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Chapitre Deux

Dans les Terres Mortes


Jalis était allongée sur le ventre, en appui sur les coudes sur la berge, tandis que Dagra et Oriken remplissaient les outres. Une carte de la région était étalée devant elle. Comme elle l'étudiait, elle secoua la tête. "Aucun des hameaux que nous avons vus ces trois derniers jours n'est marqué ici, juste le vieux ringfort que nous avons passé il y a quelques temps."

"Ça ne me surprend pas," intervint Oriken depuis le ruisseau. "Je ne les appellerais même pas des hameaux, juste un amas de vieilles cabanes délabrées. Et les regards qu'ils nous lançaient, à croire qu'ils nous prennent pour des bandits ou même pire."

"Ce sont des gens simples ici," dit Dagra en quittant la rive pour s'asseoir près de Jalis. "À vivre en bordure des Terres Mortes, ils ont tous les droits de se méfier des étrangers, surtout s'ils n'en voient probablement jamais. Et les armes que nous transportons n'ont rien pour inspirer confiance." Il tapota le vieux glaive qu'il portait à sa hanche. "Pour eux qui ne savent pas reconnaître un sabreur – ou tout simplement un mercenaire – d'un bandit, on se ressemble tous un peu."

Oriken se rapprocha d'eux. Il lança à Jalis son outre remplie. "Nous n'avons pas encore besoin de savoir où nous sommes," lui dit-il. "Selon toutes les histoires que l'on raconte par ici, tant qu'on suit la route on finira par atteindre cette ville." Il enleva son chapeau et s'allongea dans l'herbe, les mains repliées derrière la tête.

"Il ne reste presque rien de la route," bougonna Dagra avec un regard en direction de ce qu'il restait de la Route du Royaume, maintenant envahie de végétation. "Imaginez dans quel état elle pourrait être demain, ou le jour d'après..."

"Route ou pas," dit Oriken, les yeux plongés dans le ciel d'après-midi, "d'après les Tisseurs de Contes, tant qu'on va vers le sud ou l'ouest, on peut pas se tromper. On y arrivera. Et puis on rebroussera sans doute chemin et on rentrera bredouille. C'est presque tentant de s'arrêter camper pendant quelques semaines et de retourner pour les dix pour cent."

Jalis leva le nez de sa carte. "Et risquer de perdre les quatre-vingt-dix pour cent restants ? As-tu donc si peu foi en ce que nous ne trouvions ce bijou ?"

Oriken haussa les épaules. "Je n'ai foi en rien. J'honorerai le contrat, tu le sais. Mais d'après ce que Maros avait dit de Cela, il semble que les corbeaux ont aspiré ce qui lui restait de cerveau. Un nom de famille ! Qui donc a encore ça de nos jours ?" Surprenant le regard de Jalis, il dit : "Bon, d'accord peut-être que toi, tu en as un, et peut-être quelques autres aussi, ceux qui sont venus du continent, mais notre cliente est d'Himaera." Il ricana. "Et elle affirme qu'elle est descendante de Lachyla. Ha !"

Jalis souleva un sourcil. "Et pourquoi ne le serait-elle pas ?"

Oriken grogna et ferma les yeux.

"Il y aurait eu des survivants au fléau," souligna Dagra.

"Que Cela soit folle ou que ce soit nous," dit Jalis, "nous allons traverser le Plateau de Scapa, découvrir cette soi-disant Cité Ravagée et faire de notre mieux pour trouver cet héritage." Elle jeta un coup d’œil à Dagra. "Quelque chose te préoccupe ?"

Il lui lança un regard sombre et resta silencieux quelque temps avant de répondre. "Ouais, quelque chose me préoccupe. Tout d'abord," — il se pencha en avant et frappa la carte du doigt là où le symbole de la Tête de Mort trônait au cœur du Plateau de Scapa — "ça, ça me dérange au plus haut point. Il y a une bonne raison pour que personne ne vienne par ici."

