèvre, tandis qu’avec la main gauche je tirais sur celle du côté opposé. Alors je fendis la lèvre sur la ligne médiane dans toute son épaisseur, et je prolongeai mon incision jusqu’au niveau de l’échancrure supérieure du cartilage tyroïde. La peau et les muscles qui la doublent dans toute l’épaisseur de la lèvre ayant été trouvés sains, les deux lambeaux furent disséqués de chaque côté et rejetés en dehors de manière à découvrir la tumeur cancéreuse occupant la partie moyenne de la face externe de l’os maxillaire inférieur. Je me mis en devoir de la détacher de cet os, mais au premier coup de bistouri je reconnus que ce dernier était friable et par conséquent malade; il fallut donc se décider à en emporter toute la partie médiane jusqu’au niveau des deux petites molaires de chaque côté. Pour cela je disséquai les deux lambeaux assez loin pour mettre à nu toute la portion à réséquer. Cela fait, au niveau de l’endroit où l’action de la scie devait porter, je glissai à plat derrière la mâchoire, entre cet os et l’insertion du muscle mylo-hyoïdien, un bistouri droit à lame un peu large, et par l’ouverture ainsi pratiquée j’introduisis, à l’aide d’une pince à anneaux, un bout de bande qui ressortit par la bouche et qui était destiné à soustraire les parties molles à l’action de la scie. La première molaire de chaque côté arrachée, et le périoste incisé là où devait être pratiquée la section, celle-ci fut commencée avec la scie et achevée avec le sécateur. De l’autre côté, je me comportai de la même manière; seulement je n’employai que la scie, et l’os fu taillé en biseau aux dépens de sa table interne. Restait à détacher la portion d’os réséquée. Pour cela, tandis qu’un aide retenait la langue saisie par son frein à l’aide d’une pince de Museux, je coupai les attaches des génio-glosse et génio-hyoïdien. Mais là ne se bornait pas l’opération, il fallait encore aller chercher et extraire la glande sublinguale cancéreuse. Alors avec les ciseaux courbes sur le plat j’emportai la portion de muqueuse qui se réfléchit sur la face interne de l’os maxillaire, et saisissant avec une érigne la glande malade, j’exerçai sur elle une légère traction, en même temps qu’avec les ciseaux je la séparais des parties voisines.
Pendant cette pénible opération le malade perdit très-peu de sang, à cause de la précaution que nous avions prise de lier chaque vaisseau à mesure qu’il était intéressé. Nous liâmes ainsi la coronaire inférieure, quelques autres divisions de la faciale, et après la section de l’os et l’ablation de la glande sublinguale, quelques rameaux assez volumineux de la sublingale et de la ranine. Le malade fut reporté dans son lit et pansé une demi-heure après, pour voir si quelque artère donnerait encore, mais tout était bien lié. Alors, voyant que la langue ne se rétractait pas, et que l’usage d’un fil passé dans son frein devenait inutile, je m’occupai de réunir la longue plaie antérieure au moyen d’une suture entortillée et d’épingles ordinaires bien graissées de cérat. Le bas du visage fut recouvert de compresses imbibées d’eau froide. Les premiers jours se passèrent parfaitement; pas de fièvre, pas de frissons, rien en un mot qui pût inspirer d’alarme. Le malade se trouvait tellement à son aise et si heureux, que je ne pus l’astreindre à aucune précaution et aucun soin. Il ne cessait de se tenir sur son séant, et d’écrire à tous ceux qui l’approchaient, pour leur exprimer sa satisfaction; et soit que cette agitation causât son malheur, soit qu’il vînt d’une autre cause qui nous a échappé ? dès le septième jour le malade parut fatigué ; le huitième il était accablé et dans la prostration; le neuvième il mourut.
L’autopsie faite avec tout le soin possible ne découvrit aucune altération à laquelle la mort pût être imputée. La muqueuse des voies digestives, le cerveau, les poumons, étaient à l’état naturel. Serait-ce donc par inanition et épuisement que notre malade est mort au moment où la plaie extérieure était guérie; et où les tissus situés en dedans s’unissaient, comme cela se passe dans les cas de ce genre? Nous l’ignorons, et nous ne nous livrerons à cet égard à aucune supposition.
