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Chapitre Six

Deux Fins De Route


Maros quitta ses quartiers situés au-dessus de la salle commune et se rendit au rez-de-chaussée, s'agrippant à la solide rampe et prenant les marches d'escalier une à la fois.

Mais au nom de quoi est-ce que je garde ce logement privé en haut ? Il prit note d'échanger les quartiers des sabreurs, qui comprenait ses appartements et ceux de ses trois amis absents, contre l'une des ailes réservées aux clients au rez-de-chaussée.

À une demi-douzaine de marches du bas, il fit une pause et étouffa un bâillement derrière sa main tout en jetant un coup d'œil à la salle. À cette heure matinale, il n'y avait que trois clients. Tous étaient des clients de la nuit, prenant un petit-déjeuner solitaire à des tables séparées.

La botte de Maros grattait le sol de pierre quand il traînait sa jambe handicapée sur le reste des marches. Ses yeux se posèrent sur un client en particulier et celui-ci leva son regard de son petit-déjeuner pour rencontrer le sien. Il lui fit un bref signe de salut. Randallen Chiddari tenait un des fameux sandwichs de Luthan au-dessus d'une assiette, une coulée de sauce dégoulinant de l'épaisse tranche de viande qui se devinait entre les deux tranches de pain croustillant. Maros marmonna un juron entre les dents tout en s'approchant de lui.

La porte de la cuisine s'ouvrit dans un chuintement quand il passa devant et une serveuse en sortit, le gratifiant d'un sourire dévoilant des dents du bonheur. "Bonjour, Diela," dit-il, lui renvoyant un sourire.

"Bonjour, patron. Café ?"

Il hocha de la tête.

"Je l'amène tout de suite."

Maros parvint à la table de Randallen et le regarda. "Maître Chiddari, puis-je m'asseoir ?"

Randallen posa son sandwich sur l'assiette et leva les yeux. "Je vous en prie," dit-il platement.

Maros percevait sa mauvaise humeur. Dieux, pensa-t-il, comme je déteste cette diplomatie obligatoire dans la Guilde Officielle. "Merci," dit-il. Il s'abaissa sur un tabouret en face de son client, réprimant une grimace de douleur lorsqu'il plaça sa jambe dans une position plus confortable. Je devrais mettre un siège de la taille d'un Maros à chaque table pour éviter des moments comme celui-ci. Se tortillant sur le tabouret de petite taille, il s'éclaircit la gorge. "Maître Chiddari—"

Randallen leva les yeux au ciel. "Je n'ai pas de patience pour ces formalités. Je suis un villageois. À Balen, tout le monde m'appelle Ral, même ceux avec qui je ne m'entends pas. Je vous demanderais de faire de même."

Donc ce matin, il veut parler franchement. Moi, ça me va. "Très bien, Ral." Montrant la nourriture en partie consommée d'un geste de la main, Maros demanda : "Comment il est, ce petit-déjeuner ?"

Randallen lui lança un regard indifférent. "Avez-vous eu le temps de réfléchir à notre problème ?"

"Je n'ai pas fait grand-chose d'autre cette nuit", dit Maros. "Pas même dormir."

"Ça, je peux le comprendre."

Maros sortit de la poche de son gilet un parchemin qu'il déplia et qu'il posa sur la table. "Le contrat entre votre mère et les Sabreurs de la Guilde porte sur la recherche d'un joyau funéraire qui appartenait à la famille Chiddari."

"Oui, oui. Et il y a cinq cents des dari d'argent de ma mère qui sont dans vos coffres."

Maros hocha la tête. "Réservés aux sabreurs qui ont remporté le contrat."

"Ce qui nous amène à notre problème." Voyant Diela s'approcher de la table, Randallen étouffa un soupir.

"Voilà, patron." Diela déposa un pot de café fumant devant Maros. Il avala une goulée du chaud breuvage, soupira d'aise et la remercia d'un hochement de tête.

La jeune serveuse partit poursuivre son travail. Randallen leva un sourcil. "Le problème ?"

"Comme je vous le disais hier soir, un contrat n'expire pas en cas de décès du client." Maros fit une pause pour avaler une gorgée de café. "Je suis vraiment désolé pour votre mère. Elle semblait—"

"Je suis dans cette taverne depuis bien trop longtemps déjà," dit brusquement Randallen. "Alors, s'il vous plaît, épargnez-moi vos platitudes et finissons-en avec cette affaire. Vous avez en votre possession une somme d'argent qui se trouve être la plus grande part des économies de toute la vie de ma mère. Comprenez-vous ce que cela signifie ?"

"Je commence à comprendre, en effet."

"Cela signifie que, en tant que fils et héritier unique de ma chère mère, je me retrouve tout à coup sans héritage. Ça va pas le faire. J'ai une femme et deux filles. J'ai pris soin de ma mère aussi longtemps que j'ai pu. Quand je mourrai, ma femme et mes filles recevront ce que j'aurai réussi à amasser au cours de ma vie, tout comme je mérite de recevoir les économies de ma mère."