"Ouais, c'est parce que tout Himaera a été abandonnée des dieux," dit Oriken d'une voix endormie. "Nous nous sommes débarrassés du règlement des rois et ce n'était qu'un seul côté de la pièce."

"Ensuite," continua Dagra tout en lui jetant un regard cinglant, "en supposant un instant que toute cette région soit la plus petite étendue sauvage que nous ayons jamais vue, que se passera-t-il si nous trouvons Lachyla ?"

Jalis fourra la carte dans son sac à dos. "Qu'est-ce que tu veux dire ?"

"Dag s'inquiète à propos du cimetière," dit Oriken.

"Un peu que je m'inquiète, oui ! Ça n'est pas convenable de laisser les gens pourrir comme ça. Et on s'attend à ce qu'on entre dans quelque trou dans la terre rempli de toutes sortes de vieux cadavres non sanctifiés ? Ce que je veux dire, c'est qui diable—"

"Je vais te dire qui." Jalis se redressa et le regarda droit dans les yeux. "Trois sabreurs qui ont tout le mal du monde à trouver de quoi survivre. L'argent se fait rare, et nous serions complètement idiots de refuser un tel contrat. On a de la chance que Maros nous ait prévenus. Il n'avait pas à le faire."

"Nous avons nos chambres à la taverne grâce à Maros", souligna Oriken. "Et la nourriture grâce à la guilde elle-même."

"Quand bien même. Les contrats ces derniers temps ont été minables." Jalis se remit agilement sur pied. "Nous n'avancerons à rien à discuter ici. On a encore quelques heures avant la tombée de la nuit, alors continuons."

Avec un grognement, Dagra se remit sur ses pieds, attrapa son paquetage et le balança par dessus son épaule. Alors qu'il reprenait la route, Jalis lui emboîta le pas et lança un regard en direction d'Oriken qui se trouvait en appui sur ses coudes.

"Juste au moment où je me mettais à l'aise," cria-t-il.

Elle lui fit un clin d'œil et se tourna vers Dagra. "Ça fait cinq ans et il n'a pas changé d'un poil."

Dagra ricana. "Cinq ans ? Même après vingt-cinq ans. L'homme est aussi paresseux que l'était le garçon mais si je devais descendre dans la Fosse elle-même, je ne voudrais personne d'autre à mes côtés. Et toi aussi, bien entendu."

Jalis sourit. "Il en va de même pour moi, l'ami." Puis une sombre pensée lui vint. Descendre dans la Fosse. J'espère, au nom de quiconque nous entende, que ce n'est pas où nous allons.

Alors que la nuit s'épaississait, ils aperçurent, en retrait de la route et nichés au bord d'un grand bosquet d'arbres, un chapelet de quatre chalets en pierre et en bois et quelques granges et dépendances éparpillées autour. Les bâtiments semblaient intacts mais couverts de mousse, et des herbes et quelques fleurs poussaient maintenant sur les toits. L'endroit semblait complètement abandonné. Et si l'endroit était encore habité, il n'y avait aucune trace de soins ni d'entretien.

"On dirait qu'on a trouvé un abri pour la nuit," dit Oriken.

Jalis n'en était pas aussi sûre. "Si ces maisons ont l'air aussi délabrées à l'intérieur qu'à l'extérieur, on ferait tout aussi bien de dormir à la belle étoile."

Dagra grogna. "Bah, nous allons bientôt le savoir." Il accéléra l'allure, forçant ses courtes jambes à faire de grandes enjambées en direction du chalet le plus proche. Tout en toquant à la porte, il appela : "Il y a quelqu'un ?"

Oriken rejoignit Dagra. Il rigola et tapa son ami sur l'épaule. "Dag, si quelqu'un vit ici, leurs provisions doivent être exceptionnelles. Cette porte n'a pas été ouverte depuis des années." Du doigt il pointa les pissenlits qui croissaient en touffes sur les bords de la porte, ainsi que le lierre intact qui cheminait le long du cadre et à travers la porte. Il tendit la main vers la poignée et la tourna ; la porte s’entre-bailla d'un pouce vers l'intérieur et une puanteur de moisi s'en échappa. Dagra froissa le nez de dégoût.

