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ACTE Ier LE PETIT SALON DE LA GRANDE DAME

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Table des matières

Le spectacle commence à dix heures dans le petit salon de madame de Campagnac. C’est un adorable réduit que je vais décrire en quatre mots: des hirondelles au plafond, – l’oiseau qui porte bonheur. – Celles-là ne sont pas peintes par Carle Vernet, mais elles nagent bien dans l’éther; les murs sont capitonnés de salin bleu à clous d’or, les fenêtres sont pareillement drapées de satin sur des rideaux de guipure d’un travail de fée. La haute laine qu’on foule aux pieds est un semis de fleurs idéales, bouquets chinois et persans dans des vases de Saxe, une fantaisie de Chocqueel qui aime à travailler pour les princesses. Un tête-à-tête pareillement bleu, un cabinet d’ébène de la Renaissance, une table du plus beau Boule, sauvée miraculeusement du vandalisme depuis Louis XIV, une jardinière de Saxe en forme de bouquet rococo, une pendule Louis XVI travaillée par un de ces ciseleurs de1780 qui étaient de merveilleux artistes: voilà ce petit salon. J’oubliais un portrait de Faust et un portrait de Marguerite, en face de la cheminée, de chaque côté du cabinet d’ébène.

Pour tout le monde c’est Faust et Marguerite, pourquelques initiés c’est madame de Campagnac et le duc de Santa-Cruz. Seulement comme ils sont bruns tous les deux, elle dit toujours que ce n’est ni elle ni Achille. Ces deux portraits signés Couder,– ce poétique pinceau qui, à l’Abbaye-aux-Bois, peignit Rachel à vingt ans, – expriment merveilleusement le caractère de l’âme par le regard rêveur et le sourire perdu. Ce sont des amoureux qui se retournent vers le passé. C’est la fin d’un beau jour. Ils s’aiment bien encore, mais ils ne croient plus au lendemain.»

Mais écoutez madame de Campagnac dans son monologue; la pendule sonne dix heures.

–Une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix! Mais il ne sait donc pas que c’est mon cœur qui vient de battre dix fois! j’ai failli attendre!

Madame de Campagnac arrête la pendule: Je ne veux pas que la pendule m’accuse d’attendre, dit-elle douloureusement.

Elle soulève le rideau de la fenêtre.

–Il me semble que j’ai reconnu le pas de ses chevaux. Non, ce n’est pas lui encore, car on ne s’arrête pas.

Elle revient à la cheminée et se barbouille de poudre de riz.

–Je ne suis pas bien coiffée ce soir. Après cela, quand Achille se sera jeté dans mes bras, comme un orage des Pyrénées, je serais peut-être mieux coiffée: souvent un coup de vent ne gâte rien.

Elle se promène toute rêveuse:

–Si je rouvrais ce roman? les Grandes Cocottes? les étoiles du jour – et de la nuit! – les reines du monde et de l’autre monde! Non, le vrai roman est là.

Elle porte la main à son cœur.

–Ah! c’est qu’il est charmant, Achille! On me dit tous les jours du mal de lui; que m’importe si je puis lui dire comme cette princesse de tragédie: «C’est moi qui te dois tout, puisque c’est moi qui t’aime.»

Madame de Campagnac s’assied mélancoliquement devant le portrait de Faust.

–C’est bien lui! Comme il est beau! comme il est amoureux! Qui donc a dit qu’un peintre n’avait jamais le temps de peindre deux amants, sous prétexte que pendant que l’un pose l’autre s’en va! Nous avons posé tous les deux sous le même rayonnement d’amour.

Elle se lève avec impatience.

–Ah çà, est-ce qu’il va me faire poser longtemps?

Elle sonne et demande le thé:

–Je veux qu’il soit jaloux! Quand il arrivera, je lui dirai que son ennemi d’Aspremont est venu me voir ce matin. Mais c’est moi qui suis jalouse! Jalouse, pourquoi?