Maros étudia ses propos en plissant des lèvres. "Selon les termes et les conditions des contrats de la guilde," dit-il avec prudence, "les paiements ne sont remboursés que dans les cas où le contrat n'a pas été exécuté. Auquel cas, les quatre-vingt-dix pour cent sont remboursés au bénéficiaire."

"Ah."

"En effet. Mais je dois vous avertir, et je crains que cela soit l'aspect qui vous déplaira le plus..." Maros prit le contrat de la table et le rapprocha de son visage, plissant des yeux en déchiffrant sa propre écriture jusqu'à ce qu'il trouva la partie qu'il cherchait. Retournant le document, il le plaça devant Randallen et tapota du doigt le paragraphe en question. "Voyez là ? Vous remarquerez que votre mère n'a désigné aucun bénéficiaire. Techniquement, cela signifie que je ne suis pas obligé de vous reconnaître comme tel. Toutefois—"

"Quoi ? Avez-vous au moins tenté de lui faire désigner quelqu'un ?"

Maros lui fit un sourire glacial. "Si un client souhaite désigner un bénéficiaire, il peut le faire, mais ce n'est pas une partie essentielle de l'accord. Si votre mère avait dans l'idée de vous désigner, elle avait toute latitude pour le faire."

"L'ingrate..." Les joues de Randallen rougirent de colère pendant qu'il déchiffrait le parchemin.

"C'est une situation difficile," dit Maros. "Je vous le concède. Nous avons donc parlé de votre problème, mais vous devez vous rendre compte que pour chaque pièce, il y a deux faces." Il se pencha et dit à voix basse. "J'ai trois braves gens qui risquent leur vie à s'aventurer dans un endroit où personne n'a mis les pieds depuis des siècles, un des rares lieux à Himaera qui porte le symbole de la Tête de Mort. Mes sabreurs - ma famille - sont partis pour la Cité Ravagée chercher l'héritage de votre mère. Les possibles dangers, vous serez d'accord avec moi, y sont inimaginables." Il pointa un doigt en direction du parchemin. "Ce contrat est l'assurance contre la mort de mes compagnons pendant cette mission. Vous avez perdu votre mère. C'est regrettable. Mais si mes sabreurs ne reviennent pas des Terres Mortes—"

"Ça n'est pas mon problème ! Personne ne les a contraints à prendre le contrat."

"Maître Chiddari." Maros se leva et domina la table de toute sa hauteur. "Vous avez une sale tendance à m'interrompre. Si vous ne l'aviez pas fait, vous m'auriez déjà entendu dire que j'envisageais de vous considérer comme bénéficiaire à la place de votre mère. Notez bien que j'ai dit envisager. Que je le fasse ou non, tout dépend de vous. Et tel que je vois les choses, vous avez une option. Si mes compagnons reviennent avec l'héritage – et ils le feront si cet héritage existe ou ils perdront la vie en essayant de le faire – je vous conseille de l'accepter gentiment. S'il ne reviennent pas—"

"C'est inacceptable !" Le visage de Randallen frémissait de rage refoulée. "J'exige que vous—"

Maros serra les poings, ce qui fit craquer ses jointures, et les posa sur la table. Le bois craquant sous son poids était le seul bruit que l'on put entendre dans la salle. "Vous n'exigez rien des Sabreurs de la Guilde, petit homme. Encore une incartade de mauvais goût de votre part et, non seulement j'omets de vous ajouter comme bénéficiaire de ce contrat, mais je vous jette à travers les portes de la taverne. Ne me mettez pas le dos au mur."

Maros prit une inspiration pour se recomposer, content de voir Randallen déglutir. Le message semblait être passé.

"Réfléchissez," dit Maros, de nouveau à voix basse. "Le joyau sera à vous. Je ne sais s'il vaut plus, ou moins, que les économies de votre mère, mais je parierais que ça s'en approche. Si vous voulez vraiment de l'argent, rendez-vous service et vendez cette maudite chose. Je suis sûr que vous trouverez preneur à la Baie de Brancosi. Je peux même vous mettre en contact avec quelques acheteurs potentiels, moyennant finances, bien entendu."

Bien qu'il ait ravalé sa colère, la défaite se lisait dans les yeux de Randallen, qu'il abaissa vers la table. "Je crains que vendre le joyau ne soit pas une option."

"Pourquoi pas ?"

"Parce que," dit Randallen en lâchant une expiration hésitante, "Mère était catégorique, elle voulait l'avoir à elle à sa mort. C'était la seule raison pour laquelle elle voulait tant cette maudite chose. J'espérais qu'avec sa disparition..."

"Donc, vous essayiez de récupérer l'argent pensant que le contrat était annulé, c'est ça ?"

"Peut-être." Le visage de Randallen était de pierre.

"Eh bien," dit Maros en haussant des épaules, "je suis désolé de vous dire que ça n'est pas le cas. Peut-être que cela avait échappé à votre mère, mais le contrat tient toujours. Le joyau sera à vous et vous serez libre d'en disposer."

Randallen secoua la tête. "Eh bien, non. Elle ne voulait pas seulement que ce soit en sa possession avant de mourir."