"Ça a besoin de prendre un peu d'air," remarqua Oriken. "Tout ira bien." Il enfonça la porte d'un coup d'épaule. Les branches de lierre cassèrent et la porte racla sur le plancher, les gonds gémissant jusqu'à ce que la porte heurte le mur. Ils furent accueillis par l'obscurité, imprégnée d'une odeur fétide et nauséabonde qui fit reculer Oriken d'un pas. "Ou peut-être que non," dit-il avec un haussement d'épaules.

Sur la droite de la pièce vide et poussiéreuse se trouvait une entrée vers une deuxième pièce. Oriken s'y rendit et jeta un coup d'œil à l'intérieur. "Hmm."

Jalis s'arrêta au centre de la première pièce. "Qu'est-ce que tu vois ?"

Oriken clignait des yeux dans l'obscurité. Puis, il eut l'air décontenancé. "Oh."

"Par la Fosse, qu'est-ce que tu veux dire Oh ?" Dagra grommelait alors qu'il se réfugia derrière Jalis. "Qu'est-ce qu'il y a là-dedans ?"

"Des toiles d'araignée." Oriken se tourna vers un jeu de volets derrière lui et ouvrit celui de gauche, faisant ainsi pénétrer un peu de la lumière du soir.

Jalis ne pouvait apercevoir ce qu'Oriken voyait mais quand elle le vit sortir de la deuxième pièce, les yeux plissés et secouant la tête, elle sut qu'ils ne passeraient pas la nuit là.

"On devrait aller voir une autre maison," suggéra Oriken, un regard appuyé en direction de Dagra.

"Allez, sois pas une mauviette." Dagra passa devant lui.

"Euh, Dag, à ta place—"

Dagra entra dans la pièce et jeta un coup d’œil sur le côté. Un air horrifié envahit son visage et il recula contre le cadre de la porte. "Par les dieux de l’Au-Dessus et de l’En-Dessous !" Il s'éloigna en titubant et s’engouffra entre Oriken et Jalis pour disparaître par la porte d'entrée. "Bordel !" cria-t-il. "Tu aurais pu me prévenir !"

"J'ai essayé !"

"Le prévenir de quoi ?" demanda Jalis.

Oriken haussa les épaules. "Comme je l'avais dit, il y a des toiles partout. Je ne les ai vues qu'après avoir ouvert le volet. Il y en a sur le cadavre, ça le recouvre comme un linceul."

"Oriken ! Tu sais comment est Dagra avec ça !"

"Oh, oui ? Et moi alors ? Il y avait une grosse araignée qui rampait sur le visage du cadavre." Il s'éloigna en frissonnant. "Je déteste les araignées !"

"Et je déteste les surprises !" cria Dagra de l'extérieur.

Tout en souriant, Jalis jeta un coup d’œil dans la pièce adjacente. Son sourire s'évanouit quand elle aperçut un morceau de parchemin sur le bras de la chaise où le cadavre était affaissé. Elle s'en approcha et brossa les morceaux de toile qui y étaient accrochés, prit le papier et souffla la poussière accumulée dessus. Après avoir lu le morceau de papier, elle le replaça à côté du cadavre et regarda le visage desséché avec une touche de sympathie.

"Nous vous laissons en paix," dit-elle à voix basse. "Désolée de vous avoir dérangé." Elle quitta le bâtiment et observa ses compagnons qui se disputaient. "Vous savez," fit-elle remarquer, "j'ai parfois l'impression d'être une nourrice dans un orphelinat plutôt qu'une femme d'épée chez les Sabreus de la Guilde." Alors que les deux hommes marmonnaient leur désaccord, elle pointa la porte ouverte de son pouce par-dessus son épaule. "Ce gars-là est resté alors que tous ses voisins avaient décidé de partir. Il a refusé de se joindre à eux. Au lieu de cela, il est resté ici et est mort seul en toute dignité, ou du moins ce qu'il en croyait. C'est si triste de constater que quelqu'un se soucie plus de son petit lopin de terre que d'une meilleure chance de survivre ailleurs."

