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CHAPITRE VI.

Table des matières

PREMIÈRE LEÇON.

Il pouvait bien être sept heures quand le plus impertinent des rayons de soleil vint danser sur l’oreiller et m’ouvrir les yeux. J’avais dû faire un brusque mouvement en me réveillant, car Jules, au même moment, étendit les bras, poussa un bâillement sonore, et me dit de sa voix caressante:

— Bonjour, Pierre; as-tu bien dormi?

C’était le moment d’interroger le cher petit sur l’impression que mon escapade avait dû faire la veille. Jules m’apprit que mon père était rentré plus tard que de coutume, et qu’à la nouvelle de ma disparition, il n’avait parlé de rien moins que de partir à ma recherche avec une escouade de bûcherons munis de torches. L’expédition commandée se serait mise en route, si Catherine n’était arrivée juste à point pour donner de mes nouvelles.

Ce récit n’était pas fait pour calmer mes appréhensions. J’avais à peine eu le temps de raconter à mon tour mon histoire, que la porte s’ouvrit et que ma mère entra.

— Debout, Pierre, me dit-elle; ton père t’attend.

J’eus bien vite fait de m’habiller; le moment solennel était venu.

Mon père était assis dans son grand fauteuil de cuir au milieu de la salle à manger. Ce qui me rassura tout d’abord, c’est qu’il me laissa prendre sa main et l’embrasser. Il me désigna ensuite du geste une chaise placée en face de lui. Ma mère m’avait suivi; elle appuya ses bras sur le dossier de la chaise, et, de me sentir ainsi sous sa protection, mon cœur, qui battait à coups précipités, s’apaisa tout à coup.

— J’ai beaucoup réfléchi depuis hier, me dit mon père. A partir d’aujourd’hui, Pierre, tu n’iras plus chez M. Herrenschmidt. Ton maître et moi, nous sommes d’accord sur ce point.

A ces mots, la crainte me reprit. J’étais donc chassé de l’école; j’allais être mis au collège!

Instinctivement mes mains se joignirent. Mon père eut un sourire:

— Rassure-toi, reprit-il, il ne s’agit pas de t’envoyer à Saint-Dié. Tu n’iras plus à l’école de Framont, c’est vrai; mais tu ne quitteras pas la maison pour cela. J’ai trouvé un nouveau maître, un excellent homme qui a bien voulu se charger de ton éducation. Il ne demeure pas très loin d’ici; il m’a proposé de te prendre chez lui le matin et l’après-midi, et j’ai accepté. Ce matin même, Pierre, je te conduirai chez M. Spitz; mais prends-y bien garde! à la première plainte, ce sera le collège; et ta mère elle-même aurait beau me prier à mains jointes, ce serait dit une fois pour toutes.

Mon père aurait pu parler longtemps ainsi sans risquer d’être interrompu; je n’en croyais pas mes oreilles! Rester au village! Troquer la férule de ce bon M. Herrenschmidt contre la direction paternelle de M. Spitz! Quel changement! que s’était-il donc passé la veille? Par quel miracle ce vieux savant s’était-il pris d’affection pour un écervelé de mon espèce, et comment mon père, si réservé d’ordinaire, avait-il pu entrer dans ses vues?

Pour le moment, je ne voyais qu’une chose: pas de punition et la liberté en perspective! Car j’étais assez malin pour deviner que, sous prétexte de faire mon éducation, le père Josué ne se priverait pas du jour au lendemain de ses excursions sur les grands et les petits chemins, à la poursuite des papillons et des fourmis.

Ma joie devait être écrite sur ma figure, car mon père se mit à rire et ma mère fit comme lui.

— Nous voyons bien, dit-elle, que tu ne t’attendais pas à pareille aubaine. Tant mieux, Pierre; la certitude même que tu avais d’être puni montre bien que tu avais conscience de l’avoir mérité.

— Sache bien pourtant, reprit mon père, que tu n’auras pas un métier de fainéant. Ou je me trompe fort, ou M. Spitz te fera marcher autrement que cet excellent M. Herrenschmidt. — Assez causé maintenant: tu vas prendre ton café au lait, et nous nous mettrons en route.

Je ne songeais pas à en demander davantage. Le premier déjeuner fut lestement expédié, et il ne nous fallut pas longtemps pour arriver au bout du chemin de traverse qui menait à la petite maison solitaire du père Josué.

