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CHAPITRE III.

Table des matières

L’ÉCOLE BUISSONNIÈRE.

Deux mois s’écoulèrent, deux grands mois pendant lesquels je n’eus pas à me reprocher le plus petit des péchés véniels. M. Herrenschmidt ne tarissait pas en éloges, et sa surprise, en constatant la sincérité de ma conversion, avait été telle, qu’il crut devoir en porter lui-même la bonne nouvelle à la maison.

— A la bonne heure! me dit mon père ce jour-là. Sais-tu bien, Pierre, que, si tu ne t’étais pas amendé, j’aurais pris le parti de t’enfermer comme interne au collège de Saint-Dié ? Mais, maintenant que tout va bien, nous pouvons attendre.

Interne! interne dans un vrai collège! quitter la maison paternelle et ces belles montagnes où, le dimanche, de si joyeuses parties dédommageaient des ennuis de la semaine, quel crève-cœur c’eût été !

Je savais que mon père ne parlait jamais à la légère. Sa modeste place de percepteur ne lui donnait pas la fortune, loin de là : il avait toutes les peines du monde à joindre les deux bouts, comme on dit; mais il attachait une importance extrême à notre éducation, à Jules et à moi. Il n’aurait reculé devant aucun sacrifice pour nous mettre sur le bon chemin. Ces réflexions ne me sont venues que plus tard, et aujourd’hui, quand je pense à ce lointain passé, mes yeux se mouillent de larmes involontaires.

Et pourtant, je devais y mordre encore, au fruit défendu. J’en suis vraiment à me demander comment la chose se fit. Ce fut un samedi. Ce jour-là, la classe de l’après-midi ne durait qu’une heure, et M. Herrenschmidt se montrait indulgent sur le chapitre des absences.

Telles étaient du moins les excuses dont se payaient les coupables, en tête desquels figurait comme de raison l’ami Rodolphe; Sept samedis de suite, j’étais allé à l’école; total, sept bons points. D’ailleurs, aucun plaisir sérieux à l’horizon: Charlotte m’avait guéri de toute envie de fourrer mon nez dans les affaires du père Josué.

Le malheur voulut que, le samedi suivant, il fît un temps magnifique. Le ciel bleu rayonnait dans la vallée; des milliers de mouches bourdonnaient dans l’air transparent. La chaleur brûlait la route; mais quelle fraîcheur délicieuse à coup sûr on devait trouver sous les épais ombrages qui couvrent la côte du Donon!

Nous nous acheminions néanmoins vers la maison d’école; elle était déjà en vue, quand Rodolphe s’arrêta net et lui tourna le dos, en nous invitant d’un ton bref à le suivre, sans demander où. C’était sa façon habituelle de présenter les choses.

Il s’agissait d’une surprise que nous devions apprendre en chemin.

— D’ailleurs, ajouta Rodolphe, bonsoir les poltrons! si personne ne vient, j’irai bien tout seul!

Les poltrons! Comme ce Rodolphe connaissait son monde! A peine eut-il lâché le mot, que la moitié de la bande se mit à courir sur ses talons. J’étais du nombre, hélas! et je courus, sans retourner la tête, jusqu’aux premiers sapins.

Ce fut là seulement que Rodolphe consentit à nous révéler son secret. Il n’eût pas été trop tard pour me dégager de l’expédition; mais Jules, qui n’avait pas couru assez vite, n’était pas de l’affaire, et, en ma qualité d’aîné, heureux de n’avoir point à me charger de cette responsabilité, j’eus la faiblesse d’ouvrir l’oreille aux confidences de notre chef. «Pourvu que les enfants n’en soient pas, me disais-je, où est le risque? Si Rodolphe nous mène trop loin, je saurai bien revenir à temps.»

Apprenez donc que, le dimanche précédent, en se promenant dans la forêt, ce dénicheur d’oiseaux avait découvert dans le tronc d’un chêne certain trou mystérieux qui ne pouvait manquer d’abriter un nid. Et quel nid! A coup sûr, ce n’était rien moins qu’un pic... Qui sait? peut-être un écureuil!

— Où cela? où cela? cria toute la bande.

— Pas très loin du lac de Lameix, répondit Rodolphe, au pied du Donon.

A cette nouvelle il y eut un moment d’hésitation. Le lac de Lameix était loin; une montée assez rude nous en séparait. Mais, bah! avec de la bonne volonté et des jambes exercées, on vient à bout de bien des obstacles. Nous nous promettions de courir en revenant: toutes les montées sont des descentes; il ne s’agit que de savoir par quel bout les prendre.

Nous voilà donc en route. Le chemin grimpait, grimpait toujours entre deux escarpements de grès rouge veiné d’argile, semblables à ces belles tranches de jambon rouge que la cuisinière lorraine suspend tous les hivers au fond de la cheminée.

Le bruit de nos pas éveillait des frôlements étouffés dans l’épaisseur des buissons. De temps à autre, un lézard vert filait comme une flèche, s’arrêtait un instant sur le chemin pour humer le soleil de sa petite langue fourchue, puis disparaissait dans les feuilles sèches. Et les orvets! Jamais je n’en avais rencontré d’aussi beaux.

