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CHAPITRE IV.

Table des matières

A TRAVERS BOIS.

Il pleuvait, en effet. Nous avions bien entendu des grondements éloignés, semblables à la voix du tonnerre; mais nous avions cru que c’était le bruit que font les bûcherons de la vallée en roulant les grandes pièces de bois sur les traîneaux de schlitt.

En attendant, le ciel s’était couvert de gros nuages d’un gris uniforme: de grands éclairs sillonnaient la profondeur obscure du bois; les gouttes d’eau tombaient plus serrées d’instant en instant.

Ce fut la chauve-souris qui me perdit. Aux premiers roulements de l’orage, Rodolphe et les autres n’avaient eu qu’un souci: détaler au plus vite. J’allais les suivre, quand mon regard rencontra la bestiole abandonnée.

La chauve-souris, encore étourdie, se débattait dans l’herbe. Je me souvins que mon père était grand amateur de chasse et d’histoire naturelle; je songeai qu’en cas de retard la capture de cette bête me servirait peut-être d’excuse. Le temps de casser une brindille de sapin, de la tailler en fourche, de ramasser la chauve-souris, et j’étais parti.

Mais, dès les premiers pas, force me fut de reconnaître que ces quelques minutes de retard avaient suffi pour me séparer du gros de la troupe.

La clairière était déserte. La pluie tombait à torrents; je n’y voyais plus à deux pas. Comment trouver le vrai chemin? Rodolphe était un des seuls habitués du lac de Lameix; je m’aperçus bientôt que je faisais fausse route.

Mais qu’importe? Dans la montagne toute descente aboutit à une vallée. Une fois hors de la futaie, je me chargeais bien de découvrir le clocher de Framont.

— Aide-toi, petit Pierre, et le ciel t’aidera!

Voilà ce que je me disais, et je me mis à suivre le sentier dans lequel je m’étais engagé, pataugeant dans la boue et poussant de temps à autre de grands cris d’appel.

Je n’obtins d’autre réponse que le sifflement du vent dans la cime des sapins et des hêtres. Bientôt le chemin devint plus étroit; j’avais pris un sentier de coupe abandonné. Des fourrés de houx et de framboisiers sauvages dressèrent devant mes yeux leurs écheveaux d’épines. Il me fallut m’arrêter pour réfléchir à la situation et prendre un parti.

Ah! comme mon cœur battait en ce moment! Allais-je donc perdre jusqu’à mon dernier restant de courage? J’étais bien près de désespérer, quand mes yeux avisèrent un grand rocher tapissé de mousse, dont la silhouette escarpée dominait les buissons.

Y grimper n’était qu’un jeu; en deux bonds j’eus atteint le sommet.

Quelle joie! Je venais d’apercevoir, juste au-dessous de cet observatoire, un large chemin de schlitt qui descendait en pente douce, et qui ne pouvait manquer de mener aux chantiers de la vallée. Le brave chemin! Les traverses de bois, neuves, fraîchement entaillées, reluisaient sous la pluie.

Il est vrai que, pour arriver à ce chemin, il me fallait piquer droit dans un fourré de ronces, dans une véritable forêt vierge en miniature, où ma petite taille m’exposait à disparaître comme une fourmi dans les herbes de la prairie.

Mais c’était bien le moment de chicaner sur les difficultés de la traversée! Me voilà donc au bas du rocher, et je me mets à courir comme un chevreuil dans la direction du chemin de schlitt, écartant des deux mains les lanières des ronces, sans prendre seulement la peine de regarder à mes pieds.

Je ne vis pas que le terrain était en pente et qu’un amas de broussailles mortes me cachait un trou. La chute fut si rapide, que je n’eus que le temps d’étendre mes bras en croix, et je me sentis rouler au fond d’un véritable entonnoir, sur lequel la végétation des herbes folles avait jeté comme une trappe mouvante. Nos forêts accidentées des Vosges sont pleines de ces pièges naturels.

Ce plafond de verdure s’était à demi refermé sur ma tête; mais au premier moment je ne vis rien. Cette brusque secousse m’avait anéanti.

Quand je revins à moi, mon premier mouvement fut un effort désespéré pour reconquérir ma liberté. A part quelques égratignures, j’étais sain et sauf. Mais le trou était profond; pas un point d’appui, pas une branche où accrocher la main. Les lianes qui retombaient de l’orifice étaient des ronces épineuses: en un instant mes pauvres doigts furent tout en sang.

Et dire qu’à travers la déchirure du plafond j’entrevoyais la lisière du chemin de schlitt! Pour tout bruit, le crépitement monotone de la pluie sur les feuilles. Je me disais que j’étais seul dans ces bois abandonnés, que la nuit allait venir; puis, par un brusque détour de mon imagination, l’intérieur de notre maison m’apparaissait: je voyais ma mère qui sanglotait en attendant le retour du père, et mon père apprenant ma disparition et courant me redemander à tous les échos de la forêt!

Bientôt les larmes qui s’étaient amassées au bord de mes paupières commencèrent à couler. Ce fut d’abord un ruisseau silencieux, puis une averse, puis un déluge; enfin, je me mis à crier au secours.

Plus je criais, plus j’avais peur. Les braves le prendront comme ils le voudront. On a beau être né dans la montagne: quand l’orage éclate, quand le soleil s’en va, le frisson vous prend. On entend toutes sortes de bruits inquiétants; isolé, chacun d’eux n’est rien; c’est la pluie qui carillonne dans les feuilles, c’est le vent dans les branches ou encore le craquement des sapins centenaires; réunies, ces vagues rumeurs forment la voix d’un immense et terrifiant orchestre.

Comment se fit-il qu’à ce moment le souvenir du père Josué traversa tout à coup mon esprit?

J’avais fermé machinalement les yeux, et il me semblait l’apercevoir distinctement avec son parapluie ouvert sur sa tête, la figure grognon, les sourcils froncés au-dessus de ses lunettes. Sa voix me disait:

«— Voilà ce que c’est, méchant enfant. Si, au lieu d’aller à l’école, tu ne t’étais pas amusé à me jouer de mauvais tours, tu n’aurais pas pris goût à la fainéantise et tu n’en serais point là.»

J’ouvris brusquement les yeux pour chasser ce rêve, et je me mis debout. Mais à peine avais-je relevé la tête, qu’un cri de frayeur sortit de ma bouche.

Une ombre venait de se dessiner sur le bord du chemin de schlitt. Cette ombre dominait le ravin. Elle me masquait le reste du jour, et elle reproduisait fidèlement l’image de mon rêve.

Le parapluie, les lunettes, les sourcils froncés, les petits yeux brillants, tout y était. Seulement, cette apparition me paraissait d’une grandeur surnaturelle; je ne songeais pas à me dire que je la voyais de bas en haut; l’inexplicable seul avait prise en ce moment sur mon imagination surexcitée.

Comme je restais interdit, sans oser crier ni bouger, un joyeux grognement rompit le silence et une masse confuse creva le plafond de verdure pour venir s’abattre à mes pieds.

Une ombre venait de se dessiner sur le chemin de schlitt.


En même temps une voix connue se fit entendre:

— Allons, bon! cette Charlotte n’en fera jamais d’autres! Deux à tirer d’affaire maintenant!

Et, tandis que l’apparition parlait ainsi, un brave chien au poil ébouriffé me léchait les mains, comme s’il eût été payé pour faire fête au vaurien qui, deux mois auparavant, lui avait fait expier un pantalon déchiré par une longue soirée d’emprisonnement.

Histoire d'un forestier

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