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NOTES SUR LE DÉSASTRE DE LISBONNE.

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Table des matières

Dieu tient en main la chaine, et n’est point enchainé.

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La chaîne universelle n’est point, comme on le dit, une gradation suivie qui lie tous les êtres. Il y a probablement une distance immense entre l’homme et la brute, entre l’homme et les substances supérieures; il y a l’infini entre Dieu et toutes les substances. Les globes qui roulent autour de notre soleil n’ont rien de ces gradations insensibles, ni dans leur grosseur, ni dans leurs distances, ni dans leurs satellites.

Pope dit que l’homme ne peut savoir pourquoi les lunes de Jupiter sont moins grandes que Jupiter; il se trompe en cela: c’est une erreur pardonnable qui a pu échapper à son beau génie. Il n’y a point de mathématicien qui n’eût fait voir au lord Bolingbrocke et à M. Pope que si Jupiter était plus petit que ses satellites, ils ne pourraient pas tourner autour de lui; mais il n’y a point de mathématicien qui pût découvrir une gradation suivie dans les corps du système solaire.

Il n’est pas vrai que si on ôtait un atome du monde, le monde ne pourrait subsister; et c’est ce que M. de Crousaz, savant géomètre, remarqua très bien dans son livre contre M. Pope. Il paraît qu’il avait raison en ce point, quoique sur d’autres il ait été invinciblement réfuté par MM. Warburton et Silhouette.

Cette chaîne des événemens a été admise et très ingénieusement défendue par le grand philosophe Leibnitz: elle mérite d’être éclaircie. Tous les corps, tous les événemens, dépendent d’autres corps et d’autres événemens. Cela est vrai; mais tous les corps ne sont pas nécessaires à l’ordre et à la conservation de l’univers, et tous les événemens ne sont pas essentiels à la série des événemens. Une goutte d’eau, un grain de sable de plus ou de moins, ne peuvent rien changer à la constitution générale. La nature n’est asservie ni à aucune quantité précise, ni à aucune forme précise. Nulle planète ne se meut dans une courbe absolument régulière; nul être connu n’est d’une figure précisément mathématique; nulle quantité précise n’est requise pour nulle opération: la nature n’agit jamais rigoureusement. Ainsi on n’a aucune raison d’assurer qu’un atome de moins sur la terre serait la cause de la destruction de la terre.

Il en est de même des événemens: chacun d’eux a sa cause dans l’événement qui précède; c’est une chose dont aucun philosophe n’a jamais douté. Si on n’avait pas fait l’opération césarienne à la mère de César, César n’aurait pas détruit la république; il n’eût pas adopté Octave, et Octave n’eût pas laissé l’empire à Tibère. Maximilien épouse l’héritière de la Bourgogne et des Pays-Bas, et ce mariage devient la source de deux cents ans de guerre; mais que César ait craché à droite ou à gauche, que l’héritière de Bourgogne ait arrangé sa coiffure d’une manière ou d’une autre, cela n’a certainement rien changé au système général.

Il y a donc des événemens qui ont des effets, et d’autres qui n’en ont pas. Il en est de leur chaîne comme d’un arbre généalogique; on y voit des branches qui s’éteignent à la première génération, et d’autres qui continuent la race. Plusieurs événemens restent sans filiation. C’est ainsi que dans toute machine il y a des effets nécessaires au mouvement, et d’autres effets indifférens, qui sont la suite des premiers, et qui ne produisent rien. Les roues d’un carrosse servent à le faire marcher; mais qu’elles fassent voler un peu plus ou un peu moins de poussière, le voyage se fait également. Tel est donc l’ordre général du monde, que les chaînons de la chaîne ne seraient point dérangés par un peu plus ou un peu moins de matière, par un peu plus ou un peu moins d’irrégularité.

