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1.1.2. Présentation chronologique des travaux
ОглавлениеC’est dans ces contextes respectifs que paraissent, dans la deuxième partie du XIXe siècle, les premiers travaux sur les déonomastiques issus de prénoms en allemand et en français. L’un des premiers à s’intéresser au phénomène en allemand est Friedrich LATENDORF (1838–1898) qui, dans son article Ueber die sprichwörtliche Anwendung von Vornamen im Plattdeutschen (1856), s’intéresse aux unités phraséologiques contenant des éléments dépréciatifs telles que ful Greth (‘femme paresseuse’), Nölpeter (‘homme indolent’) et Quatschmichel (‘homme bavard’), expressions courantes dans le Mecklembourg, ainsi qu’à leur diffusion dans les contrées voisines du Holstein, de Brême et de la Basse-Saxe. L’auteur puise ses exemples du Bremisch-niedersächsisches Wörterbuch1 qui reflète selon lui plus fidèlement les parlers locaux que la littérature régionale, celle-ci ne rendant compte que manière incomplète de la vie quotidienne du peuple (cf. LATENDORF 1856 : 6). Friedrich Leopold WOESTE (1807–1878) complète la liste de LATENDORF en citant des exemples issus des parlers du Bergisches Land (Rhénanie-du-Nord-Westphalie) et de la Marche de Brandebourg, tels que dummer Klas (diminutif de Nikolaus) et dumme Treine [sic] (diminutif de Katharina) pour désigner un sot ou une sotte (cf. 1856 : 371–374).
Trois ans plus tard, Wilhelm WACKERNAGEL publie son étude Die deutschen Appellativnamen (1859/60) qui fera date dans la recherche en déonomastique. L’auteur définit le terme d’« Appellativname », repris dans quelques travaux ultérieurs, comme ‘renvoyant à la fois à l’emploi de noms propres pour désigner des concepts et, suite à sa banalisation, à la transformation progressive de ces mêmes noms propres en noms communs’2. Il y inclut ainsi des noms propres aux origines et emplois très divers : certains servent à personnifier des animaux (Îsengrîn, le loup), des armes (Balmunc, l’épée de Siegfried) ou encore des cloches (Theodolus, cloche de la cathédrale de Bâle ; 1859 : 129 sqq., 1860 : 290 sqq.), d’autres à caractériser des êtres humains (Hans Nimmersatt ‘homme insatiable, glouton’, Murrgret ‘fille ou femme peu aimable, acariâtre’) ou à désigner des objets (Heuheinz ‘construction en bois utilisée pour le séchage du foin’, Stiefelhänsel/-heinz ‘tire-botte’ ; 1860 : 316 sqq.). L’étude de WACKERNAGEL repose sur une somme considérable d’exemples, issus de sources sur le moyen-haut-allemand, de dictionnaires de dialectes du sud3 et d’ouvrages littéraires de la période du haut-allemand précoce, notamment les écrits satiriques de Sébastian Brant, Johann Fischart et Hans Sachs, qui avaient volontiers recours aux prénoms comme noms communs pour railler et dénoncer les travers de leurs contemporains.
Paul Joseph MÜNZ (1832–1899), curé à Oberhöchstadt, examine dans son étude Taufnamen als Gattungsnamen in sprichwörtlichen Redensarten Nassaus (1870) l’émergence et la diffusion des noms chrétiens, en particulier dans l’espace germanophone, avant de présenter quelques noms de baptême chrétiens courants (Johannes, Margaretha, Heinrich, Konrad, etc.) employés, sous leur forme pleine ou sous une forme diminutive, dans des expressions et des locutions proverbiales de la vallée de la Lahn (Hänschen im Keller ‘enfant à naître’, schlampige Gretel, Ich will Kunz heißen, wenn …). Il est intéressant de constater que MÜNZ n’emploie nulle part le terme d’« Appellativname » alors que certaines notes attestent qu’il connaissait l’étude de WACKERNAGEL.
Dans sa thèse de doctorat intitulée De la création actuelle des mots dans la langue française et des lois qui la régissent (1877), Arsène DARMESTETER (1846–1888), professeur de langue et littérature médiévales à la Sorbonne, traite dans la partie consacrée à la « dérivation impropre » le cas des « noms communs tirés de noms propres » (1877 : 42 sqq.). Ce phénomène est, selon lui, attesté « à toutes les époques » (1877 : 42) : renard est apparu comme nom commun au Moyen Âge, guillemet, probablement le diminutif de Guillaume, nom ou prénom de l’inventeur présumé de ce signe, au XVIIe siècle, napoléon (‘pièce de monnaie’) au début et victoria (‘ancien type de voiture hippomobile’) au milieu du XIXe siècle. Selon l’auteur, c’est précisément au cours du XIXe siècle qu’on assiste à une forte augmentation du nombre de déonomastiques issus de noms de personnes, conséquence de l’industrialisation et de l’émergence de nombreuses inventions portant le nom de leurs inventeurs : breguet/bréguet4 (‘montre de précision’), fusil Chassepot ou chassepot5 (‘fusil de guerre muni d’un sabre’), godillot6 (‘chaussure militaire’), etc. Dans un ouvrage ultérieur, La vie des mots étudiée dans leurs significations (1887), DARMESTETER distingue dans la partie consacrée aux « changements de sens, ou tropes » l’emploi de noms communs comme noms propres (l’Empereur pour Napoléon Ier) et de noms propres comme noms communs (agnès ‘femme innocente, ingénue’, tartuffe ‘hypocrite’), phénomènes ayant « reçu le nom barbare d’antonomase » (1887 : 48). Le cas particulier des déonomastiques issus de prénoms fait l’objet d’un traitement à part dans la partie consacrée aux « modifications psychologiques », comprises comme des « changements port[a]nt sur l’expression variable, souvent mobile, d’idées et de faits qui se retrouvent en tout temps, en tous lieux : objets usuels, animaux domestiques, végétaux communs ; faits sociaux les plus simples […] » (1887 : 99). Ainsi, la pie et l’ours recevaient respectivement les prénoms Margot et Martin et le peuple désignait les hommes sots au moyen de prénoms comme Jean, Pierrot, Claude et Nicaise (1887 : 109)7. Quelques années plus tard, dans la partie sur la formation des mots de son Cours de grammaire historique de la langue française (1895), DARMESTETER distinguera sept procédés par lesquels les noms propres peuvent devenir des noms communs8 :
1 « noms d’auteurs ou d’inventeurs qui passent à leurs livres, à leurs inventions » (barème9, louis ‘pièce de monnaie’) ;
2 « noms de personnages célèbres de l’histoire, de la littérature qui désignent des caractères, des vices ou qui dénomment certains objets » (agnès, espiègle10) ;
3 « prénoms devenus noms communs avec une signification défavorable » (jeanjean ‘sot’, péronnelle11) ;
4 « noms de personnes ou de lieux que le caprice de la mode a donnés à certains objets » (silhouette12, victoria) ;
5 « noms de lieux qui ont passé aux objets que ces lieux produisent, qui y sont fabriqués » (cachemire, gruyère) ;
6 « noms ethniques pris dans un sens général, le plus souvent défavorable » (arabe, gascon) ;
7 « noms propres de personne donnés par plaisanterie à des animaux » (bernard-l’hermite, martinet). (DARMESTETER 1895 : 53 sq.).
