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CHAPITRE II.

Table des matières

PÉCHÉ AVOUÉ EST A MOITIÉ PARDONNÉ.

Certes, je ne valais pas cher à cette époque, et pourtant cette espièglerie me causa tout d’abord quelque honte. La preuve, c’est qu’au lieu de suivre les autres qui, le coup fait, dégringolaient déjà la côte à toutes jambes sans attendre leur reste, j’eus l’imprudence de rester en observation un peu plus longtemps qu’il n’aurait fallu.

M. Spitz n’avait pas bougé. Il semblait croire que cette malheureuse pierre était tombée de la lune, tant il s’obstinait à la contempler avec des yeux ronds de surprise. Mais le griffon n’était pas d’humeur à nous laisser quittes; d’un bond il fut sur le talus.

C’est alors seulement que je songeai à prendre la fuite. Mais les chiens ont cet avantage sur les petits hommes, qu’avec leurs quatre pattes ils font deux fois plus de chemin dans le même espace de temps. Le père Josué avait beau crier! «Ici, Charlotte, ici!» Charlotte allait son train.

Je n’avais pas atteint le bas de la côte, que je me sentis empoigner par le fond de mon pantalon. Le bruit d’une déchirure se fit entendre, et, rouge de peur et de confusion, je me laissai tomber sur l’endroit endommagé en criant au secours de toute la force de mes poumons.

Soit que ces clameurs l’eussent effrayé, soit que la voix de son maître fût enfin parvenue à ses oreilles, l’ennemi ne poussa pas plus loin ses avantages. Il battit aussitôt en retraite, et je le vis remonter la côte, la queue en trompette, de l’air d’un chien qui se sent en paix avec sa conscience.

Déjà les fuyards étaient revenus sur leurs pas pour me prêter main-forte. Hélas! le mal était sans remède. Je ne pus d’abord en juger par moi-même qu’au risque d’un torticolis; mais les rires de la bande s’étaient chargés de m’apprendre l’étendue du dégât. Et dire qu’il s’agissait d’un pantalon presque neuf que ma mère m’avait confié le matin en me recommandant d’éviter les taches d’encre! il était bien question de taches d’encre maintenant!

Le premier moment donné au chagrin, la colère me prit. Bien sûr, ce maudit chien méritait de le payer cher; mais que faire? quelle revanche imaginer? Du petit au grand, chacun fut appelé à donner son avis.

La consultation ne tourna point d’abord à mon profit. En admettant qu’on obtînt le silence de M. Herrenschmidt, et l’excellent homme tenait en réserve des trésors d’indulgence, il n’y avait plus, grâce au pantalon accusateur, moyen de dissimuler le flagrant délit d’école buissonnière. Et comment, après cette révélation, détourner la colère du père sur ce misérable chien?

— C’est égal, dit Rodolphe, c’est moi qui vais faire attention maintenant! Avec ça qu’il aurait pu être enragé, ce chien-là ; ce n’est pas la première fois que ça serait arrivé.

Ce malheureux mot fut pour moi un trait de lumière.

— Ecoutez! m’écriai-je, nous allons tout de suite courir chez Jean Waldeck, le garde champêtre. Rodolphe a raison; c’est très dangereux de laisser se promener sans muselière des bêtes qui sautent ainsi après les gens, sans qu’on leur ait presque rien fait. En route!

Cinq minutes après nous étions arrivés devant la maison du garde champêtre.

Ce Jean Waldeck était un paysan ignorant et têtu, tout gonflé de son importance officielle, et qui ne demandait qu’à faire du zèle. Il tenait mon père en grand respect; en revanche, M. Spitz, avec ses allures mystérieuses et ses manies de collectionneur, lui paraissait un vieux sorcier, indigne de toute considération.

Dès les premiers mots, Jean Waldeck prit un air grave:

— C’est bon, dit-il, je vois ce que c’est. Le vieux aura son compte, et la bête aussi. Allez vous mettre sur le chemin, les petits, et quand vous les verrez venir tous les deux, appelez-moi. Ça ne sera pas long.

Nous voilà donc en embuscade au bas de la côte. Le père Josué devait nécessairement passer par la route communale pour regagner sa maison. Il ne pouvait pas nous échapper.

