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Quatrième Ère, l'an 693, Saison de Vur Troisième semaine de Banaeloch

Chapitre Un

Le Contrat Chiddari


L’épreuve touche à sa fin. Cette pensée remplit Maros d'un honteux sentiment de triomphe alors qu'il contemplait son dernier défi. Au bout de la clairière, les fenêtres fermées du cottage lui offrait au regard un désintérêt prodigieux.

"Encore une centaine de mètres. Allez, secoue-toi," s'exhorta-t-il. Il planta ses béquilles dans le sol et une fulgurante douleur lui traversa la jambe. Serrant des dents, il s'engagea dans la clairière. Peu à peu, Maros finit par couvrir la distance qui le séparait du cottage, avec force grognements et autres invectives tout le reste du chemin.

"J'aurais dû envoyer un coursier," souffla-t-il. "Il y a encore un an, j'aurais pu faire ça en moins d'un quart de tout ce temps et livrer combat tout de suite après. Maintenant ?" Il aboya un rire ironique. Suant comme un cochon.

D'une grande enjambée, il parvint au bout de son chemin et étouffa un rugissement de jubilation. Son visage n'était qu'un masque de sueur, des rigoles s'écoulant jusqu'au sol poussiéreux baigné de soleil, vite asséchées sous le soleil de midi. Devant la porte, pour se donner une contenance, d'un regard en coin il surveilla le hameau en forme de croissant et au bout duquel une femme d'âge moyen était occupée à étendre son linge tout en le scrutant par-dessus les draps. Il dirigea son regard vers deux jeunes filles au milieu de la clairière. Sentant le regard perçant de Maros, elles cessèrent leur jeu de saute-mouton et le dévisagèrent avec une horreur non feinte. Il leur fit un grand sourire et celles-ci s'enfuirent vers la forêt toute proche.

Il secoua la tête. Les gens du hameau de Balen quittaient rarement leur pittoresque petit microcosme. Ils n'avaient pas l'habitude de voir quoi que ce soit qui sorte de l'ordinaire. La femme le prenait sans aucun doute pour un monstre de la nature ou, pire encore, une créature à plaindre, maudite par les dieux. Sa jambe estropiée n'arrangeait pas les choses. S'ils avaient jamais entendu parler de Maros la Montagne, ils ne le reconnaîtraient certainement pas dans cette créature épuisée, mi-homme, mi-jötunn à la porte du cottage l'homme dont on chuchote dans ces contes. Sa réputation appartenait au passé. Aujourd'hui, il était à peine plus qu'un gratte-papier gigantesque.

De son avant-bras, il s'essuya le front et frappa à la porte des jointures de ses doigts. Des bruits étouffés de pieds traînant au sol se firent entendre et la porte s'ouvrit sur une femme vieille et décharnée. Un regard embué, au milieu d’un visage austère marqué de rides, le dévisagea. Elle le regarda des pieds à la tête, le sourcil froncé à la vue de ses béquilles et de sa veste trempée de sueur.

"Je suppose que le boucan que j'ai entendu d'ici, c'était vous ?" dit-elle. "On aurait pu croire que l'on abattait un bœuf. Par Verragos, qu'étiez-vous en train de faire ?"

"Je..." Étouffant un soupir, Maros désigna d'un geste vague le sentier au creux des bois derrière lui. Bravo ! Montre à la vieille dame comment tu sais traverser un terrain plat et dégagé. Comme ça, tu peux être sûr de l'impressionner.

"Hmmm... peu importe. Je dois dire que je n'en ai pas vu beaucoup de votre genre depuis des dizaines d'années."

Il fronça les sourcils. "De mon genre comment ? Un homme ? Un infirme ?"

"Un sang-mêlé." Ses yeux chassieux se rétrécirent, ne laissant que deux fentes. "Eh bien, que voulez-vous ? Je n'ai pas toute la journée."

"Je... euh..." Il se racla la gorge. "Un plaisir de faire votre connaissance. Maros. Officier des Sabreurs de la Folie de l'Aulne. Puis-je parler à Cela, euh..." Il farfouilla dans la poche de sa veste et en retira une feuille de papier moite de sueur et la porta à son visage. "Cela Chiddari ?"

"Vous pouvez. Officier, vous dites ? Mémoriser les noms de famille n'est votre fort, on dirait ? Hmmm. Eh bien, puisqu'ils m'ont dépêché le plus haut gradé, je suppose que je devrais me sentir honorée."