Elle s’approche de la cheminée et se mire dans la glace.

–Parce que j’ai trente-trois ans. Mais chut!

Elle regarde avec effroi autour d’elle.

–Chut! Si les murs avaient des oreilles!

Elle se regarde encore.

Hélas! ce n’est pas sur les murs du palais de Balthazar que l’acte de naissance d’une femme apparaît, c’est sur sa figure. S’il savait que ces cheveux qu’il adore sont déjà arrosés par l’Eau des fées! Mais l’amour c’est l’illusion. Quand je pense que ce grain de beauté dont il raffole n’est rien autre chose qu’un petit baiser de pierre infernale sur une tache de rousseur!

Elle retourne à la fenêtre.

–Oh! pour cette fois je vais lui faire une scène, d’autant plus qu’il n’est jamais plus caressant que dans mes colères. Il a un art de m’apaiser qui me charme et m’enivre.

Elle penche silencieusement la tête comme emportée par ses souvenirs. Mais se réveillant tout à coup de ce rêve.

–Attendre, c’est l’enfer! Cette pendule va trop vite! elle va trop lentement!

Madame de Campagnac fait marcher la pendule.

Un domestique apporte un télégramme sur un plat d’argent. Madame de Campagnac le saisit d’une main fiévreuse.

–Oh! cet horrible papier bleu! C’est-lui qui m’écrit.

Elle se penche vers la lampe.

«Ce soir ne m’attendez pas, je dîne chez ma sœur qui vient d’arriver à Paris et qui donne son premier bal, mais demain je cotillonnerai chez vous.»

Madame de Campagnac est furieuse.

–Et ta sœur! Voilà pourtant aujourd’hui la correspondance de Lovelace et de Clarisse Harlowe. Il n’y a plus qu’à se voiler la face. Et ta sœur! Quand je pense que j’ai aujourd’hui deux cents lettres de lui qui sont aussi éloquentes que celle-ci! Ah! ce serait un beau roman par lettres que le nôtre!

Elle va au cabinet d’ébène et prend une poignée de télégrammes dans un tiroir:

–Voilà comment il m’écrit!

Elle jette les télégrammes au milieu du salon:

–Monsieur daignera venir cotillonner demain! Cotillonner! verbe actif! très actif! Eh bien, moi, je suis sûre qu’il ne cotillonne pas chez sa sœur, il cotillonne chez mademoiselle Fleur-de-Thé. Oh! les serpents de la jalousie! Ils me déchirent le cœur et sifflent à mes oreilles!

Elle piétine les télégrammes:

–Je me vengerai! Quand le feu court dans mes veines, je suis comme Hermione, rien ne m’arrête dans ma fureur. Cette Fleur-de-Thé! si je la tenais sous mes ongles! Ces filles-là devraient être à Saint-Lazare! car si elles continuent à ouvrir leurs salons, il nous faudra fermer les nôtres.

Madame de Campagnac sonne:

–Ah! il cotillonne et il s’imagine que je vais me coucher avec son télégramme sous l’oreiller. Non! je vais aller chez mademoiselle Fleur-de-Thé, je lui ferai dire que je l’attends dans ma voiture. S’il ne veut pas descendre, eh bien, je monterai.

Madame de Campagnac essuie deux larmes:

–Mais je vais me perdre à ce jeu-là! Eh? que m’importe, si je sauve mon amour!

Ici le rideau tombe sur le premier acte.

Qui prendra le thé de madame de Campagnac? Car j’ai oublié de dire que Mathieu avait apporté sur la table de Boule un tête-à-tête de vieux chine d’un émail incomparable; la joie des yeux et la joie des lèvres, comme dit la chanson de Ti-O-Sam.

Je ne sais si madame de Campagnac attendit longtemps Santa-Cruz dans sa voiture. Ce que je sais très bien, c’est que dans son aveuglement elle entra comme le tonnerre dans la chambre à coucher de Fleur-de-Thé.

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