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CHAPITRE VII.

Table des matières

UN PEU D’HISTOIRE NATURELLE EN ACTION.

Mes progrès ne furent pas d’abord très rapides; mais le père Josué mettait à sa tâche de précepteur une patience angélique. S’apercevait-il que mon attention commençait à se ralentir, il me donnait tantôt un quart d’heure, tantôt une demi-heure de repos, et il occupait cet entr’acte de récréation soit par une promenade au jardin, soit par une de ces bonnes histoires enfantines que les gens qui ont beaucoup vécu excellent à raconter. L’heureux temps! Les heures passaient comme des minutes, et mon zèle de fraîche date se montrait si ardent, que, la séance finie, M. Spitz se voyait obligé parfois de me prendre le livre des mains.

Avec lui, l’étude n’était pas une fatigue, mais un plaisir. Ce n’était point qu’il dédaignât la méthode classique de M. Herrenschmidt: j’avais des leçons à réciter, des pages de français et de latin à copier; mais ces exercices de mémoire ou d’application ne prenaient pas tout mon temps. Ce qu’il aimait surtout, c’était de me faire toucher du doigt les choses. Quand nous nous promenions dans le jardin, il prenait tantôt une fleur, tantôt un fruit; il m’expliquait les propriétés de la racine, de la tige, des feuilles sur le même échantillon, et, le lendemain, c’était à mon tour de répéter la démonstration pour montrer si je l’avais bien comprise et bien retenue.

S’agissait-il de géométrie élémentaire, nous allions dans la prairie voisine dresser les plans et mesurer les distances. Pour le calcul, il tirait d’une boîte des cailloux de différentes couleurs qu’il avait pris soin de collectionner et qu’il disposait en séries multiples que j’avais ensuite à recomposer.

Mais ma plus grande joie, c’étaient les promenades du dimanche et du jeudi. Ces jours-là, les livres étaient mis sous, clef; la montagne et la forêt nous réclamaient. Le père Josué décrochait de son arsenal son attirail de chasse; il me confiait quelques-uns de ses instruments, et nous nous mettions gaiement en route.

C’est ainsi que je pus pénétrer les mystères du parapluie blanc, des pinces, de la pioche, du tamis, sans compter le filet à faucher et les flacons remplis de son parfumé à l’essence de thym.

Je n’en étais plus à l’époque où les manies du père Josué nous mettaient en gaieté, mes petits camarades et moi. Toutefois, l’usage de ces outils singuliers piquait au vif ma curiosité. L’un des premiers jours, comme je les tournais et les retournais dans mes mains, M. Spitz devina que j’attendais une explication.

— N’est-il pas vrai, Pierre, me dit-il, que dans les commencements tu as dû me prendre pour un fameux original?

— Oh! monsieur Spitz! je ne dis pas... non, certainement... mais enfin, à quoi tout cela peut-il servir?

— Voilà bien l’éternelle question des enfants et des ignorants; combien de fois n’ai-je pas dû y répondre dans ma vie! A quoi cela sert-il? Si, comme je l’espère, mon enfant, tu viens un jour à partager mon goût pour l’histoire naturelle, tu lui devras tout simplement une des plus pures jouissances de ta vie. Nos vertes forêts des Vosges revivront plus tard devant tes yeux; tu te souviendras des heures que tu auras passées à fureter dans les herbes, dans les mousses, à chercher le long des cours d’eau les secrets de la nature. En passant en revue tes collections, il te semblera feuilleter le livre de ta jeunesse et retrouver dans ces souvenirs desséchés tes impressions d’autrefois, aussi fraîches qu’au premier jour. Piquer des insectes dans du liège, les préparer, les classer, attribuer à chacun leur nom scientifique, c’est une tâche qui n’est frivole qu’en apparence. En réalité, elle développera en toi le sentiment de l’ordre et de la méthode. Et puis, le grand point, vois-tu, Pierre, c’est de donner de l’intérêt aux promenades en leur assignant un but. Pour trouver des insectes, la route banale, la route nettement tracée ne suffit pas: il faut s’égarer dans les clairières et dans les fourrés, s’enfoncer dans les profondeurs intimes des bois. On fait ainsi un chemin énorme sans s’en douter; la joie de la découverte écarte jusqu’au soupçon de la fatigue. Si je me porte bien c’est à cette vie en plein air que je le dois. Tu y viendras, Pierre; tu seras bientôt mon aide et mon rival, et un jour tu me remercieras.