Le plus haut gradé s'est dépêché lui-même, vieille cinglée. Maros s'efforça d’offrir un sourire sympathique. "Je suis sûr que tout le plaisir est pour moi."

"Permettez-moi de vous remercier d'avoir répondu à ma convocation. Comme vous pouvez le voir, je ne suis pas du tout en état de faire toute la route jusqu'à la Folie."

Convocation ? Son sourire s'effaça. "Je ne fais pas dans les visites à domicile en personne mais quand j'ai lu votre lettre portée par le courrier, je me suis préparé à faire une exception."

"Je n'en doute pas." Cela lança un regard au-delà de la porte vers la maison de son voisin, de l'autre côté du croissant. "Vous feriez mieux d'entrer, jeune homme," murmura-t-elle, tout en reculant vers l'intérieur de la lugubre maison. "Notre discussion n'est pas destinée aux oreilles indiscrètes."

Maros se pencha plus bas sur ses béquilles et franchit le seuil. Il referma la porte d'un coup de talon et plissa des yeux, la pièce étant plongée dans l'obscurité. Quelques minces rais de lumière filtraient entre les volets fermés. Une vieille odeur de moisi flotta jusqu'à ses narines. Il étouffa une quinte de toux et regarda la vieille femme squelettique s'installer dans le fauteuil à côté du foyer vide. Alors qu'elle ajustait sa posture pour être assise bien droite, il l'imagina tomber sur le tapis en un poussiéreux tas d'os.

"Prenez donc un siège, sabreur." Elle fit un geste vague de la main. "Là où bon vous semble."

Maros balaya les sombres amas de meubles du regard, à la recherche de ce qui pouvait faire office de siège assez solide, puis boita jusqu'à un banc adossé au mur opposé à la cheminée. Il s'y assit lentement, étouffant un soupir tandis que les douleurs de sa jambe diminuaient.

"J'ai entendu dire que vous faites tourner la taverne d'Alderby à sa place," dit Cela sur le ton de la conversation.

"En effet."

"Vous êtes à la tête d'une guilde et d'une taverne. Ça fait beaucoup à gérer."

"Non, pas pour moi. Pour être honnête, c'était une aubaine que le vieil Alderby meure si peu de temps après mon... accident." Maros posa sa main sur son genou. "C'était triste, pourtant. La taverne avait toujours eu l'un ou l'autre Alderby à la barre."

"C'est ce que j'ai cru comprendre. Bien, parlons peu, parlons bien." Les yeux de Cela n'étaient plus que des reflets dans l'obscurité. Un mince sourire traversa son visage flétri. "Parlons affaires."

"Oui, parlons affaires. Même la banque de Brancosi lèverait le sourcil devant le montant de la prime que vous offrez. Sans vouloir vous offenser, Madame, quand je regarde ce cottage, je ne trouve rien ici qui vaille cinq cents pièces d'argent."

"Vous auriez raison, si c'était ma maison que je mettais à prix. Vous aurez vos pièces d'argent, sabreur, rassurez-vous. Mes économies ne me serviront à rien à moins que vous n'obteniez ce qui revient de droit aux Chiddari."

"Bien," dit Maros avec prudence. "D'où vous vient votre nom de famille, sachant que cette pratique est tombée en désuétude depuis des siècles ?"

Cela poussa un rire aigu et brandit un doigt en sa direction. "Que de questions, sang-mêlé, que de questions. Tenons-nous en à ce qui nous préoccupe, voulez-vous ?"

"C'est de bonne guerre. Le montant de la prime mis à part, votre lettre était pour le moins vague..."

"Et pour une bonne raison. Je suis sûre que vous saurez appréciez la délicatesse de l'information."

"Je vous en prie, dites-moi ce que vous voulez de la guilde, ensuite je vous répondrai."

"L'héritage de ma famille a été usurpé pendant de nombreuses générations." Cela le regarda intensément. "Perdu... Et pourtant je connais l'endroit exact où il se trouve. Il est dans un cimetière datant de l'époque où les morts étaient encore enterrés intacts."

"Ces lieux ont été engloutis sous le désert. Il ne reste pratiquement rien des anciens royaumes."

Cela retrouva son mince sourire. "À l'exception, bien entendu, d'un seul endroit."

"Attendez, attendez. Écoutez-moi bien. Si vous dites ce que je pense que vous dites, alors vous me demandez d'envoyer des sabreur dans le territoire de la Tête de Mort."

"Je ne demande pas. Je vous offre un contrat moyennant une grande récompense. Si vous ne voulez pas du travail, j'irai trouver des mercenaires à la renommée un peu moindre..." Elle remua dans sa chaise tout en gardant sur lui un regard perçant.