La chaîne n’est pas dans un plein absolu; il est démontré que les corps célestes font leurs révolutions dans l’espace non résistant. Tout l’espace n’est pas rempli. Il n’y a donc pas une suite de corps depuis un atome jusqu’à la plus reculée des étoiles; il peut donc y avoir des iutervalles immenses entre les êtres sensibles, comme entre les insensibles. On ne peut donc assurer que l’homme soit nécessairement placé dans un des chaînons attachés l’un à l’autre par une suite non interrompue. Tout est enchaîné ne veut pas dire autre chose sinon que tout est arrangé. Dieu est la cause et le maître de cet arrangement Le Jupiter d’Homère était l’esclave des destins; mais, dans une philosophie plus épurée, Dieu est le maître des destins. Voyez Clarke, Traité de l’existence de Dieu.

2

Sub Deo justo nemo miser nisi mereatur. (Saint Augustin.)

3

Principe du mal chez les Égyptiens.

4

Principe du mal chez les Perses.

5

C’est-à-dire d’un autre principe.

6

Voilà, avec l’opinion des deux principes, toutes les solutions qui se présentent à l’esprit humain dans cette grande difficulté.

7

La balance à la main, Bayle enseigne à douter.

Une centaine de remarques répandues dans le dictionnaire de Bayle lui ont fait une réputation immortelle. Il a laissé la dispute sur l’origine du mal indécise. Chez lui toutes les opinions sont exposées; toutes les raisons qui les soutiennent, toutes les raisons qui les ébranlent, sont également approfondies; c’est l’avocat général des philosophes, mais il ne donne point ses conclusions. Il est comme Cicéron, qui souvent, dans ses ouvrages philosophiques, soutient son caractère d’académicien indécis, ainsi que l’a remarqué le savant et judicieux abbé d’Olivet.

Je crois devoir essayer ici d’adoucir ceux qui s’acharnent depuis quelques années avec tant de violence et si vainement contre Bayle; j’ai tort de dire vainement; car ils ne servent qu’à le faire lire avec plus d’avidité. Il devraient apprendre de lui à raisonner et à être modérés; jamais d’ailleurs le philosophe Bayle n’a nié ni la Providence, ni l’immortalité de l’âme. On traduit Cicéron, on le commente, on le fait servir à l’éducation des princes; mais que trouve-t-on presque à chaque page dans Cicéron, parmi plusieurs choses admirables? On y trouve que «s’il est une Providence, elle est blâmable d’avoir donné «aux hommes une intelligence dont elle savait qu’ils devaient abuser.» Sic vestra ista Providentia reprehendenda, quœ rationem dederit iis quos scierit ea perverse et improbe usuros. (De Natura déorum, lib. III, c. 31.)

«Jamais personne n’a cru que la vertu vînt des dieux, et on a eu

«raison.» Virtutem autem nemo unquam acceptam Deo retulit; nimirum recte. (Ibid., c. 58.)

Et ce qu’il y a de plus étrange, c’est que Cicéron finit son livre de la Nature des dieux sans réfuter de telles assertions. Il soutient en cent endroits là mortalité de l’âme dans ses Tusculanes, après avoir soutenu son immortalité.

Il y a bien plus: c’est à tout le sénat de Rome qu’il dit, dans son plaidoyer pour Cluentius: «Quel mal lui a fait la mort? Nous rejetons «tous les fables ineptes des enfers; qu’est-ce donc que la mort lui a

«ôté, sinon le sentiment des douleurs?» Quid tandem illi mali mors attulit? nisi forte ineptiis ac fabulis ducimur, ut existimemus illum apud inferos impiorum supplicia perferre... quæ si falsa sunt, id quod omnes intelligunt, quid ei tandem aliud mors eripuit præter sensum doloris? (C. LXI.)

Enfin dans ses lettres où le cœur parle, ne dit-il pas: Si non ero, sensu omnino carebo? «Quand je ne serai plus, tout sentiment périra «avec moi.» (Ep. fam., lib. VI, ep. 3.)

Jamais Bayle n’a rien dit d’approchant. Cependant on met Cicéron entre les mains de la jeunesse: on se déchaîne contre Bayle: pourquoi? c’est que les hommes sont inconséquens, c’est qu’ils sont injustes.

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On trouve difficilement une personne qui voulût recommencer la même carrière qu’elle a parcourue, et repasser par les mêmes événemens (1757).

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