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Chapitre Cinq

Complications Contractuelles


Alors qu'il se penchait vers le tonneau de Saltcoast Tan en grimaçant, Maros soulagea sa jambe blessée en faisant passer le poids de son corps sur son autre jambe. Il attrapa le rebord en fer du tonneau de bière, banda ses muscles et souleva le tonneau. D'une poigne aussi solide que l'objet en métal qu'il avait en main, il tint le tonneau plaqué contre son torse et, verrouillant sa prise, le maintint fermement. S'appuyant sur sa mauvaise jambe, il fit un pas en avant. Une douleur lui traversant le côté de la jambe lui fit proférer un juron ; la brise soufflant dans l'arrière-cour de la taverne lui rafraîchit la peau qui s'était couverte de sueur.

"Maudite jambe," grommela-t-il. Il fut un temps où je pouvais porter ce tonneau sans le moindre effort. Maintenant, ça me fait grogner et suer comme un porc en rut, sans même parler de cette maudite charrette.

Il sentit une envie soudaine d'envoyer un coup de pied à sa charrette mais il se retint ; ce serait bien inconséquent de perdre son sang-froid pour vingt gallons de sa bière préférée. D'un autre pas périlleux, il se rapprocha de l'arrière de la charrette. Il déposa son fardeau sur les planches à côté du tonneau de Carradosi Pale de moindre taille et d'un baril encore plus petit de Vorinsian Redanchor.

Frottant son ventre arrondi, il poussa un soupir et secoua la tête. "C'est plus que jamais Maros la Montagne, ces jours-ci," marmonna-t-il. "Maudite soit cette créature qui a planté sa foutue dent dans mon genou." Il fit le tour de la charrette en boitant et s'arrêta pour masser le côté endolori de sa jambe.

Ah, si je pouvais tuer cette lyakyn encore une fois ! Lui aplatir ses dents et lui arracher ses mâchoires de sa tête... Ce serait aussi satisfaisant que la première fois. Il soupira et secoua la tête. Ouais, mais rien ne me fera plus jamais marcher comme avant.

Soulevant le long bras de la charrette, il boita et grogna jusqu'à ce qu'il eut traversé l'arrière-cour plongée dans les ténèbres de la nuit et atteint la porte de derrière. Une fois là, il se mit à décharger les tonneaux vers le Camelot Solitaire.

La taverne était calme. À part quelques sabreurs assis à l'une de leurs tables habituelles, il n'y avait que quelques citadins clairsemés dans la salle commune. Maros avait laissé le jeune barman Jecaiah rentrer plus tôt voir sa femme ; il avait aussi permis à deux autres serveuses de rentrer plus tôt. Avec son stock de tonneaux pleins maintenant rangés sous le bar à côté de ceux déjà ouverts, Maros posa le baril de Redanchor sur le dessus du comptoir, prêt pour le lendemain, ou pour le jour d'après pour les clients aux goûts plus onéreux.

Il attrapa son tabouret et sortit en claudiquant de derrière son comptoir pour se rendre vers la table des sabreurs, et s'assit avec eux, le dos contre le mur.

"Mais qu'avaient-ils donc en tête ?" disait Alari. "Dix pour cent à se partager pour les trois d'entre eux," elle hocha la tête en direction de Maros, "moins la part du patron et de la boîte ; c'est pas mal mais ça ne les mènera pas loin."

À côté d'Alari, le novice dont elle avait la charge ricana. "Ils auraient dû prendre une flopée de petits boulots comme tu me l'as conseillé car d'ici un mois, peut-être un peu plus, il n'y en aura plus.

Maros regarda le jeune homme, le sourcil froncé. "Kirran, c'est tout à fait l'attitude à adopter pour un novice, surtout si tu veux le rester pour le restant de tes jours de sabreur."

"Oh, désolé, patron."

"Ne le sois pas. Ces petits boulots, quelqu'un doit bien les faire et, pour le moment, je ne vois que toi."

Kirran pinça les lèvres et ne dit plus rien.

De l'autre côté de la table, Henwyn éclata de rire. "Le patron t'a bien eu, là." Il prit une gorgée de vin. "Sérieusement, patron, tu penses que ce contrat en vaudra la peine ?"

Maros grommela. "Ton avis vaudra bien le mien, Hen. En vérité, je me pose des questions sur les motivations de cette Chiddari. C'est un paquet d'argent qu'elle a proposé mais il y a quelque chose qui me chiffonne dans cette affaire. Tu as déjà rencontré, toi, quelqu'un qui manifeste tant d'intérêt pour une babiole qu'elle n'a jamais vue ? À son âge ?"