"Vous voulez dire qu'elle voulait être brûlée avec ?" Maros éclata de rire. "Si ça vous chante de jeter quelque chose de cette valeur sur le bûcher funéraire, ça vous regarde."

"Oh, c'est pire que ça. Bien pire. Vous voyez, cher ami, ma défunte mère veut que ce truc soit jeté en terre. Pour quoi faire ? Pour qu'il soit déterré dans cent ans par quelque prospecteur chanceux ? Elle, elle n'y gagnera rien, et moi, certainement pas non plus !" Randallen reprit son souffle. "C'est un foutu gâchis."

Maros haussa les épaules. "Ce n'est pas une requête déraisonnable. On entend souvent des gens qui souhaitent que leurs biens soient enterrés avec leurs cendres."

Randallen aspira l'air à travers ses dents serrées. "Ai-je dit quoi que ce soit à propos de crémation ?"

Maros fronça les sourcils. "Ah, euh... Oh !"

"Voilà." Randallen sourit froidement et attrapa son manteau. Il en tira le rouleau de parchemin de la veille au soir et le brandit sous le nez de Maros. "Tout est là-dedans. Les dernières volontés de Mère. Elle ne sera pas brûlée ; elle sera enterrée."


Renfrey oscillait sur son tabouret à sa table habituelle le long du mur de la grande salle du Camelot Solitaire. Il n'était pas encore midi et il avait déjà perdu le compte de chopes de Redanchor qu'il avait bues. Les jours où il ne travaillait pas au moulin, il buvait tôt pour éviter la foule. Quand les clients du soir commençaient à emplir les lieux, il était déjà rentré et au lit pour ne se réveiller que deux heures avant l'aube. Puis il se mettait au travail, hissant et attelant les sacs de grain, les chargeant sur les chariots des fermiers, nettoyant les mottes de farine des engrenages qui faisaient tourner le moulin et débarrassant le barrage et l'étang des déchets. Par les dieux, c'était un travail misérable mais ça payait la bière.

Renfrey tenait à sa solitude. On avait bien le droit de s'asseoir seul et de prendre part aux plaisanteries de loin. Pas qu'il y avait beaucoup de plaisanteries avec la petite douzaine de clients du Camelot. Le connard de tenancier prétentieux là-bas dans le coin avait deux gardes du corps costauds qui lui tenaient compagnie. Les deux bûcherons qui mangeaient calmement dans le coin le plus éloigné n'avaient pas l'air amusant du tout. Et puis il y avait les sabreurs.

Ils ne leur pisseraient pas dessus même s'ils étaient en feu. Il fronça les sourcils en regardant sa chope de Redanchor, puis avala une gorgée de la bière corsée et reposa la chope avec un boum. Du liquide se heurta contre le rebord de la chope avant de retomber à l'intérieur. "Ouais," marmonna Renfrey, "reste où tu dois rester, toi, pourriture..."

Son regard fit un tour d'horizon, survola les lanciers qui étaient plongés dans une conversation à voix basse, puis sur l'énorme lourdaud qu'était le barman et enfin se posa sur la serveuse qui nettoyait une table au milieu de la salle. Jolies jambes. Crémeuses. Douces. Jolis seins, aussi. De jolies petites choses, qu'elles étaient, mises en valeur par sa tenue, petites oui, mais elles pointaient leur nez au-dessus du décolleté. Mais bon, pas grand-chose à dire à propos du visage. Renfrey reluquait la chair tendre qui enrobait la taille de la jeune fille.

La serveuse leva la tête et croisa son regard. Il lui fit un grand sourire et elle lui sourit en retour.

Oh, je me la ferais bien, comme un porc en rut, pensa-t-il tout en regardant son petit cul se balancer alors qu'elle s'éloignait. Il se lécha les lèvres et, de la langue, titilla un espace qu'il avait entre les dents.

La conversation depuis la table des sabreurs parvenait jusqu'à lui et Renfrey proféra un juron. Les sabreurs pouvaient aller pourrir dans la Fosse, pour autant qu'il s'en souciait, tous autant qu'ils étaient, petits prétentieux voleurs de femmes. Ils étaient un fléau dans cette ville. S'il y avait eu une autre taverne à la Folie de l'Aulne, il irait boire là-bas au lieu d'être au Camelot. Il prit une gorgée de bière et prêta l'oreille.

"...cette quantité de dari..."

"...je ne l'aurais pas pris, en ce qui me concerne..."

"Maros a dit..."

"Et si c'était vrai ?"

"Putain de sabreurs," grogna Renfrey. "Bons à putain de rien."

L'un d'eux, un barbu tout juste plus jeune que Renfrey, lança un regard en sa direction mais continua de discuter avec ses compagnons.

"Ouais, vas-y," dit Renfrey, élevant la voix. "Z'avez rien d'autre à foutre que de dire des conneries !" Cela attira leur attention.

"Je te demande pardon, Ren ?", dit le jeune barbu. "Est-ce qu'on t'a offensé de quelque manière que ce soit ?"