M. Spitz, en bras de chemise, était dans son jardin, en train de passer en revue un de ses carrés de choux. Sitôt qu’il nous aperçut:

— Bonjour la compagnie! nous dit-il de son ton enjoué. Vous me voyez en chasse: si je n’avais pas l’œil au guet, ces maudites chenilles auraient bientôt fait de réduire mes pauvres feuilles de chou à l’état de dentelle.

Il nous montrait du doigt de petites chenilles verdàtres, tachetées de noir, qui rampaient sur les feuilles.

— Ce sont ces coquines, ajouta-t-il, qui donnent naissance au papillon blanc si commun dans nos jardins. Heureusement la nature, comme toujours, a mis le remède à côté du mal. Si elle ne se chargeait pas elle-même de fournir les gendarmes, on ne fabriquerait pas de la choucroute à Strasbourg pour le monde entier. Un autre insecte, la femelle du microgaster —une mouche à quatre ailes — dépose ses œufs dans l’intérieur du corps de notre chenille. Ces œufs deviennent des vers qui, le croiriez-vous? s’arrangent de façon à vivre aux dépens du corps de leur victime. sans pourtant mettre la dent aux organes essentiels. Un beau jour, la chenille, arrivée au terme de sa croissance, est pour se transformer en chrysalide: c’est alors que le changement se manifeste. Au lieu du papillon blanc, on voit apparaître un petit tas de corps ovales, soyeux, qui sont tout simplement les nymphes du microgaster. Un essaim de mouches sort de la chrysalide, et voilà autant de choux qui n’ont plus rien à craindre.

Une fois sur ce chapitre, le père Josué eût parlé des heures entières sans s’arrêter.

— Je vous amène le mauvais sujet que vous connaissez, lui dit mon père quand il eut fini; il apprendra toutes ces choses avec vous, et bien d’autres encore.

— Soyez tranquille, monsieur le percepteur, répondit M. Spitz; l’histoire naturelle ne sera que pour les heures de récréation.

Mon père se retira bientôt. Quand la porte du jardin se fut refermée sur lui, la bonne figure de mon nouveau maître prit une expression joviale:

— Eh bien, mon garçon, que dis-tu de nos arrangements? Ça te va-t-il d’aller à l’école du père Josué, comme vous dites, vous autres?

— Oh! monsieur Spitz! si vous saviez comme je suis content! Je serai si sage, si sage, voyez-vous, que vous n’aurez pas une seule fois à me gronder!

— C’est bon. On dit toujours cela dans les commencements; mais les mioches de ton âge ont bien vite fait d’oublier leurs promesses. C’est comme pour ta chauve-souris, que tu étais si pressé de rapporter à ton père et que tu as oubliée hier dans la cuisine. Elle est morte, la pauvre bête, et ce n’est pas une grande perte. Rentrons maintenant.

La salle d’étude que me destinait le père Josué était son propre cabinet de travail, une vaste pièce située au premier étage au-dessus du rez-de-chaussée, le seul étage de la maison. Le mobilier n’était pas riche: un grand bureau chargé de livres; une table de bois blanc encombrée de boîtes, de morceaux de liège, de fioles de toute dimension, de cahiers de papier gris, de boîtes remplies d’épingles. Aux murs, des cadres vitrés où étincelaient des arabesques de papillons et d’insectes aux couleurs éclatantes, disposés en dessins analogues à ceux d’une tapisserie. Par-dessus le tout, une odeur pénétrante d’essence de thym qui remplissait la chambre.

Les croisées, grandes ouvertes, laissaient passer le soleil. Pourtant, un filet, à mailles larges de plus d’un pouce de diamètre, était suspendu en dehors de la fenêtre. A travers ce mince réseau, je voyais bourdonner dans l’air libre les mouches et les abeilles.

Le père Josué surprit la direction de mon regard.

— C’est le filet qui t’intrigne, Pierre? Tu en verras bien d’autres. Sais-tu bien à quoi il me sert, ce filet?

— Non, monsieur Spitz; je n’ai jamais rien vu de semblable.

— Ce filet, reprit-il, me délivre des mouches, un constant ennui dans une chambre exposée au midi. Quand les mouches, qui au fond ne sont pas si fines qu’elles en ont l’air, aperçoivent ces larges mailles par lesquelles elles pourraient aisément passer, elles s’arrêtent et n’essayent pas d’aller plus loin: j’en ai vu se poser dessus; aucune d’elles ne franchit la barrière. Il ne faudrait point, par exemple, que deux fenêtres fussent placées l’une en face de l’autre; le filet ne serait plus visible, et les mouches ne se feraient pas scrupule de passer au travers: la lumière ne doit entrer dans la chambre que d’un côté. Comprends-tu, Pierre?