Henwyn haussa les épaules et regarda en direction d'Alari. "Moi, j'aurais pris le contrat rien que pour les dix pour cent. C'est déjà une somme considérable. À vrai dire, je m'en veux de ne pas avoir été là quand tu l'as épinglé au tableau. Je l'aurais arraché. Un mois tout seul dans le désert ? Ah ouais, j'aurais bien pris ça."

"Tout seul ?" La fille à ses côtés le regarda d'un air abattu. "Et tu ne m'aurais pas emmenée pour me montrer les ficelles du métier ?"

"Bah." Henwyn sourit à travers sa barbe rasée de près. "Ne le prends pas mal, jeune fille, mais tu ne fais pas encore la différence entre tes seins et tes orteils, au stade où tu en es. Tu n'es pas encore prête à ne faire qu'un avec la terre pour autant de temps."

Elle lui jeta un regard froid. "Je connais le désert," dit-elle, puis elle tourna la tête ailleurs.

Alari se racla la gorge. "Tu en penses quoi de la légende ?" demanda-t-elle. "J'espère juste que tes amis sont bien préparés, c'est tout."

"Je n'en sais rien," admit Maros en déplaçant son poids sur son tabouret. "Je sais que certains ne sont pas d'accord, mais je pense qu'il n'y a que des sornettes là-dedans. Si je le pouvais, je serais dehors là-bas avec eux plutôt que cloué à cette Folie. Je n'ai jamais eu envie de m'aventurer dans les Terres Mortes, ni d'aller explorer la Cité Ravagée mais—" une toux grasse se fit entendre depuis la table voisine. Maros jeta un coup d'œil à Jerrick, un régulier du Camelot, assis tout seul comme à son habitude et postillonnant dans son verre. "Cette toux empire, mon vieux," dit Maros. "Tu devrais prendre de la teinture."

"Hein ?" Jerrick leva ses yeux chassieux et regarda Maros. "Ça m'avance à rien si c'est pour vous entendre, vous les jeunes."

"C'est une affaire de sabreurs," le réprimanda Maros. "Ce n'est pas pour tes oreilles."

"Ah bon, quand un homme entend ce qu'il entend, il a bien le droit de parler, non ? J'avais un ami sabreur autrefois, tu sais ? Ouais, je vois bien que c'est difficile d'imaginer qu'un vieux cabot comme moi ait eu des amis, hein ? Eh bien, j'en ai eu. Tous morts, maintenant. Lijah a été le premier à partir. Un bon gars." Jerrick soupira et fronça les sourcils. "Laisse-moi réfléchir... Ça doit bien faire cinquante ans que Lijah et moi étions assis dans cette taverne et il s'en est allé pour une mission. Ouais, ça s'appelait des missions en ce temps-là."

Maros lança un coup d'œil à Alari et lui fit un signe discret de l'épaule.

Jerrick toussa, portant une main à sa bouche, qu'il essuya ensuite sur son pantalon avant de lever un sourcil blanc et touffu. "Il avait dit qu'il serait absent pour un moment, qu'il partait en direction du sud pour retrouver une pierre pour une fille. Enfin, vous voyez le genre de quêtes insensées qui vous plaisent à vous, sabreurs. Je lui demande, au sud vers où et, de tous les endroits au monde, il me dit dans la Cité Ravagée. Eh ben, il est parti. L'est jamais revenu. Les gens avaient dit qu'il s'était perdu, attrapé par des monstres ou autre chose, tombé dans un marais, quelque chose comme ça. Moi, j'en suis pas sûr. Lijah était rusé."

Alari remuait sur son tabouret et attendit pendant que Jerrick éclaircit bruyamment sa gorge derrière sa main noueuse. Quand il eut fini, elle se pencha vers lui et demanda : "Qui était la jeune fille ?"

"Ça, si je le savais..."

Maros secoua la tête. "Je n'avais jamais entendu ça."

"Pas de raison que tu en aies entendu parler," dit Henwyn. "Un contrat parmi mille autres, il y a un demi-siècle de ça ?"

"Vérifie les archives," suggéra Alari.

"Non, il y aura rien," dit Maros. "Les archives ne remontent qu'à dix ans. Les anciens contrats et les dossiers des membres sont tous gardés à Brancosi."

Jerrick émit une autre quinte de toux puis tira de son manteau une pipe en bois et une poche de ce qui semblait être aux yeux de Maros du tobah corsé de népenthès. Malgré ses doigts noueux, il fourra habilement les feuilles humides dans sa pipe, puis prit une gorgée de bière. "Vivre par l'épée, mourir par l'épée, c'est comme ça que vous dites, vous les jeunes, non ? Oui, eh bien, moi, c'est ça, mon épée," dit-il en brandissant sa pipe et son verre, avalant ce qui restait de sa bière et se levant de sa chaise. "Au plaisir de bavarder avec vous, les gars." Il hocha la tête en direction d'Alari. "À toi aussi, jeune fille."