Sans aucun doute une mission vouée à l'échec, pensa-t-il. Mais pour une prime de cet ordre... "Je dois vous rappeler que la guilde s'attaque à de vrais problèmes, pas à des légendes. Il n'y a qu'un cimetière qui n'ait jamais été exploré. Si c'est de celui-là dont il s'agit, alors arrêtons de tourner autour du pot. Où exactement se trouve cet héritage?"

Cela soupira. "Dans une crypte dans les Jardins des Morts à Lachyla, la Cité Ravagée."

La dernière once de politesse de Maros s'évapora et il rigola à gorge déployée. "Je le savais ! Que je comprenne bien. Vous voulez que mes gars et mes filles traversent une vaste région abandonnée des dieux et des hommes depuis des siècles. Vous attendez d'eux qu'ils risquent leur vie à passer le cimetière d'une ville maudite au peigne fin à la recherche d'un soi-disant trésor que vos ancêtres auraient laissé moisir au fond d'une crypte ?" Il renâcla. "Madame, soit vous avez perdu la tête, soit…"

Cela le dévisagea dans un silence de pierre.

Soit vous êtes sérieuse. Il secoua la tête, le regard penché vers le plancher, un sourire amusé sur le visage. "Bon, cet héritage, il ressemble à quoi exactement ?"

"C'est une pierre précieuse."

"Mais encore. Quiconque prendra le boulot, il devra savoir ce qu'il doit chercher."

"Personnellement, je ne l'ai jamais vue. Tout ce que je sais c'est qu'elle est décorée de runes funéraires et que c'est une pierre plus grande que la normale. Il la trouveront dans la tombe de mon ancêtre le plus ancien."

"Et qui est-il ?"

"Aucune idée," dit Cela brièvement. "Connaissez-vous votre lignée, sang-mêlé ?"

"Bien," soupira Maros. "Alors, on a une pierre de description inconnue, près d'une tombe au nom inconnu. Avez-vous idée de l'étendue qu'on prête à ce cimetière ? Ils pourraient y consacrer des jours entiers et ne pas trouver votre pierre. Il va me falloir plus, sinon ça ne marchera pas."

"Oh, j’ai ce qu’il faut." Cela s'approcha de la table à côté d'elle et ramassa un morceau de vélin plié en carré. "Ceci n'est qu'une esquisse mais c'est assez précis."

"Qu'est-ce que c'est ?"

"Une carte des Jardins des Morts."

Maros étouffa un rire. "Par Verragos, où donc avez-vous dégoté ça ?"

"Là n'est pas la question, sabreur. Il y a là toutes les informations à ma disposition. Prenez votre décision."

Il la regarda posément et envisagea les hypothèses. Si l'on brûle les morts de nos jours, c'est dû à ce qui s'était passé à Lachyla. Il n'y avait pas d'endroit plus entouré de mythes et de superstition que cette ville et son cimetière dans tout Himaera. Mais qui sait vraiment ce qui se trouve au fin fond de ces Terres Mortes ? Peut-être que la légende dit vrai, peut-être pas. Quoi qu'il en soit, ce genre de prime ne pouvait être qu'une aubaine. Et ma part ne serait pas des moindres. Sans parler de la réputation qui remettrait la guilde au haut du pavé. "D'accord," dit-il. "Tranchons. Montrez-moi le dari."

Cela tira une fine chaîne de l'encolure de son chemisier. Elle fit tourner l'une des extrémités du pendentif rectangulaire puis lui tendit l'une des moitiés. L'intérieur en avait été façonné comme une clé. Elle pointa du doigt un piédestal en bois de fer dans le coin de la pièce sur lequel un caisson était solidement boulonné. "Ouvrez-le," dit-elle.

Maros se leva du banc sur lequel il était assis. Il ouvrit le coffre et laissa échapper un sifflement à la vue des pièces d'argent nettement empilées.

"Cinq cents en tout, comme promis, et pas une seule pièce de cuivre." La vieille femme poussa un soupir. "Je crains qu'il n'y ait que peu de temps à perdre, alors dites-moi maintenant, marché conclu ?"

Maros se lécha les lèvres et lui lança un regard oblique. "Lachyla, vous dites. Bien. Je suppose que ce n'est vraiment qu'une légende…"

Cela Chiddari sourit. Le peu de lumière accentuait les creux de son visage et, pendant un moment, elle ressemblait au symbole de la tête de mort elle-même. "Bon état d'esprit, sabreur," susurra-t-elle. "Quelle bravoure. Félicitations, le travail est à vous. Et maintenant, retrouvez-moi mon héritage."