Renfrey ne connaissait pas le nom de ce bâtard. Mais il n'appréciait pas que celui-ci connaisse le sien. "Offensé ?" Il abattit sa chope sur la table, oscilla sur son tabouret et retrouva son équilibre. "Ouais, je dirais ça."

"Et comment est-ce qu'on t'a offensé, Maître Renfrey ?" dit la jeune fille assise près du barbu.

Maître ? Je suis un putain de maître, maintenant ? Je n'avais pas remarqué cette petite salope dans le coin. "Eh toi, la fille, on va d'abord commencer par ne pas m'appeler Maître." Il dévisagea le barbu assis à côté d'elle. "Ni Ren, d'ailleurs. Qu'est-ce que t'en dis ?"

Alors que les sabreurs échangeaient des coups d'œil, une voix tonitruante provint depuis derrière le bar. "Tu mets les basses, Renfrey. Tu connais le règlement."

Il tourna son attention vers la vilaine brute qui dominait le comptoir comme un chêne. "Pas ton affaire, barman. Laisse-moi et cette bande discuter de ça, tu veux ?"

"Ah." Le sang-mêlé croisa les bras. "Alors c'est barman, maintenant, hein ? Tu m'as rétrogradé, là ?"

"De quoi ?" Renfrey fronça des sourcils pendant qu'un grand sourire fendait le visage meurtri de cicatrices de cet imbécile. "Maros," se souvint-il. Ouais, c'était ça son nom. Pas que ça me préoccupe, hein, du moment qu'il me sert de la bière.

"Je vais te dire," dit Maros et Renfrey réalisa que tout bavardage avait cessé, "je vais te laisser m'appeler maître tavernier, juste une fois. Qu'est-ce que tu en penses, gars ?"

Renfrey partit d'un grand rire, ce qui fit le postillonner. "Et qu'est-ce que t'en penses si je continue à t'appeler barman ? Qu'est-ce que t'en dis, barman ? J'ai entendu une fois qu'on t'appelle aussi la Montagne. T'as plus l'air aussi imposant maintenant, hein ? À ce qu'il paraît, tu t'es écroulé."

Maros plissa des yeux. Il se leva et, lentement, délibérément, déploya toute sa hauteur. "Ouais, la montagne s'est peut-être écroulée," dit-il d'une voix contenue, "mais j'ai pas encore fini de tomber."

Renfrey ricana. "Paraît que c'est une bestiole qui t'a abattue, tout comme c'est un bœuf a violé ta mère." Il voulut attraper sa chope mais ses doigts échouèrent sur le rebord. Le récipient en bronze s'inclina et son contenu se renversa sur la table en une flaque mousseuse. Il regarda la chope rouler vers le bord et tomber au sol dans un fracas.

BOUM. Scratch. BOUM. Scratch...

Il leva les yeux pour chercher la source de ce vacarme. Le tavernier souleva la trappe au bout du comptoir, claudiqua vers la grande salle et se dirigea tout droit sur Renfrey.

"Merde."

"Tu sais ce qui arrive aux petits merdeux qui se trouvent sur le chemin d'une Montagne qui s'écroule ?" Scratch. BOUM. Maros domina Renfrey de toute sa stature. "Ils s'écrasent."

Deux mains énormes le soulevèrent du sol. Il planta ses doigts dans les bras en troncs d'arbre. Il fut pris de tournis et ne voyait plus le monstre que de sa vue brouillée. "Putain d'ogre !" cria-t-il. "Au secours !" Le contenu de son estomac menaçait de se répandre alors qu'il virevoltait de droite et de gauche.

"Dehors !" tonna l'ogre dans son oreille.

Il vola. Il vola littéralement dans les airs. Une lumière brillante l'aveugla et il réalisa vaguement qu'il regardait le soleil.

"Aveia douce et bénie !" cria-t-il. Puis il toucha terre, expulsa un jet de bière et perdit connaissance.


La frustration s'emparait de Maros à mesure que les minutes s'écoulaient. Le Camelot avait été débarrassé du reste de sa clientèle et il avait tiré le verrou aux portes battantes pour empêcher toute intrusion. Les seuls qui se trouvaient maintenant dans la salle étaient Henwyn et Leaf, tous les deux victimes des propos agressifs de Renfrey, et ils étaient assis avec Luthan pendant l'une de ses rares pauses.

Il s'empara de son tabouret et les rejoignit en claudiquant. "Termine cette phrase," dit-il à Leaf. "Quand un sabreur a un pressentiment..."

Avec un sourire, Leaf regarda les quatre hommes tour à tour. "C'est qu'elle a probablement raison."

Henwyn rit. S'adressant à Maros, il dit : "Tu parles de Jalis et des autres, là."

Maros hocha la tête.

"Écoute," dit Henwyn, "je suis disponible en ce moment et Leaf s'en va pour la Baie de Brancosi. Si ça peut te rassurer, je peux aller les trouver. Ça t'en coûtera un peu, bien sûr."

Luthan s'accouda à la table. "Si tu loues un chariot, tu pourrais les rattraper en quelques jours."

