Читать книгу Au Texas - Victor Considerant - Страница 14

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Vers le milieu de la quatrième journée, en effet, tout changea autour de nous comme par enchantement. Bien que j’aie très-présente l’impression que je ressentis à l’aspect des scènes qui s’étalèrent presque tout à coup sous nos yeux, je renonce à vous la transmettre dans son charme, sa fraîcheur et sa saisissante puissance.

Jusque-là, nous n’avions guère vu encore que la nature sauvage et âpre, la forêt impénétrable, des rivières encaissées dans des bancs de terres boueuses, un horizon borné. Le sol, sans doute, était fertile, ses produits accusaient même une fécondité très-énergique, mais quels rudes labeurs n’en réclamerait pas la conquête!

Tout à coup, le quatrième jour, après quatre ou cinq heures de marche, l’horizon s’élargit, la forêt s’ouvre, et nous débouchons sur une tête de vallée d’un tel aspect que nous étions tentés de croire à la féerie. Cette vallée, que nous dominions, s’étendait devant nous dans le sens de sa longueur. A droite et à gauche, de riches prairies s’élevant en ondulations élégantes, atteignaient des lignes de montagnes boisées, dont les sommets étagés sur plusieurs plans, verdoyant près de nous et bleuissant dans les lointains, encadraient le paysage. Du fond des vallons jusqu’à mi-côte, la prairie développait de superbes tapis veloutés d’herbes et de fleurs; le long des lisières de la forêt, où les nappes de la prairie venaient mourir, la verdure plus sombre des bois dessinait des caps, des isthmes et des golfes aux contours les plus accidentés. Des bouquets de grands chênes, d’ormes, de noyers, d’hickorys, s’enlevaient çà et là comme des îles, sur les pentes des coteaux; tandis que, dans les fonds, les sinuosités d’une végétation plus variée d’essences et de teintes que celle des hauteurs, accusaient les cours des ruisseaux qui les arrosent.

Le paysage était classique et charmant: mais ce qui nous surprit au delà de toute expression, c’en était le caractère. Je n’ai rien vu dans toute l’Amérique civilisée et cultivée, rien d’aussi propre, d’aussi coquet, j’allais dire d’aussi préparé, il faut dire d’aussi achevé que ces solitudes par où nous débouchions dans le haut bassin de la rivière Rouge. Br. et moi nous fûmes frappés de la même idée: nous crûmes voir, transportés dans le riche climat et sous le ciel magnifique du34e degré, les plus beaux parcs créés et entretenus à si grands frais par la haute aristocratie de l’Angleterre. Qui a visité les parcs de Richemond et de Windsor, en effet, n’a qu’à en chasser les brouillards, les illuminer d’un soleil radieux, les baigner dans une atmosphère déjà méridionale et encore tempérée; et il verra, du moins peur l’ordonnance des détails, ce que nous ne cessâmes presque d’avoir sous les yeux pendant une soixantaine de milles; c’est à ce point que, chevauchant et rêvant pendant les silences de la route, il m’est arrivé dix fois d’oublier totalement le désert et de chercher de l’œil la villa, le château, les résidences de luxe ou de haute agriculture, dont les images s’associent impérieusement à ces aspects de vergers, à ces pâturages entrecoupés de frais bosquets, à ces rideaux de grands arbres qui ombragent les expositions et les pentes de la prairie.

La nature a tout fait. Tout est prêt; tout est disposé; il n’y a qu’à élever ces constructions que l’œil s’étonne de ne pas trouver; et rien n’est approprié ni morcelé: rien ne gêne. Quels champs d’action! quels théâtres de manoeuvres pour une grande colonisation opérant en mode combiné et collectif! quelles Réserves pour le berceau de l’Harmonie, et que puissants et prompts n’en seraient pas les développements si les éléments vivants et volitifs du monde de l’Avenir s’y trouvaient transportés! Un horizon d’idées nouvelles, de sentiments et d’espoirs nouveaux s’ouvrait comme par magie devant moi. Br. était confirmé dans sa foi américaine; moi, baptisé.

L’aspect de cette nature si manifestement amie, cette douce et majestueuse invitation faite à l’homme social par la terre primitive, ces fiançailles si magnifiquement préparées entre elle et le travail libre, combiné et harmonisé, agissaient sur nous comme une révélation soudaine de la Destinée. Évoquez ces spectacles, ce climat, ce ciel, cette fécondité du sol, ces espaces, cette munificence des choses et la liberté! Et pensez à l’état du vieux monde, que nous évoquions nous-mêmes, de ce vieux monde approprié par le morcellement, gangrené, possédé par des civilisations en décadence, travaillé par tous les vices, tiraillé par tous les intérêts sordides, voué à toutes les misères, à tous les despotismes, aux guerres, aux révolutions... Et dites si, en présence de ces dons merveilleux, restés jusqu’à ce jour intacts sous la garde des peuplades primitives et du désert, l’idée des Réserves ménagées à la Pensée progressive de l’humanité par la Providence générale des choses, ne devait pas faire irruption dans nos âmes! Pour moi, j’avais vu la lumière du Buisson Ardent, et dès les derniers jours de cette traversée, mes yeux s’ouvrirent a une étude mêlée désormais d’espérance, et fortement aiguisée, cette fois, par un intérêt supérieur et social. Je retenais un peu néanmoins l’expression de ces sentiments. Br. n’avait pas besoin de stimulant dans cet ordre, et ma raison voulait être édifiée sous toutes ses faces avant de recevoir, sans réserve, la foi qui demandait à l’envahir.

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