Jalis leva les yeux des cartes qu'elle avait en main et poussa distraitement un soupir. Les murs en pierre de la salle commune bourdonnaient du bavardage et du caquetage des clients de la taverne. Une serveuse passa en vitesse, emportant des assiettes vides à la cuisine. Derrière le bar, Jecaiah était occupé à remplacer un baril vide en prévision de l'affluence des clients du soir.

Elle se concentra à nouveau sur ses cartes. Sa meilleure carte était l'Arkhus mais elle ne valait rien à côté des autres. Le mieux qu'elle eut à faire était une quinte basse dans les Artisans. Elle jeta un regard à ses deux compagnons. Dagra attendait patiemment, essuyant d'un mouchoir sale la mousse de bière qui collait à sa barbe clairsemée. De l'autre côté de la table, Oriken se grattait la joue, ses yeux fixes alors qu'il la regardait par dessous le bord de son chapeau.

"Orik," dit-elle, attirant son attention. "Mon visage est ici."

"Hein ? Ah." Il se racla la gorge. "Ben alors, vas-y ! C'est ton tour. Tu ne fais que retarder la victoire de Dag et tu sais combien il aime compter ses sous."

"Va te faire foutre," dit Dagra.

Jalis jeta un coup d’œil au sablier posé sur la table et regarda les derniers grains s'écouler.

"Le temps est écoulé", dit Oriken.

Elle jeta ses cartes sur la table. "Je me plie."

"Pourquoi ?" Dagra fronça les sourcils à la vue de ses cartes. "Tu avais de quoi faire là."

"Ouais, je le sentais pas," dit-elle. "Que tu gagnes ou que tu perdes, il faut savoir s'arrêter."

Oriken ramassa les cartes et les empila. "Et si on faisait une partie de Cinq Saisons ?"

"Pas maintenant, Orik."

"Bien, très bien." Il poussa un soupir et jeta un regard vers les portes battantes à l'entrée de la salle. "Je vais peut-être sortir me faire un petit tobah."

Jalis pencha la tête en sa direction et le fixa du regard. "Tu n'es pas censé arrêter ?"

"Hmm. Ouais. Bon, qu'est-ce qu'on fait alors ?"

Elle haussa les épaules. "Nous devrions peut-être prendre un contrat."

Dagra ricana. "Non mais, vous avez vu le tableau de la guilde ? Des travaux à peine dignes d'un débutant ! Les bons trucs sont pris très vite et, de ceux-là, il n'y en a pas eu depuis des semaines. Croyez-moi, si un bon contrat se pointe, je serai le premier à le prendre et à quitter cette taverne."

Jalis hocha la tête. "Il y a tant d'autres choses que je préférerais faire en ce moment. Ce n'est vraiment pas la joie de vivre ici mais c'est toujours mieux qu'à la maison de la guilde." Elle jeta un coup d’œil vers l'avant de la salle commune. Un rayon de soleil brillait au-dessus des portes. Au-delà, le ciel bleu tendait ses bras. "Nous ne devrions pas gâcher nos journées à attendre qu'un bon travail se présente. Nous devrions être là-bas, dehors."

Oriken renifla. "Je suis d'accord avec toi mais si on commence à aller se balader dehors, on pourrait perdre notre chance de décrocher un bon contrat."

Elle porta sa coupe à sa bouche et avala une gorgée d'eau. "Ne me méprenez pas," dit-elle. "J'adore votre compagnie, les gars, mais nous sommes des sabreurs, nom dans lequel il y a le mot sabre."

"Le problème, c'est qu'on est trop bon dans ce que nous faisons," dit Oriken.

Dagra hocha la tête en signe d'assentiment. "Entre nous et le reste de la branche, nous avons pratiquement débarrassé Caerheath de tous ses bandits. Les seuls troubles de la ville sont rarement plus que de petites querelles."

Jalis soupira. "Ce devrait être une bonne chose. Nous maintenons la paix mais nous ne nous rendons pas service. Depuis quand la guilde est-elle le législateur principal à Himaera?"

"Principal ?" Dagra fronça les sourcils. "Tu veux dire l'unique. Ce n'est pas Vorinsia ici. Nous n'avons pas de grand Arkhus pour exercer la loi, ni d'armée, pas même un minable shérif. Rien depuis l’Époque des Rois. Les sabreurs sont tout ce qui reste dans ce pays."

