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CHAPITRE V.

Table des matières

CHEZ LE PÈRE JOSUÉ.

Le sauvetage ne fut pas bien compliqué. En me raccrochant au manche du parapluie et à l’aide de quelques poussées vigoureuses, je parvins à me hisser à l’orifice du ravin. M. Spitz me prit à bras-le-corps et me permit d’effectuer le reste de l’escalade. Ce fut ensuite au tour de Charlotte.

— Tu peux te vanter d’avoir une fière chance, mon garçon, me dit-il. Si je ne m’étais pas attardé là-haut, tu aurais pu passer la nuit dans ce trou, sans qu’âme qui vive s’en fût doutée. C’était donc toi qui criais si fort tout à l’heure?

Et, sans attendre ma réponse, il avisa la chauve-souris que malgré tout j’avais réussi à tirer du naufrage.

— Tiens!... tiens!... voilà le gaillard qui se permet de chasser sur mes terres; ordre des chéiroptères, famille des chauves-souris; le murin classique, vespertilio pipistrellus, un fort bel échantillon, ma foi! Ah çà, qu’en veux-tu faire? Ça n’est pas bon à manger, ces bêtes-là !... Ça ne sert qu’à purger la foret des insectes ou qu’à orner la vitrine des naturalistes.

—Je l’avais gardée, monsieur Spitz, pour la montrer à mon père... c’est la première fois que j’en ai trouvé une vivante.

Mais le père Josué avait déjà changé d’idée. Au son de ma voix, il fit un brusque mouvement et. m’attira dans un rayon de lumière qui filtrait encore à travers les branches.

— Comment t’appelles-tu? me dit-il d’une voix brève.

— Je m’appelle Pierre, Pierre Blind; mon père est le percepteur de Framont.

M. Spitz ne répondit pas tout d’abord. Il m’avait pris les mains. Son regard me dévisageait, et il me sembla qu’il y avait comme une caresse dans l’expression de ses yeux.

— Pierre! murmura-t-il, Pierre!... et il a bien dix ou douze ans, ce petit-là !... Il s’appelle Pierre!

— Oui, monsieur Spitz, repris-je dans la crainte d’un reproche; c’est moi Pierre, c’est moi qui l’autre jour...

— C’est bon, dit-il, tout cela est oublié. Tu vois bien, mon enfant, que la bonne Charlotte elle-même ne t’a pas gardé rancune.

Il n’en dit pas davantage; ses yeux me fixaient toujours, une grosse larme s’en détacha et vint rouler le long de sa joue. Au même moment, comme obéissant à un mouvement dont il n’était plus le maître, le père Josué me prit la tête dans ses mains et m’embrassa de tout son cœur.

— Cher petit! murmura-t-il, si tu savais!...

Et, comme je demeurais interdit, ne sachant que dire ni que penser:

— Allons! allons! reprit-il, laissons cela. Nous avons encore une bonne trotte jusqu’à Framont et voilà cette coquine de pluie qui fait mine de recommencer. Donne-moi la main, mon enfant, et marchons.

M. Spitz se mit en route du pas lent, mais élastique, des montagnards. J’avais laissé ma main dans la sienne, et de la sentir enfermée dans ce large et solide appui, je me sentais tout rassuré. La nuit venait rapidement; mais le chemin de schlitt à pente douce était large et uni. Il descendait droit sur Framont, et bientôt nous fûmes en pays de connaissance. La voûte de feuillage commençait à s’éclaircir; mais mon vieux compagnon ne soufflait mot. Il semblait plongé dans des réflexions profondes; je n’entendais que le bruit de ses pas sur la terre mouillée.

Charlotte trottait de l’avant, la queue inquiète, fouillant de son museau alerte les buissons de la route, délogeant de leurs retraites les mulots nocturnes et poussant de petits jappements joyeux quand elle parvenait à dénicher une piste.

Mais voici la vallée de Framont. Depuis quelque temps, le sentiment de quiétude qui avait succédé à ma délivrance faisait place à un gros souci. Comment mon père allait-il me recevoir? La menace du collège de Saint-Dié me venait à la mémoire. C’en était fait cette fois; j’étais condamné sans appel.

Cette inquiétude toujours croissante, jointe à la fatigue, me serrait le cœur. Je ne respirais plus qu’avec peine et de gros soupirs sortaient de ma bouche.

Le père Josué finit par s’apercevoir de mon malaise.

— Veux-tu, Pierre, me dit-il, que nous fassions halte un moment?

— Non, monsieur Spitz, je voudrais bien arriver le plus vite possible; mais si vous saviez comme j’ai peur!

M. Spitz eut un bon sourire.

— Peur! pourquoi peur?... Ils sont tous les mêmes, ces pauvres enfants... J’ai assez vu ton père pour être sûr qu’il ne pensera qu’à t’ouvrir les bras.

— Aujourd’hui c’est vrai, monsieur Spitz, mais demain! On m’enverra au collège de Saint-Dié. C’est sûr; père m’a prévenu...

M. Spitz se remit à rire.

— C’est donc bien terrible, ce collège de Saint-Dié ?

— Oh! monsieur Spitz! quitter la maison! vivre tout seul là-bas, derrière des murs, dans une vraie ville!... Non, voyez-vous, cela me crève le cœur rien que d’y penser!

Et le fait est qu’un nouveau ruisseau de larmes, depuis longtemps prêt à déborder, m’empêcha de continuer. Je ne me souviens plus d’avoir jamais tant pleuré que ce jour-là.

