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VIII

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Le50avril, Br. étant libre enfin, nous quittâmes les bords de l’Érié, où flottaient encore des bancs de glace de plusieurs lieues de longueur. Les branches des arbustes ne laissaient pas même paraître cette légère teinte verdàtre avant-courrière des premiers bourgeons. Nous allions au Texas, que nous devions aborder par la frontière du nord sur la rivière Rouge, après avoir dessendu l’Ohio, le Mississipi et remonté une partie de l’Arkansas. Nous marchâmes le premier jour au sud-ouest de Cleveland où nous retrouvions l’Érié, et le lendemain, au sud-ouest, dans la direction de Wellswille sur l’Ohio. Le50avril, nous avions laissé l’hiver à Buffalo; le lendemain, à midi, nous entrions à Canton, où nous trouvions un des amis de la Cause, et pour deux degrés seulement plus au sud, nous étions déjà en plein début de printemps. Un beau soleil, une température vivifiante, la campagne verte et parée, les jardins rayonnants de fleurs, les oiseaux dans une ardeur de travail et d’amour dont je n’avais jamais été témoin à un pareil degré en Europe: je n’oublierai jamais le charme de ce changement de décoration à vue de la nature.

Ici déjà l’œuvre de la colonisation avait été moins rude. On avait eu plus souvent affaire à la prairie qu’à la forêt primitive. Le sol ne s’étendait plus en plaines monotones. Les ondulations du terrain, la variété des cultures, les bois qui couronnaient les hauteurs, les ruisseaux et les lacs où se baignent les pieds des grands arbres, donnaient au paysage un air riant et heureux qui me communiquait des impressions nouvelles et délicieuses.

Vierge ou cultivée, la verdure splendide de la grande végétation du nouveau monde ne devait plus nous quitter désormais, et le2mai, dans l’après-midi, nous atteignions, par une riche et pittoresque vallée charbonnière d’un des contreforts des Alléghanys, les bords magnifiques de l’Ohio.

Nous avions d’excellents amis de la cause à visiter à Cincinnati et à Patriot. Ils nous attendaient et nous reçurent à bras ouverts, approuvant énergiquement l’idée d’aller chercher un champ de grande Réalisation out of civilisation, hors la civilisation. Et ils ne se bornaient pas à des vœux pour le succès; j’entends encore le brave Allen nous disant: «Trouvez ce qui convient; en huit jours je vends mes propriétés, règle mes affaires, et nous sommes prêts.»

Je devais aussi retrouver, à la porte de Cincinnati, notre bon et vieil ami Gingembre, dans une maisonnette qu’il s’est construite en huit jours avec ses deux fils, sur un monticule au milieu des grands arbres, au bord de l’Ohio; et que j’ai baptisée du nom exact de Gingembre-Box. Dégoûté de l’Europe, Gingembre en était parti vers la fin de 1849avec sa famille; et, comme l’immense majorité des Européens que j’ai rencontrés en Amérique, il ne tarissait pas en bénédictions sur l’inspiration qui l’y avait conduit. Décidez, me répétait-il souvent, décidez tous nos amis à venir en Amérique: ici nous pourrons faire et nous ferons facilement de grandes choses. Ses trois enfants ont été très-promptement et fort bien casés. Il est vrai que tous trois parlaient, déjà avant d’arriver, la langue du pays.

A Cincinnati, grande cité active et prospère comme tant de ces filles de l’Union nées d’hier, une de mes idées se modifia: je veux parler de la question des difficultés matérielles de la colonisation.

J’avais sous les yeux l’un des arsenaux de la colonisation intérieure. Comme une armée en campagne a, sur ses bases d’opérations, ses grands dépôts de guerre, la conquête de la nature a organisé, en Amérique, ses grands entrepôts et ses magasins. Tout y est préparé et monté pour l’œuvre. Les opérations que celle-ci comporte sont si pratiquées et si communes que tous les détails en sont prévus et toutes les nécessités pourvues. La colonisation a passé, en Amérique, à l’état d’industrie courante. Son outillage, son établissement et sa mise en œuvre sont si bien déterminés, ses procédés si usuels, qu’on peut dire qu’elle s’y coufectionne comme on fabrique, dans les établissements ad hoc, des draps, des planches ou des chapeaux. Les créations spontanées, dont j’avais déjà vu d’ailleurs alors de si grands espaces couverts; la transfiguration si prompte de tant de terrains naguères vierges et sauvages en cultures florissantes, en cités populeuses; la facilité avec laquelle se casent ces centaines de mille Européens dénués, jetés chaque année par l’émigration sur cette terre généreuse, qui absorbe Je flot montant de notre misère comme une pluie fécondante, et la transforme si vite, par le travail, en aisance et en richesse; tous ces phénomènes particuliers à la formation sociale que j’étudiais, m’avaient démontré, clair comme le jour, que si ailleurs le problème de la colonisation est souvent hérissé de grandes difficultés, la pratique l’a décidément résolu ici sans réplique. Il est vrai que ceci est une opération purement moléculaire et qui n’a plus qu’à se continner.

Mais ce point gagne, bien d’autres objections subsistaient dans mon esprit, et déjà même nous reconnaissions que l’appropriation, le prix et le morcellement des terres, non moins que diverses autres considérations locales, étaient peu faits pour encourager les idés dont Br. s’était bercé, quelques mois auparavant, à l’endroit de ces contrées de l’ouest sur lesquelles nous acquérions maintenant des notions très-positives.

Au Texas

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