"J'ai vécu ici assez longtemps," dit Jalis, "mais je n'arrive pas à m'habituer à l'absence totale d'armée ou de représentant de l'ordre. C'est un miracle qu'Himaera n'ait pas été consumée par les Arkhs depuis des siècles."

Dagra haussa les épaules. "Ils ont essayé de nous envahir pendant le Soulèvement mais Himaera, même sur les genoux, les a envoyés paître et soigner leurs plaies. Les Arkhs se sont ramollis depuis. Plus rien qui vaille la peine d'être conquis." Il regarda Jalis d'un air embarrassé. "Sans vouloir t'offenser, ma belle."

"Y a pas de mal."

Oriken s'adossa contre le mur. "De toute façon," dit-il, "je ne m'inquiéterais pas. Un bon truc arrivera bientôt sur le tableau d'affichage. Tôt ou tard, il y en a toujours un." Il fit à Jalis un sourire enjoué.

"Ah, l'éternel optimiste..." De son menton, Dagra désigna le tableau de la guilde dans l'alcôve au bout du bar. "Vous avez vu les récompenses affichées ? La plus haute est de huit pièces de cuivre. C'est une insulte."

"Il est peut-être temps qu'on parte en vacances," dit Oriken.

"Pas une mauvaise idée," dit Jalis. "Je ne suis pas allée au pays depuis longtemps."

"Pas vraiment ce que j'avais à l'esprit."

"Je vais aller pisser," annonça Dagra en se mettant debout.

Oriken le regarda s'éloigner. "Nous devrions quitter la ville pour un temps. Il y a peut-être un besoin de main d’œuvre à Middlemire. Ou à la Baie de Brancosi. On devrait demander à Maros d'aller voir pour nous."

Une ombre traversa la lumière du soleil sur le plancher. Jalis aperçut la massive silhouette de Maros claudiquant à travers les portes de la taverne. Il aperçut son regard et se dirigea vers eux en boitant.

"Le retour du vagabond", dit Oriken. "Pas moyen de te garder dans ta propre taverne ces jours-ci."

Maros aboya d'un rire fatigué et rassembla ses béquilles dans une main. "Depuis que j'ai repris cet endroit, je ne suis jamais allé plus loin que Balen. Rappelez-moi de ne jamais y retourner."

Jalis inclina la tête pour chercher son regard. "Tu as été à Balen ? Tout l'après-midi ?"

"À peine ! La plus grande partie du temps a été de m'y rendre et d'en revenir."

"Pourquoi n'as-tu pas demandé à Ravlin de te conduire dans son chariot ? Ça ne l'aurait pas dérangé."

"J'ai essayé. Le marchand était parti faire son réapprovisionnement à Brancosi."

"Qu'y a-t-il de si important à Balen que tu n'y aies pas envoyé de novice ?" demanda Oriken.

"Absolument rien, si ç'avait été un autre jour." Maros jeta un coup d'œil à Jalis. "Bon, il faut que je m'occupe de quelques trucs. Je vous retrouve dans peu de temps."

Jalis le regarda se rendre au tableau en boitillant. Après un moment, il s'éloigna de l'alcôve et prit le couloir qui menait à ses bureaux. "Il mijote quelque chose", se dit-elle.

À une table près du mur opposé de la salle commune, plusieurs sabreurs étaient occupés à jouer aux osselets. Alari, une sabreuse vétéran qui avait passé quelques années de plus dans la guilde que Jalis, lança un regard vers le tableau de la guilde et marmonna à son voisin.

"Je reviens dans une minute." Jalis se leva de sa chaise et se rendit rapidement jusqu'à l'alcôve. Elle scanna le contenu du tableau jusqu'à ce qu'elle remarquât un nouveau bout de papier qu'elle décrocha du tableau en bouchon. À la vue de la prime offerte, ses yeux s'agrandirent.

"Ma belle, t'es plus preste que le silex sur la pierre à feu toi," dit Alari derrière elle.

Se saisissant de la note, Jalis se tourna vers sa collègue. "Ah, t'étais pas bien loin non plus."

Le sourire d'Alari tiraillait sur la pâle cicatrice près de sa bouche. "Qu'est-ce que le patron a accroché là, cette fois ? Encore un qui ne vaut pas le papier sur lequel il est écrit ?"

Jalis haussa des épaules. "Ça a l'air un peu mieux que d'habitude. Pourquoi n’irais-tu pas voir du côté des offres plus petites ? C'est juste ce qu'il faut pour les novices dont tu t'occupes. Il faut bien commencer quelque part."

