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V.

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Puisqu’elle défend les grandes vérités du sens commun, pourquoi ne pas leur apporter l’appui de Voltaire. Quelle bonne fortune de rencontrer un allié dans cet esprit d’une clarté puissante, qui donne à la raison un visage familier. Pour nous, il nous a paru qu’il serait utile de publier aujourd’hui le meilleur de ses pensées sur Dieu, la liberté et la morale, un recueil classique et populaire de sa philosophie. En l’entreprenant, nous avons dû nous imposer certaines lois rigoureuses: d’abord, retrancher toute polémique contre les religions; puis ne donner que la philosophie sérieuse, distinguant ce qui est un jeu et ce qui est sincère; enfin supprimer les saillies d’une imagination trop libre.

Il est bon de retrancher la critique des religions dans un livre qui doit pénétrer partout pour porter partout les bonnes vérités communes aux religions et aux philosophies.

Quant à cette suppression des libertés que se permet trop souvent Voltaire, je n’ignore pas que c’est chose délicate. Nous goûtons peu en France les auteurs expurgés, encore moins les éditeurs qui expurgent. Cette sagesse où l’on réduit un pauvre écrivain lui donne un air de victime, à l’éditeur un air de vertu farouche et de pudeur aisément alarmée-qu’il est difficile de soutenir dans le monde, ne laissant de choix qu’entre la sainteté et le ridicule. J’ai plaint, plus que bien d’autres, l’aimable Horace renonçant aux Grâces entre les mains du Père Jouvency, l’amant de Lalagé au doux sourire, au doux parler:

Dulce ridentem Lalagen amabo, dulce loquentem,

jurant de n’attendre plus désormais que de la vertu seule sa sûreté et son bonheur:

Sola me virtus dabit usque tutum, sola beatum,

en vers dont il eût fait pénitence éternelle. Mais il y a loin, Dieu merci, de quelques suppressions, rares et toujours nécessaires, aux licences d’un éditeur qui se met sans façon à la place d’un auteur, et lui prête généreusement ses idées et son style. Ces suppressions sont imposées par la société présente, plus sévère, je crois, dans ses mœurs, que la société du dix-septième et du dix-huitième siècle, certainement moins libre de parole. Il est des ouvrages de talent, même de génie, dont nous n’avouons plus la lecture, disons mieux, que nous ne lisons plus; l’imagination à qui il est tant pardonné, cette fois ne trouve point de pardon: Voltaire l’a éprouvé. On vante Rabelais sans doute, mais comme on vante Apulée ou Pétrone: par l’antiquité de sa langue, il est étranger pour tout ce qui n’est pas érudit, et les érudits le louent, parce qu’ils sont presque seuls à le lire. Autrefois les idées sérieuses avaient, en France, besoin de ce voile ou de cet assaisonnement; aujourd’hui elles peuvent se présenter sans crainte, et se soutenir par leur poids, ou, si les grâces les accompagnent, nous les voulons décentes: gratiœ decentes. Voltaire écrivant à cette heure, avec son tact exquis, sa connaissance profonde du public, se ferait autre pour d’autres lecteurs, et, en supprimant certaines libertés indiscrètes, on serait sûr de le livrer, tel qu’il se livrerait lui-même.

Sans doute aussi il choisirait entre ses pensées. Maintenant ce choix est difficile, il n’est pas impossible pourtant. A parcourir les quatre-vingts volumes où sa philosophie est répandue, rien de plus variable que l’apparence, et l’entreprise de discerner le fond semble folie; mais une lecture assidue familiarise avec l’auteur et donne le mot de bien des contradictions. D’abord il faut faire la part de la tactique dans un chef de parti, deviner la note diplomatique sous l’apparente candeur d’une dissertation, reconnaître pour ainsi dire l’état du ciel à l’heure de sa naissance, les influences qui y ont présidé.

Puis, parmi les variations de cette pensée, il en est de naïves que la politique n’explique point. C’est un esprit altéré de lumière, qui dans chaque question voit les difficultés par une sorte de délicatesse maladive, et, au lieu de les résoudre, s’y résigne; inébranlable sur trois ou quatre points; dans les autres recherches, errant, cassant son fil, et, après ces aventures, revenant simplement au sens commun, à ces simples croyances, où la pensée et l’action trouvent la règle et le repos. Ces erreurs et ces retours donnent aux ouvrages philosophiques de Voltaire l’intérêt d’une confession: c’est la pensée humaine avec ses alternatives de défaillance et de vigueur, sa sécurité aisément troublée, ses scrupules qui, d’un moment à l’autre, l’effrayent et lui font pitié ; l’heureux instinct qui, après un vol superbe, la ramène au sentiment, aux arguments de bonne femme. Quand on doit arriver là avec lui, on peut tenter fortune sur la route. Le sentiment des problèmes n’est pas une médiocre part de l’esprit philosophique.

Enfin, Voltaire était poëte en même temps que philosophe: esprit irritable, tout ouvert aux impressions du dehors. Il entre tant d’humeur dans cette raison, qu’on est perpétuellement déconcerté ; il glisse entre les mains, et on renoncerait sérieusement à le poursuivre, s’il ne vous fascinait toujours par quelque nouveau prestige. Avez-vous entendu un homme d’esprit et d’imagination causer tour-à-tour sur le même sujet avec des personnes différentes? Il semble changer aussi souvent d’opinion que d’auditeur. Si son avis n’est pas partagé, la froideur de son adversaire tantôt le gagne, tantôt l’anime par réaction; tantôt, gardant sa conviction à l’intérieur, il fait, pour la forme, une retraite polie, et se raille lui-même. Son opinion, est-elle admise par un homme considérable, cette approbation l’enflamme; un sot la lui prend, il s’en dégoûte; un indiscret l’exagère, il la combat. Comment donc saisir, dans ces fluctuations, la véritable pensée? Cet art ne s’enseigne point; mais, pour qui a vécu avec ce personnage, et l’a longtemps étudié, il y a du sérieux dans le rire et du rire dans le sérieux, de la froideur dans l’enthousiasme, et quelque chose d’ardent sous la froideur du dehors, où il ne se trompe pas.

Celui qui ferait un choix habile entre les ouvrages philosophiques de Voltaire, laisserait au temps ce qui est du temps, et conserverait, pour le donner au public, l’éternel et le solide, rendrait assurément quelque service à la philosophie. Nous serions très-heureux de mériter cet éloge, et ce nous serait une suffisante récompense de notre travail, dût-on nous appliquer un mot de Voltaire lui-même sur un malheureux écrivain de son temps. «Il a trouvé le secret de faire un livre très-utile, où il n’y a de mauvais que çe qui est uniquement de lui.»

ERNEST BERSOT.

Octobre 1847.

La philosophie de Voltaire

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