Les hommes la regardèrent avec un air absent avant de reprendre leur dispute. Avec un soupir, Jalis les planta là. "Je vais aller vérifier la maison d'à côté. Araignées ou cadavres, restez derrière moi les garçons. Maman vous protégera."

"T’es un enfoiré," entendit-elle Dagra dire à Oriken alors qu'elle se dirigeait vers la demeure la plus éloignée.

"J'ai essayé de te prévenir," rétorqua Oriken. "Mais, non, il a fallu que tu débarques en héros. Tu croyais que c'était juste des araignées, c’est ça ? Tu voulais me faire passer pour un trouillard. Espèce de nain stupide."

"De nain ? Je peux te mettre sur le cul en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, espèce de bâtard dégingandé."

"Ah ouais ? Et pourquoi pas tout de suite ?"

"Les enfants !" leur cria Jalis alors qu'elle atteignait l'autre chalet. "Vous allez vous tenir mieux que ça, sinon je vous jure que je vous la mets, cette fessée !" Elle observa leurs expressions abasourdies, puis se tourna vers le chalet et, d'un coup de talon, en fit céder les portes. Les charnières cédèrent et les battants s'ouvrirent vers l'intérieur. Les mains à portée de ses poignards, elle s'avança dans l'obscurité et attendit que ses yeux s'ajustent. Les sombres contours de quelques meubles se dessinaient dans la pièce simple ; il y avait une cheminée sur le mur opposé, une palette sur un côté et un garde-manger de l'autre. Elle vérifia rapidement que rien de mort ne traînait dans les coins – à l'exception d'un squelette de rat dans la cheminée – et qu'il n'y ait pas trop de toiles d'araignée.

Dagra et Oriken entrèrent, l’air penaud.

Elle leur lança un regard impavide. "La voie est libre. Vous êtes en sécurité."

Quelques minutes plus tard, alors qu'Oriken s'affairait à allumer un feu dans la cheminée, Jalis s'assit sur une chaise branlante et regarda Dagra. L'homme barbu se tenait debout au milieu de la pièce, les yeux baissés sur le sol couvert de poussière. Il était visiblement encore secoué.

Il leva les yeux et croisa son regard. "N'y a-t-il donc rien qui te dérange ?" demanda-t-il. "Mêmes les hommes ou les femmes les plus coriaces ont une faiblesse. Ça fait cinq ans qu'on te connaît et je ne t'en connais aucune."

"Il y a une chose dont j'ai peur," admit-elle. "C'est de perdre."

"Perdre quoi ?"

Elle le regarda tout droit. "Les gens que j'aime."

Il poussa un grognement et sa barbe se fendit d'un sourire forcé mais chaleureux. "Eh bien, il est peu probable que tu ne nous perdes de sitôt. Pas à moins qu'une araignée monstre ne descende par la cheminée et n'avale Orik."

"Ou," dit Oriken tout en frappant un silex contre une pierre à feu, "à moins que le cadavre dans la maison là-bas ne vienne dans la nuit pour réclamer Dag à la porte."

Dagra s'emporta contre lui. "Il a fallu que tu le dises, hein ?"

"Je suis sérieuse," leur dit Jalis. "Nous allons vers l'inconnu et je déteste ne pas savoir. On a failli perdre Maros cette année. La formidable équipe de quatre est passée à trois et nous pouvons nous considérer chanceux de nous en être sortis."

"C'est vrai," acquiesça Dagra. "Ça, nous le sommes."