Alari plissa le front à cette pensée. "Ouais, t'as pas tort. Kirran pourrait les faire tout seul. Je lui dirais de venir en prendre une." Elle donna à Jalis un clin d'œil complice. "Allez donc gagner votre croûte, toi et les gars."

Alors qu'Alari regagnait sa table, un autre sabreur la croisa pour se rendre au tableau. Jalis le dévisagea froidement.

"Qu'est-ce que t'as là ?" dit Fenn en parvenant à l'alcôve et se plaçant de telle sorte que Jalis ne puisse en sortir.

"Dégage, Fenn."

"Voyons voir." Il essaya de s'emparer du papier mais Jalis parvint à glisser sa main derrière son dos.

"Premier arrivé, premier servi," dit-elle. "Tu connais les règles. Si tu veux un contrat, il y en a plein sur le tableau qui te conviendront."

Les yeux porcins de Fenn la transperçaient du regard. "Moi au moins, je peux faire mon travail tout seul. Tout le monde sait que toi et tes deux gardes du corps, vous profitez du traitement préférentiel par ici." Il attrapa Jalis par l'épaule.

Elle enfonça sa main entre les jambes de Fenn et serra sa prise. "Ce sont mes compagnons et mes amis. Tu sais quoi ? Tu enlèves ta main de là et j'en fais de même. Ensuite tu retournes t'asseoir comme un gentil garçon."

Fenn grogna en silence, les lèvres retroussées. Jalis resserra sa prise et, à contrecœur, il retira sa main. "T'as un problème."

"Si j'ai des problèmes, tu n'en fais pas partie." Elle serra plus fort. "Juste pour qu'on soit bien clairs. C'est bien clair, Fenn ?"

"Vira ta sale patte de là !"

"D'accord, d'accord...! Mais je te préviens, la prochaine fois que tu me touches, ce n'est pas ma main que t'auras à l'entre-jambe, ce sera mon poignard. Alors viens pas me chercher ou je rendrai service à l'humanité entière." Elle relâcha sa prise après une dernière torsion.

Alors que Fenn titubait à reculons, il décocha un coup de poing vers le visage de Jalis. Elle put se baisser pour l'éviter et enfonça un coup de poing dans ses côtes, suivi d'un uppercut qui lui fracassa le nez et l'envoya s'étendre au sol. Quelques applaudissements de la part des clients se firent entendre, mais ils prirent fin aussitôt que Maros émergea de son couloir en boitant.

"Que diable se passe-t-il dans ma taverne ?" tonna-t-il.

Fenn se remit sur pied, du sang coulant de son nez. "Tu ferais mieux de garder cette chienne en laisse. Tout le monde sait que c'est ta préférée." Il jeta un coup d'œil au chemisier en fine gaze de Jalis. "Et c'est pas bien difficile de voir pourquoi."

"Vraiment ?" Maros boita jusqu'à lui et le domina de toute sa taille. "Tu devrais montrer un peu plus de respect envers une femme d'épée, je dirais même beaucoup plus de respect, d'autant qu'elle vient te mettre sur le cul. Tu déconnes encore une fois, Fenn, et franchement, la branche de Grenmoor peut venir te reprendre. File à la guilde. Maintenant. T'as eu ta dose pour la journée."

Le visage de Fenn rougeoya de colère mais il garda le silence. Après un moment, il tourna les talons et franchit les portes.

"Oh, et Fenn," le rappela Maros, "si tu me parles encore une fois comme ça, c'est pas en marchant que tu sortiras d'ici, mais en volant dans les airs."

"J'ai manqué quelque chose ?" Dagra demanda en arrivant à côté de Jalis.

Elle secoua la tête. "Non, rien."

Maros se déplaça en boitant pour la regarder. "Il semble que tu aies été la première à voir le contrat que j'ai accroché ?"

"En effet. Tu n'as pas perdu ton temps à Balen."

"Je ne suis pas certain de vouloir te voir sur ce coup-ci, Jalis."

"Pourquoi ? Ça serait idiot de ne pas le faire."

Maros grogna. "Alors, promets-moi que tu ne le feras pas seule." Il hocha la tête en direction de Dagra. "Si les gars ne tombent pas d'accord, ce travail retourne sur le tableau. Je préférerais laisser Fenn décrocher celui-ci et bon débarras."

