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Chapitre Dix

Intrus


Dagra souffla dans le col de la lampe pour éteindre la flamme, puis il la passa à Jalis. Avec un soupir de soulagement, il franchit le seuil de la crypte Chiddari et retrouva le sinistre cimetière. L'orbe rouge de Banael se devinait derrière un ciel d'épais nuages, son ventre plus proche de l'horizon que Dagra n'aurait préféré. Il posa sur la statue de Cunaxa un regard sombre.

Eh bien, madame, pensa-t-il. Vous étiez d'une grande beauté autrefois, sauf que j'ai vu votre mâchoire tomber.

De fins petits filets de brume s'échappaient des crevasses du sol asséché. Ils s'enroulaient et étreignaient les socles des pierres tombales recouverts de moisissure et rampaient le long des chemins en ruine. La brume se propageait sous ses propres yeux.

"Combien de temps avons-nous passé là-dedans ?" demanda Oriken dont les yeux plissés à l'ombre de son chapeau fixaient le soleil bas.

"Des heures," répondit Jalis.

"Ça n'a pas semblé si long."

"Peut-être pas pour toi," rétorqua Dagra.

Oriken tourna son attention sur la cité, gonfla les joues et laissa échapper un long sifflement. "Il doit y avoir une montagne de trésors là-bas. Le château seul doit détenir une fortune. On pourrait s'abriter dans un des bâtiments pour la nuit. Ça été abandonné pendant des siècles ; je doute que l'un des propriétaires s'en formalise."

"Allons, Orik," dit Jalis. "Es-tu un homme ou une pie voleuse ? N'oublie pas que nous avons une très longue marche à travers les marécages jusqu'aux premiers signes de civilisation, et encore deux jours de voyage avant d'atteindre la Folie de l'Aulne. Je ne me sens pas de transporter un lourd trésor pendant des centaines de kilomètres d'un terrain miné de marais, de monstres et peut-être pire encore que ceux que nous avons croisés en venant."

"Je ne parle pas de lester nos poches et nos sacs, juste une poignée en guise de souvenir. Ça ferait pas de mal."

Pendant un court instant, Dagra se surprit à peser le pour et le contre. Il était sincère quand il avait dit à Jalis que ça ne l'intéressait pas de piller des pierres de peu de valeur, mais en regardant en direction de la grande cité, il était difficile de penser qu'elle ne renfermait pas de trésors plus riches. Il devait y avoir des pièces d'argent de partout. Et des bijoux avec de précieux diamants et des saphirs, et des émeraudes, et des rubis. Ou des armes, comme son glaive ancien ; les épées courtes à lame large n'étaient plus forgées depuis le Grand Soulèvement, et s'il y avait un endroit où il pouvait y en avoir, c'était bien Lachyla.

J'aimerais bien un deuxième glaive, pensa-t-il, mais pas tant que ça. Aussi éprouvant que ça l'ait été, ça n'avait pas été aussi horrible qu'il ne l'avait imaginé. Peut-être demain, quand il fera plein jour...

Il secoua la tête pour chasser la tentation et fronça les sourcils en remarquant la brume grandissante. "Nous devrions nous mettre en route avant que ce truc ne devienne un problème."

"Mais, écoutez—"

Jalis mit Oriken en garde d'un regard. "J'ai dit qu'on en discutera plus tard, et on en discutera plus tard. Pour l'instant, Dagra a raison. On retourne à la herse." Surprenant Oriken qui regardait le Litchgate au loin, séparant le cimetière de la cité, elle pointa son doigt vers le nord en direction de la lande. "Cette herse."

Ils se mirent en chemin sur l'étroit sentier qui partait de la crypte Chiddari vers l'Allée des Morts-Vivants. Pendant qu'ils avançaient, Oriken était plongé dans un monologue sur les sortes de trésors qu'ils pourraient découvrir dans le château. Il était en pleine énumération lorsque Jalis l'interrompit brusquement et leva la main en signe d'arrêt.

"Qu'est-ce qu'il y a ?" demanda Oriken.

"Dis-moi," dit-elle. "Sommes-nous bien sûrs que la cité est déserte ? Les citoyens de Lachyla sont-ils bien morts pendant le fléau ?"

"Hein ? Bien sûr. Même ceux qui ont pu s'échapper sont morts depuis longtemps maintenant. Pourquoi tu demandes ça ?"

Jalis regardait au-delà de l’épaule de Dagra vers le cimetière recouvert de brume. "Donc, tu me dis que nous trois, sabreurs intrépides, sommes les seules personnes présentes ici ?"