"C'est un métier dangereux." Jalis se leva, dégrafa son matelas de son paquetage et le déroula sur la palette. "C'est vrai, en onze ans au sein de la guilde, je n'ai vu qu'une poignée de sabreurs mourir pendant un contrat. La plupart était des compagnons, ou moins que ça." Elle jeta une couverture sur son matelas puis se retourna vers les deux hommes. "Statistiquement, plus vous gravissez les échelons, moins vous risquez de mourir comme sabreur ; vous êtes en chemin pour devenir maîtres-lames au cours des deux années qui viennent mais bon, vous n'y êtes pas encore, alors, pas d'arrogance. Et pour l'amour du ciel, essayez de contrôler vos réactions. Dag, dans ta panique, tu aurais pu aveuglément courir depuis ce cadavre et te jeter dans les mâchoires d'une créature bien vivante. Comment expliquerais-tu ça aux Dyades dans l'au-delà ?"

Dagra gonfla ses joues et souffla. "C'est noté."

"Et Oriken, il y a peu d'araignées hostiles à Himaera. Tu devrais voir celles de Sardaya. Avec des gros corps boudinés et rayés de rouge et de blanc. Une morsure et on finit boursouflé comme un cadavre mûr." Oriken et Dagra marmonnèrent à l'unisson et, dans la sombre lumière du crépuscule, Jalis crut voir leurs visages prendre une teinte plus pâle. "Voyez comment ceci est facile ?"

"Facile et inutile." Oriken se concentra sur les outils qu'il avait à la main et recommença à frapper sa pierre à feu sur les brindilles.

"Sans parler des Danseurs de Pierre qui infestent les Terres Plates de Ghalendi," poursuivit Jalis en hochant la tête vers Oriken. "Les adultes font la moitié de ta taille. Et ils peuvent abattre une araignée d'un simple coup de leurs jambes dotées de lames. Sans armure et une bonne arme assez lourde pour les écraser, une seule de ces arachnides pourrait régler ton sort en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire."

Oriken lui tourna le dos. "Tu inventes, là."

"Alors, tu l'allumes ce feu ou non ?"

Avec un grognement, il redoubla d'effort. "Ce maudit bois n'est pas des plus secs. Et alors, tu as déjà vu une de ces créatures ?"

"Non, mais je connais des gens qui en ont vu. Il y a peut-être un tout petit peu d'embellissement autour mais je ne doute pas de l'existence des Danseurs de Pierre. Mon propos est que ta peur n'est pas naturelle. Les petites araignées d'ici ne peuvent pas te faire du mal."

"Ce n'est pas ça qui m'énerve, c'est leur façon de— Voilà !" Une petite flamme se matérialisa sur les brindilles. Oriken souffla dessus doucement et le feu prit, radiant une lueur d'ambre dans la grisaille de la salle. "Ce qui m'énerve avec les araignées, c'est leur aspect et la façon dont elles bougent. Des créatures dégoûtantes." Il s'entoura de ses propres bras et se les frotta. "On peut changer de sujet ?"

"Chut !" Dagra leva la main pour faire silence.

"Quoi ?" dit Oriken, après un moment. "Je n'entends que des grincements de bois."

"Là, à nouveau." Dagra gardait sa voix basse. "Pendant que tu étais en train de parler."

Jalis attrapa son ceinturon sur la table à côté d'elle. "J'ai entendu." Encore faible mais immanquable, un cri de meute. "Des cravants. Dag, ferme la porte. Orik, aide-moi à pousser le garde-manger contre la porte." Elle attacha son ceinturon autour des hanches et s'avança vers le meuble imposant. Alors qu'Oriken prenait position à ses côtés, Dagra referma les portes du chalet ainsi que les volets en toute hâte. Jalis et Oriken s'abaissèrent derrière le garde-manger et placèrent leurs épaules contre le meuble. Puis, ils se mirent à pousser mais rien n'y fit. Plantant ses pieds plus fermement, Jalis mit tout son poids dans l'effort et sentit Oriken en faire de même. Le garde-manger racla et grinça sur le plancher, son contenu cliquetant à chaque poussée. Assez vite, ils parvinrent à le coincer fermement contre la porte.