Bientôt, cachés derrière les touffes de genêts en fleur qui semaient de points jaunes le chemin creux, nous vîmes apparaître le bout du fameux parapluie blanc. Ce fut un cri d’appel sur toute la ligne; le maître et le chien n’avaient pas dépassé le tournant de la route, que Jean Waldeck, averti par le signal convenu, accourait à leur rencontre.

Quant à nous, nous n’avions garde de nous montrer. Blottis dans notre embuscade, nous étions placés de façon à ne pas perdre un coup d’œil de la scène qui allait suivre.

L’explication fut orageuse. Le père Josué paraissait très agité. Il frappait de grands coups sur la terre avec le bâton de son parapluie; il semblait dire: «Charlotte enragée! allons donc! C’est vrai qu’elle a eu un moment d’humeur; mais quel est le chien qui se pourrait vanter de n’avoir jamais senti la moutarde lui monter au nez?»

Peine perdue; autant aurait valu parler à un sourd. Jean Waldeck ne s’inquiétait pas d’interrompre le père Josué ; seulement, tout en le laissant parler, il avait tiré de sa poche un bout de ficelle, il l’avait passé au collier du chien, et il se mettait en devoir de l’emmener sans autre forme de procès.

Ce fut une scène lamentable. Charlotte avait compris qu’il s’agissait de la séparer de son maître. La pauvre bête tirait sur la corde en poussant des aboiements plaintifs. Cependant Jean Waldeck fut le plus fort. Le griffon finit par le suivre, l’oreille basse, la queue entre les jambes, non sans retourner la tête jusqu’au dernier coude du chemin.

— Eh bien? cria Rodolphe, aussitôt que le garde champêtre fut à portée de l’entendre.

— Dame! dit l’autre, la chose n’a pas été toute seule. Ça ne m’empêchera pas de conduire la bête au vétérinaire, demain matin. Mais cette nuit, en prison! Allons, hue!...

— Hue! répéta Rodolphe en battant des mains.

Et le garde champêtre, tenant Charlotte en laisse, enfila la grande rue de Framont.

Au lieu de le suivre, je m’étais arrêté pour voir ce que ferait le père Josué. Il était resté immobile à sa place, secouant la tête, et semblant se parler à lui-même.

Puis, je le vis hausser les épaules, tourner les talons et marcher lentement dans la direction de sa maison.

Jean Waldeck avait disparu; mes complices l’avaient suivi. Je restai seul sur la route avec Jules, qui m’attendait pour rentrer au logis.

L’heure du dîner était proche. Le moment était venu de préparer ma mère au récit de mes aventures.

Ce ne fut pas le plus facile de l’affaire. Le pantalon déchiré obtint à peine un regard; mais ma mère exigea que la confession fût complète, et elle sut m’arracher les aveux un à un.

A mesure que je parlais, son doux visage se rembrunissait. Inquiet de son expression de sévérité, je voulus l’embrasser avant de solliciter mon pardon; mais cet expédient, qui m’avait souvent réussi, n’eut cette fois aucun succès.

— Laisse-moi, Pierre, me dit-elle avec un geste de refus; un enfant qui manque de cœur au point de se venger sur une pauvre bête innocente ne mérite point d’embrasser sa mère.

— Mais pourtant s’il m’avait mordu!...

— N’essaye pas de te défendre; rentre plutôt dans ta chambre avant que ton père revienne. Je ne veux pas qu’il te voie dans le premier moment.

Le ton était sans réplique; j’obéis silencieusement. Ah! comme je me repentais maintenant d’avoir obéi aux mauvais conseils de Rodolphe!

Ma chambre était voisine de la salle à manger. C’était au tour de Jules d’être grondé, et je crus entendre que le cher petit intercédait en ma faveur.

Et mon père qui ne rentrait pas! La nuit venait; la chambre se remplissait d’obscurité. Je m’étais blotti contre la porte, cherchant à surprendre le moindre bruit, partagé entre le désir de voir mon père et la crainte de sa colère.

Enfin son pas bien connu retentit dans le corridor.

La porte de la salle à manger s’ouvrit; je l’entendis qui s’écriait:

— Tiens! où donc s’est caché Pierre, qu’on ne le voit pas?

Puis j’entendis également ma mère lui répondre à mi-voix qu’elle avait dû me renvoyer dans ma chambre, que j’avais vagabondé sur la côte au lieu d’aller à l’école, et que j’avais fait pire encore.

