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II
L’IDYLLE

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Daniel de la Chesnaye était de ceux qui se donnent la peine de naître. Il eut à son berceau une bonne fée qui, d’une main, dessina des armoiries de comte, et, de l’autre, fit sonner des louis d’or; par malheur, on n’avait pas appelé la fée de la Sagesse, si bien que le don de la Naissance et le don de la Fortune ne firent qu’à moitié son bonheur. Il étudia tant bien que mal. Il apprit un peu de tout pour ne pas savoir grand’chose; mais il monta bien à cheval et donna quelques coups d’épée pour la plus grande gloire de son maître d’armes. Son instruction fut parachevée par quelques demoiselles des petits théâtres.

En un mot, vers sa vingtième année, il menait la vie comme le premier crevé venu, bien plus préoccupé de sa célébrité dans le demi-monde que de sa considération dans le beau monde.

Pendant cinq ou six ans ce fut le même train de vie, s’échappant toujours du coin du feu familial pour courir les avant-scènes et les lansquenets; il était devenu fort à la mode parce qu’il savait perdre son argent sans sourciller et parce qu’il battait les femmes. Il avait appris cela dans Regnard et dans Molière: le théâtre est l’école des mœurs.

Très jeune encore, il avait perdu sa mère, ce qui lui permit de manger son blé en herbe; quand il fut ruiné de ce chef, il alla passer une saison en Normandie, pas trop loin de Trouville, chez une grand’tante quasi-centenaire, qui devait lui laisser cent mille écus. La tante ne mourut pas pour lui faire plaisir, mais elle lui fit un avancement d’hoirie. Il se lia avec une famille normande qui avait la prétention de revenir des Croisades. Ce qui est hors de doute, c’est qu’il y avait dans cette famille une toute jeune fille de dix-huit ans, cheveux blonds, profil de statue, air de province, laquelle avait un doux parfum de la Terre-Sainte. On ne lui avait jamais dit qu’elle était belle. Elle se croyait destinée à cette vie de province qui est presque la vie claustrale quand on ne vient pas se réchauffer à l’hiver de Paris.

Daniel de la Chesnaye lui apparut comme le Messie; elle s’ennuyait à mourir, elle désespérait de s’amuser jamais.

Elle venait souvent jouer aux dames avec la vieille tante, qui lui donnait quelques bijoux du temps de Marie-Antoinette. La pauvre fille n’était pas riche, sa famille vivait à grand’peine avec un revenu de deux à trois mille francs. On ne désespérait pas que la vieille dame la couchât sur son testament.

Mademoiselle Clotilde de Monville s’en laissa conter par Daniel de la Chesnaye; il l’attaqua brusquement comme il eût fait pour une drôlesse. On ne perd pas sitôt ses bonnes habitudes. Clotilde se révolta en elle-même, mais elle subit le charme du Parisien. Elle lui pardonnait ses brutalités amoureuses en se disant que c’était sans doute la mode; elle ne pouvait d’ailleurs pas faire de comparaisons, puisque, jusque-là, nul n’était venu lui présenter la pomme à croquer.

Naturellement, mademoiselle de Monville s’imagina que Daniel était un épouseur, elle ne savait pas qu’il y eût en amour la main droite et la main gauche: dans ce petit village de Normandie, quand on s’aimait, on se mariait. Elle avait bien lu quelques romans, mais c’étaient des romans.

Elle tombait bien avec un homme comme Daniel qui s’était bien promis de n’être jamais l’amoureux du bon motif; aussi, quand il vit que ses tentations avaient égaré ce jeune cœur, il lui proposa de l’enlever à Paris. Elle devint pâle comme la mort:

–Quand nous serons mariés, dit-elle naïvement.

–C’est bon pour les bourgeois de se marier avant; nous nous aimons trop pour faire comme tout le monde; commençons par nous enlever.

Clotilde trouva que c’était l’abomination des abominations, mais elle se laissa enlever. Daniel qui, pour elle, était le démon, lui avait pris du premier coup son cœur, son âme, son esprit. Il avait tué sa volonté, il avait troublé sa conscience; elle ne voyait plus son chemin, elle se jetait dans l’abîme jonché de roses. «Après tout, se disait-elle en s’agenouillant devant une image de la Vierge, puisqu’il m’aime, il m’épousera, j’écrirai une lettre bien tendre à maman qui me pardonnera d’être heureuse.»

Pourquoi Daniel de la Chesnaye voulait-il enlever cette pauvre ingénue, la dernière des ingénues? N’y avait-il pas assez de femmes à Paris? Que ferait-il d’une pareille innocente? C’était bien plutôt une épousée qu’une maîtresse.

Il était arrivé à M. de la Chesnaye ce qui arrive à tous les parisiens en villégiature; pour ne pas perdre de temps, ils font la cour à la première provinciale venue sans bien la comparer aux parisiennes; ils y cueillent même je ne sais quelle saveur nouvelle, comme un gourmand qui change de table. Mais dès qu’ils se retrouvent avec des parisiennes ou avec des femmes qui ont traversé l’enfer de Paris, ils s’aperçoivent que leur trouvaille n’est qu’une demi-bonne fortune. La vertu a trop marqué son empreinte. Il y a autour de toutes ces filles de province une atmosphère de sainte bêtise et de nocturne ennui pour les libertins.

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