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ÉLÉMENS DE PHILOSOPHIE DE NEWTON .

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Newton était intimement persuadé de l’existence d’un Dieu, et il entendait par ce mot, non seulement un être infini, tout-puissant, éternel et créateur, mais un maître qui a mis une relation entre lui et ses créatures: car sans cette relation, la connaissance d’un Dieu n’est qu’une idée stérile qui semblerait inviter au crime, par l’espoir de l’impunité, tout raisonneur né pervers.

Aussi ce grand philosophe fait une remarque singulière à la fin de ses Principes: c’est qu’on ne dit point mon éternelle, mon infini, parce que ces attributs n’ont rien de relatif à notre nature; mais on dit et on doit dire mon Dieu, et par là il faut entendre le maître et le conservateur de notre vie et l’objet de nos pensées. Je me souviens que, dans plusieurs conférences que j’eus en 1726 avec le docteur Clarke, jamais ce philosophe ne prononçait le nom de Dieu qu’avec un air de recueillement et de respect très remarquable. Je lui avouai l’impression que cela fesait sur moi; il me dit que c’était de Newton qu’il avait pris insensiblement cette coutume, laquelle doit être en effet celle de tous les hommes.

Je ne sais s’il y a aucune preuve métaphysique plus frappante, et qui parle plus fortement à l’homme, que cet ordre admirable qui règne dans le monde, et si jamais il y a eu un plus bel argument que ce verset: Cœli enarrant gloriam Dei. Aussi vous voyez que Newton n’en apporte point d’autre à la fin de son Optique et de ses Principes. Il ne trouvait point de raisonnement plus convaincant et plus beau èn faveur de la Divinité que celui de Platon, qui fait dire à un de ses interlocuteurs: Vous jugez que j’ai une âme intelligente, parce que vous apercevez de l’ordre dans mes paroles et dans mes actions; jugez donc, en voyant l’ordre de ce monde, qu’il y a une âme souverainement intelligente.

Cet Être suprême est-il souverainement bienfesant? C’est ici le grand refuge de l’athée. Si j’admets un Dieu, dit-il, ce Dieu doit être la bonté même; qui m’a donné l’être me doit le bien-être: or je ne vois dans le genre humain que désordre et calamité ; la nécessité d’une matière éternelle me répugne moins qu’un Créateur qui traite si mal ses créatures. Nulle raison ne peut apaiser les murmures qui s’élèvent dans mon cœur contre les maux dont ce globe est inondé. Je suis donc forcé de rejeter l’idée d’un Être suprême, d’un Créateur, que je concevrais infiniment bon, et qui aurait fait des maux infinis; j’aime mieux admettre la nécessité de la malière, et des générations et des vicissitudes éternelles, qu’un Dieu qui aurait fait librement des malheureux.

On répond à cet athée: Le mot de bon, de bien-être, est équivoque. Ce qui est mauvais par rapport à vous est bon dans l’arrangement général. L’idée d’un Être suprême, tout puissant, tout intelligent, et présent partout, ne révolte point votre raison. Nierez-vous un Dieu parce que vous aurez un accès de fièvre? Il vous devait le bien-être, dites-vous: quelle raison avez-vous de penser ainsi? pourquoi vous devait-il ce bien-être? quel traité avait-il fait avec vous? Il ne vous manque donc que d’être toujours heureux dans la vie pour reconnaître un Dieu? Vous qui ne pouvez être parfait en rien, pourquoi prétendriez-vous être parfaitement heureux? Mais je suppose que dans un bonheur continu de cent années vous ayez un mal de tête, ce moment de peine vous fera-t-il nier un Créateur? Il n’y a pas d’apparence. Or, si un quart d’heure de souffrance ne vous arrête pas, pourquoi deux heures, pourquoi un jour, pourquoi une année de tourmens vous feront-ils rejeter l’idée d’un Artisan suprême et universel?

Il faut qu’il y ait plus de bien que de mal dans ce monde, puisqu’en effet peu d’hommes souhaitent la mort: vous avez donc tort de porter des plaintes au nom du genre humain, et plus grand tort encore de renier votre Souverain, sous prétexte que quelques uns de ses sujets sont malheureux.

On aime à murmurer: il y a du plaisir à se plaindre; mais il y en a plus à vivre. On se plaît à ne jeter la vue que sur le mal et à l’exagérer. Lisez les histoires, nous dit-on, ce n’est qu’un tissu de crimes et de malheurs. D’accord, mais les histoires ne sont que le tableau des grands événemens. On ne conserve que la mémoire des tempêtes; on ne prend point garde au calme; on ne songe pas que depuis cent ans il n’y a pas eu une sédition dans Pékin, dans Rome, dans Venise, dans Paris, dans Londres; qu’en général il y a plus d’années tranquilles dans toutes les grandes villes que d’années orageuses; qu’il y a plus de jours innocens et sereins que de jours marqués par de grands crimes ou par de grands désastres.

Lorsque vous avez examiné les rapports qui se trouvent dans les ressorts d’un animal et les desseins qui éclatent de toutes parts dans la manière dont cet animal reçoit la vie, dont il la soutient et dont il la donne, vous connaissez sans peine cet Artisan souverain. Changerez-vous de sentiment parce que les loups mangent les moutons, et que les araignées prennent des mouches? Ne voyez-vous pas au contraire que ces générations continuelles, toujours dévorées et toujours reproduites, entrent dans le plan de l’univers! J’y vois de l’habileté et de la puissance, répondez-vous, et je n’y vois point de bonté. Mais quoi! lorsque dans une ménagerie vous élevez des animaux que vous égorgez, vous ne voulez pas qu’on vous appelle méchant, et vous accusez de cruauté le Maître de tous les animaux, qui les a faits pour être mangés dans leur temps! Enfin, si vous pouvez être heureux dans toute l’éternité, quelques douleurs dans cet instant passager qu’on nomme la vie, valent-elles la peine qu’on en parle? et si cette éternité n’est pas votre partage, contentez-vous de cette vie, puisque vous l’aimez.

Vous ne trouvez pas que le Créateur soit bon, parce qu’il y a du mal sur la terre. Mais la nécessité, qui tiendrait lieu d’un Être-suprême, serait-elle quelque chose de meilleur? Dans le système qui admet un Dieu, on n’a que de grandes difficultés à surmonter; et dans tous les autres systèmes on a des absurdités à dévorer.

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