Il de ployait son parapluie grand ouvert.


Le père Josué s’était échauffé peu à peu; jamais il n’en avait dit aussi long. J’ai gardé son discours dans ma mémoire, et il me semble qu’en ce moment même, j’écris en l’entendant parler.

C’est à l’œuvre que je vis ces instruments qui joueront plus d’une fois leur rôle dans le cours de cette histoire. L’usage du parapluie blanc me fut bientôt familier. A l’heure où le soleil est en feu, où les cétoines dorées dorment paresseusement dans le calice des fleurs, le père Josué se glissait à pas furtifs dans les buissons. Il déployait son parapluie grand ouvert sous les arbustes odorants; il s’armait d’une baguette flexible et frappait à coups redoublés sur les rameaux, sur les fleurs, sur tous ces nids parfumés où ses victimes dormaient du sommeil paisible de la digestion. Et les chrysomèles resplendissantes et les capricornes aux antennes fragiles tombaient dans le parapluie! Aucun n’échappait; le moyen de se soustraire au regard dans cette blancheur perfide, où le moindre pygmée se détache comme un point d’ombre? Qu’on vienne soutenir après cela que le blanc est la couleur de l’innocence!

Mais les insectes ne s’abritent pas seulement sous les feuilles ou dans le calice des fleurs. Les uns se réfugient dans les vieilles souches desséchées, dans le bois mort; ainsi des lucanes et de bien d’autres individus recommandables. La pioche à main aide à les déloger.

D’autres nichent dans les prés; vite, le filet à faucher. Imaginez le classique filet à papillons où la gaze verte serait remplacée par un souple canevas. Que de fois sous l’œil paternel de M. Spitz, je l’ai promené ce filet à la pointe des herbes en pleine floraison, et quelles récoltes!

Il y a encore des insectes dont la destinée est de vivre dans les mares, dans les flaques d’eau bourbeuse qui annoncent le voisinage du lac Lameix. L’instrument de rigueur est toujours le filet à faucher, mais muni d’une toile à canevas un peu plus forte.

Et la pince à fleur? — Cette pince est une paire de ciseaux dont les lames forment deux cadres tendus d’une gaze légère et disposés de manière à s’appliquer, en se refermant, exactement l’un contre l’autre. Un insecte au vol rapide s’était-il posé sur une fleur, plus agile que le père Josué, je m’approchais en étouffant le bruit de mes pas, j’ouvrais l’instrument comme on ferait d’une paire de ciseaux, je le refermais d’un mouvement brusque, et crac! l’insecte était pris.

Quant aux bruxelles, des pinces à mors effilés, elles nous servaient dans les chasses délicates, lorsque ni M. Spitz ni moi nous n’avions envie d’exposer nos doigts à des souillures de toute sorte.

Que voulez-vous? l’insecte est dans tout et partout; il faut que la passion du collectionneur l’emporte sur ses répugnances. Certains coléoptères sont assez malavisés pour faire leurs délices de viandes en décomposition ou de bouses fraîches ou sèches. Et dire que ce ne sont pas les moins brillants! dire que ces gourmands dépourvus de préjugés ont, pour la plupart, des vêtements où l’éclat de la pourpre le dispute à l’azur!