Jalis fronça les sourcils. "Qu'est-ce qui te préoccupe autant, l'ami ? Si c'est une horde de bandits qui s'est installée quelque part—"

"C'est pas des bandits." Maros regarda brièvement autour de la salle et dit d'une voix basse, "Va discuter avec Dagra et Oriken. Vois ce qu'ils en disent. Si vous êtes tous d'accord, le contrat est à vous. Mais j'en serais pas heureux. Toi et moi avons passé trop d'années ensemble, jeune fille. Ne sous-estime pas ce que ce contrat implique."

Elle étudia son visage. "Je ne t'ai jamais entendu parler comme ça."

"Nous n'avons jamais eu de contrat comme ça."

Alors que Jalis retournait à sa table, Dagra sur ses talons, Oriken leva un sourcil. "Eh bien, ça a été le plus grand divertissement de toute la semaine. T'as raté quelque chose, Dag. Jalis a fichu une sacrée déculottée au trou du cul du coin."

"Je n'ai rien fait de tel." Jalis ignora le regard inquisiteur de Dagra. Elle croisa les bras sur la table et enjoignit ses camarades à se rapprocher d'elle. "Je nous ai trouvé un contrat et vous n'avez pas idée du montant de la prime."

"Je suis pas sûr de vouloir savoir," dit Dagra, "pas après avoir vu la réaction de Maros. Mais bon, je t'écoute."

Les bavardages avaient repris dans la salle de la taverne mais elle jeta un coup d'œil autour pour s'assurer que personne ne les écoutait. "Cinq cents dari d'argent."

Oriken laissa échapper un long sifflement. "Ciel. Tu plaisantes."

"Non."

Les yeux de Dagra étaient empreints de scepticisme. "Tu as les détails ?"

"Non. Je n'ai pas vraiment eu le temps de vérifier."

"Tu n'as pas eu le temps ? Jalis, on n'accepte pas les contrats aveuglément. Tu le sais mieux qu'Orik et moi-même."

"Je sais ! Mais cinq cents dari. À ce prix-là, quel contrat tu ne prendrais pas ?"

"Oh, je peux en penser à un ou deux," dit Oriken avec un sourire en coin. "Mais, Dagra lui, probablement pas autant."

Dagra fit comme s'il n'avait rien entendu. "Bon," fit-il à Jalis. "Voyons voir."

Elle défroissa le morceau de papier et le mit à plat sur la table, fronçant les sourcils tout en prenant connaissance des détails. "Euh, c'est où Lachyla ? C'est quoi la Cité Ravagée ?"

"Oh, par les misérables dieux." Dagra se passa une main sur le visage.

"Quoi ?"

Oriken éclata de rire. "Maros a vraiment mis ça au tableau ? Il se fiche de nous. Ça peut pas être autrement."

Jalis secoua la tête. "Non, il ne ferait pas ça. Attends, c'est pas une légende d'Himaera ça ? La Cité Ravagée, ça faisait partie des histoires du Tisseur de Contes il y a quelques années, non ?"

"Baisse le volume," dit Dagra. "Écoute, qu'il s'agisse d'une chasse au dragon, ou que ce soit pour de vrai, oublie ça. Nous n'allons pas là-bas. C'est marqué d'une tête de mort pour une bonne raison."

Oriken s'offusqua. "Mais voyons. Juste parce qu'on t'a élevé à croire en toute légende qui existe. Tu sais, ça pourrait tout aussi bien être une belle balade à la campagne."

"Tu vas pas croire ça," dit Dagra. "Depuis quand t'es-tu déjà rendu dans les Terres Mortes ? Depuis jamais. Une balade à la campagne. La marche vers la potence, oui."

"J'y connais pas grand-chose aux légendes," dit Jalis, "mais rien que les dix pour cent non-remboursables pourraient nous faire vivre pour quelques mois. Et si nous atteignons l'objectif, ce sera une prime plus lucrative que Maros et moi n'ayons jamais gagnée ensemble au bon vieux temps. Celui-ci, c'est un très gros coup. Si on le laisse filer, Alari ou Fenn ou Henwyn ou n'importe qui va s'en emparer."

"Ce n'est pas moi que tu dois convaincre," dit Oriken. "Moi, je suis partant."

"Toi t'es partant pour n'importe quoi." Dagra le regarda avec colère. "Toujours à te fourrer dans les trous les plus sombres. Même quand on était gamins. N'apprends-tu donc jamais ?"

Oriken haussa les épaules. "C'est toi le superstitieux. Donne-moi une preuve que Lachyla n'est rien d'autre qu'une histoire qui fait peur du Vieux Tisseur de Contes. Donne-moi des preuves qu'on ne devrait pas prendre ce job."