Insistant sur le caractère archaïque de nombreux mots et expressions renvoyant à des aspects révolus de la vie quotidienne du peuple, Karl ALBRECHT (1823–1904) publie en 1881 un court article consacré à l’emploi nominal des noms de personnes dans le Reallexikon der deutschen Altertümer. Bien qu’il renvoie à plusieurs reprises à l’étude de WACKERNAGEL et qu’il prenne explicitement pour modèle sa présentation alphabétique des exemples, il ne fait jamais appel au terme d’« Appellativname ». La même année, ALBRECHT consacre quelques pages de son ouvrage Die Leipziger Mundart. Grammatik und Wörterbuch der Leipziger Volkssprache aux prénoms employés comme noms communs (chap. « Wörterbildung » ; 1881b : 36–40) ; les exemples cités ne sont pas tous limités à un emploi dialectal (Hans Narr ‘sot’, Johann ‘valet, serviteur’, Stoffel ‘lourdaud’, Drecksuse ‘femme malpropre’, Grete ‘femme quelconque’).
Pour Johannes LEOPOLD (1845–1900), qui s’intéresse à l’emploi de noms propres dans les locutions et les proverbes (1883), le passage du nom propre au nom commun est un phénomène ‘tellement naturel qu’on le rencontre dans presque toutes les langues’13. L’auteur passe en revue une dizaine de prénoms populaires employés dans de nombreuses expressions en allemand (dont Hans, Kunz, Heinz/Hinz, Peter et Michel) avant de présenter quelques locutions contenant des noms de famille (zu Tante Meier gehen ‘aller aux toilettes’).
Dans son article Der typische Gebrauch der Vornamen im meklenburger14 Platt (1884), Richard WOSSIDLO (1859–1939), spécialiste de la culture régionale du Mecklembourg, regrette que son prédécesseur LATENDORF (1856) se soit contenté de glaner une vingtaine d’exemples, livrant ainsi une vision faussée du phénomène (« ein schiefes [Bild] » ; cf. 1884 : 81)15. Il lui oppose une liste d’environ 600 formations, précisant que l’usage recèle un nombre bien plus important de mots de ce type (cf. 1884 : 81). WOSSIDLO distingue trois catégories, la première rassemblant des proverbes et des locutions proverbiales (Hans Smāl sett allens bi sick dāl ‘Un homme maigre mange beaucoup’, lütt Hans möt unner liggen ‘Les petits ont toujours le dessous’)16, la deuxième des noms d’animaux, de plantes, d’habits, etc. (Grotjochen ‘troglodyte’ [orn.], ful Lis ‘mouron’ [bot.], snelle Kathrin ‘diarrhée’ [classé dans la catégorie « nourriture » !]). La troisième réunit des constructions désignant des défauts humains, des traits de caractères, etc., classées dans pas moins de 46 sous-catégories sémantiques, dont le rire (Lachelgret), les pleurs (Plinsmichel ; bas-all. plinsen ‘pleurer’), la mauvaise odeur (Glösmichel ; bas-all. glösen ‘être incandescent’), le fait de fumer (Smökpeter), la nourriture (Johann Unrim ; Unrim ‘goinfre’, du bas-all. unrimsch ‘fou’), la lâcheté (Hans Bangbüx ; Bangbüx ‘personne peureuse’, de Büx ‘pantalon’) et la saleté (Smutzfiken)17. Cette classification est problématique en ce qu’elle repose simultanément sur différents types de critères : la catégorie des proverbes et locutions proverbiales contenant un prénom est définie formellement alors que les autres catégories le sont sémantiquement. Il s’ensuit que de nombreux exemples classés dans la dernière catégorie sont formellement semblables à ceux de la première. Si l’auteur ne souhaite pas s’exprimer sur la provenance des exemples18, il ressort des gloses que certains sont sans doute empruntés à LATENDORF et que d’autres sont issus de collectes personnelles (« Von einem Schäfer hörte ich », « In etwas anderer Fassung klagte mir eine alte Frau », etc. ; 1884 : 82).
Quelques travaux de la fin du XIXe siècle abordent brièvement le passage du nom propre au nom commun : Heimbert LEHMANN (1860-?), qui consacre sa thèse de doctorat au changement sémantique en français (1884), classe les noms communs issus de prénoms tels que catin (‘prostituée’ ; de Catherine) et louis (‘pièce de monnaie’) parmi les ‘mots historiques’ (« historische Wörter » ; 1884 : 113), dont la signification a été influencée par les changements historiques, culturels ou sociétaux. Ferdinand BRUNOT (1860–1938), l’un des historiens de la langue française les plus connus, souligne dans son Précis de grammaire historique de la langue française (1887) la productivité et la pérennité du phénomène : « Ces substantifs sont très nombreux. La langue en a créé à toutes les époques » (1887 : 146), phénomène qu’il illustre par les exemples napoléon19 et victoria, empruntés sans doute à DARMESTETER (1877). Le romaniste français Charles BONNIER (1863–1926), dans sa brève thèse consacrée aux noms propres français (1888), rédigée en allemand et soutenue à l’Université de Halle, constate que l’appellativisation est un phénomène inverse à celui consistant à former des noms propres à partir de substantifs. Il cite quelques expressions contenant le prénom Marie (Marie l’étourdie, Marie l’avale tout, Marie la fureur, Marie braiyoire20 ‘pleurnicheuse’, Marie plaidoire ‘femme bavarde’) et des sobriquets désignant des nations, tels que John Bull pour l’Angleterre, der deutsche Michel pour l’Allemagne et Jonathan pour les États-Unis. Pour Wilhelm MEYER-LÜBKE (1861–1936), un nom propre est employé comme nom commun ou comme adjectif quand son porteur se distingue par une caractéristique au point qu’il en devient le type (cf. MEYER-LÜBKE 1894 : 436). Parmi les rares exemples qu’il cite, seules les désignations d’animaux renard, afr. marcou (de Marc ou afr. Markolf) et arnaut (‘matou’) ainsi que afr. ladre (1. ‘pestiféré’, 2. ‘avare’21 ; de Lazarus) sont issus de prénoms. Enfin, Max NITZSCHE (1872-?), dans sa thèse intitulée Qualitätsverschlechterung französischer Wörter und Redensarten (1898), montre au moyen de Jean et Margot que la bourgeoisie et l’aristocratie ont employé certains prénoms fréquents dans les couches populaires pour désigner péjorativement les sots et les traits de caractère associés à la vie rurale (chap. « sozialer Gegensatz » ; 1898 : 17)22.