"Eh, Jerrick," le salua Maros.

Une expression perplexe se posa sur le visage du vieil homme. "Hein, de quoi on parlait déjà ?"

Maros sourit tristement. "De vie et de mort, je crois."

"Ah, oui." Le vieux sourit de toutes ses dents. "Deux sujets que je connais assez bien. Bon, allez." Il leva une main tachetée vers sa tête, comme s'il la portait à un chapeau, puis il traversa la grande salle et sortit dans le soir.

Tandis que les portes se refermaient dans un chuintement, Maros se perdit dans ses pensées. La révélation de Jerrick le dérangeait. Ça le dérangeait beaucoup.

Henwyn le regardait. "La prochaine fois que le courrier passe, renvoie-le avec une requête pour les dossiers d'il y a cinquante ans."

"Le courrier ne sera de retour que dans deux semaines," dit Maros. "Ensuite, il devra faire toute sa tournée avant de retourner à la Baie. Et il se passera probablement plusieurs semaines avant qu'il ne revienne. C'est trop long."

"Trop long pour quoi, patron ?" demanda la jeune fille assise près d'Henwyn.

Maros fronça les sourcils. "Désolée, jeune fille, j'ai oublié ton nom."

"Leaf," dit-elle.

"Hmm. Bon alors, Leaf. Que dirais-tu d'un petit contrat de coursier ? Pour montrer un peu à Henwyn ce que tu es capable de faire."

Les yeux de Leaf s'agrandirent. "Un travail rien que pour moi ? Et comment !"

"Bien. Rendez-vous ici, demain à midi. D'ici là, j'aurai rédigé le formulaire de requête."

"Où est-ce que je vais ?"

"Au quartier général de la Guilde à la Baie de Brancosi."

Leaf resta bouche bée. "Je ne suis jamais allée à la capitale."

"Eh bien, voilà ta chance. Mais ne traîne pas en route, je veux ces papiers aussi vite que possible."

"Quelle est l'urgence ?" Kirran essaya de garder un ton prudent.

Maros dévisagea le novice. "L'urgence, mon garçon, est que j'ai tendance à croire Jerrick, que son ami n'est pas juste mort en route. Si un sabreur est envoyé en mission"— il se surprit à utiliser la même expression ancienne que Jerrick et secoua la tête — "alors la probabilité est qu'il s'agit d'un vétéran, au moins d’un compagnon ou d’une compagne, sinon un maître ou une maîtresse-lame."

"Qu'est-ce que tu sous-entends ?" demanda Henwyn.

"Ce que je dis, Hen, c'est que je crois que ce Lijah a peut-être bien trouvé la Cité Ravagée. Plus précisément, je crois que Jalis et les gars la trouveront aussi et je serais damné plutôt que de les laisser subir le même sort."

Le dernier des clients de la nuit disparut dans la nuit à travers les portes de saloon, laissant Maros seul, en compagnie de deux serveuses qui devaient nettoyer le plancher et essuyer les tables. Des bruits de marmites et de casseroles leur parvenaient depuis la cuisine où Luthan, le chef, terminait lui aussi ses corvées de fin de journée.

Après quelques minutes, Maros entendit un swish-swish et regarda vers la passerelle derrière le bar. Luthan avait quitté la cuisine et se dirigeait vers Maros. Son tablier empesé et son bandana étaient aussi immaculés que quand il venait devant les clients, même s'il n'y en avait aucun. Plus qu'un chef, les fameux sandwichs de Luthan lui avaient valu une bonne réputation dans le coin et il avait une image à entretenir ; il gérait tout cela avec panache, sereinement et avec plein d'assurance.

"Tu manges avec moi ?" offrit le chef. "Je me prépare quelque chose avant de rentrer chez moi. On mange ensemble ? Patron ?"

"Hmm ?" Maros réalisa que Luthan le regardait et il gonfla ses joues. "Non, pas pour moi. C'est trop tard."

Le chef, méticuleusement rasé, tira un tabouret et se hissa dessus. De ses yeux bleus, il étudia le visage de Maros. "Quelque chose te perturbe." Ce n'était pas une question ; avec Luthan, il n'y avait jamais de question.

"Je me fais du souci pour Jalis et les gars. Je pensais les avoir envoyés chasser des dragons mais je crois que ça pourrait en fait être pire."