"Il faut qu'on renforce les volets !" Dagra scanna des yeux le contenu de la pièce.

Jalis secoua la tête. "Il n'y a rien."

Oriken tordit le bord de son chapeau. "En général, les cravants laissent les humains tranquilles, mais ici, au-delà des dernières terres habitées..."

"C'est leur domaine," dit Dagra d'un air sombre. Les cris des créatures se faisaient de plus en plus pressants. Il tira son glaive. "Ils sont sortis des bois."

"Ils nous ont entendus et maintenant ils ont trouvé notre odeur." Jalis sortit leur mini arbalète de son paquetage. "Si nous restons silencieux, il se pourrait qu'ils s'en aillent après un moment."

Mais les volets sans renforts constituaient le point faible de la défense du chalet. Jalis chargea et arma l'arbalète, puis se tint prête derrière les deux hommes alors que ces derniers prenaient position près des volets. Ils attendirent en silence, écoutant les cravants bondir à travers la clairière, leurs cris gutturaux résonnant vaguement comme ceux des singes propres à l'extrême sud de l'Arkh. Jalis pouvait les imaginer dehors, leurs mâchoires proéminentes armées de chaotiques amas de crocs et cette deuxième paire d'yeux plus petits, telles des billes d'obsidienne sur les côtés de leur tête. Le cravant était une bête hideuse mais en dépit de son apparence, Oriken avait raison, ces primates qui chassaient en meute avaient tendance à éviter les humains, préférant rester invisibles et à couvert dans les profondeurs des bois. Mais ici, aux confins du Plateau de Scapa, il était possible que ces cravants n'aient jamais vu d'humains, les habitations les plus proches se trouvant à une demi-journée de marche vers le nord.

Quelque chose s'écrasa à l'extérieur et Jalis imagina les créatures se précipitant dans la première des maisons, suivant l'odeur des hommes mais ne trouvant qu'un cadavre mort depuis longtemps. Le bruit étouffé des pieds et des poings martelant le sol s'approcha du chalet et, malgré elle, Jalis tressauta lorsque des poings s'abattirent contre la porte, le bois partant en éclats lorsqu'il heurta le garde-manger. Les cravants rugissaient, sentant la proximité des sabreurs.

Le meuble bougea d'un pouce. Au-delà du seuil, la créature assaillante grogna de frustration et frappa plus fort contre la porte. Une charnière explosa de son support et une étroite ouverture apparut. Au travers, Jalis vit un corps massif recouvert d'une masse de poils noirs. Le cravant était de la même taille que Dagra, un peu plus court que Jalis. Un œil noir et rond scruta à l'intérieur puis le cravant se mit à rugir.

Jalis décocha son carreau. C'était un bon tir. Le projectile traversa l'ouverture et se ficha directement dans la gueule de la créature. Elle hurla de douleur et s'éloigna en titubant. Une autre prit sa place et Jalis réarma son arbalète.

D'un regard, Oriken lui enjoignit d'attendre, tandis qu'il alla rapidement planter son sabre entre la porte et le cadre, portant plusieurs coups dans la masse du cravant. La créature rugit et frappa le cadre de la porte de son coup de poing recouvert de pelage gris. Les serres épaisses qui formaient ses doigts se glissèrent dans l'ouverture. D'un coup, Oriken abaissa son sabre, faisant une profonde entaille dans les doigts de la créature et en amputant un. La créature en furie retira sa main et lâcha un rugissement monstrueux. Oriken battit en retraite et Jalis décocha son carreau. Le primate poussa un grognement et tomba à terre. Dehors dans la clairière, de sombres masses en mouvement convergeaient vers le chalet.

Des poings claquèrent contre les volets. De la poussière s'échappa des fissures entre les planches. Dagra prit du recul et brandit son glaive alors que les volets partirent en éclats. La forme sombre d'un cravant emplit l'ouverture, sa poitrine bandée de muscles ondulait alors qu'il leva les bras et poussa un rugissement.

