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1.2.3. Travaux à orientation phraséologique

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Le cas des prénoms est traité dans quelques études consacrées aux phrasèmes contenant un nom propre. Pour l’allemand, signalons en particulier les travaux de FLEISCHER (1976/1982), KUDINA & STARKE (1978), NASAROV (1978), FÖLDES (1984/85, 1987, 1989, 1990), DANIELS (1994), HÄCKI BUHOFER (1995), NASAROV & BACHRIDDINOVA (2002), GANZER (2008) et FILATKINA & MOULIN (sous presse), pour le français ceux de PALOUKOVA (1982/83), BERNET (1989) et ALBA REINA & MORA MILLAN (1995). La question de la fréquence des phrasèmes à composante onymique est contestée : alors que FÖLDES (1990 : 337, 1996 : 137) leur accorde une place importante dans le système phraséologique de l’allemand, tant du point de vue quantitatif qu’au niveau de leur diversité formelle, HÄCKI BUHOFER (1995 : 495) fait remarquer à juste titre que de nombreux phrasèmes qui figurent dans les dictionnaires ne sont plus employés1. S’ajoute à cela le fait que ce type de phrasèmes peut être défini de manière restreinte et s’appliquer aux seules unités contenant un nom propre au sens étroit (Ich will Emil/Matz/Meier heißen, wenn …), ou de manière plus large, incluant les dérivés (Das kommt mir spanisch vor).

Selon FLEISCHER (1976 : 3), l’emploi phrasémique des noms propres concerne avant tout les noms de personnes, et parmi eux les prénoms plus fréquemment que les noms de famille. Il s’agit de prénoms, presque exclusivement masculins selon l’auteur, qui jouissent ou jouissaient d’une certaine popularité (cf. FLEISCHER 1976 : 5 sq. ; cf. également FÖLDES 1984/85 : 177 et KOSS 1990 : 64). L’auteur (1976 : 4) soulève une question de fond concernant le statut onymique du nom de personne en emploi phrasémique. Pour lui, seuls les noms propres faisant partie d’une structure comparative (wie in Abrahams Schoß ‘en toute sécurité’) et ceux fonctionnant comme noms de personnes (Da will ich Matz heißen, wenn …) conservent un caractère onymique2. Pour KUDINA & STARKE (1978 : 190) en revanche, les noms propres en emploi phrasémique ne sauraient être considérés comme des noms propres à part entière dans la mesure où ils ne remplissent pas leur fonction primaire de référence immédiate à un individu et ne conservent qu’un lien étymologique avec leur porteur initial.

FÖLDES, qui partage l’avis de FLEISCHER au sujet du statut (dé)onymique des noms propres (1984/85 : 177, 1989 : 133), s’intéresse essentiellement aux aspects génétiques et sémantico-stylistiques des phrasèmes à composante onymique. Partant de l’idée que l’origine de la locution peut être élucidée par un examen étymologique approfondi du nom propre en présence (cf. 1984/85 : 175), il propose de classer les phrasèmes selon l’origine du nom propre. Sa classification n’apporte toutefois pas grand-chose de nouveau : les prénoms figurent dans des locutions renvoyant à des personnages historiques (für den alten Fritzen sein) et à des contes et légendes populaires (den schwarzen Peter in der Tasche haben). Elle s’avère même problématique en ce qu’elle repose indistinctement sur le critère du domaine d’utilisation de l’expression (histoire, littérature, etc.) et sur celui du type de nom propre (toponymes, prénoms, noms fictifs tels que Dummsdorf dans aus/von Dummsdorf sein ; 1984/85 : 177). Dans un article ultérieur sur les phrasèmes allemands à composante anthroponymique, FÖLDES (1987 : 5 sq.) s’expose aux mêmes difficultés taxinomiques en retenant comme critères de classification à la fois l’origine du nom de personne (den dicken Wilhelm spielen figure parmi les phrasèmes avec des ‘noms nationaux allemands’, seit Adams Zeiten parmi ceux contenant le nom d’un personnage biblique), l’origine géographique de l’expression (Autriche et Suisse pour dar isch en Joggel ‘c’est un idiot’ ; Angleterre pour John Bull) et le domaine d’utilisation initialement associé au nom propre (l’histoire dans le cas de Potemkische Dörfer). L’auteur (1987 : 11 sqq.) distingue ensuite deux voies de constitution du sens phraséologique (« Wege der Umdeutung »), la métaphore (David und Goliath ‘le grand et le petit’) et la métonymie (blauer Anton ‘bleu de travail’), et identifie trois facteurs influençant le choix du nom propre : la fréquence du nom de personne (Hans), la phonétique (den (heiligen) Ulrich (an)rufen ‘vomir’3) et le jeu de mots (ein Baron von Habenichts ‘sans-le-sou adoptant des allures visant à cacher sa condition’)4. FÖLDES a consacré une autre étude aux différents types de modifications et aux fonctions des phrasèmes à composante onymique dans leur emploi textuel (1996 : 160 sqq.).