Gustav KRUEGER (1859-?) est l’un des premiers auteurs à consacrer une étude contrastive aux noms communs issus de noms propres (1891). Dans ce travail, qui repose sur le dépouillement d’une dizaine de dictionnaires de l’allemand, du français et de l’anglais, l’auteur ne procède pas comme ses prédécesseurs à une présentation alphabétique des items retenus. Dans sa classification, il fait intervenir le domaine initialement associé au porteur du nom, distinguant ainsi les mots ou expressions issus du nom de personnages antiques (Xanthippe23, mégère24), bibliques (Jeremiade/jérémiades25) ou littéraires (Don Juan, Münchhauseniaden). Sous la rubrique « divers » (« Vermischtes »), il rassemble les mots et expressions issus de noms d’inventeurs (Mansarde/mansarde26, Makadam/macadam27), de lieux (Champagner/champagne, Taler28) et de prénoms répandus (Schmalhans ; jean-foutre)29. Cette classification n’est pas exempte d’aspérités dues notamment au chevauchement de certaines catégories comme celles de la mythologie antique et de la littérature (amphitryon ‘hôte qui offre à dîner’, du nom du personnage mythologique dans la comédie de Molière [1668]). À la fin de son article, KRUEGER (1891 : 19) exprime le souhait que son étude ouvre la voie à des travaux plus approfondis et mieux documentés sur la question.
C’est précisément ce à quoi s’emploie Oscar SCHULTZ (1860–1942) qui, quelques années plus tard, consacre une étude au passage des noms de personnes aux noms communs en provençal et en ancien français (1894). L’auteur met l’accent sur des prénoms courants à l’époque tels que Jean, Pierrot, Alphonse et Marion, dont l’emploi nominal est plus délicat à expliquer que pour les formations issues du nom de personnages historiques ou littéraires. Les exemples retenus sont tirés d’œuvres littéraires ainsi que de dictionnaires de l’ancien et du moyen français30.
Richard NEEDON (1861–1931), spécialiste d’histoire culturelle régionale, s’intéresse à l’emploi nominal de prénoms en allemand (1896). L’auteur, qui a emprunté ses exemples en partie à WACKERNAGEL (1859/60) et à ALBRECHT (1881a) et en a rassemblé d’autres dans son environnement linguistique saxon (cf. 1896 : 199, n. 1), les classe dans les catégories 1. ÊTRES HUMAINS, 2. ANIMAUX, 3. DÉMONS et 4. INANIMÉS (y compris les plantes)31. L’auteur montre l’évolution sémantique de certaines formations comme marionnette, qui désignait initialement des petites figurines représentant la Vierge Marie (cf. 1896 : 208).
Dans son ouvrage intitulé Völkerpsychologie (1900), Wilhelm WUNDT (1832–1920) s’intéresse aux processus psychologiques à l’œuvre lors des transferts de dénomination, notamment ceux qui s’inscrivent dans des conditions spatio-temporelles particulières ou individuelles (« singuläre Namenübertragungen » ; 1900 : 541 sq., 546). Parmi ces transferts, il relève ceux qui consistent à employer le nom d’une entité unique pour désigner un ensemble d’entités semblables, comme dans le cas de Hanswurst et Tartüff (cf. 1900 : 550), l’élément déterminant étant l’association avec une personne ou un personnage aux traits saillants et suscitant une forte émotion.
Dans son étude Bedeutungsentwicklung unseres Wortschatzes (1901), Albert WAAG (1863–1929) rapproche le processus de péjoration affectant des mots désignant des qualités au demeurant neutres (gemein ‘commun, ordinaire’ > ‘vulgaire’, ‘méchant’) et l’émergence de noms communs à partir de prénoms (chap. « Aufeinanderfolge verschiedener Arten des Bedeutungswandels » ; 1901 : 134 sqq.). Dans les deux cas de figure, un élément de signification initialement accidentel et contextuel prend une importance telle qu’il finit par se substituer à la signification initiale (cf. 1901 : 134)32. Il ajoute :
Du point de vue psychologique, on peut définir le processus en ces termes : une représentation secondaire devient la représentation principale ; on peut également le concevoir, en reprenant les catégories précédentes, comme la succession d’un rétrécissement sémantique et d’un élargissement total, à l’inverse de la métaphore que l’on peut interpréter comme le résultat d’un élargissement suivi d’un rétrécissement.33
WAAG (1901 : 158–163) fait appel aux mêmes catégories que NEEDON (1896) : ÊTRES HUMAINS (Johann ‘valet’, Saufhans ‘soûlard’), ANIMAUX (Matz ‘petit oiseau’ ; de Matthias)34 et INANIMÉS (Dieterich ‘passe-partout’).
Oskar WEISE (1851–1933), enseignant à Eisenberg (Thuringe), s’intéresse à trois types d’emplois de prénoms dans les dialectes du haut-allemand, qu’il présente comme des caractéristiques du langage populaire (cf. 1903 : 353) : 1. la désignation péjorative et particulièrement fréquente de personnes présentant une particularité d’ordre physique ou moral (Hans ‘lourdaud’, Sauflotte ‘soûlarde’), 2. la désignation d’objets, plus rare (blauer Heinrich ‘soupe à la farine’, sanfter Heinrich ‘liqueur de menthe’), 3. l’emploi comme élément de comparaison dans des locutions proverbiales (frech wie Oskar, Hier geht es zu wie bei Matzens Hochzeit), dont l’origine est, selon l’auteur, souvent difficile à retracer.
