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VI

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Ma famille manifesta le désir de m'envoyer à l'université d'Oxford, car un de mes oncles avait à sa disposition plusieurs bénéfices, et mon père eût été désolé d'en perdre les avantages; mais, soit dans la crainte d'être obligé d'entrer en lutte avec l'insubordination de mon caractère, soit dans le désir de connaître sérieusement mes goûts, ma famille usa d'un meilleur procédé que celui par lequel elle m'avait conduit chez M. Sayers. Mon père daigna me consulter sur l'urgence de ce prochain départ; mieux encore, il voulut bien en préciser le lieu et me présenter l'image de ma future position sous l'aspect le plus séduisant.

Malheureusement pour la réalisation des espérances de mon père, je réfutai ses arguments à l'aide d'une parole si ferme et avec des manières si éloignées de toute concession, qu'il comprit enfin que je ne serais jamais guidé dans ma conduite ni par l'égoïsme ni par l'intérêt personnel.

À ma grande joie, je fus quelques jours après conduit à Portsmouth et embarqué comme passager sur un vaisseau de ligne nommé le Superbe, qui allait rejoindre à Trafalgar l'escadre de Nelson.

Le Superbe était commandé par le capitaine Keates. De Portsmouth, nous mîmes à la voile pour Plymouth, afin de prendre à bord l'amiral Duckworth; mais un ordre de l'amiral contraignit le vaisseau à stationner trois jours dans la rade, et ces trois jours furent employés par les officiers à maugréer tout bas contre un ordre qui retardait la satisfaction de leur vif désir d'être joints à l'escadre, et par les matelots à transporter sur le bâtiment des moutons et des pommes de terre de Cornwall, destinés à la table de l'amiral.

Ce maudit délai jeta tout l'équipage dans le désespoir, car nous rencontrâmes la flotte de Nelson deux jours après sa victoire immortelle.

J'étais bien jeune à cette époque mémorable de ma vie, et cependant je fus vivement impressionné par la scène qu'amena l'approche du schooner le Pickle, qui portait les premières dépêches de la bataille de Trafalgar et le récit circonstancié de la mort du héros. Le commandant du schooner brûlait d'une si ardente impatience pour être le premier à porter la grande nouvelle en Angleterre, que nos signaux furent vainement aperçus; il n'arrêta pas sa course, et nous nous trouvâmes dans l'obligation de nous détourner de notre route pendant plusieurs heures pour lui donner la chasse, afin de le contraindre à venir sur notre vaisseau.

Le capitaine Keates reçut le commandant sur le pont, et lorsque d'une voix tremblante il lui demanda des nouvelles de l'escadre, je me trouvais à côté de lui. Un profond silence régnait partout; les officiers se tenaient immobiles, pâles et frémissants, à quelques pas de leur chef, qui marchait sur le pont tantôt avec une précipitation fiévreuse, tantôt avec un calme d'écrasant désespoir.

Bataille, Nelson, vaisseaux, étaient les seules paroles intelligibles que pouvaient recueillir les oreilles avides de ces jeunes officiers, bouillants d'impatience et d'ardeur. Le capitaine trépignait, le sang avait jailli à sa figure, et sa voix haletante saccadait les interrogations.

L'amiral Duckworth, retiré dans sa cabine, attendait le résultat des ordres qu'il avait donnés d'arrêter le schooner. Son humeur irritable et violente s'était justement exaspérée du refus d'obéissance qu'avait opposé le commandant à son pressant appel; dès qu'il fut instruit de l'arrivée du schooner, il fit demander le capitaine. Mais Keates n'entendit ni l'ordre ni même la voix qui le transmettait, car il s'appuyait chancelant contre une batterie; et, frappé au cœur, il méconnut pour la première fois la voix de son chef.

– Maudite destinée! murmurait sourdement le capitaine, déplorable délai qui nous enlève la gloire d'avoir participé à la plus magnifique bataille, au plus illustre combat de l'histoire navale!

Un nouvel ordre de l'amiral, qui bouillait de rage et d'impatience, interrompit le sombre monologue du capitaine.

Je suivis Keates dans la cabine du chef, et je m'arrêtai derrière lui sur le seuil de la porte violemment ouverte par l'amiral.

– Une grande bataille vient d'avoir lieu à Trafalgar, dit le capitaine d'une voix basse et entrecoupée par l'émotion, les flottes combinées de la France et de l'Espagne sont entièrement détruites, et Nelson a rendu le dernier soupir. Après un court silence, le capitaine ajouta d'un ton plein d'amertume:

– Si nous n'avions pas perdu trois jours à Plymouth, nous serions au nombre des vainqueurs… Le commandant du schooner vous supplie, monsieur, de ne pas le retenir, de ne pas détruire ses espérances comme vous avez détruit les nôtres…

L'amiral pâlit; mais, sachant qu'il méritait les reproches, il ne fit aucune observation et monta sur le tillac pour interroger le commandant du schooner, qui ne répondit aux questions de Duckworth que par des monosyllabes.

