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CHAPITRE V.

Table des matières

Entrée en Russie.

LES forces principales des Russes avaient été rejetées au-delà de la Dwina et du Dniéper. La plus grande partie de la Pologne était libre. Nos troupes, affaiblies par les marches, les privations, et par cinq ou six combats dont les trois derniers avaient été à notre avantage, espéraient des cantonnemens sur les anciennes frontières du territoire polonais que Smolensk devait maintenant protéger. On n’eût pas seulement pensé que, laissant derrière lui des corps ennemis considérables qui pouvaient vaincre ceux qu’on leur opposerait, l’empereur osât s’enfoncer au cœur de la Russie pour y combattre une armée formidable qui se grossissait sans cesse de nombreuses milices, et se fortifiait de toute espèce de secours à l’approche de l’hiver; tandis que la sienne diminuait au contraire chaque jour, et se voyait entièrement dénuée de tout ce qu’il fallait pour lutter contre les rigueurs de ces climats. C’est cependant ce qui fut arrêté dans son esprit. Il laissa sa gauche à Polotsk; sa droite, composée d’Autrichiens et de Saxons, non loin du duché de Varsovie, et il s’aventura dans la Moscovie avec le reste de ses troupes. Smolensk était déjà un point avancé de nos lignes, Moscou était à quatre-vingts lieues plus loin, nous étions à la fin d’août, le moindre revers compromettait toute la campagne. Cette considération ne fut pas assez puissante. Il était décidé qu’il fallait aller à Moscou. Moscou devint dès lors le port de salut. On supporta avec résignation les privations, les fatigues et les dangers d’une guerre, qui devenait de jour en jour plus meurtrière, en pensant que Moscou en serait le terme; qu’on y trouverait la paix, l’abondance et l’oubli des maux, et que bientôt on pourrait envisager la patrie et se livrer à l’espoir d’y rentrer. Tels étaient les beaux rêves dans lesquels notre imagination se complaisait. Ces illusions seules pouvaient soutenir notre courage: on y croyait, parce qu’on avait besoin d’y croire. Les soldats souffrirent plus qu’ils n’avaient jamais souffert. Mais la faim, les fatigues et l’ennemi ne les effrayaient pas; et ils ne connaissaient pas leur position. Quelle force d’âme ne fallait-il pas aux chefs qui en appréciaient tout le danger, pour les guider froidement à la victoire dans des momens aussi décisifs!

On prit donc la route de Moscou sans faire aucune disposition de défense dans les pays qu’on abandonnait, sans y préparer aucune ressource; on le quitta comme ne devant y repasser qu’après avoir obtenu la paix.

Nous trouvions les villages encore plus dévastés et souvent brûlés; les villes étaient désertes; les vivres étaient encore plus rares qu’auparavant. On se battit à Dorogobouje, à Viesma, qui furent réduits en cendres, et auprès de Gjat. Le soir, le feu de la mousqueterie roulait pendant une heure avant qu’on ne prît position; c’était toujours ainsi qu’on plaçait les avant-postes: on s’était tellement accoutumé à cette résistance, qu’on ne laissait pas pour cela de s’installer dans le voisinage pour passer la nuit.

Quelles nuits nous passions! et surtout quel réveil pour ceux qui avaient pu oublier un instant nos infortunes! on était aussitôt assailli par ces idées de famine, d’incendie, de destruction et de mort qui formaient toute notre intelligence; l’instinct de la conservation ne pouvait méconnaître des dangers si urgens, et rappelait sans cesse notre attention à ce triste sujet.

Au milieu de tant de réflexions accablantes, l’idée de la gloire avait conservé tout son ascendant et tout son prestige; ce qu’on n’a vu que chez des hommes rares et privilégiés de la nature, se réalisait ici dans toute une armée; le moral soutenait le physique; ces soldats restaient au niveau de leur renommée, le danger les trouvait toujours les mêmes, toujours prêts à le braver et à s’élever au-dessus de leur sort; en voyant tant de constance dans la valeur, l’ennemi dut souvent se demander si ces hommes étaient réellement accessibles à ce qui a tant d’influence sur le reste de l’humanité.

Mais que devait se dire celui qui les menait presque sciemment à leur perte? que devait-il se dire en voyant des hommes faire si généreusement le sacrifice de leur vie? où était sa conscience, s’il ne s’était point promis qu’il se sacrifierait pour eux au besoin, et si, au contraire, il nourrissait l’arrière-pensée qu’il pouvait un jour les abandonner?

Souvenirs du Nord: La guerre, la Russie, les Russes et l'esclavage

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