"Ah, il y a toujours ce risque avec les sabreurs," dit Luthan.

"C'est vrai." Maros serra son poing et se frotta les jointures avec son autre main. "Mais cette fois, j'ai le sentiment que quelque chose cloche."

À l'autre bout de la salle, les portes s'ouvrirent. Un homme entra. Il s'arrêta sur le palier, lissa les pans de son manteau et enleva sa casquette en tissu écossais. Puis il avança d'une démarche assurée vers le bar, les yeux fixé sur Maros.

Luthan se racla la gorge et sauta de son tabouret pour filer en direction de la cuisine.

"Nous sommes fermés pour la nuit," dit Maros au nouvel arrivant. "À moins que ce soit une chambre que vous cherchez ?"

L'homme arriva au bar, lâcha un soupir et posa sa casquette sur le dessus de comptoir en chêne. "Je ne viens pas en tant que client, maître tavernier."

Maros le dévisagea. L'étranger au visage indolent, rasé de près, avait une tenue froissée mais de bonne facture et il n'avait pas l'air du genre à se salir les mains. Maros estima qu'il avait largement dépassé la quarantaine. "Je ne pense pas vous avoir encore vu dans le coin, l'ami. Vous êtes venu offrir un contrat ?"

"Pas tout à fait." L'homme semblait fatigué. "Je suis là à propos d'un contrat mais malheureusement il a déjà été octroyé."

"Je vois." Maros ressentit une pointe d'agacement, il voulait que l'homme en vienne au fait. "Alors, de quoi s'agit-il, s'il vous plaît ?"

"J'ai quitté le hameau de Balen il y a cinq heures," dit l'homme tout en fouillant dans son manteau. Puis il en retira un rouleau de parchemin qu'il posa sur le comptoir poli à côté de sa casquette. "Je suis trop fatigué pour de longues formalités. Je vais peut-être prendre cette chambre que vous avez à offrir. Ça a été une longue journée, vraiment singulière."

"Onze cuivres pour une chambre," marmonna Maros. "Quinze, si vous voulez un petit-déjeuner chaud avec."

L'homme pinça ses lèvres et maintint le regard de Maros. "Maître tavernier, j'aimerais penser qu'après avoir soigneusement lu et assimilé le contenu de ce document," il tapota le rouleau de parchemin devant lui, "vous envisagerez de me laisser disposer gratuitement de la chambre à titre de bonne volonté."

Maros serra les dents, jeta un coup d'œil vers le parchemin, puis lança un regard sombre vers le nouveau venu, venant à bout de sa patience. Il fallait reconnaître que l'homme ne semblait pas impressionné par la réputation de Maros, ni intimidé par sa taille de demi-jötunn ; s'il le voulait, Maros aurait très bien pu l'attraper depuis l'autre côté du comptoir et lui écraser le visage dans son poing velu. Même voûté et assis sur son tabouret, il dépassait l'homme de pas moins d'une tête.

"J'accepterai aussi le petit-déjeuner par courtoisie," rajouta l'homme.

Maros se renfrogna perceptiblement. Il se leva de son tabouret, posa ses grandes mains sur le dessus du comptoir et regarda l'homme de haut. "Et pourquoi," gronda-t-il, "devrais-je me montrer si généreux, l'ami ?"

L'étranger prit une inspiration avant de répondre. "Il semble que, dans ma fatigue, j'ai oublié de me présenter. Mon nom," dit-il l'air imperturbable, alors que ses yeux se levèrent et se plantèrent dans ceux de Maros, "est Randallen Chiddari."

"Ah." Maros le dévisagea. "Alors, je suis content que vous soyez là. Il y a quelques années, oui, cela fait maintenant un bon paquet d'années, on dirait que l'un de nos sabreurs ait été engagé pour se rendre dans le même territoire que là où trois des miens se trouvent en ce moment, pour remplir le contrat de votre mère. Cet homme n'est jamais revenu et j'ai l'intime conviction qu'il avait été engagé par votre mère, ou par l'un des membres de votre famille. Je dois aller lui parler."

Randallen maugréa. "Je n'ai jamais connu ses parents. Ça fait cinquante ans que sa mère est morte et enterrée dans le lotissement familial d'Eihazwood. Quant à ma chère mère, je crains qu'elle ne puisse répondre à aucune de vos questions."

"Non ?" Maros pinça les lèvres. "Et pourquoi pas ?"

"Parce que, mon bon maître tavernier, aux petites heures du matin, elle a perdu tout intérêt pour votre petit accord. Pour parler en toute franchise, elle est morte."

La Cité Ravagée

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