Maros réfléchit. "C'est moi qui les ai mis dans cette situation en acceptant le contrat. Si quelqu'un doit les ramener, ça me revient. J'ai pu aller à Balen et en revenir, je peux bien m'aventurer jusqu'au Terres Mortes." Il surprit le regard qu'Henwyn échangea avec Luthan pendant que Leaf regardait ailleurs l'air de rien. "Oh, je sais ce que vous pensez tous les trois. Vous êtes en train de penser que je n'ai aucune chance de les rattraper."

"Si tu me permets d'être franc," dit Luthan, "je pense que ça te ferait du bien d'aller, euh, te dégourdir les jambes. Je préfère ça plutôt que de te voir assis sur ton derrière ici à te faire du mouron pour tes amis ou à jeter cet homme dehors."

"Qu'est-ce que tu sous-entends ?"

"Allons, patron. Tu sais que tu aurais pu traiter Renfrey avec un tout petit peu plus de déférence. Bien qu'il soit un sérieux cas de chiasse verbale et un gâchis pour notre bière, c'est un régulier et ses poches sont profondes."

"Hmm. Ça faisait longtemps que ça lui pendait au nez."

"Peut-être, mais il faut dire ce qui est, tu n'arrêteras pas avant d'en avoir le cœur net et une taverne n'est pas vraiment l'endroit rêvé pour une tête brûlée. Je te le dis en tant qu'ami. Quand tu m'as demandé de te rejoindre en tant que chef, je suis venu depuis Aster parce que j'avais confiance en tes qualités de maître tavernier, même si c'était un travail que tu n'avais jamais fait auparavant. Tout autant, j'ai foi en toi maintenant."

Maros grommela. "J'apprécie le vote de confiance."

Henwyn leva une main. "Au moins, laisse-moi me joindre à toi. Je préfère être sur les routes plutôt que de traîner dans le coin à attendre qu'un contrat pointe son nez."

"Ha ! Hen, tu es le plus ancien de nous tous. Je serais heureux d'avoir ta compagnie. En plus, je pense avoir besoin d'un archer si je veux mettre quelque chose à rôtir. Mais le mieux que je puisse te proposer, c'est un dixième des dix pour cent non remboursables."

Henwyn haussa les épaules. "C'est plus qu'acceptable. Mais s'il s'agissait de Fenn au lieu de Jalis, je demanderais plus."

Maros souris, amusé. "S'il s'agissait de Fenn, nous n'aurions pas cette discussion."

"Alors, si cet aspect est réglé," déclara Luthan, "je ne veux pas que tu te fasses du souci pour la taverne pendant ton absence. Je m'en occuperai à ta place, ouais, même en plus de mes attributions de chef."

Henwyn sirota ce qui restait de son vin et se leva. "Je vais aller nous dégoter un chariot. Si aucun de ceux qui en ont n'est prêt à aider, je choisirai celui que j'aime le moins. Leaf a déjà ta requête pour le QG. Elle se met en route bientôt. N'est-ce pas, petite ?"

Leaf se leva et se tint debout près de lui. "Mon sac est déjà prêt. J'ai juste besoin de passer le prendre à la maison de la Guilde."

"Bonne chance," lui dit Maros. "Et ne traîne pas."

Leaf sourit. "Je ne traîne jamais." Avec un clin d'œil envers Henwyn, elle traversa la salle et se glissa entre les portes battantes.

"Elle a plus de potentiel que la plupart des novices, celle-ci," dit Maros. "Et avec un très bon professeur, Henwyn. Je ne pouvais demander meilleure équipe. Et tu en fais partie, Luthan."

"Allons." Le chef repoussa sa chaise et lissa son tablier. "Retiens-moi cet élan de tendresse, surtout que j'ai des marmites à nettoyer."


Jalis s'accroupit, visa et pressa la détente de son arbalète. Un instant plus tard, le balukha dans le lointain laisser échapper un croassement de douleur, fit quelques pas hésitants et s'effondra.

Elle gratifia ses compagnons d'un sourire satisfait. "Je l'ai eu !"

"Bien visé, copine," dit Dagra.

Jalis sourit. "Je vis pour tes compliments, ô Homme à Barbe." Elle se leva et mima une révérence, tout à fait consciente d'être complètement déplacée avec ses armes et sa tenue de voyage froissée.

Elle partit au trot chercher le volatile qu'elle avait abattu et Oriken lança : "Ça nous remplira la panse pour ce soir. Et ouis ça changera des lapins malingres et des baies de marécages. On ferait peut-être mieux de faire une pause ici. Qu'est-ce que vous en dites ?"

Jalis approuva, son estomac gargouillait déjà. "D'accord," cria-t-elle par-dessus l'épaule tout en saisissant le balukha mourant. "J'ai fait la chasse, vous les hommes pouvez maintenant vous chamailler pour faire un feu et dépecer la carcasse." Elle sortit Silverspire de son fourreau et glissa la fine lame dans le cœur de la créature. La soulevant par les pattes, elle retourna vers ses compagnons et la déposa par terre.