DANIELS (1994 : 27) propose une classification morphologique détaillée des phrasèmes, distinguant les noms simples (Frau Raffke), les ensembles ‘prénom +nom’ (Lieschen Müller), les paires (Hinz und Kunz), les ensembles ‘adjectif +nom’ (dummer August), les locutions (Arche Noah), les comparaisons (frech wie Oskar), les syntagmes (den heiligen Ulrich anrufen), les proverbes (Was Hänschen nicht lernt, lernt Hans nimmermehr).

Dans sa thèse intitulée Deutsche Phraseologismen mit Personennamen (2008), GANZER analyse 926 phrasèmes contenant un prénom ou un nom de famille issus essentiellement d’ouvrages de référence5. Sur la base de l’existence ou non d’un individu identifiable associé au nom de personne, l’auteure (2008 : 52 sqq.) distingue les phrasèmes déterminés (« determinierte Phraseologismen », ex. seit Adams Zeiten) des indéterminés (« undeterminierte Phraseologismen », ex. jn zur Minna machen)6 avant de les classer dans les catégories ÊTRES HUMAINS, OBJETS et IDÉES ABSTRAITES. Sur la base de son analyse lexicographique des phrasèmes, GANZER (2008 : 81 sqq.) étudie enfin leur fréquence, selon elle limitée, et leur emploi textuel dans un corpus de presse, mettant en évidence leur intégration syntaxique et sémantique dans le contexte (remotivation expressive : Lafontaine ist frech wie Oskar, modification : Otto Normalverbraucher ‘l’Allemand moyen’ > Iwan Normalverbraucher ‘le Russe moyen’ ; 2008 : 113, 126).

FILATKINA & MOULIN (sous presse) consacrent une étude aux spécificités pragmatiques de l’emploi de noms de famille dans les phrasèmes de l’allemand et du luxembourgeois. Elles soulignent notamment le fait que les noms de famille de personnalités historiques et de personnages de fiction, peu présents dans le stock phrasémique de l’allemand standard (rangehen wie Blücher ‘ne pas avoir froid aux yeux, y aller énergiquement’, Götz von Berlichingen!, injonction de laisser tranquille le locuteur), le sont encore moins en luxembourgeois. Les phrasèmes contenant des noms de famille fréquents sont quant à eux bien représentés dans les deux cas (Mensch Meier!, expression de l’étonnement, beim Webesch Camille goen ‘aller aux toilettes’). Elles s’intéressent enfin aux procédés de formation de noms de famille fictifs, tels que ceux employés dans les expressions Der Wennich und der Hättich sind zwei arme Brüder et Raschmann kommt leicht zu Beulen, qui témoignent de la créativité lexicale dans le domaine de la phraséologie.

La phraséologie (dé)onymique en français a été relativement peu étudiée jusqu’à présent. PALOUKOVA (1982/83 : 35 sq.) s’intéresse aux « locutions phraséologiques onomastiques » qu’elle définit comme l’« expression succincte d’un énoncé se référant à une situation (réelle ou imaginaire) dont elle devient le signe linguistique simple ». Elle fait le point tout d’abord sur les procédés de formation sémantiques7 :

 la métaphore (faire son joseph ‘faire le pudibond, affecter la vertu’8) ;

 la métonymie (couleur isabelle ‘jaune pâle’9) ;

 l’euphémisme (faire jean ‘tromper [son mari]’) ;

stylistiques :

 la périphrase (la perfide Albion ‘l’Angleterre’) ;

 le calembour (aller à Dormillon ‘dormir’) ;

 l’antiphrase (secret de Polichinelle) ;

 l’antithèse (servir Dieu et Mammon) ;

et phonétiques :

 le rythme (Il faut vivre à Rome comme à Rome10) ;

 la rime (rester Gros-Jean comme devant).

avant d’examiner ce qu’elle nomme les « sources de formation », à savoir le domaine auquel renvoie le phrasème : l’histoire (au temps que la reine Berthe filait), la Bible (pleurer comme une Madeleine), la mythologie (la toile de Pénélope), la littérature (fier comme Artaban), les mœurs et croyances populaires (faire sa joséphine). Elle termine par un classement des phrasèmes selon leur provenance linguistique en distinguant ceux d’origine française de ceux incluant un nom d’origine étrangère (gr. riche comme Crésus, lat. Toi aussi, Brutus !, arabe Sésame, ouvre-toi !). BERNET (1989 : 520), dans sa « typologie rapidement esquissée » des emplois du nom propre (y compris dans les phrasèmes), retient le seul critère morphologique. Ainsi, les phrasèmes ne figurent que sous les « emplois sans changements morphologiques », tout comme les « noms communs obtenus par ‘dérivation impropre’ » (un geyser, un guignol). Dans leur classification des proverbes et locutions à composante onymique, ALBA REINA & MORA MILLAN (1995) font appel au critère de la fonction référentielle et distinguent les noms propres « authentiques », qui renvoient à un référent individuel (Il faut rendre à César ce qui appartient à César), les « pseudoauthentiques », pour lesquels il ne semble pas y avoir de référent existant (faire le gilles, faire le jacques), et les « lexicaux », dénués de tout référent réel et contenant plusieurs éléments signifiants (jean-bête, marie-couche-toi-là). Dans le cas des noms propres authentiques et pseudoauthentiques, elles parlent d’un « processus de communisation », lié à la perte référentielle du nom propre, dans celui des noms propres lexicaux, d’un « processus de proprisation » (1995 : 273 sq.), la compréhension étant assurée dans ce cas-là par les éléments non propriaux.

