Читать книгу Souvenirs du Nord: La guerre, la Russie, les Russes et l'esclavage - Raymond Faure - Страница 9
ОглавлениеSmolensk.
LA journée du 16 août se passa en escarmouches. Le 17, l’affaire de Smolensk commença dès le matin par des roulemens de coups de fusil partant de colonnes d’infanterie qui opéraient divers mouvemens autour de la ville. Des décharges d’artillerie se faisaient entendre par intervalles, et grondaient avec fracas dans les vallons d’alentour. Les coups de fusil cessèrent l’après-midi; l’ennemi avait abandonné ses positions avancées, et s’était retiré dans la ville; le canon continua à tirer.
D’épaisses murailles de briques de vingt-cinq pieds de haut, flanquées de tours et munies de pièces de gros calibre, semblaient devoir tenir long-temps. Elles résistèrent pendant la journée du 17, et jusques assez avant dans la nuit, au feu le plus violent; trois ou quatre ponts établissant une communication avec la rive droite, en même temps qu’ils assuraient la retraite, favorisaient l’évacuation des blessés et l’arrivée des secours. Un tiers de l’armée formidable qui était de l’autre côté fut employé à la défense de la place. Le reste, témoin de l’action sans y prendre part, provoqua l’établissement d’une batterie de soixante pièces, qui, sous les ordres du prince Poniatowsky, les força bientôt à se mettre hors de portée. Le soir la ville brûlait, et offrait, pendant une des plus belles nuits d’été, une des plus belles horreurs qu’une armée puisse contempler. Les Russes évacuèrent ce poste le 18 à deux heures du matin.
En traversant le fleuve nous vîmes un spectacle bien capable de faire apprécier des jours coulés au sein de la paix. Des soldats qui avaient voulu fuir étaient tombés dans les rues, étouffés par les flammes, et avaient été brûlés. Plusieurs ne ressemblaient plus à des hommes: c’étaient des masses informes de chairs grillées et charbonnées, que le fer d’un fusil, un sabre ou quelques lambeaux de vêtemens trouvés à côté d’eux faisaient reconnaître pour des cadavres. Quelques malheureux habitans (quoiqu’il en. fût resté bien peu ) avaient éprouvé le même sort: plusieurs avaient expiré sur le seuil même de leurs portes.
Pendant qu’on descendait en foule au milieu de ces ruines embrasées où s’étaient réunis tant de désastres, on en venait aux mains à quelque distance. Un feu soutenu, et le bruit de l’artillerie, annonçaient une affaire sanglante, comme pour détourner l’attention et la porter vers un nouveau théâtre d’horreur. La nature venait d’être mise aux prises avec la mort, il restait encore des hommes; la lutte n’était donc pas terminée. Le maréchal Ney avait rencontré l’arrière-garde ennemie à Valontina, à deux lieues de Smolensk.
Nous passâmes le pont à minuit. La nuit était tellement sombre, qu’à peine pouvait-on apercevoir la route. A une lieue de la ville nous vîmes venir à nous une voiture qu’escortaient des soldats éclairés par des torches. Le général Gudin avait eu une cuisse emportée dans le combat dont nous avions entendu le feu; on le transportait à la ville avec toutes les précautions que peuvent prendre de braves soldats chargés de conserver un reste de vie à leur général mutilé au champ d’honneur. Dès qu’il fit jour, on trouva beaucoup de fantassins blessés, qui s’en retournaient vers la ville; les plus jeunes avaient perdu leur contenance martiale. Ils n’étaient plus que des hommes souffrans. Les officiers avaient une tout autre expression dans leurs traits: ceux qui ne pouvaient marcher se laissaient emporter, mais calmes comme s’ils n’eussent pas eu besoin d’efforts pour vaincre la douleur.
Le combat s’était livré sur un colline peu saillante, près d’un terrain assez bas et couvert à droite et à gauche de la route d’un bois taillis très clair; on y avait placé de l’infanterie qui avait fait pleuvoir une grêle de balles sur nos soldats lorsqu’on les avait fait avancer. Ils chargèrent bientôt à la baïonnette. Dans quelques endroits on voyait la terre couverte de Russes et de Français couchés les uns sur les autres. Ils en étaient venus jusqu’à combattre corps à corps.