S'approchant d'un monticule herbeux, elle s'installa par terre et posa Silverspire dans l'herbe près d'elle. Elle fouilla dans son sac à dos à la recherche d'un chiffon et de son cuir à rasoir, tout en regardant Oriken et Dagra ; l'un dégainait son couteau de chasse en s'agenouillant devant la carcasse et l'autre ramassait de quoi faire du feu dans les buissons avoisinants. Il y aurait encore de longues heures avant la tombée de la nuit mais manger maintenant serait tout aussi bien.

Avec un soupir de frustration, elle cria en direction de ses compagnons : "Je n'arrive pas à trouver mon cuir à rasoir. Est-ce que l'un de vous l'a pris ?"

"Non, ce truc est à toi." Oriken fit une pause pour tapoter le sabre fixé à sa taille. "Tu sais que je ne polis jamais ce vieux truc."

"La pierre à aiguiser se trouve dans le sac d'Oriken," cria Dagra de loin pendant qu'il se penchait pour ramasser du bois.

"Je le prendrais bien pour toi," dit Oriken, "mais je suis pris jusqu'aux poignets dans les tripes de ce truc."

"Oublie ça. Je le retrouverai." Faisant une boule de son chiffon, Jalis se mit à nettoyer la lame de sa dague ; son regard était perdu vers la Route du Royaume qu'ils avaient pu rejoindre après avoir traversé le marécage. Les marais étaient loin derrière eux à présent, bien que le paysage fut encore parsemé de parcelles boueuses. Que quiconque ait choisi de vivre ici était un mystère, à moins que la région n'ait à l'époque été plus propice au fermage et au pâturage. Cela se voyait que le vaste marécage n'avait pas toujours recouvert la route et Jalis se demandait si quelqu'un ne l'avait pas créé, tranchant à l'intérieur des terres dans une tentative délibérée de dissuader les voyageurs d'aller plus au sud. Si c'était le cas, c'était en effet décourageant.

Elle finit de nettoyer Silverspire et le remit dans son fourreau puis posa sa tête contre l'herbe. Elle s'endormit vite et ne se réveilla que plus tard au son du feu qui crépitait et à l'arôme de la viande qui rôtissait.

"Ah, la princesse se réveille," dit Oriken avec un clin d'œil tandis que Jalis s'étirait. "Et au bon moment. Dag en a presque fini avec l'oiseau."

Ils s'attaquèrent à la chair blanche brûlante du balukha pendant que le feu se réduisait en braises. L'estomac plein, ils bouclèrent leur paquetage et reprirent leur voyage, suivant ce qu'il restait de la route. Les heures s'égrenaient, le globe doré de Banael poursuivant sa course dans le ciel bleu.

Tout en marchant, Jalis réajusta son sac dans son dos, puis pinça sa chemise pour en décoller le tissu de son dos en sueur. "Je devrais être habituée à cette chaleur," marmonna-t-elle. "J'ai été à Himaera trop longtemps. J'ai passé plus de vingt ans dans l'Arkh et la plupart du temps à Sardaya. La température ici, en comparaison, est beaucoup plus supportable."

"Bah." Devant elle, Oriken échangea un regard avec Dagra et sourit par-dessus son épaule. "Il n'y a rien de tel que de passer trop de temps à Himaera."

Jalis se moqua. "Venant d'un homme qui n'a jamais mis les pieds en dehors de sa terre natale ? Excuse-moi si je ne te prends pas au mot."

"Eh, on a tous pris le ferry pour l’île de Carrados, tu te souviens ?"

"Comment pourrais-je oublier ?" dit Dagra "Tu as passé ton temps à vomir sur le pont."

"Ce n'était pas ma faute ! Personne ne m'avait prévenu. Tu ne me verras plus sur un bateau, ça, tu peux en être sûr."

Jalis secoua la tête. "Carrados ne compte pas. Ça fait toujours partie d'Himaera. Mais bien tenté, va, l'Homme au Chapeau."

Oriken agrippa le rebord de son chapeau et le souleva pour s'essuyer le front. "En vrai, j'ai beaucoup aimé ce temps en compagnie des moines sur cette île. Si ce n'était l'océan, ça ne me dérangerait pas de quitter Himaera pour aller m’y détendre. À écouter Jalis, Sardaya semble bien attrayant."

"Attrayant ?" Jalis éclata de rire. "Je n'en dirais pas tant. Le paysage est magnifique, certes. Les hommes et les femmes y sont beaux, pour la plupart. Leur culture est riche. Mais il y a la présence constante des reivers et des troupes d'Ashcloak qui passent de ville en ville pour collecter les impôts. Et puis, bien que la faune soit beaucoup plus variée dans l'Arkh, il en est de même des monstres. Et puis, il y a les— Eh !" Elle trébucha contre Dagra qui s'était arrêté net. "Dag, fais attention ! Ne me dis que tu as déjà besoin d'une pause ?"

Dagra lui toucha l'épaule et pointa devant. D'une voix sombre, il dit : "Je crois que nous avons atteint notre destination."