Enfin, l’emploi phrasémique des noms propres est traité également dans le cadre d’études contrastives. Pour l’allemand et l’anglais, on retiendra, outre REINIUS (1903), les travaux de STRAUBINGER (1961) et de NASAROV (1978). Ce dernier note, à l’instar de KUDINA & STARKE (1978), que l’emploi phrasémique de noms de personnes provoque la perte de leur fonction primaire de référence immédiate à un individu (cf. NASAROV 1978 : 34), la dimension métaphorique des phrasèmes à structure comparative tels que wie in Abrahams Schoß sitzen étant dès lors incompatible avec le caractère onymique que leur reconnaît FLEISCHER (1976 ; cf. p. 49). Pour le français et l’anglais, nous renvoyons à VAN HOOF11 (1998) qui étudie l’emploi des prénoms « dans la langue imagée ». L’auteur s’intéresse d’abord à la « nature des prénoms », distinguant les prénoms bibliques (le benjamin/the benjamin), mythologiques (le talon d’achille/the heel of Achilles), usuels (faire son joseph/to play joseph), étrangers (allons-y, Alonzo !, to be on the fritz ‘être en panne, mal fonctionner’) ainsi que les « prénoms fictifs » (faire cléopâtre ‘faire une fellation’, d’après faire une clé au pâtre ; Amy-John ‘lesbienne’, d’après amazon) dont « l’emploi est suggéré par une quelconque attraction paronymique, analogie de sens ou de son, [ces prénoms étant] obtenus par une déformation délibérée ou inconsciente » (1998 : 3). Son approche est essentiellement traductionnelle, en témoignent les indications relatives à l’équivalence, totale (baiser de judas/Judas kiss), partielle (ne connaître ni d’Eve ni d’Adam/not to know from Adam) ou absente (pleurer comme une Madeleine/to cry one’s eyes out). VAN HOOF (1998 : 4 sqq.) traite ensuite les aspects formels, distinguant les prénoms en emploi autonome, les membres de composés et les composantes de phrasèmes. Il termine par une présentation des principales fonctions des prénoms en emploi phrasémique (cf. 1998 : 8 sqq.), à savoir la personnification (Charles le chauve/little davy ‘pénis’), la caractérisation (jean/silly Billy ‘sot’), la formation de doublets populaires pour des termes savants (jean doré12/john dory pour plusieurs sortes de poissons) et la fonction dite « explétive » (à la tienne, Étienne !, as happy as Larry). Le glossaire en annexe (1998 : 273–311) est constitué d’une liste de prénoms en emploi figuré pour chaque langue. Les entrées renseignent sur la date d’apparition et la période d’emploi approximatives et contiennent les définitions dans les deux langues. Signalons également l’ouvrage de BALLARD (2001) qui, dans un chapitre consacré aux changements de catégorie (cf. 186–201), distingue ce qu’il nomme la « métonymie anthroponymique » (jules ‘pot de chambre’, Black Maria ‘panier à salade’), la « symbolique onomastique » (l’oncle Sam/Uncle Sam), l’« intégration dans une expression idiomatique » (pauvre comme Job, not on your Nelly ‘jamais de la vie’) et le « détournement fonctionnel » (Jesus Christ !).

Pour la paire allemand-français, les études linguistiques sur le sujet sont rares. Une exception notable est le travail de GANZER qui discute certains aspects des déonomastiques de manière contrastive (2008 : 219 sqq., 425 sqq.). Les autres travaux contrastifs sur les deux langues abordent cette question essentiellement dans une perspective « pratique », didactique ou traductionnelle. Ainsi, l’étude didactique de HUBER (1981) présente aux enseignants et aux apprenants du français certains aspects de l’appellativisation des noms de personnes en français et en allemand13. L’approche traductionnelle prévaut dans les travaux de GRASS sur les noms propres (2000, 2002 : 33 sq., 147) et leurs dérivés (2008) ainsi que chez SCHMITT (2009), qui étudie les possibilités de transposition en français des constructions allemandes en ‘nom ou verbe +prénom ou nom de famille’ (Filmfritze, Drückeberger). D’autres études contrastives sur les phrasèmes à composante onymique, plus marginales, sont celles de ZARĘBA (1993) sur le français et le polonais, de FÖLDES (1996 : 137 sqq.), essentiellement sur l’allemand et le hongrois, et de MIGLA (2010) sur l’allemand, le russe et le letton.

L'appellativisation du prénom

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