— Je vois bien, lui dis-je, qu’elles n’entrent pas; mais je ne devine pas pourquoi.

— Ma foi, mon garçon, les savants ne sont pas beaucoup plus avancés. Les uns supposent que les mouches prennent ces filets pour des toiles d’araignée; mais l’explication laisse à désirer, car les araignées ne manquent point de proies vivantes dans leurs pièges. D’autres naturalistes attribuent l’influence du filet à la construction particulière de l’œil de la mouche, qui lui fait voir dans chaque fil une succession d’obstacles dont la rapidité du vol augmente et multiplie la puissance. Mais voilà bien des suppositions qui ne sont pas très claires; plus tard tu comprendras mieux.

Tout en parlant ainsi, le père Josué s’était assis dans son fauteuil, et la leçon commença.

A vrai dire, cette première séance ne fut guère qu’une conversation. Avant de commencer mon éducation, M. Spitz tenait à savoir où j’en étais.

Hélas! l’épreuve fut loin de tourner à mon honneur. La plupart des questions restaient sans réponse, et mes yeux avaient beau interroger le plafond: rien ne venait. Calcul, grammaire, orthographe, histoire et géographie, les enseignements de M. Herrenschmidt ne m’étaient entrés dans une oreille que pour sortir par l’autre.

A la fin, rouge de confusion, je ne trouvais plus un mot à dire. M. Spitz eut pitié de mon embarras, et il jugea que l’examen avait suffisamment duré.

— En voilà assez pour la première fois, me dit-il. L’heure du second déjeuner n’est pas loin; nous recommencerons cette après-midi. En attendant, Pierre, je vais te faire faire connaissance avec la maison.

— Vous n’êtes pas fâché, monsieur Spitz? Ah! si mon père avait été là !...

— Fâché ? mais pas du tout. Il est vrai que tu ne sais rien de rien, c’est positif; mais nous en serons quittes pour recommencer par le commencement. Les plantes, mon garçon, ne poussent jamais mieux que dans un terrain neuf.

C’était sa façon à lui, je m’en aperçus par la suite, de prendre toute chose par le bon côté.

Outre le cabinet de travail, le premier étage se composait de deux chambres: l’une, à droite, entr’ouverte, sur le même palier, était celle de Catherine; l’autre, à gauche, était fermée, la clef sur la serrure.

M. Spitz s’arrêta un moment et parut réfléchir; puis, par un geste qui lui était familier, il m’attira à lui en me prenant les deux mains:

— Ecoute bien, me dit-il à demi-voix. Il peut se faire qu’un matin ou qu’un soir tu viennes à la maison sans me trouver. Dans le cas où Catherine ne serait pas à sa cuisine, tu monterais dans sa chambre. Elle te dira si je suis parti pour longtemps et si tu dois m’attendre. Mais en aucun cas, rappelle-toi, tu ne devras entrer dans l’autre chambre que voici. C’est entendu, n’est-ce pas?

— Ce sera comme vous l’avez dit, monsieur Spitz, répondis-je un peu surpris de son ton sérieux.

— Catherine, reprit-il, te racontera certainement qu’il y a dans cette chambre des préparations auxquelles je tiens beaucoup et auxquelles elle a seule la permission de toucher. Tu la laisseras dire et tu n’entreras pas, quand même, comme aujourd’hui, la clef serait sur la serrure. Tu me le promets?

— Je vous le promets, monsieur Spitz.

— C’est bien. Allons maintenant au jardin.

Le rez-de-chaussée était occupé par la cuisine où, la veille, j’avais soupé de si bon appétit. Une buanderie complétait le logement.

Quant au jardin, il embaumait, avec ses plates-bandes où brillaient les fleurs d’été, sa fontaine où l’eau courait dans la mousse verte. L’air était rempli du bourdonnement des abeilles, dont les ruches, adossées au mur, étaient en pleine activité. Une basse-cour joyeuse résonnait du gloussement des poules et des poussins. Une gloriette tapissée de lierre tenait en réserve un frais abri contre la chaleur du jour.

— Quand il fera beau, me dit M. Spitz, c’est ici, en plein air, que tu prendras tes leçons. Maintenant, Pierre, ton estomac doit sonner l’heure du déjeuner. Bon voyage, bon appétit, et à tantôt.

Histoire d'un forestier

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