Ils venaient d'arriver au sommet d'un promontoire et devant eux s'étalait une vallée peu profonde qui s'ouvrait à perte de vue dans toutes les directions, son rebord remontant dans le lointain. Vers la droite, le murmure presque imperceptible de l'océan leur parvenait dans la chaude brise d'est, et devant eux...

Oriken siffla. "Alors ça, pour un mur."

Une ligne sombre découpait la lande au-dessus de la vallée, s'étendant presque depuis la côte occidentale pour disparaître derrière le paysage vallonné au loin à l'est. Les sommets des créneaux, blanchis par le soleil, pointant comme les dents abîmées de la mâchoire d'un incroyable géant, rappelait à Jalis l'ancien dieu de la pierre, Cherak. "D'accord," dit-elle, la voix étouffée par l'admiration, "je dois l'admettre, ce mur est plus grand et aussi plus laid que n'importe quel mur de mon pays. Sur ce point, vous m'avez battue."

Dagra serra son pendentif dans sa main. "Peu importe le mur," dit-il la voix serrée. "Regarde au-delà. C'est la cité." Il tourna un visage pâle dans la direction dont ils venaient d'arriver.

Jalis abrita ses yeux des rayons du soleil. Son regard dériva au-delà du mur vers le lointain, errant à travers le paysage nébuleux. "Oh," murmura-t-elle.

Au-dessus et bien au-delà des remparts déchiquetés, les sombres contreforts des derniers vestiges de la civilisation de l'Époque des Rois s'étendaient, à peine visibles dans l'horizon brumeux.

"La cité légendaire de Lachyla. Impressionnante." Oriken arracha ses yeux du spectacle pour regarder Jalis. "Ça met les choses en perspective, non ?"

"Que veux-tu dire ?" Elle avait les yeux fixés sur les tours, les flèches et les dômes qui marquaient le paysage comme des ampoules gonflées. La cité de Lachyla était impressionnante, mais de savoir que l'endroit était mort et vide depuis des siècles la fit frissonner.

"Ce que je veux dire," dit Oriken, "c'est que notre contrat pour cette babiole est dérisoire en comparaison à..." Il étendit les bras en direction de la cité au loin. "À ça."

Dagra se retourna pour leur faire face. "J'étais persuadé que cet endroit n'était qu'un mythe," dit-il. "Juste une fable pour que les vieux puissent faire peur aux enfants."

"Et pour que les Tisseurs de Contes puissent faire peur à tout le monde," dit Oriken.

"Eh bien, ça a marché. La légende de Lachyla me terrifiait à chaque fois que ma grand-mère nous la racontait quand on était petits." Dagra prit une inspiration en tremblant.

"Tu vas bien ?" Oriken demanda.

Jalis capta le regard de Dagra. "Eh," dit-elle doucement.

"Je sais. Je gère." Il s'éclaircit la gorge. Son visage se transforma en un masque de résolution. Il regarda Jalis, puis Oriken, et leur fit un petit sourire forcé. "Alors ? On va aller chercher cette foutue babiole ou non ? Oui ? Allons-y, alors !"

Dagra reprit sa marche sur la Route du Royaume. Oriken échangea un regard terne avec Jalis avant de lui emboîter le pas. Il avait l'habitude de cacher ses émotions sous un comportement désinvolte mais Jalis savait qu'Oriken luttait contre quelque chose à l'intérieur de lui, tout comme Dagra, et ce n'était pas seulement de se retrouver face à face avec une histoire de fantômes. D'après les bribes d'informations qu'elle avait glanées en cours de route, la légende de Lachyla était si fantaisiste que ni Oriken, ni Dagra ne pouvaient être certains que ce lieu existât vraiment. Les gens avaient tendance à user d'imagination pour faire apparaître une légende à partir de rien. Chaque légende avait une origine, aussi minuscule ou, en l'occurrence, aussi grande fut-elle. L'énorme cité devant elle n'était pas une surprise mais le temps avait le don d'exagérer les détails les plus petits de toute histoire.

Jalis lança un coup d'œil en direction du nord et, pendant un moment, un sentiment de solitude s'empara d'elle. De se retrouver si loin de toute civilisation et en présence d'une telle antiquité fit naître en elle une envie inattendue de retourner dans son propre passé. Mais cette envie fut éclipsée par l'atmosphère mélancolique qui s'échappait de Lachyla. Avec un soupir, elle suivit ses amis en direction de la Cité Ravagée.


La terre compacte de la route et des chemins commençait déjà à sécher après la récente averse, grâce aux rayons chauds de Banael qui était à mi-course de son voyage déclinant. Maros se tenait debout devant le Camelot Solitaire, ses mais posées sur la poutre de la clôture. Il ruminait tout en regardant les maisons et les échoppes familières en pierre et en bois, qui avaient été construites sans aucun souci de symétrie. C'était ainsi avec les migrants et les colons.