Irrité contre lui-même et contre son entourage, l'amiral renvoya le messager et fit déployer toutes les voiles, afin de réparer par la marche d'une double vitesse les heures qu'il venait de perdre.

Pendant l'exécution de cette manœuvre, l'amiral se promena seul au milieu des officiers, qui gardaient tous un profond silence, et dont les physionomies exprimaient la tristesse et le mécontentement.

Placé au centre de cette désolation, j'en subis l'atteinte, et sans me rendre un compte bien exact du motif de mon chagrin, je m'affligeai avec tout l'équipage.

Le lendemain matin, nous rencontrâmes quelques vaisseaux de la flotte victorieuse; notre amiral communiqua avec eux, et reçut des dépêches du général Callingevood, qui mettait aux ordres du Superbe six vaisseaux de ligne, pour l'aider dans la poursuite des débris de la flotte vaincue. Au nombre de ces vaisseaux se trouvait celui sur lequel je devais prendre une place d'élève: j'y fus donc transbordé.

Il n'est pas nécessaire de dépeindre les misères de l'existence d'aspirant de marine, je les trouvai moindres que celles que j'avais supportées à la pension Sayers, et préférables aux bastonnades de mon père. Du reste, je dois dire en toute franchise que je fus traité par mes supérieurs et même par mes camarades avec une rare bonté, et que cet entourage d'extérieure affection me fit trouver heureux un temps de dure servitude.

– L'inutilité de nos poursuites contre les flottes alliées nous obligea à voguer vers Portsmouth, et la traversée fut très-orageuse; les vaisseaux étaient la plupart démâtés, et le nôtre avait subi des atteintes plus graves; car, fracassé par les boulets ennemis, le pont supérieur était presque incendié. Ce galant vaisseau, qui peu de jours auparavant faisait voltiger ses voiles jusque dans les nuages, tandis qu'il s'avançait fièrement sur les flottes réunies, que l'on nommait avec ostentation les invincibles, était maintenant – quoique son victorieux drapeau flottât encore dans les airs – entraîné çà et là à la miséricorde du vent et des flots. Enfin, après des travaux et des dangers inouïs, et au milieu des acclamations de triomphe de tous les navires auprès desquels nous passions, nous arrivâmes en sûreté à Spithead.

Quelle scène de joie, quel accueil enthousiaste, quel attendrissement universel célèbrent notre débarquement! Du vaisseau au rivage il y avait un pont de bateaux, et chacun s'efforçait d'arriver jusqu'à nous. Des personnes mourantes d'angoisse et d'inquiétude demandaient d'une voix tremblante et passionnée un père, un frère, un fils chéri, un mari adoré. Ces appels étaient suivis ou par un cri de joie délirante, ou par les sanglots déchirants d'un pauvre infortuné qui retournait seul au rivage.

Après les transports de félicitations qui réunirent les amis aux amis, les parents aux parents, vint se faire entendre la voix nasillarde des usuriers juifs, qui offraient aux matelots, d'une main crochue, des poignées d'or en échange de leur part de butin. Aux juifs succédèrent les enfants, les femmes et les parents des matelots; toute une population, tout un peuple qui ne poussait qu'un cri de bonheur; enfin, avec les provisions fraîches, une nuée de femmes de mauvaise vie envahit le vaisseau comme les sauterelles d'Égypte.

Ces femmes arrivèrent en une si prodigieuse quantité, que de huit mille qui demeuraient à cette époque à Portsmouth et à Gaspart, il n'en resta pas plus d'une douzaine dans les deux villes. En peu de temps elles eurent achevé ce que les flottes ennemies avaient menacé de faire, c'est-à-dire de prendre possession de l'escadre de Trafalgar.

Je me rappelle que le lendemain, pendant qu'on déchargeait le vaisseau, ces effrontées pécheresses enlevèrent les trois canons de 32, et je pense qu'il y en avait bien trois ou quatre cents qui viraient le cabestan.

Aussitôt notre débarquement opéré, le capitaine Morris écrivit à mon père pour lui demander ce qu'il fallait faire de moi, puisque son vaisseau, hors de service, était obligé de rester en rade.

Mon père répondit que, bien déterminé à ne pas me recevoir dans sa maison, il priait le capitaine de m'envoyer de suite dans l'école de navigation du docteur Burney.

Je fus épouvanté à l'annonce de cette nouvelle; je pensais en avoir fini avec les pensions; car, pour moi, elles ressemblaient toutes à celles du collége Sayers. Je pressentis donc une vie de pénitences imméritées et d'impitoyables tortures.

Le capitaine Morris, qui souffrait d'une cruelle blessure, fut obligé de quitter le vaisseau, et il me plaça, avec deux autres enfants de mon âge, sous la surveillance d'un contre-maître qui nous amena avec lui à Gaspart. Ce marin avait reçu l'ordre du capitaine de nous conduire dans la maison du docteur Burney.

Un Cadet de Famille, v. 1/3

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