Josef REINIUS (1871–1937) a rédigé en anglais une thèse volumineuse pour l’époque (1903 ; 296 pages) consacrée aux mots et expressions issus de noms propres en anglais et en allemand35, poursuivant ainsi l’approche contrastive de KRUEGER (1891). L’auteur distingue les noms historiques et littéraires (« historical and literary names »), qui renvoient à un individu ou à un personnage identifiable (croesus ‘homme très riche’, Methusalem ‘vieillard’)36, des noms courants ou formant type37 (« current or class-names »), pour lesquels ce n’est pas le cas (jack ‘homme’, Hans ‘sot’ ; 1903 : 12)38. Ces deux groupes ont des caractéristiques sémantiques distinctes :
Les noms formant type dénotent des êtres humains de manière générale ou des personnes d’une certaine classe, profession, origine, puis des personnes présentant des caractéristiques associées à cette classe, profession, etc., la dénotation étant rarement avantageuse pour les personnes concernées. Une connotation dépréciative, dans le meilleur des cas humoristique, s’attache également aux significations neutres citées plus haut, alors que les noms historiques et littéraires sont souvent élogieux. Une autre différence entre ces groupes réside bien entendu dans le fait que les noms historiques et littéraires, étant donné leurs associations plus précises, ont souvent un contenu plus particulier, un sens plus spécial[39]. Un adjectif qualificatif ou un élément de composition peut servir à renforcer ou à spécifier le sens dépréciatif d’un nom formant type dans le but de dénoter, pour ce qui est des qualités extérieures, un comportement maladroit, une démarche lourde, la saleté, etc., puis des qualités intérieures comme la stupidité, la paresse, la couardise, l’arrogance, la malhonnêteté, la lubricité, la mauvaise humeur, la volubilité, l’avarice, etc. Ces qualités étant exprimées par l’élément qualifiant, les noms propres jouent le rôle de préfixes ou suffixes dépréciatifs désignant des personnes.40
REINIUS (1903 : 124 sqq.) propose ensuite une classification sémantique des noms anglais et allemands formant type : les prénoms masculins sont employés pour désigner des hommes en général (jack, Heinz) ou ceux jouissant d’une bonne réputation (dandy, de Andrew ; großer Hans ‘homme riche et respecté’). D’autres renvoient 1. aux relations humaines au sens large (bob ‘ami’, Giftmichel ‘supérieur’ dans le jargon militaire41), 2. aux professions (jockey/Jockey) ou à la classe sociale (jack/Hans Mist ‘paysan’), 3. à l’origine (paddy/Paddy ‘Irlandais’) ou à la confession (Mauschel ‘Juif’) et 4. à certaines particularités physiques (jack-nasty-face/Dreckmichel ‘homme sale’) et traits de caractère (lazy-lawrence/fauler Peter ‘homme paresseux’). Les déonomastiques issus de prénoms de femmes, plus rares selon l’auteur (1903 : 134), sont classés de manière similaire : ils désignent des femmes au sens général (madge, Grete) ou dans celui de ‘compagne, copine’ (dolly, Käthe), renvoient à la classe sociale (molly/Grete ‘paysanne’) et à des particularités d’ordre physique (amy florence/Schlabberliese ‘souillon’) ou mental (gilly/dumme Trine ‘idiote’ ; 1903 : 130 sqq.). Les prénoms, qu’ils soient masculins ou féminins, sont rarement employés pour désigner l’autre sexe. C’est le cas entre autres de johnny (‘chérie’), rechter Hannes (‘femme à l’allure masculine’, diminutif de Johann) et mary-ann/Trine (‘homme efféminé’, ‘homosexuel’). Dans un chapitre « digression », consacré aux mots et expressions désignant des animaux, des plantes et des objets, REINIUS (1903 : 143 sqq.) recourt de nouveau à sa distinction entre noms historiques (Lampe ‘lapin’, Hinz ‘chat’ ; d’après les personnages du récit Reinke de vos) et noms formant type (gill/Nickel42 ‘cheval’)43. Des indications sur l’origine et l’emploi des mots et expressions ainsi que de nombreux exemples tirés d’œuvres littéraires sont donnés dans de longues listes d’items, obtenues par le dépouillement de dictionnaires généraux44 et dialectaux45 ainsi que d’ouvrages consacrés au slang et à divers sociolectes46.
Othmar MEISINGER (1872–1950), enseignant au lycée de Lörrach et spécialiste du badois, publie en 1904 et 1905 deux listes de déonomastiques sous le titre Die Appellativnamen in den hochdeutschen Mundarten, la première rassemblant des formations issues de noms masculins, la seconde de noms féminins. Le but de l’auteur est de poursuivre le travail de WACKERNAGEL (1859/60) en exploitant la littérature dialectale, en plein essor (« mächtige Dialektlitteratur » ; 1904 : 4), ainsi que les premiers volumes de l’imposant Schweizerisches Idiotikon47. En 1910, il publie un supplément contenant, entre autres, des mots et expressions argotiques utilisés par les soldats et les escrocs48.
Dans la première partie de son article Über Eigennamen als Gattungsnamen im Französischen und Verwandtes (1905), Julius BAUDISCH (1859-?), enseignant à Vienne, propose une classification des déonomastiques qui, comme celle de KRUEGER (1891), repose sur le domaine initialement associé au porteur du nom. Les prénoms constituent une catégorie à part (agnès ‘jeune fille innocente ou ingénue’), à côté des noms de famille (bottin49), des noms bibliques (adam ‘pécheur’), des noms renvoyant à l’Antiquité classique et à la mythologie (apollon ‘homme d’une grande beauté’) et des noms de villes, de pays, de peuples, etc. (havane ‘cigare’, écossais ‘tissu écossais’). La seconde partie (1906) contient d’autres formations déonomastiques et quelques dérivés de mots recensés dans la première liste (« zu Adam. adamique ‘rein, unschuldig’ »). Des noms d’armes (Durandal, l’épée de Roland) ainsi que des dérivés, aujourd’hui inusités, formés à partir de noms de mois (maïalisme ‘refroidissement qui survient souvent au mois de mai’) et de jours de la semaine (lundiste ‘celui ou celle qui, tous les lundis, publie un article dans le journal quotidien’) sont rassemblés sous la catégorie « Vereinzeltes ». Sa classification est problématique à plus d’un titre : non seulement les formations comme Joseph et Rébecca sont rangées uniquement parmi les expressions renvoyant à la Bible, et non sous la catégorie des prénoms comme on aurait pu aussi s’y attendre, mais ces listes renferment également une quantité non négligeable de dérivés non-nominaux : adjectivaux (carthaginois ‘perfide’, louis-quatorzien ‘majestueux’), verbaux (se césariser ‘imiter les Césars, prendre des allures despotiques’, méduser50), voire propriaux (Sorbonne51).
