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VII

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J’ai eu plus d’une fois occasion, dans les vingt dernières années, de m’expliquer sur la question de colonisation en connexion avec celle de notre expérimentation sociale. Je disais que chacune des deux opérations offrant séparément des difficultés considérables, en les réunissant, on multipliait, les unes par les autres, les chances contraires. Bien que ceci se rapportât à la manière dont nous avions dû concevoir, en Europe, notre œuvre expérimentale, l’idée des difficultés particulières à la colonisation, et du danger de les associer à celles d’une épreuve sociétaire, était loin de m’avoir abandonné en Amérique. L’aspect sous lequel l’œuvre colonisatrice se présenta d’abord à moi n’était guère fait pour modifier favorablement mes craintes. Je la voyais, au Nord, dans toute sa rudesse. Là, c’est la forêt vierge, serrée, profonde et souvent marécageuse que le pionnier attaque par le fer et par le feu. Des fences (grossières barricades) entourant des abattis de grands bois; la charrue défonçant laborieusement des espaces à demi nettoyés, où se dressent, bien souvent vingt années encore après les débuts, des souches dont l’extraction est si difficile qu’on se résout à en laisser pourrir lentement les racines en terre; des paysages plats, dénudés et tristes; des cabanes en planches s’élevant çà et là dans la neige, dans des boues profondes ou dans des amas de poussière dont le vent fait un fléau, au milieu du désordre sauvage de cette lutte contre une nature si peu commode à vaincre: rien de cela, il en faut convenir, n’était trop encourageant.

Et que trouverions-nous au Sud? La nature du Sud ne se montrerait-elle pas plus hostile encore? Les chaleurs, les fièvres, les émanations meurtrières du sol; l’atténuation des forces par le climat; la forêt plus rebelle et plus inextricable encore; le voisinage de hordes indiennes insoumises, déprédatrices: enfin toutes les légions qui gardent les trésors des jardins du soleil, n’offriraient-elles pas, aux premières générations qui voudraient s’emparer de ceux-ci, un champ de bataille cumulant, avec des dangers d’un nouveau genre, des difficultés de fond plus graves encore? Notez d’ailleurs que, parmi les informations que nous avions quêtées de droite et de gauche, les renseignements effrayants n’avaient pas fait défaut. Il y avait des moments où Brisbane lui-même, malgré sa foi américaine, ne considérait plus notre voyage que comme une affaire de curiosité et un acquit de conscience. Quant à moi, au moment de notre départ, j’étais plus que sceptique à l’endroit de l’Amérique, du moins en tant que foyer de force attractive suffisante pour déterminer un mouvement quelque peu sérieux de nos éléments européens.

Et cependant depuis cinq mois j’étais sous l’impression d’un sentiment profond, irrésistible: je vivais sur une terre libre. Je respirais la liberté par tous les pores, une liberté pleine, entière, aussi complète qu’on la peut rêver pour la Civilisation; une liberté que la condensation des populations sur un sol partout approprié et trop disputé, ne permettra jamais à la politique seule de réaliser eu Europe et qui, jusqu’à l’avènement de l’Harmonie sociale, y restera une chimère. J’avais salué cette liberté; j’en jouissais avec des retours tristes et amers, que vous ne devez que trop bien comprendre. J’en jouissais profondément. Je jouissais du bien qu’elle fait à l’âme, de la dignité qu’elle verse sur un peuple, des immenses issues qu’elle ouvre à l’activité humaine, des créations fécondes qu’elle suscite et prodigue. Je la voyais à l’œuvre sous toutes les formes: à l’œuvre pour la conquête de la Nature, à l’œuvre dans les productions spontanées d’une industrie gigantesque, à l’œuvre pour un mouvement commercial prodigieux, à l’œuvre pour les entreprises théoriques ou pratiques des idées, des doctrines, des inventions ou des sectes. Tout était libre, l’air, la forêt, le champ, le mouvement, la parole, la pensée, la presse, les associations, la personnalité individuelle ou collective: tout est libre et ouvert.

Et cette liberté n’est pas seulement un fait général dans le pays, elle est encore la doctrine du pays. La liberté est la vie, l’âme, l’honneur, la conquête et même la raison d’être et la condition d’existence du peuple Américain. Ce peuple sent qu’il représente aujourd’hui la Liberté dans le monde et qu’il en a charge pour l’avenir collectif de l’humanité.

Et l’activité qui résulte de cette liberté n’est pas seulement un droit, elle est de plus un honneur. L’Américain est naturellement bienveillant à tout ce que l’activité novatrice engendre. Là, loin que les choses nouvelles, si elles sont inoffensives, soient entravées parce qu’elles sont nouvelles, on les accueille, on les encourage et, symptôme bien remarquable, des échecs, des chutes même ne font pas préjugé contre elles. En Amérique, une chute prouve que l’on a marché, voilà tout, et l’on y aime qui marche. Go ahead! c’est la devise. Rien de ce qui tombe honorablement n’est écrasé.

L’Amérique est actuellement, dans le Monde, la Patrie des Réalisations. Elle est essentiellement titrée en esprit de diversité, de mouvement, d’entreprises, en amour des inventions et des expériences, voire des aventures. C’est absolument l’inverse de notre vieille Europe, timorée, routinière même dans ses aspects progressifs, despotique même dans ses partis de liberté. 0mes amis, quelle belle et grande et puissante chose que la Liberté! Que son air est fortifiant et quelle saine jouissance seulement que de s’en nourrir!–Ah! m’écriais-je en l’aspirant à pleine poitrine, si l’Europe nous offrait des conditions semblables, ou bien si nos éléments européens étaient en Amérique!... que promptement notre grand but serait atteint.

Mais ces deux hypothèses, la dernière dût-elle se borner à une transplantation même limitée de ces éléments, me paraissaient, je le confesse, aussi chimériques l’une que l’autre. Comment, en effet, communiquer par la parole, pas même par la parole, par l’écriture froide, ce sentiment dont il faut avoir vécu pour le comprendre dans toute sa plénitude et sa toute puissance? Comment rompre des habitudes enracinées, vaincre une inertie d’autant plus résistante qu’elle est plus naturelle, secouer les torpeurs, triompher des préjugés, de la peur du lointain, susciter enfin une détermination collective aussi considérable, décider une semblable témérité! Je ne songeais pas même à caresser seulement l’idée d’une telle entreprise.–Je vous décris fidèlement l’état de mon esprit et les dispositions de mon âme. Vous savez, sommairement du moins, où j’en étais au moment du départ.

Au Texas

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