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POËME

Table des matières

SUR LE DÉSASTRE DE LISBONNE.

EN 1755. (PUBLIÉ EN 1756.)

PRÉFACE.

Table des matières

Si jamais la question du mal physique a mérité l’attention de tous les hommes, c’est dans ces événemens funestes qui nous rappellent à la contemplation de notre faible nature; comme les pestes générales qui ont enlevé le quart des hommes dans le monde connu, le tremblement de terre qui engloutit quatre cent mille personnes à la Chine en 1699, celui de Lima (1746) et de Collao (1747), et en dernier lieu celui du Portugal et du royaume de Fez. L’axiome tout est bien paraît un peu étrange à ceux qui sont les témoins de ces désastres. Tout est arrangé, tout est ordonné sans douté par la Providence; mais il n’est que trop sensible que tout depuis longtemps n’est pas arrangé pour notre bien-être présent.

Lorsque l’illustre Pope donna son Essai sur l’Homme, et qu’il développa dans ses vers immortels les systèmes de Leibnitz, du lord Shaftesbury, et du lord Bolingbrocke, une foule de théologiens de toutes les communions attaqua ce système. On se révoltait contre cet axiome nouveau, que tout est bien, que l’homme jouit de la seule mesure du bonheur dont son être soit susceptible, etc. Il y a toujours un sens dans lequel on peut condamner un écrit, et un sens dans lequel on peut l’approuver. Il serait bien plus raisonnable de ne faire attention qu’aux beautés utiles d’un ouvrage, et de n’y point chercher un sens odieux: mais c’est une des imperfections de notre nature d’interpréter malignement tout ce qui peut être interprété, et de vouloir décrier tout ce qui a eu du succès.

On crut donc voir dans cette proposition, tout est bien, le renversement du fondement des idées reçues. Si tout est bien, disait-on, il est donc faux que la nature humaine soit déchue. Si l’ordre général exige que tout soit comme il est, la nature humaine n’a donc pas été corrompue; elle n’a donc pas eu besoin de rédempteur. Si ce monde, tel qu’il est, est le meilleur des mondes possibles, on ne peut donc pas espérer un avenir plus heureux. Si tous les maux dont nous sommes accablés sont un bien général, toutes les nations policées ont donc eu tort de rechercher l’origine du mal physique et du mal moral. Si un homme mangé par les bêtes féroces fait le bien-être de ces bêtes et contribue à l’ordre du monde; si les malheurs de tous les particuliers ne sont que la suite de cet ordre général et nécessaire, nous ne sommes donc que des roues qui servent à faire jouer la grande machine; nous ne sommes pas plus précieux aux yeux de Dieu que les animaux qui nous dévorent.

Voilà les conclusions qu’on tirait du poëme de M. Pope; et ces conclusions mêmes augmentaient encore la célébrité et le succès de l’ouvrage. Mais on devait l’envisager sous un autre aspect: il fallait considérer le respect pour la Divinité, la résignation qu’on doit à ses ordres suprêmes, la saine morale, la tolérance, qui sont l’âme de cet excellent. écrit. C’est ce que le public a fait; et l’ouvrage, ayant été traduit par des hommes dignes de le traduire, a triomphé d’autant plus des critiques, qu’elles roulaient sur des matières plus délicates.

C’est le propre des censures violentes d’accréditer les opinions qu’elles attaquent. On crie contre un livre parce qu’il réussit, on lui impute des erreurs. Qu’arrive-t-il? les hommes, révoltés contre ces cris, prennent pour des vérités les erreurs mêmes que ces critiques ont cru apercevoir La censure élève des fantômes pour les combattre, et les lecteurs indignés embrassent ces fantômes.

Les critiques ont dit, «Leibnitz, Pope, enseignent le «fatalisme;» et les partisans de Leibnitz et de Pope ont dit, «Si Leibnitz et Pope enseignent le fatalisme, ils ont

«donc raison; et c’est à cette fatalité invincible qu’il faut

«croire.»

Pope avait- dit tout est bien en un sens qui était très-recevable; et ils le disent aujourd’hui en un sens qui peut être combattu.

L’auteur du Poëme sur le désastre de Lisbonne ne combat point l’illustre Pope, qu’il a toujours admiré et aimé ; il pense comme lui sur presque sur tous les points; mais, pénétré des malheurs des hommes, il s’élève contre les abus qu’on peut faire de cet ancien axiome tout est bien. Il adopte cette triste et plus ancienne vérité reconnue de tous les hommes, «qu’il y a du mal sur la terre;» il avoue que le mot tout est bien, pris dans un sens absolu et sans l’espérance d’un avenir, n’est qu’une insulte aux douleurs de notre vie.

Si, lorsque Lisbonne, Méquinez, Tétuan et tant d’autres villes, turent englouties avec un si grand nombre de leurs habitans au mois de novembre 1755, des philosophes avaient crié aux malheureux qui échappaient à peine des ruines: «Tout est bien; les héritiers des morts augmenteront

«leurs fortunes; les maçons gagneront de l’argent

«à rebâtir des maisons; les bêtes se nourriront des cadavres

«enterrés dans les débris: c’est l’effet nécessaire des

«causes nécessaires; votre mal particulier n’est rien, vous

«contribuez au bien général;» un tel discours certainement eût été aussi cruel que le tremblement de terre a été funeste. Et voilà ce que dit l’auteur du Poëme sur le désastre de Lisbonne.

Il avoue donc avec toute la terre qu’il y a du mal sur la terre, ainsi que du bien; il avoue qu’aucun philosophe n’a pu jamais expliquer l’origine du mal moral et du mal physique; il avoue que Bayle, le plus grand dialecticien qui ait jamais écrit, n’a fait qu’apprendre à douter, et qu’il se combat lui-même; il avoue qu’il y autant de faiblesse dans les lumières de l’homme que de misères dans sa vie. Il expose tous les systèmes en peu de mots. Il dit que l’espérance d’un développement de notre être, dans un nouvel ordre de choses, peut seule consoler des malheurs présens, et que la bonté de la Providence est le seul asile auquel l’homme puisse recourir dans les ténèbres de sa raison, et dans les calamités de sa nature faible et mortelle.

P. S. Il est toujours malheureusement nécessaire d’avertir qu’il faut distinguer les objections que se fait un auteur de ses réponses aux objections, et ne pas prendre ce qu’il réfute pour ce qu’il adopte.

La philosophie de Voltaire

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