Dans son ouvrage Das Rotwelsch des deutschen Gauners (1905), Ludwig GÜNTHER (1859–1943), professeur à l’Université de Gießen, souligne la grande productivité de l’appellativisation des noms de personnes dans l’argot des malfaiteurs. L’auteur explique ce phénomène par le désir du peuple de s’exprimer au moyen de mots renvoyant à la réalité concrète (cf. 1905 : 79 sq.). Il cite de nombreuses formations issues de prénoms courants désignant des types de malfaiteurs (Achelpeter ‘compagnon trop vieux pour voler et qui se contente de manger’ [rotwelsch acheln]), des professions (Stechhans ‘tailleur’), en particulier celles représentant un danger (Lattenseppel ‘policier, gendarme’, de Latte ‘fusil’), ainsi que des objets (Blankmichel ‘épée du bourreau’ ; 1905 : 81–85). Les noms historiques (« historische Namen ») sont moins fréquents (Rebbemausche ‘pince-monseigneur’, déformation ironique du nom de Rabbi Moses, premier législateur du peuple d’Israël ; 1905 : 86).
Dans son ouvrage Die französische und provenzalische Sprache und ihre Mundarten (1906), Hermann SUCHIER (1848–1914), professeur de romanistique à l’Université de Halle, considère le passage des noms propres à l’état de noms communs comme une source d’enrichissement du vocabulaire (cf. 1906 : 833). Il estime que les noms littéraires (« Namen der Dichtung ») sont plus fréquemment à l’origine de noms communs (Agnès de L’École des femmes > agnès ‘femme ingénue’, Renard de la fable > renard) que les noms historiques (« historische Namen » ; Cicéron > cicérone ‘guide touristique’) et souligne le rôle de l’ellipse52 dans le processus d’antonomase (liqueur de Cognac > cognac).
Dans sa thèse de doctorat présentée la même année et consacrée aux noms propres employés comme noms communs en français, Alfred KÖLBEL (1884-?) note d’emblée que le sujet n’a pas encore été traité de manière satisfaisante pour le français :
Il suffit de jeter un rapide coup d’œil sur les travaux dans ce domaine pour voir que la recherche en onomastique vient à peine de dépasser le stade des balbutiements. Car à l’exception de quelques études isolées fort méritoires, auxquelles viennent s’ajouter des travaux portant sur quelques dialectes, menés certes avec un zèle qui mérite d’être souligné, mais qui, en raison d’insuffisances méthodologiques et de l’absence de distance critique, restent peu fiables et d’un intérêt limité, on peut, sans exagérer, affirmer sans peine qu’en France, le phénomène n’a jusqu’à présent fait l’objet d’aucune étude globale un tant soit peu détaillée qui satisferait aux exigences de la science.53
L’auteur souhaite contribuer à combler ce retard en livrant une collecte de données qui puisse servir à des études ultérieures sur le sujet (cf. 1907 : 8). Il ne retient pour l’analyse que les noms de personnes intégrés durablement dans la langue populaire et familière et qui sont également employés par les couches plus instruites de la population (cf. 1907 : 11) et en exclut les expressions socio- et idiolectales. Les items sont issus de prénoms (adolphe ‘souteneur’), de noms de famille (chauvin54) et de noms de personnages historiques ou fictifs (médicis ‘femme maligne et perfide’, cendrillon ‘jeune fille qui doit assurer les travaux pénibles du foyer’) et classés comme chez KRUEGER (1891) selon le domaine initialement associé au porteur du nom. La distinction entre les noms d’origine biblique (« Namen biblischer Herkunft »), ceux issus de l’Antiquité (« Namen aus dem klassischen Altertum ») et ceux liés à l’histoire du Moyen Âge et de l’époque moderne, y compris les noms de personnages de théâtre et de romans ainsi que les prénoms (« Namen aus der Geschichte des Mittelalters[55] und der neueren Zeit. Theatertypen. Romanfiguren. Vornamen »), n’est pas sans poser quelques problèmes : la dernière catégorie soulève ainsi la question du classement de gille(s) (‘clown de foire’) et de (maître) jacques (‘valet’, de la pièce de Molière L’avare), prénoms désignant des personnages de théâtre. De même, elle ne fait pas apparaître le statut de prénom pour les déonomastiques benjamin et ève (‘femme’), rangés dans la catégorie des noms d’origine biblique, ainsi que pour auguste (‘protecteur des arts et des sciences’) et hélène (‘femme très courtisée’), figurant dans la catégorie des noms de l’Antiquité. Les listes contiennent entre autres des informations sur le porteur initial, des phrases d’exemples tirées de la littérature et quelques dérivés (catinisme ‘mœurs, habitudes de catin’). Elles reposent sur le dépouillement de nombreux dictionnaires généraux anciens et modernes56, de dictionnaires de l’argot57 ainsi que d’œuvres littéraires classiques (Boileau, Molière, La Fontaine, Racine).
Philipp KEIPER (1855–1927) et Theodor ZINK (1871–1934), souhaitant compléter la collection de MEISINGER (1904/05), consacrent en 1910 un article aux noms communs issus de noms de personnes dans la région du Palatinat. Les auteurs rangent leurs exemples dans trois groupes : 1. mots issus de prénoms fréquents (Staches ‘lourdaud, rustre’ ; diminutif de Eustachius), 2. mots formés à partir de (pré)noms hébraïques attestés dans l’Ancien Testament (Judas ‘traître’), 3. mots renvoyant à l’Antiquité et à l’époque moderne (Herkules ‘homme d’une force physique exceptionnelle’, Napoleon ‘petit garçon courageux’). Quant à la collecte des données, ZINK se borne à indiquer qu’il a profité de sa qualité d’enseignant pour recueillir un certain nombre de mots en écoutant ses élèves de Kaiserslautern (cf. 1910 : 126).