L’amputation de la mâchoire est-elle une opération tellement grave qu’il faille la considérer comme une ressource extrême, ou bien est-on en droit d’y recourir dès que l’os est attaqué et que l’insuffisance des autres moyens curatifs est bien avérée? Pour résoudre convenablement une semblable question, il faudrait avoir un exact relevé de toutes les opérations de ce genre qui ont été pratiquées, et voir combien ont réussi et combien ont été suivies de la mort. Mais ce travail que nous avions entrepris, nous avons été obligé de l’abandonner, parce que dans la plupart des observations données par les auteurs on ne parle-pas des suites de l’opération, ou bien on n’en donne que la conséquence immédiate; enfin, par suite de cette vanité si contraire aux progrès de la science, beaucoup de chirurgiens n’ont publié que leurs cas de succès. Cependant, d’après le grand nombre de ces derniers, on doit considérer la résection de la mâchoire comme devant toujours être tentée. Ainsi je lis dans les Leçons orales du professeur Dupuytren , que sur dix-huit - ou vingt opérés il n’en a perdu que trois. Sur quatre malades, M. Cusack en a perdu un seul, et encore par une cause étrangère à l’opération.
Notre premier malade, pris d’un érysipèle deux mois après l’opération, doit-il donc être considéré comme ayant succombé aux suites de celle-ci? Je ne le pense pas, et tout le monde partagera sans doute ma conviction quand j’aurai rappelé que cet érysipèle survint dans les premiers jours d’août, dans le temps des grandes chaleurs, et dans le moment où l’encombrement de l’hôpital par les blessés détermina une épidémie d’érysipèles, qui deviennent si dangereux quand ils se manifestent à la face et s’étendent au cuir chevelu. Quant au second, sa mort a quelque chose de trop extraordinaire et de trop singulier pour craindre qu’on la voie souvent survenir avec le même caractère.
Avant de passer aux détails de l’opération, je dirai quelques mots de la situation à donner au patient pour la résection de la mâchoire. Je pense que le coucher sur un lit résistant, la tête un peu élevée et placée dans l’extension comme si l’on voulait pratiquer la laryngotomie, est plus convenable que la position assise. D’abord le coucher est manifestement plus commode pour le chirurgien et pour les aides; ensuite, si, comme cela peut arriver, le sujet est pris de syncope, on n’est pas obligé de le porter sur un lit pour achever l’opération et dissiper sa défaillance. Enfin, la syncope est bien plus rare dans la position horizontale, parce que le sang aborde plus aisément à la tête.
Opération. — La résection du corps de la mâchoire peut être partagée en trois temps. Le premier comprend la section des téguments et la formation des lambeaux. Dans le second, la section de l’os est effectuée; et enfin dans le troisième on coupe les parties molles qui adhèrent à sa face interne, et on le détache. Nous ne prétendons pas entrer ici dans le détail minutieux du manuel opératoire; ce que nous avons dit en décrivant l’opération subie par chacun de nos malades suffit à cet égard: nous allons seulement nous borner à quelques généralités.
Premier temps. — La section des parties molles est nécessairement déterminée par l’étendue du mal. Si les deux lèvres sont affectées comme chez notre premier malade, on doit circonscris fouies les parties cancéreuses entre deux incisions semi-elliptiques qui se rejoignent de chaque côté sous un angle aigu, vers les masséters, afin d’obtenir une réunion plus facile. Nous avons vu comment l’incision verticale, s’étendant plus ou moins bas au-devant du larynx, permettait de former par en bas deux lambeaux suffisants pour réparer la lèvre inférieure après l’opération quand la peau est saine. La simple incision verticale suffirait encore si l’os devait être dénudé très-loin vers les branches.