Les camarades n’auraient pas demandé mieux que de s’arrêter à chaque pas; mais avec quel ton d’autorité Rodolphe les faisait marcher devant lui!

— Les lézards et les orvets, cela n’est certes pas à dédaigner dans les jours ordinaires; mais songez donc au lac de Lameix, fainéants que vous êtes!

Grâce à Rodolphe, nous eûmes bientôt expédié ce long ruban de route. Les gens qui vivent dans les villes auront peine à se représenter la clairière, voisine du lac, où notre guide nous avait conduits. Figurez-vous un carrefour bordé de jeunes sapins et revêtu d’un tapis d’herbe humide, de couleur sombre, planté çà et là de ces touffes de joncs dont les petites filles de nos montagnes s’amusent à tisser des corbeilles. Au centre, un chêne énorme comme il ne s’en trouve plus guère aujourd’hui dans notre époque de déboisement à outrance. Je vois encore ses bras noueux qui partaient dans toutes les directions, de façon à former un cercle d’ombre où vingt-cinq gamins de notre taille eussent tenu à l’aise. Il faisait presque nuit, en plein jour, dans cette clairière. Et quelle fraîcheur! quel silence! quel repos!

Quant à nous, vous pensez bien que nous ne songions guère à nous reposer. J’avoue que mon cœur battait. Il ne s’agissait pas d’un de ces refuges vulgaires où les oiseaux se mettent à l’abri les jours d’orage. Non; nous vîmes du premier coup d’œil que des événements graves allaient avoir lieu.

Pendant cette minute, Rodolphe grandit de cent coudées dans mon estime. Ne croyez pas au moins que notre héros s’empressât d’en tirer vanité. Simple et modeste comme toutes les âmes magnanimes, il nous expliquait la disposition des lieux; il nous démontrait que cette cavité mystérieuse, juste assez grande pour passer la main, ressemblait à s’y méprendre à un trou d’écureuil. Et moi qui rêvais un écureuil depuis des années!

Oui, mais comment y arriver? Avec la meilleure volonté, les grimpeurs les plus déterminés y perdirent leurs peines. Heureusement, notre âge ne connaissait pas d’obstacles. La courte échelle, si en faveur dans la saison des cerises, allait nous tirer d’embarras. Nous voilà donc à dos contre l’arbre, l’un portant l’autre, tous muets d’espérance et de crainte.

En un clin d’œil, Rodolphe eut escaladé le tronc du chêne.

— Eh bien? eh bien? criâmes-nous tout d’une voix.

— Attendez donc, répondit froidement Rodolphe, avec ça qu’on y voit!

Il y eut un moment de silence. Chacun retenait sa respiration.

Enfin, Rodolphe nous confia que tout allait bien. Il voyait une masse noire s’agiter dans l’ombre; il entendait de petits cris étouffés. Seulement il ne pouvait pas se décider à y mettre la main; les écureuils sauvages possèdent de petites dents aiguës qui emportent la pièce.

A cette confidence, le cri d’indignation fut général. Comme d’habitude, c’étaient les poltrons qui criaient le plus fort.

Je ne sais quelle inspiration lumineuse vint alors traverser mon esprit.

— Prends donc une baguette! lui dis-je, et, s’il se sauve, tape dessus!

Rodolphe suivit de point en point ce conseil énergique.

Deux minutes ne s’étaient pas écoulées qu’un tapage soudain se fit dans le creux de l’arbre; une petite masse noirâtre fit son apparition à l’entrée du trou, deux ailes se déployèrent... et la bête s’envolait!

C’est en ces moments qu’on reconnaît les chasseurs de vocation. Tout autre à sa place eût perdu la tête; mais Rodolphe veillait au grain. En moins de rien, le brave garçon eut levé la main, et nous vîmes la baguette tomber et retomber dans le tas comme le fléau d’un batteur en grange.

La bête hésita un moment; puis tout à coup elle tourna sur elle-même et vint en voletant s’abattre dans l’herbe.

Hélas! que devenait l’écureuil de nos rêves? Nous nous trouvions en face d’une chauve-souris authentique. La pauvre bête, à demi morte, nous regardait de ses yeux clignotants, ouvrant pour mordre, ou pour mieux respirer peut-être, une gueule rose, hérissée de petites dents fines comme des pointes d’aiguille.

La désillusion ne fut pas longue; on prend ce que l’on trouve, va pour la chauve-souris! A vrai dire, c’était pour la première fois que j’en voyais une de près. Nous faisions cercle autour d’elle, de loin, par exemple, car Rodolphe lui-même n’osait y toucher. Figurez-vous que ces animaux singuliers ont le bout de l’aile terminé par un crochet, une sorte de béquille dont ils se servent pour marcher. Quelle marche! A chaque pas de nouvelles culbutes. Et nous de rire!

Le temps passe vite à ce métier-là. Nous étions dans la clairière depuis plus d’une heure, et nous aurions juré que le tout ne nous avait pas demandé cinq minutes.

— Tiens! s’écria Rodolphe, voilà qu’il pleut.

Histoire d'un forestier

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