Il y a une compensation, c’est que ces goujats sont des citoyens fort utiles. Je me souviens encore de la leçon de philosophie pratique que me fit un jour M. Spitz, non loin d’une tribu de nécrophores. Ces vautours du monde des insectes débarrassent nos champs et nos bois des matières en décomposition. Ceux que nous avions rencontrés s’acharnaient sur une taupe morte, et M. Spitz m’expliqua à distance leur industrie.

Les nécrophores commencent par pondre leurs œufs dans le corps de la bête, puis ils s’occupent au plus vite de l’enterrer. Leurs pattes robustes et crochues leur permettent de s’acquitter aisément de leur rôle de fossoyeurs. Le terrain est-il rocailleux, les nécrophores s’attellent à leur proie et la transportent en un endroit plus propice. Ainsi abritées par la terre, les larves nées des œufs trouvent le domicile et la nourriture; elles se transforment à leur aise en insectes parfaits, en nécrophores de l’avenir.

— Tu ne saurais croire, ajouta le père Josué ce dimanche-là, combien l’instinct de ces bêtes, si déplaisantes au premier abord, est ingénieux. Un jour, un naturaliste de ma connaissance s’avisa de planter une taupe au bout d’un bâton fiché dans de la terre molle; je croyais mettre les nécrophores dans un grand embarras; ils arrivèrent bientôt, d’un vol rapide, des divers points de l’horizon. Après s’être bien rendu compte de la difficulté, sais-tu ce qu’ils firent? Je les vis s’abattre au pied du bâton, remuer la terre de façon à le déraciner, faire tomber la taupe, puis procéder tranquillement à leur petit travail.

Dans une autre promenade, sur les prairies du col du Donon, nous vîmes à l’œuvre les cousins-germains des nécrophores, les habitants des bouses. M. Spitz me montra l’un d’eux qu’on appelle sisyphe; ce singulier animal possède une paire de longues pattes placées à l’arrière du corps et qui lui servent de chariot pour transporter dans la terre meuble une petite boule, formée de fumier desséché, où il a eu la précaution de pondre ses œufs.

Rien d’amusant comme de voir un sisyphe grimper le long d’une côte en traînant après lui son précieux fardeau. Qu’un obstacle, un misérable petit caillou, se présente, la boule se détache et dégringole jusqu’au bas de la pente.

Notre sisyphe ne se décourage pas; le père Josué m’autorisa à m’en assurer. Le bout de mon bâton lui ayant fait perdre sa boule, le sisyphe revint sur ses pas, ressaisit son fardeau et reprit avec résignation sa tâche interrompue.

— C’est tout de même dommage, dis-je alors, que tant de curieuses bêtes vivent dans des endroits malpropres!

— Un peu de patience, Pierre, me répondit M. Spitz; la nature offre tous les contrastes. Pour t’en convaincre, je n’aurai tout à l’heure, en revenant, qu’à explorer les saules de la vallée, et je serai bien surpris si nous ne trouvons pas une paire ou deux de capricornes musqués.

Le capricorne musqué ! Figurez-vous de charmants insectes, au corps allongé, aux antennes déliées, aux élytres brillant d’un or vert ou violet d’un éclat magnifique, répandant un doux parfum qui rappelle celui de l’essence de roses. La provision fut abondante; ce soir-là j’en rapportai trois à la maison, que Jules voulut à toute force emprisonner dans son mouchoir.

Avec tout cela il me restait à connaître l’utilité des flacons au son imprégné d’essence de thym, et le tamis des fourmilières. L’usage du son s’expliquait aisément; enfouis dans cette poussière odorante, les insectes destinés aux collections s’endormaient rapidement pour ne plus se réveiller; puisqu’il fallait en détruire un certain nombre, autant valait employer ce moyen économique et parfumé.

Quant au tamis, c’était une affaire compliquée.

— Il nous faudra toute une matinée pour le voir à l’œuvre, me dit le père Josué ; ce sera donc pour dimanche prochain.

A dimanche!

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