Deuxième temps, — Quelques chirurgiens, avant de procéder à la section de l’os, l’isolent complètement par sa face interne; nous verrons bientôt ce qu’il faut penser de cette méthode. Examinons comment l’os doit être coupé. Tout procédé qui abrége la durée d’une opération sans en compromettre le succès doit nécessairement obtenir la préférence. Pour obtenir la section de l’os d’un seul coup, j’ai fait construire un sécateur à très-long manche. Je l’emploie de la manière suivante: après avoir détaché les parties molles en dedans du point où la section de l’os doit être faite, je glisse entre l’os et les parties molles que j’ai détachées, la branche mousse de l’instrument, et puis le fermant avec force, si l’os n’est pas trop épais ou trop dur, je le tranche en une seule fois et très-nettement. Dans le cas contraire, je commence par le scier, suivant les règles ordinaires, dans le tiers de son épaisseur, et j’achève avec le sécateur, comme je viens de le dire. Cet instrument n’a pas seulement l’avantage de rendre l’opération plus courte, son action ne communique pas à l’os ces ébranlements multipliés et quelquefois douloureux qu’entraîne la section au moyen de la scie. Il faut avoir été témoin de ce temps de l’opération, qui, a priori, semble devoir être le plus simple, pour comprendre ce qu’il offre de difficultés pour l’opérateur et de souffrances pour le malade.
Quelquefois l’os n’est pas malade dans toute sa hauteur; on conçoit dans ce cas de quelle importance il serait d’en laisser une portion, soit le bord alvéolaire, soit le bord inférieur. Je vais rapporter, en peu de mots, une observation que je crois peu connue et qui mérite de fixer l’attention des praticiens. Un malade portait une dégénération organique qui avait envahi le bord alvéolaire de la mâchoire inférieure, depuis les premières molaires d’un côté jusqu’à celles du côté opposé ; lésion que M. Rhea Barton, chirurgien américain, qui rapporte le fait, compare à une épulie. L’os était malade dans l’étendue de quelques lignes seulement. M. Rhea Barton, après voir dénudé la mâchoire inférieure, pratiqua un trait de scie horizontal au-dessous des dents, jusqu’aux limites du mal, et à l’aide de deux autres sections verticales qui venaient tomber de chaque côté sur les extrémités de la première, il emporta le milieu du bord alvéolaire, laissant seulement la hase.
Troisième temps. — Plusieurs chirurgiens, avant de couper l’os, commencent par couper toutes les parties molles qui s’insèrent à sa face interne. Ce procédé a un grave inconvénient qui doit à tout jamais le faire bannir de la pratique, c’est que si l’on vient à ouvrir un vaisseau volumineux, il en résultera une hémorrhagie abondante qui souvent ne pourra être combattue convenablement qu’après la section de l’os. Or cet accident arrivera assez fréquemment, car le plus souvent les tissus coupés sont altérés, et les vaisseaux qui s’y rendent sont amplifiés d’une manière anormale. Comme, d’ailleurs assez ordinairement, cette opération est pratiquée sur des vieillards déjà affaiblis, l’opérateur doit faire tous ses efforts pour que le malade perde le moins de sang possible. D’un autre côté, si l’on se met à scier l’os immédiatement après sa dénudation en avant, l’action de la scie peut déchirer les chairs au niveau du point où la section a été pratiquée; il vaut donc mieux, comme nous l’avons fait chez notre second malade, plonger un bistouri le long de la face interne de la mâchoire, faire passer un séton par cette ouverture et scier en ce point. La bande de linge sert à protéger les tissus adjacents. Pour obvier à ces divers inconvénients, M. Ulrich assure avoir mis en usage un procédé fort peu connu, et dont je crois la pratique très-difficile, pour ne pas dire impossible. Ce procédé consiste à décoller le périoste qui revêt la face interne de l’os. On peut ainsi, dit M. Ulrich, laisser aux muscles un point d’appui qui facilite la prompte réunion des chairs et empêche la rétraction de la langue. Je le répète, je doute fort que la chose soit faisable.
Pansement. — L’os emporté, il reste encore plusieurs indications à remplir. Nous allons les passer en revue.