— Nous verrons, nous verrons, répondit à voix basse le père Josué ; est-il possible de se mettre ainsi le sang à l’envers!

Mais je voyais bien que mon chagrin l’avait touché. Il s’enfonça plus avant dans ses réflexions et sa main serra vivement la mienne comme s’il avait eu peur de me perdre.

En attendant, les premières maisons de Framont se dessinaient au bas de la côte. Pour rentrer tout droit à la maison, je n’avais qu’à suivre la route communale; mais M. Spitz la laissa à sa droite, et il s’engagea dans le chemin de traverse qui conduisait à sa demeure.

— Où allons-nous donc, monsieur Spitz? lui dis-je alors; ce n’est pas là le chemin de la maison.

— Crois-tu, mon garçon, me répondit-il, que je vais te laisser rentrer sans tambour ni trompette, mouillé jusqu’aux os et fatigué comme tu l’es? Non pas... Catherine ira préparer tes parents à ton retour pendant que tu te sécheras dans sa cuisine et que tu boiras une bonne tasse de bouillon bien chaud. Après cela, je te reconduirai moi-même à Framont. Est-ce dit?

Il n’y avait rien à répliquer. Et d’ailleurs l’arrangement n’était pas pour me déplaire. Si bon que fût mon père, je n’étais pas sans inquiétude sur son accueil, et je comptais que l’intervention du père Josué viendrait à point pour adoucir le premier choc.

Voici la petite maison solitaire. Charlotte grattait déjà à la porte d’entrée. Une lumière brilla sur le seuil, et une voix enrouée nous salua de ces mots:

— Vous voilà enfin, monsieur. De vrai, ça n’est pas trop tôt.

— Paix, Catherine! Quand tu verras qui je t’amène, tu ne songeras plus à me gronder.

Le rayon de la lanterne m’éclairait alors. Catherine vint à ma rencontre, et sitôt qu’elle m’eut dévisagé :

— Pauvre petit! dit-elle, est-il mouillé ! Entrez vite tous les deux; il y a justement un bon feu dans la cuisine.

L’été a beau être clément. Quand vient la nuit dans nos montagnes, une flambée de sarments n’est pas à dédaigner. La cuisine était vaste, toute reluisante de propreté, et la direction d’une ménagère accomplie s’y trahissait à chaque détail. Pendant que M. Spitz allait déposer dans sa chambre son attirail de naturaliste, Catherine disparut, elle aussi, mais pour revenir, un paquet de vêtements sous le bras. En un tour de main, elle m’eut débarrassé de ma veste mouillée, de mon pantalon crotté jusqu’aux genoux, de mes souliers boueux, et je me vis affubler d’un gilet aux boutons de cuivre, d’une culotte courte et d’une chaude capote de drap; mes pieds chaussèrent de coquets sabots en cuir verni, et la transformation fut complète.

— Là ! dit Catherine, ça va-t-il mieux maintenant?

Ça allait tout à fait bien, et l’on eût juré que ces habits providentiels avaient été coupés à ma taille. Les bonnes marraines des contes de fées ne m’eussent pas servi plus à souhait.

Quand le père Josué revint, j’étais attablé devant un bol énorme de bouillon fumant où nageaient des carottes, des poireaux, des cœurs de choux gras, une vraie soupe de campagne qui exhalait en épaisses bouffées de vapeur son odeur appétissante.

Je mangeais d’un tel appétit, que l’excellent homme ne put s’empêcher de rire.

— Décidément, dit-il, il était temps que nous rentrions; un peu plus, et notre ami Pierre tombait d’inanition sur le chemin.

A ce nom de Pierre, Catherine leva la tête et leurs regards se croisèrent.

— C’est le fils du percepteur de Framont, tu sais bien, qui nous a ramené Charlotte l’autre jour. Il faut aller le prévenir, ma bonne, et quand le petit aura fini sa soupe, je le reconduirai.

Catherine obéit sans mot dire. Elle jeta un châle sur ses épaules, prit la lanterne et disparut.

Ce qui se passa ensuite, je n’en ai plus qu’un souvenir confus. Le père Josué s’était assis dans un grand fauteuil en osier; il avait allumé sa pipe; Charlotte était couchée en rond à ses pieds. J’avais achevé ma soupe; peu à peu, il me sembla que la tête blanche de mon vieux compagnon se confondait en fumée avec les brouillards de la pipe; la lumière du foyer s’obscurcit, mes yeux se fermèrent, et quand la porte cria de nouveau sur ses gonds, je me réveillai en sursaut, la tête cachée dans mes bras, que j’avais allongés sur la table.

M. Spitz et Catherine s’entretenaient à voix basse.

— Il est temps de partir, mon petit Pierre, me dit-il quand il me vit debout, encore ivre de sommeil.

Et comme pour répondre à la question qu’il devinait sur mes lèvres:

— Tout est arrangé. Ton lit est prêt, et ta mère t’attend. Quant au père, c’est moi qui lui parlerai.

Catherine m’aida à quitter mes vêtements d’emprunt pour les miens qui avaient eu le temps de sécher, et en route!

Le chemin n’était pas long. La porte de la maison nous reçut, grande ouverte: au fond du corridor, sans lumière, je sentis deux bras se refermer sur moi; ma mère m’embrassa silencieusement tout en m’entraînant vers ma chambre. Elle me quitta sur le seuil sans avoir prononcé une parole; je me déshabillai sans trop avoir conscience de ce que je faisais, et cinq minutes après je mêlais le bruit de ma respiration à celle de Jules profondément endormi. Le sommeil, à peine interrompu, m’avait repris.

Histoire d'un forestier

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