Читать книгу Souvenirs du Nord: La guerre, la Russie, les Russes et l'esclavage - Raymond Faure - Страница 3
AVANT-PROPOS.
ОглавлениеAu milieu des occupations d’une vie active et parmi les plaisirs du monde, on oublie souvent trop vite les événemens les plus propres à laisser dans la mémoire une impression profonde. Qu’il me soit permis de rappeler d’abord et de fixer ici quelques souvenirs d’une guerre désastreuse; ceux de mes lecteurs qui y prirent part aimeront à se les rappeler, et les autres pourront sur cet écrit s’en former quelque idée. On se plaît généralement au récit des actions guerrières; sans doute parce que c’est dans la carrière des armes qu’on trouve les scènes les plus intéressantes que présente la vie, et qu’on voit l’homme placé dans les situations où il peut le mieux développer toute l’énergie de son caractère.
Le besoin de sensations, motif probable de ce goût universel et de tous les temps, fera peut-être parcourir avec quelque indulgence le tableau que j’ai essayé de tracer du climat de la Russie; les grands phénomènes de la nature diffèrent tellement dans ce pays de ceux que nous offrent le midi de l’Europe, qu’ils semblent devoir exciter la curiosité. Toutefois, de plus graves considérations réclament notre attention pour un pareil sujet. L’histoire d’un peuple appelé à jouer un grand rôle sur la scène du monde s’y trouve étroitement liée; à chaque pas qu’on fait dans l’étude de l’histoire de Russie, on est obligé de tenir compte de l’état physique de ces contrées, des distances énormes qui séparent les villes, des saisons qui doivent influer si puissamment sur les grandes entreprises, genre de remarques sur lesquelles les écrivains, même les plus modernes, n’ont pas suffisamment insisté.
Ce qui nous importe davantage, c’est d’apprécier l’état actuel de la nation russe; le langage et la conduite des cours de l’Europe à l’égard de cette puissance deviennent tous les jours si étonnans, son intervention dans tous leurs différends peut devenir si dangereuse, que tout ce qui sert à la faire connaître est susceptible d’offrir de l’intérêt. L’exposé que je fais de sa situation morale peut paraître imparfait, on n’en contestera pas du moins la vérité ; je ne parle que de ce que j’ai vu, de ce que j’ai considéré de sang-froid. Si la peinture en est quelquefois affligeante, je n’en suis pas cause; il n’a pas dépendu de moi de l’éviter en remplissant l’obligation que je m’étais imposée de dire la vérité ; j’ai cru pouvoir dire ce que d’autres osent faire, ce qu’ils font toute leur vie; j’ai peint les excès inséparables de l’exercice du pouvoir absolu. On verra, comme l’avait dit Montesquieu, que la corruption et la misère arrivent de toutes parts dans les états ou il règne. Heureux si en signalant ces calamités je puis faire mieux sentir les avantages d’un gouvernement conforme aux principes de la raison et de la justice, et dont tout homme honnête doit désirer de voir affermir les bases et développer les principes.