"Tu sais bien que je peux pas. Mais on ne devrait pas aller provoquer les Dyades à nous balader dans les contrées d'une déesse morte. Toute la région est maudite."

"Les Dyades sont tes dieux," dit Oriken. "Pas les miens. Ni ceux de Jalis. Au nom du ciel, Dag, nous sommes des sabreurs."

"Quand bien même nous trouverions l'endroit, nos chances de trouver le... De quoi il s'agit déjà ?" Dagra jeta un œil à la feuille de papier. "Une crypte ? Oh, non. Laissez tomber. Je n'entre pas dans une crypte." Il regarda Jalis. "Tu sais qu'ils enterraient leurs morts sans les brûler ? Des barbares, je te dis. C'est sacrilège."

Oriken lui fit un sourire amusé. "Sacrilège ? Tu parles d'une époque avant que les Dyades ne viennent à Himaera. Comment peux-tu accuser les ancêtres de sacrilège alors qu'ils existaient avant vos dieux ?"

Dagra pâlit. "Tu vas trop loin, Oriken."

"Cela s'était produit partout," dit Jalis, "pas seulement à Himaera. C'était pareil dans l'Arkh."

Dagra but ce qui restait de sa bière. "Jecaiah !" Il fit signe au barman de lui apporter un autre verre puis regarda Jalis de façon insistante. "Au mieux, nous aurons perdu un mois, sinon plus, à errer dans le désert avant de rentrer bredouilles."

Après un soupir qu'elle réprima, elle décida d'essayer une autre tactique. "Vous réalisez que si nous terminons ce contrat, Maros vous offrira probablement à tous les deux l'opportunité de passer vos tests de maîtres-lames."

"T'imagines ça, Dag. Sabreur de troisième échelon après seulement cinq ans." Oriken leva un sourcil. "Toute la guilde ne parlerait que de nous."

"Hmm." Dagra repoussa sa chaise et se dirigea lourdement jusqu'au bar.

"Il finira par changer d'avis," dit Oriken.

Dagra regarda par-dessus son épaule. "J'ai entendu ce que t'as dit. J'attends toujours qu'on vienne me convaincre."

"Tu sembles moins sceptique que tu ne l'étais," dit Jalis alors qu'il reprit son siège. "Écoute, si tu veux venir, ça n'en signifiera que plus à Oriken et moi. Ce serait vraiment dommage de ne pas t'avoir avec nous, mais si c'est ta décision..."

"N'essaie pas ça avec moi, copine. Tu as entendu Maros. Il a dit, c'est nous tous ou aucun de nous."

"Oui, il a dit ça. Mais au bout du compte, ce n'est pas à lui de décider. J'ai vu les détails. S'il essayait de m'empêcher, il le ferait en tant qu'ami, non en tant qu'Officier."

"Pense à tout le bien que ça pourrait apporter," insista Oriken. "Toi et moi, maîtres-lames. La reconnaissance que ça nous apporterait à nous et notre branche, sans parler de toute la guilde. Ce n'est pas que pour l'argent. Par les étoiles, je ne sais même pas ce que je ferais de ma part. Imagine, Dag. Une fois que le mot circulera que nous aurons bravé le fléau, conquis une légende et serons revenus victorieux..."

"Je ne veux pas prendre le risque de contrarier les dieux, pour aucun dari au monde."

"Par les étoiles !" Oriken soupira d'exaspération. "Tout ce qu'on a à faire, c'est de rentrer dans une crypte et trouver une babiole rouillée. Tu peux pas te détendre un peu juste cette fois ? Tu pourrais même attendre dehors pendant que Jalis et moi on s'occupe du côté sérieux."

Demeurant silencieux comme la pierre, Dagra fixait l'offre de contrat du regard.

"Bon," dit Jalis. "Je doute que les Dyades soient contentes si tu nous laissais Oriken et moi à notre propre sort mais si c'est ta décision, je la respecterai."

Dagra lui lança un regard furieux. "Ça, c'était vraiment un coup bas."

Elle haussa les épaules et se leva. "J'accepte le contrat, et Maros le validera. Tu viens, tu viens pas, c'est à toi de voir."

Il soupira. "Je ne suis pas content de ce truc. Pas content du tout."

Jalis sourit. "Tu viens, alors ?"

Dagra voûta ses épaules en signe de défaite. "Je me détesterais s'il vous arrivait quelque chose. Quel choix me reste-t-il ?" Les lèvres serrées, il lança un regard entendu à Oriken. "Ouais, tu auras ma lame juste à côté de la tienne. Comme toujours."

La Cité Ravagée

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