Jalis prit un autre carreau et le fit glisser dans l'arbalète, tout en observant la créature levant son bras et se préparant à balayer Dagra d'un coup. Armant l'arbalète en toute hâte, elle appuya sur la détente et le carreau partit s'enfoncer dans l'un des quatre yeux de la créature. Dagra s'esquiva et planta son glaive dans le bras qui s'élançait vers lui. Le cravant s'empara de son visage, arrachant le carreau de son œil.

Il n'y avait pas grand-chose que Jalis pût faire à part charger l'arbalète, mais elle avait un nombre limité de carreaux. Il n'y avait pas non plus assez de place à la fenêtre pour que les deux hommes puissent y assurer une bonne défense sans risquer de se blesser l'un l'autre. Il leur fallait une nouvelle tactique.

"Du feu !" cria Jalis. "Il y a une vieille torche sur le mur."

Oriken se précipita. Il s'empara de la torche et en plongea la tête dans l'âtre maintenant en feu. Les flammes prirent et il courut vers Dagra alors que le cravant blessé se préparait à une attaque. Alors que la bête se concentrait sur Dagra, Oriken lui planta la torche en feu dans le visage. Elle émit un hurlement perçant et se jeta dans la poussière pour tenter d'éteindre les flammes. Alors qu'elle se remettait sur pied, Jalis lui tira un carreau dans la tête. Le cravant hurla et s'éloigna en chancelant, fit plusieurs pas en titubant à travers la clairière, puis s'effondra au sol. Les hurlements se firent plus rares, de même que les mouvements de la créature, ce qui permit aux flammes de se propager.

Les autres cravants se recroquevillèrent dans les ténèbres, leurs yeux noirs scintillant comme des billes de feu. L'un d'eux tenta de s'approcher et Oriken brandit sa torche en sa direction. Les flammes lui léchèrent le bras et le cravant balaya la torche d'un coup, faisant tomber la tête et expédiant le brûlot rouler sous la palette fourrée de foin.

Alors que la puanteur de pelage brûlé et de chair rôtie s'engouffrait à travers les ouvertures, Dagra planta son glaive dans l'épaule de la créature. Elle alla s'affaler en arrière contre son compagnon à terre. Les flammes qui consumaient la première s'emparèrent de la seconde et, dans un cri d'agonie, elle sauta sur ses pattes et partit en bondissant vers le reste de la meute, les envoyant tous vers les bois. Le cravant en feu boita autour du chalet et les cris de la meute s'évanouirent alors qu'ils disparaissaient vers les profondeurs des bois.

La palette était en feu, de la fumée envahissait la pièce. Oriken avait sauvé son paquetage et son matelas juste à temps et il s'occupait du reste de leur équipement.

"Par les volets," cria Dagra, en hurlant en direction de Jalis et d'Oriken. "Maintenant !"

Ils s'emparèrent de leur paquetage et Jalis grimpa à travers les volets derrière Dagra. Il n'y avait aucun signe de la meute de prédateurs, à l'exception de celui qui était maintenant immobile au sol, quelques flammes parsemant son dos. Oriken se hissa à travers les volets ouverts, haletant de douleur alors qu'il glissa son sabre dans son fourreau.

"Tu saignes," dit Jalis.

Il jeta un coup d'œil à la déchirure de sa chemise sur son avant-bras. Attrapant la manche, il la déchira de l'épaule et se l'attacha autour de sa blessure. "Je m'occuperai de ça plus tard. Pour l'instant, il faut qu'on s'éloigne d'ici."

Alors que les trois couraient vers la Route du Royaume, Jalis pensa avec amertume : Une balade à la campagne. Au-dessus d'eux, le ciel brillait de pans étoilés pendant que, derrière eux, l'enfer du chalet en flammes rugissant dans la nuit s'éloignait dans le lointain et qu'ils s'enfuyaient à travers la bruyère.

La Cité Ravagée

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