Dans la partie sémantique de sa Grammaire historique de la langue française (1913), Kristoffer NYROP (1858–1931), professeur de langue et littérature françaises à Copenhague, étudie de manière approfondie le processus de transformation de noms propres en noms communs58. À la différence de REINIUS (1903) qui combine les critères sémantique et génétique pour analyser les seuls noms formant type (« class-names »), NYROP propose de classer l’ensemble des déonomastiques selon ces deux critères. Il donne la priorité au critère sémantique en distinguant les mots et expressions désignant des êtres vivants (humains, animaux) de ceux désignant des objets, ces deux groupes se trouvant subdivisés ensuite selon le critère génétique (cf. 1913 : 363 sqq.). Les formations du premier groupe ont pour origine des « noms littéraires » (harpagon ‘avare’), des « noms historiques » (ganelon ‘traître’), des « noms classiques » (apollon), des « noms bibliques » (joseph ‘homme niais, timide en amour’) et des « prénoms » (alphonse ‘souteneur’, jean ‘cocu’ ; martin ‘âne’, margot ‘pie’). Les déonomastiques issus de prénoms du deuxième groupe figurent dans les sous-catégories « inventions et produits » (eustache ‘couteau de poche’), « monnaies » (carolus59, louis) et « cas divers » (judas, moïse ‘petite corbeille capitonnée servant de berceau’). La classification de NYROP n’est pas exempte non plus de chevauchements et le traitement taxinomique de certains noms est discutable : ainsi, Alphonse est rangé dans la sous-catégorie des « prénoms » et non dans celle des « noms littéraires », et ce alors que NYROP (1913 : 371) lui-même indique que « le type a été défini par A[lexandre] Dumas fils, dans une pièce de théâtre ».
Dans son article posthume Niederdeutsche, besonders westfälische Vornamen in besonderer Anwendung (1916/17), Gottfried KUHLMANN (1885–1915) explique, à l’instar de GÜNTHER (1905), que l’emploi fréquent de prénoms comme noms communs est spécifique au mode de vie des paysans, qui recourent selon lui à des images et comparaisons du quotidien pour exprimer de manière concrète des idées abstraites (cf. 1916/17 : 87). Les prénoms en question peuvent être ceux d’individus présentant une caractéristique qui les prédestine à en devenir le type, d’autres peuvent, par leur sonorité, rappeler un mot ou être associés à une image (den Olrik anbeen60 ‘vomir’, Olr- rappelant le son émis lors du vomissement). Il cite enfin quelques prénoms très fréquents au nord de l’Allemagne, dont Jan, que l’on retrouve dans de nombreux mots complexes et expressions (Janhagel ‘populace’, Jan Niggetid ‘celui qui s’enthousiasme pour tout ce qui est moderne’ [du dialecte de Westphalie niggetid ‘homme curieux’], Jan vull Muul ‘vantard’ [de l’expression das Maul zu voll nehmen], etc.).
La thèse de Karl SANG (1890–1972) intitulée Die appellative Verwendung von Eigennamen bei Luther (1921) est à notre connaissance la première étude sur l’emploi nominal de noms propres en allemand qui ne repose pas sur le dépouillement de dictionnaires et de glossaires, mais analyse le phénomène dans l’œuvre d’un auteur. Les écrits de Luther datant d’une époque où l’emploi nominal de prénoms était courant dans la langue populaire, ils constituent une source particulièrement riche pour notre objet d’analyse. SANG (1921 : VI) souligne par ailleurs que l’intérêt de ce genre d’études n’est pas limité au domaine de l’histoire de la langue, mais qu’elles éclairent également certains aspects de l’histoire culturelle. Parmi les formations relevées, l’auteur distingue les noms parfaitement intégrés dans l’usage (Meister Hans ‘exécuteur des hautes œuvres, bourreau’) de ceux dont l’emploi, plus occasionnel, revêt une fonction stylistique (Antichrist ‘le pape’ ; cf. 1921 : VIII). Les listes alphabétiques contiennent, outre des noms propres employés comme noms communs (Babylon ‘ville pécheresse, prison’, Loth ‘homme pieux parmi les non-croyants’), aussi quelques adjectifs (ägyptisch ‘obstiné, buté’, böhmisch ‘hussitique’61). Certains mots ou expressions sont issus du nom de personnages bibliques, tels que Cain (‘pécheur’), Judas (‘traître’) et Lazarus (‘homme pauvre’), d’autres de prénoms fréquents – pour certains jusqu’à aujourd’hui – servant à désigner des hommes (Claus, Conrad, Georg, Kunz, Hans et Peter) et des femmes quelconques (Grete) ainsi que des êtres démoniaques comme le diable (Heinz). Ce qui retient l’attention, c’est moins l’emploi nominal de noms propres que le fait que Luther ait eu recours à des prénoms pour critiquer et/ou railler certains de ses contemporains, en premier lieu ses détracteurs62 : Judas et Heinz zu Rom désignent le Pape, Hans Worst (dans le pamphlet Wider Hans Worst ; 1541) et Heinz Teufel le duc Heinrich von Braunschweig (1921 : 59 sqq.). La question de savoir dans quelle mesure cet emploi référentiel peut être considéré comme appellatif reste toutefois en suspens.
Othmar MEISINGER publie en 1924 son ouvrage Hinz und Kunz. Deutsche Vornamen in erweiterter Bedeutung, issu de ses relevés de 1904/05 et 1910, complétés par des formations du bas-allemand. Son glossaire rassemble, sur près de cent pages, des entrées consacrées à 199 prénoms masculins et 64 prénoms féminins, numérotées et classées par ordre alphabétique, et fournit des informations sur l’origine et l’emploi des déonomastiques correspondants ainsi que des phrases d’exemples ou des renvois à des œuvres littéraires dans lesquels ces formations sont attestées63. Il constitue à notre connaissance la plus importante collection de déonomastiques allemands issus de prénoms à ce jour.
Karl MEISEN (1891–1973), spécialiste d’histoire culturelle allemande, traite de l’emploi folklorique de noms de personnes en Rhénanie (1925). L’auteur centre sa présentation sur les expressions populaires employées par un cercle restreint de locuteurs originaires d’une région bien précise. À l’exception de (deutscher) Michel, dont l’emploi n’est d’ailleurs aucunement limité à la Rhénanie, il cite essentiellement des mots désignant des hommes cruels ou des vauriens, formés à partir des sobriquets de brigands ayant sévi dans la région rhénane (dont Schinderhannes pour Johannes Bückler [vers 1779–1803]).