10 Arrêter l’hémorrhagie. — M. Dupuytren. a toujours employé le fer rougi à blanc pour arrêter l’hémorrhagie. Cependant, quand on peut trouver les extrémités des vaisseaux, je pense qu’il vaut mieux les lier; on évite ainsi l’inflammation qui doit nécessairement s’emparer de la surface cautérisée et qui nuit il la prompte cicatrisation des tissus. En laissant reposer l’opéré pendant une demi-heure, l’écoulement par les capillaires s’arrête; si quelque gros vaisseau donne encore, on tâche de le saisir; et si cela est impossible, on porte sur lui seulement l’extrémité d’un cautère olivaire; et d’ailleurs, après la réunion des lambeaux on a soin de tenir les parties recouvertes de linges mouillés d’une eau froide et incessamment renouvelée.
2e S’opposer à la rétraction de la langue. — On a beaucoup parlé depuis Delpech d’un accident que je n’ai jamais vu survenir, et dont, je l’avoue, je ne conçois pas bien la possibilité : je veux parler de la rétraction ou du renversement de la langue en arrière. Cet organe semble, il est vrai, retenu en avant par les génio-giosses et génio-hyoïdiens, et d’autre part tiré en haut et un peu en arrière par les stylo-glosses, en bas par les hyoglosses. Or, les premiers étant coupés, la langue est soumise à l’action des derniers; mais je ne vois pas comment ils peuvent renverser la langue de manière à boucher le larynx. Quoi qu’il en soit, cette rétraction ne peut guère avoir lieu quand la langue n’est détachée que de l’apophyse géni: il faut qu’elle le soit en même temps bien loin au dehors, presque jusqu’aux angles. Cependant il est bon de prévenir cet accident en passant, comme nous l’avons fait et comme le conseillait Delpech, un fil dans le frein de la langue: ce fil est ensuite fixé en dehors. Je n’insisterai pas plus longtemps sur ce point.
3° Rapprocher les lambeaux et les maintenir réunis. — Nous avons vu qu’il était bon de ne panser le malade qu’une demi-heure environ après l’opération, et nous avons dit pourquoi: reste maintenant à faire connaître le mode de suture qui doit être employé, La plupart des chirurgiens accordent la préférence exclusive à la suture entortillée, c’est ce que j’ai fait moi-même jusqu’à ce jour. Mais comme j’ai mieux étudié maintenant qu’auparavant le mécanisme de cette suture, comparativement au mécanisme de la suture enchevillée, comme j’ai déjà employé cette dernière avec le plus grand succès pour réunir deux bords minces d’une plaie de la peau, j’ai l’espérance qu’elle remplacera souvent avec avantage la suture entortillée dans les cas ou on la met actuellement en usage; et voilà les raisons sur lesquelles je me fonde:
Dans la suture entortillée, des aiguilles ou des épingles droites traversent les deux lèvres d’une plaie à une égale profondeur, et tiennent exactement leur surface sur un même plan. Le fil entortillé en 8 de chiffre, autour des extrémités des aiguilles, et croisé sur les bords de la plaie, les tient aussi affrontés au même niveau par les croisements. Mais, d’un autre côté, les lèvres de la plaie sont étranglées de distance en distance par un anneau complet constitué en arrière par l’aiguille, en avant par les fils; et cet étranglement est d’autant plus marqué, que les aiguilles formées d’un métal peu flexible ne se courbent pas. Plus les fils seront serrés, plus l’aiguille tendra à s’échapper de dedans en dehors, et dès lors à comprimer la peau dans ce sens. Et comme l’entre-croisement de ces mêmes fils la comprime en sens opposé, il pourra en résulter la gangrène de la peau: c’est aussi ce qui arrive fort souvent. Dans la suture enchevillée, si l’on a la précaution de ne pas enfoncer les aiguilles trop profondément, et de percer la peau près des lèvres de la plaie, ces lèvres seront affrontées aussi exactement que possible. Et ici il n’y a pas d’anneau complet qui étreigne la peau, et la pression est répartie également sur toute l’étendue des bords de la plaie, au moyen des rouleaux interposés nire les fils; on n’a donc point à craindre le sphacèle au niveau des points de suture. Enfin, dans ce dernier procédé, la solution de continuité n’étant pas cachée par les fils, on peut suivre et surveiller les phénomènes de la cicatrisation.