À travers les habitations, il regarda en direction des collines et des bois. Ses pensées étaient tournées vers Jalis, Oriken et Dagra, ses compagnons, avant qu'il ne fut forcé à raccrocher ses lames. Sa certitude que quelque chose clochait avait considérablement augmenté depuis qu'il avait entendu l'histoire de Jerrick. Et puis il y eut cette complication supplémentaire de Cela Chiddari qui avait passé l'arme à gauche...

"Patron."

"Agh !" Maros se retourna brusquement pour voir Henwyn debout près de lui. "Par les couilles en feu de Banael, mec ! Tu essaies de m'envoyer de vie à trépas ou quoi ?"

Le lancier vétéran réprima un sourire et inclina la tête en s'excusant. "Bonne nouvelle," dit-il. "Leaf est en route pour le quartier général et j'ai pu trouver un chariot et un conducteur. Je dis pas que deux mules nous ferons avancer plus vite mais je préfère ça que d'avoir à te porter sur mon dos si tu fatigues. Sans vouloir t'offenser, patron, mais tu es légèrement lourd même si ma force est légendaire."

"Ha !" Maros claqua une main sur l'épaule d'Henwyn, ce qui fit fléchir ses genoux d'un bon pouce. "Peu de mots plus vrais ont jamais été prononcés, Hen. Qui as-tu embauché ?"

"Le meunier. Wymar."

Maros grommela.

"Ouais, je sais. J'en ai essayé d'autres avant lui mais personne ne voulait risquer de s'aventurer au-delà des limites du Plateau avec rien de que des petits hameaux aux alentours. Wymar était le seul qui n'ait pas protesté d'office. L'appât du gain, sans aucun doute."

"Avec quelle facilité les gens d'ici oublient que les sabreurs leur facilitent la vie rien qu'en vivant dans cette ville. Par contre, quand il s'agit de rendre une faveur—"

"Ce n'est pas tout, patron."

Maros émit un grondement sourd. "Quoi d'autre ?"

"Wymar est énervé, il a dû répartir sa charge de travail parmi le restant de son personnel pour ce qui semble être quelques bonnes semaines."

"Par Verragos, qu'est-ce qu'il raconte là ?"

"Renfrey," dit Henwyn en guise d'explication.

"Pfff, cette petite fouine ? Je l'ai à peine effleuré. Quel est le problème ?"

"Eh bien, on dirait qu'il est arrivé à rentrer chez lui après que je lui ai renversé un seau d'eau sale sur la tête pour le réveiller. Mais quand il s'est réveillé de son sommeil d'ivrogne, il s'est aperçu que son doigt était cassé."

"Son doigt ?"

"Et donc, il est en arrêt de travail."

"Ouais, et Wymar, il veut en tirer le plus grand profit. Je vois. L'étendue des dégâts ?"

"Il veut dix pièces d'argent pour la perte de travail."

"Dix ! Cet ivrogne de Renfrey ne doit pas gagner plus d'une pièce par semaine !"

Henwyn haussa les épaules. "C'est vrai mais le meunier prétend que la redistribution des tâches lui occasionne des coûts supplémentaires, plus la couverture des dommages pour la perte de travail qualifié, la chute du niveau de production, pour ainsi dire."

"Travail qualifié. Je lui en donnerais, moi, du travail qualifié. Bon, dix pièces d'argent pour ce sale voleur. Et le chariot ?"

"Eh bien, Wymar sera notre conducteur, et puis il parle de nourriture pour les mules, d'usure des roues du chariot—"

"Par la verge poilue de Cherak !" Maros agrippa la clôture. Les muscles de son bras se contractèrent tandis qu'il serrait la poutre en bois.

"Doucement, patron," le prévint Henwyn comme la clôture commençait à se fissurer.

"Bien. Bien. Finissons-en, Hen. Je garde mon calme."

"Cinquante pièces d'argent."

La poutre fut arrachée de la clôture. Maros la jeta sur le côté. Un sourire crispé lui fendit le visage. "La violence me calme." Il leva les sourcils pour souligner le fait.

"D'accord," soupira Henwyn. "Je suis content que tu aies eu autre chose que ma pomme sous la main."

"Cinquante, ça fait dix pour cent du budget pour ce travail. Et tout ça va finir dans la poche de Wymar s'ils ne retrouvent pas le joyau, ou la moitié de la part qui me revient s'ils le trouvent. Par tous les dieux, mon gras, ça aurait coûté moins d'acheter deux mules pour toi et un chariot pour moi."

"J'ai essayé ça aussi." Henwyn haussa les épaules. "Tu sais qu'il y a peu de mules disponibles. Personne n'est disposé à en vendre. Si je me mets à leur place, je ne les blâme pas. Je ne peux même pas en vouloir à Wymar de vouloir garder un œil sur ses bestioles plutôt que de nous les confier."

Maros soupira. "Bah, on ferait tout pour les amis, non ? Va dire à ce voleur de meunier que pour le prix qu'il demande, on s'en va avant le coucher du soleil ce soir. Il a quatre heures pour se magner le cul et on est parti. Je ne suis pas parvenu à ce stade de ma vie sans faire confiance à mes tripes, et mes tripes me disent que Jalis et les gars sont en danger."

La Cité Ravagée

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