Considérant que les parlers de la région de Waldeck (Hesse) sont insuffisamment représentés dans le recueil de MEISINGER (1924), Bernard MARTIN (1889–1983) publie un article Vornamen in erweiterter Bedeutung in den waldeckischen Mundarten (1926) visant à pallier cette absence. Sa liste de déonomastiques, issue du dépouillement du Waldeckisches Wörterbuch64 et de collectes personnelles, contient toutefois quelques formations comme Faselhans, Stoffel et Struwwelpeter dont l’emploi ne se limite pas à cette région. Dans une étude ultérieure, il s’intéresse aux noms communs issus de Johannes dans les dialectes de la Hesse (MARTIN 1950)65.
Par son article dédié aux emplois nominaux des prénoms et des noms de famille (1926), Robert TRÖGEL (?-?) souhaite compléter les travaux existants en présentant des déonomastiques allemands et, plus sporadiquement, français qui sont en voie de disparition ou, au contraire, non encore attestés à l’écrit66. L’auteur propose une classification largement identique à celle de NEEDON (1896), reposant sur les catégories ÊTRES HUMAINS (dummer August), ANIMAUX ET PLANTES (Hans ‘cheval’, fleißiges Liesel ‘impatiente’ [bot.]) et INANIMÉS (Birkenhänsel ‘fouet, martinet pour enfants’, martin ‘bâton pour faire avancer les ânes’).
Dans son ouvrage de référence Dal nome proprio al nome comune (1927), Bruno MIGLIORINI (1896–1975), spécialiste d’italien à l’Université La Sapienza de Rome et président de l’Accademia della Crusca de 1949 à 1963, étudie le passage du nom propre au nom commun dans les langues romanes, en particulier l’italien et le français67. Dès le début, MIGLIORINI (1927 : 2) précise que son objectif n’est pas de définir de manière tranchée les catégories de « nom propre » et de « nom commun », mais d’en dégager les propriétés les plus saillantes. Il propose ensuite une classification des déonomastiques selon le domaine initialement associé au porteur du nom, distinguant ainsi « il mondo cristiano » (it. moyses ‘législateur’, Gesù/jésus ‘bel enfant’), « il mondo classico » (penelope/pénélope ‘épouse fidèle’) et « il mondo profano » (gargantuà/gargantua ‘gros mangeur’). Enfin, il analyse les glissements sémantiques (« spostamenti di significato » ; 1927 : 310–329) qu’il définit comme des ‘changements de sens allant de pair avec un changement du concept (ou de l’objet)’68, citant comme exemples les dérivés marivauder et turlupiner formés à partir de Marivaud et de Turpulin (1927 : 327).
Dans sa thèse Vornamen als appellative Personenbezeichnungen (1929), soutenue à l’Université d’Helsinki, Ewald MÜLLER (1885–1950) étudie de manière approfondie l’un des aspects centraux de l’emploi nominal des prénoms en allemand. Partant du constat que le phénomène a été traité essentiellement par le biais de présentations analysant isolément chaque nom ou déonomastique, l’auteur se fixe pour objectif d’appréhender le phénomène de manière globale et systématique (cf. 1929 : 4). Il place au centre de son étude les noms communs issus de prénoms populaires tels que Appel (‘femme naïve ou sale’ ; diminutif de Apollonia) et faule Trine, résultant d’un transfert moins conscient que dans le cas des noms renvoyant à des personnages historiques ou littéraires comme Adam et Benjamin (cf. 1929 : 5 sq.). MÜLLER opte pour une classification sémantique en distinguant 1. les formations désignant l’appartenance sociale, la profession ou l’origine géographique et 2. celles renvoyant à des propriétés individuelles (physiques ou mentales). Dans chacune de ces catégories, il classe les formations selon la présence ou l’absence d’un élément caractérisant (« Name mit charakterisierendem Zusatz » vs « Name als alleiniger Bedeutungsträger »), se concentrant sur les composés et les expressions figées dans lesquels les prénoms adopteraient plus aisément un statut de nom commun qu’en emploi autonome. Les exemples proviennent essentiellement de dictionnaires dialectaux du haut-allemand69 ainsi que de quelques dictionnaires du bas-allemand70.
La même année, Georges DOUTREPONT (1868–1941), professeur de littérature française à l’Université de Louvain, présente son étude sur les prénoms français à sens péjoratif (1929). Ce travail met l’accent sur les mots et expressions « ayant une acception dénigrante d’une portée abstraite ou individuelle » (1929 : 6), laissant de côté les noms d’objets comme jules (‘pot de chambre’), d’emploi argotique. Il s’ouvre par un relevé de déonomastiques qui contient des indications sur l’origine, l’emploi et la signification de ces mots ou expressions, les mots complexes auxquels ils ont donné lieu ainsi que des phrases d’exemple tirées de la littérature (1929 : 6–51). L’auteur examine ensuite les causes sociales, historiques, phonétiques, étymologiques et littéraires de la péjoration de ces expressions (1929 : 53–112). Il rassemble enfin en annexe quelques noms d’animaux issus de prénoms (bernard-l’hermite, martinet [diminutif de Martin], etc.) ainsi que des mots ou expressions wallons désignant des personnes (wihot [diminutif de Wilhelm] ‘cocu’, zâbê [diminutif d’Isabeau] ‘femme de rien, gourgandine’ ; 1929 : 113–121). L’étude de DOUTREPONT repose sur le dépouillement de dictionnaires généraux et historiques71 du français, d’ouvrages consacrés aux argots72 et au wallon73 ainsi que d’œuvres classiques de la littérature française (La Fontaine, Molière, Rabelais). L’auteur passe sous silence les travaux, pourtant importants, de SCHULTZ (1894) et de KÖLBEL (1907) sur la question.