Dagra fronça les sourcils. "Je connais cette intonation, copine, et ce n'est jamais bon signe. Si tu as quelque chose à dire, dis-le. Sinon—"

Le visage de Jalis se figea. "Je me demandais juste pourquoi l'heure des visites a sonné dans li Gardine dessa Mortas."

"Je n'ai aucune idée de ce que—" Réduit au silence par l'expression de Jalis, Dagra suivit la direction vers laquelle son doigt pointait. Oh, dieux, pensa-t-il. Non...

De frêles silhouettes émergeaient de la brume et se déplaçaient comme sans but entre les tombes. D'autres se matérialisaient au loin dans la brume et elles se confondaient avec les silhouettes des arbres noircis et des pierres tombales. L'une d'entre elles se trouvait plus près – Dagra l'avait vue mais l'avait prise pour un arbre tordu. Elle oscillait dans la brise, ses membres squelettiques tendus devant elles comme des branches.

"S'il vous plaît," murmura Oriken en regardant ces formes sinistres, "dites-moi que quelqu'un a organisé une visite guidée et a oublié d'en parler."

Le métal des poignards de Jalis crissa quand elle dégaina. "Je crains que non."

"Que sont ces choses ?" demanda Oriken.

Alors que Dagra regardait ces apparitions, les remarques de Jalis lui revinrent à l'esprit : ces empreintes ne se dirigeaient que dans une seule direction. Il avait supposé que quelqu'un était entré dans la crypte, mais si...

"On y va," dit-il. "Maintenant."

Il s'élança au pas de course le long du chemin, Jalis et Oriken sur ses talons. La brume s'épaissit vite en un brouillard envahissant et les nuages au-dessus semblaient faire de même, obscurcissant le début de soirée en un crépuscule artificiel. D'autres silhouettes arrivaient depuis les confins du cimetière, marchant lentement, mais résolument, vers l'Allée des Morts-Vivants.

Devant eux, en bordure du chemin, une main desséchée s'agrippa au mur d'une crypte et une forme grotesque apparut. Ce qu'il était resté de ses vêtements ne faisait plus qu'un avec le corps ravagé dont la chair vieillie par le temps flottait avec le tissu. Le visage émacié se tourna vers Dagra. Ses lèvres ratatinées et ses gencives noircies aux dents cassées s'ouvraient en un cri silencieux.

Il ralentit ; la créature avança vers lui d'un pas hésitant. Les rayons de Banael percèrent les nuages pendant un court instant et éclairèrent le visage décomposé, ce qui en accentua les sombres cavités. Le cadavre leva une main pour se couvrir le visage. Il vacilla dans la lumière du soleil mais poursuivit sa lente marche.

"Chère et douce Aveia," souffla Dagra. "C'est un mort. Ce sont tous des morts. Dieux miséricordieux, Cunaxa Chiddari avait vraiment bougé ! Je le savais ! Elle avait bougé, et nous étions là à bavarder !"

Oriken arriva à son côté et lui saisit le bras avec force. "Arrête ça, Dag ! Arrête de le regarder. Et sers-toi de ton énergie pour courir au lieu de déblatérer." Il reprit sa course, ses longues jambes l'emportant rapidement le long de l'Allée.

La perspective de se retrouver à l'arrière fut suffisante pour propulser Dagra hors de son accès de panique et le pousser en avant. Il détacha ses yeux du cadavre qui le fixait du regard et activa ses jambes courtaudes. Jalis le rattrapa et courut à ses côtés.

"Les morts de Lachyla," haleta-t-il entre deux respirations, "sont censés rester à Lachyla."

"Les morts sont censés rester morts," dit Jalis. "Mais si tu as raison, nous le saurons bien assez tôt."

Les créatures arrivaient maintenant de partout. Un gémissement guttural se fit entendre provenant de ceux qui étaient le plus près ; c'était comme un soupir, crépitant, humide comme un liquide épais que l'on versait sur des feuilles desséchées. De plus en plus de cadavres se joignirent dans un chœur épouvantable et le bruit s'intensifia. En quelques instants, le cimetière résonna du murmure persiflant de ses habitants.

Le pas de course d'Oriken le mena rapidement au bas du chemin, tout droit vers un groupe de macchabées. Comme il sauta au-dessus d'une pierre tombale, son chapeau se souleva de sa tête. Il l'attrapa dans les airs et, tout en maintenant sa course, il le replaça fermement où il devait être, sans même faire une pause.

La Cité Ravagée

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