Ce fut ensuite un assez long silence. Sans doute ma mère était en train de raconter ce qui s’était passé, et peut-être aussi de plaider à mon profit les circonstances atténuantes, car la voix de mon père s’éleva tout à coup.

— Non, non, tu as beau dire... j’y vais immédiatement, j’y vais de ce pas.

Sa main touchait déjà le bouton de ma porte, mais ma mère l’interrompit:

— Je t’assure qu’il a le cœur gros: laisse-moi, je t’en prie, le soin de lui parler.

Mon père se tut et j’entendis de nouveau ses pas aller de long en large dans la salle à manger.

— Tu as peut-être raison, dit-il enfin. On lui portera son dîner dans sa chambre. En attendant, j’irai délivrer le chien et je le ramènerai à son original de maître, qui est trop fier pour le réclamer. Ce sera l’affaire d’une petite demi-heure.

L’instant d’après, mon père sortit, et ses pas se perdirent dans l’éloignement.

Je n’avais pas eu le temps de me remettre de mon émotion, quand ma mère me demanda de lui ouvrir. Elle portait d’une main une lampe allumée, de l’autre une assiette de soupe fumante qu’elle déposa sans mot dire sur le guéridon.

J’étais allé tomber sur le pied de mon lit, la tête cachée dans mes mains.

Ma mère resta un instant immobile; puis, s’approchant de moi, elle écarta mes mains, les garda dans les siennes et s’assit à mes côtés sur le rebord du lit.

— Tu as dû nous entendre, ton père et moi; comprends-tu maintenant, Pierre, quelle faute tu as commise?

— Oui, mère, et je te promets que je ne recommencerai plus.

— C’est bien, mon enfant, rappelle-toi toujours qu’il n’y a rien de plus lâche au monde que d’accuser un innocent. Ce n’était qu’un chien, il est vrai; mais qu’aurais-tu dit si quelques garnements, ameutés par ta dénonciation, lui avaient fait un mauvais parti?

— Oh! mère, je n’ai pas pensé à tout cela; je ne savais plus ce que je faisais.

— Que cette journée te serve donc de leçon. Mets-toi à table, mange ta soupe et tâche de bien dormir. Demain ton père aura tout oublié.

Quand mon père fut de retour, j’étais déjà blotti dans ma couchette, où Jules m’avait rejoint. Nous avions laissé la porte entr’ouverte.

— Eh bien! lui dit ma mère, as-tu été bien reçu au moins?

— Ni bien ni mal. Les enfants n’ont pas tout à fait tort; c’est un fier original que ce M. Spitz. A peine a-t-il aperçu son chien, qu’il lui a pris la tête dans ses mains et qu’il l’a embrassé comme du pain. Comme je m’excusais sur la méchanceté du petit: «C’est bon, c’est bon, monsieur, m’a-t-il dit; n’en parlons plus... Catherine allait trouver le maire pour le ravoir. Vite sa pâtée, ma bonne; tu vois bien que ma pauvre Charlotte meurt de faim.» Là-dessus plus un mot. Je crus comprendre que j’étais de trop, je pris la porte sans qu’on fît un effort pour me retenir, et me voilà.

— Que veux-tu? dit ma mère, il faut être indulgent pour les gens qui ont souffert, et j’ai toujours pensé que ce pauvre M. Spitz a dû avoir plus d’un gros chagrin dans sa vie.

Ils se mirent à table, et je n’entendis plus rien.

Je commençais à m’assoupir, quand la porte de la chambre fut poussée doucement et un jet de lumière s’allongea sur notre lit.

Jules dormait de tout son cœur. Tout en faisant semblant de dormir comme lui, j’avais risqué un coup d’oeil sous mes paupières baissées, et je vis que mon père et ma mère me regardaient en souriant.

— Allons, murmura ma mère, il faut avouer que notre petit Pierre n’a pas encore la figure d’un scélérat.

— C’est vrai, mais on est toujours bien sage quand on dort, répondit mon père sur le même ton.

Il se pencha sur mon oreiller et le bout de sa moustache vint effleurer mon front. Jules reçut à son tour le baiser paternel. Puis les pas s’éloignèrent, et la chambre resta dans l’obscurité.

Histoire d'un forestier

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