Axel PETERSON (1898-?), dans sa thèse richement documentée Le passage populaire des noms de personne à l’état de noms communs dans les langues romanes et particulièrement en français (1929), s’intéresse aux déonomastiques de la langue populaire « dont le sens n’est pas déterminé par une allusion à une certaine personne » (1929 : III). Pour l’auteur, ce phénomène montre clairement que le nom propre est plus qu’une simple étiquette dénuée de sens, faute de quoi son emploi comme nom commun « devient quelque chose d’inexplicable, et on se demande quel est le souffle qui ranime le mort pour le faire entrer de nouveau dans la langue vivante » (1929 : 2). Souhaitant appréhender les noms propres à partir de leur fonction de communication et « dans leur relation à la pensée » (1929 : 3), il accorde une attention toute particulière aux associations qui les unissent à leurs porteurs. Dans le cas des déonomastiques issus de prénoms pour lesquels on ne peut établir d’origine individuelle, ces associations, reposant sur une multitude de référents possibles, varient plus fortement selon les locuteurs et l’environnement culturel que dans le cas de noms renvoyant à un individu identifiable :
Faute d’élément intellectuel, les idées associées au nom propre non attribué se réduisent aux idées accessoires qui sont le résidu inconscient des attributions antérieures ou qui s’associent au nom à cause de sa forme par exemple lorsque celle-ci rappelle un mot significatif. C’est donc l’élément émotionnel qui a le dessus. Aussi l’emploi générique d’un tel nom a-t-il un caractère plus affectif, spontané et populaire, tandis que l’emploi générique d’un nom attribué est d’un caractère intellectuel, raisonné et, souvent, littéraire. (PETERSON 1929 : 18)
L’auteur analyse les mots et expressions désignant des humains, animaux et objets issus de noms de personnes. Les noms masculins (1929 : 19–106) renvoient à des hommes moyens, quelconques (guillaume), à la nationalité (michel ‘Allemand’), à la profession (charlot ‘exécuteur des hautes œuvres, bourreau’), à l’appartenance sociale (jacques ‘paysan’) ou à des particularités d’ordre physique ou moral (jean-bout-d’homme ‘homme de petite taille’, jean ‘sot’). Les noms féminins (1929 : 107–137) servent quant à eux à désigner essentiellement des femmes quelconques (marie), des filles ou femmes faciles et des prostituées (catin, margot [diminutif de Marguerite]) ainsi que leurs caractéristiques physiques et morales, en partie différentes de celles attribuées aux hommes (margot ‘femme bavarde’, marie graillon ‘souillon’). Le cas des noms féminins appliqués aux hommes (cathelaine ‘femmelette’ [wallon] ; diminutif de Catherine) et celui des noms d’hommes appliqués aux femmes (louis ‘prostituée’), plus rare selon l’auteur, sont traités dans un chapitre à part (cf. 1929 : 138–147). PETERSON (1929 : 148–173) analyse ensuite en détail le passage du prénom au nom générique attribué à tel ou tel animal et distingue deux principaux types de transferts visant à le personnifier : le premier fait intervenir un nom propre d’animal (margot aurait d’abord été donné comme nom individuel à une vache avant de désigner toutes les vaches), le second une désignation de personne (margot pour la pie, en lien avec l’acception ‘femme bavarde’). L’auteur (1929 : 174–201) s’attache par ailleurs à montrer l’évolution sémantique de certains prénoms désignant des objets ou des idées abstraites, notamment des parties du corps (jacques ‘mollets’) et des objets représentant l’humain (catin ‘poupée’ ; Canada), qui dans certains cas peuvent avoir une fonction euphémique (bernard ‘derrière’) ou cryptique (jacques ‘passe-partout’ dans l’argot des malfaiteurs). En conclusion, l’auteur revient sur le rôle central de la fréquence, « cause essentielle qui, développant la généralité du nom propre, amène celui-ci à l’état de nom commun » (1929 : 202)74. Si l’étude de PETERSON repose pour l’essentiel sur les mêmes sources que KÖLBEL (1907) et DOUTREPONT (1929)75, elle s’en distingue par le nombre plus important de dictionnaires et lexiques dialectaux et régionaux consultés76 s’imposant par son approche comparative.
La thèse de doctorat de Friedrich CRAMER (1898-?) intitulée Die Bedeutungsentwicklung von „Jean“ im Französischen (1931) paraît deux ans plus tard. Il s’agit à notre connaissance de la première étude consacrée à un seul prénom, en l’occurrence au prénom masculin le plus fréquent en français77. CRAMER s’intéresse tout d’abord à certains aspects étymologiques et sociolinguistiques tels que l’origine du prénom, sa répartition géographique en France, sa fréquence au sein des différentes couches sociales et ses connotations péjoratives (1931 : 7–18). Les mots et expressions issues de Jean et de ses nombreuses variantes dialectales sont ensuite classés dans les catégories suivantes : 1. NOMS DE PERSONNES (jean, jan ‘sot, niais’ en provençal, janin en picard, jeanneton ‘fille débauchée’ à Paris), 2. NOMS D’ANIMAUX ET DE PLANTES (jean des bois ‘loup’ en Anjou ; saint-jean ‘lierre’ dans le nord et en Languedoc, ‘giroflée jaune’ en Anjou)78 et 3. NOMS D’INANIMÉS (dian rosset ‘soleil’ dans le canton de Vaud et dans la région de Genève, jean du houx ‘bâton’ ; 1931 : 18–75). Le chapitre suivant (1931 : 75–89) est consacré à divers domaines d’utilisation des formations avec Jean, allant de la langue quotidienne où elles sont employées entre autres comme sobriquets (Jean d’épée pour Napoléon) ou désignent les parties du corps (saint-jean-le-rond ‘fesses’), aux enseignes de magasins ou de restaurants (À la petite Jeannette) et aux maladies (mal de Saint-Jean ‘épilepsie’) en passant par la poésie et les chansons populaires. CRAMER (1931 : 89–98) conclut par une analyse des causes religieuses, historiques et linguistiques (étymologie populaire, recherche d’expressivité79, jeu) de la profusion de ce type de formations. L’auteur a consulté des ouvrages linguistiques de référence sur le français et les langues romanes80, mais aussi sur l’allemand81, ainsi que des œuvres classiques et folkloriques82. Trois ans plus tard, le même auteur analyse les causes de la péjoration affectant les désignations des sots issues de prénoms gallo-romans (CRAMER 1934). Dans sa thèse de doctorat consacrée à l’influence du culte de saint Nicolas sur les noms propres en France, Gertrude FRANKE (1906-?) présente les emplois appellatifs du prénom Nicolas et de ses diminutifs et en analyse les multiples causes de péjoration (1934 : 91–121)83.