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III
LE VIN BLEU DE L’AMOUR

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Table des matières

Quand Daniel arriva à Paris avec Clotilde, il vit bien qu’il s’était trompé en revoyant ses petites camarades du turf, du bois et du théâtre, mais le mal était fait. La pauvre enfant, d’ailleurs, était si amoureuse qu’il l’eût tuée en l’abandonnant. Il la mit chez lui et se résigna à être heureux avec elle; après tout, c’était une maîtresse qui en valait bien une autre; il ne fallait pas lui faire un crime de n’avoir pas été à tout le monde et de ne pas vouloir être à tout le monde. Elle voulait vivre de son amour dans l’intimité de l’intérieur, point du tout soucieuse de montrer son luxe ou de jouer de la coquetterie. Elle ne lui coûterait presque rien, elle ne s’imposerait jamais; s’il voulait sortir avec elle, elle sortirait; s’il voulait la cloîtrer chez lui, elle s’y trouverait bien. Elle n’avait ni le diable au corps, ni la blague, ni la gaieté, ni la rouerie, ni le brio des femmes qu’il avait connues jusque-là, mais elle était intelligente et savait causer.

Et puis, encore une fois, elle ne coûtait rien, moins que rien, car elle mit beaucoup d’ordre chez Daniel. Jusque-là il était volé par ses gens comme sur une grande route; grâce à elle, il eut quelque chose à lui.

Bien mieux, quoiqu’elle n’eût de force sur lui que par la douceur, elle le retint plus d’une fois à l’heure où il allait jouer, à l’heure où il allait perdre, car, jusque-là, il avait perdu près d’un demi-million sans avoir son jour de revanche. Joueur malheureux s’il en fut, il semblait toujours condamné à perdre.

Sa tante quasi centenaire lui avait confié pour quatre-vingt mille francs d’actions du Crédit foncier, lui disant de les mettre en banque pour qu’on lui fit une avance de cinquante mille francs; mais il avait jugé plus simple de les vendre, sauf à les racheter quand il aurait gagné au jeu. Ce fut en vain qu’il joua plus modérément, il perdit encore, il perdit toujours.

Un soir où il avait été plus malheureux encore que de coutume, il avoua à Clotilde qu’il ne lui restait plus qu’une douzaine de mille francs; Clotilde, dans sa beauté, lui sourit doucement et lui dit:

–Quand nous n’aurons plus rien, je mettrai mes diamants en gage.

La pauvre fille avait à ses oreilles des roses qui valaient bien cinq cents francs; mais elle s’imaginait, sur la foi des paysans de son village, qu’il y avait là une petite fortune.

–Tes diamants! s’écria Daniel d’un air de pitié, il n’y a pas de quoi retourner une carte.

–Eh bien, mon cher ami, il ne faut plus jouer, nous vivrons comme il plaira à Dieu; je te promets de ne pas acheter une robe de toute une année.

–Tu es trop bête, dit brutalement Daniel; tu t’imagines qu’on vit à Paris avec un capital de douze’mille francs, il n’y a pas de quoi vivre vingt-quatre jours.

La pauvre Clotilde n’osait plus rien dire.

–C’est ta faute, reprit le joueur furieux d’avoir perdu, il fallait m’empêcher d’aller au cercle, tu sais bien que j’ai rencontré aujourd’hui un jettatore.

La jeune fille éclata en sanglots.

–A la bonne heure, s’écria M. de la Chesnaye, il faut encore que je subisse tes larmes. J’ai eu là, en vérité, une belle idée de t’arracher à ta famille.

Clotilde sentit la révolte dans son cœur.

–Oh! Daniel, c’est mal ce que vous dites là; de quoi suis-je coupable, sinon d’avoir pleuré?

Daniel était au paroxysme de la colère.

–Tu m’embêtes avec tes airs d’innocence; c’est toi qui m’as porté malheur.

Clotilde éclata plus bruyamment dans ses sanglots.

–On dirait que je t’assassine; je te défends de pleurer.

Mais Clotilde pleurait de plus belle. Daniel lui serra la main comme dans des tenailles de fer.

–Oh! que vous êtes méchant!

Elle avait jeté ce mot malgré elle.

–Ah! je suis méchant, murmura-t-il.

Il n’était plus maître de lui.

Il la souffleta et lui donna des coups de pied, comme il eût fait de la dernière des drôlesses qui l’aurait insulté.

–Vous êtes fou! dit mademoiselle de Monville, humiliée d’être ainsi battue.

Il ne se contenta pas de ses odieuses brutalités, il accabla encore sa maîtresse de mille injures.

–De quel droit vous plaignez-vous, lui dit-il d’un air de mépris, n’allez-vous pas me faire croire à votre dignité, vous qui m’avez suivie ici malgré moi?

–Malgré vous?

–Oui, malgré moi, car je ne vous ai enlevée que pour vous protéger contre votre famille qui n’a pas le sou.

Clotilde se demandait si elle rêvait. Elle dédaigna de répondre à Daniel.

Elle pensa amèrement à cette brave famille où on n’avait pas d’argent, mais où on avait du cœur. Elle était l’adoration des siens, on l’aimait à trois lieues à la ronde comme un symbole de beauté et de vertu. Elle avait tout sacrifié à Daniel avec abondance de cœur, sans retourner une seule fois la tête pour que le sacrifice fût plus grand encore, ne voulant pas qu’un seul regret pût lui faire ombre.

Et voilà ce qu’elle recueillait.

Elle tomba agenouillée devant une chaise et joignit les mains avec un si grand accent de dévotion et de repentir que Daniel, qui avait jeté hors de lui toutes ses colères, se sentit profondément touché.

–Pardonnez-moi, lui dit-il tout à coup, en s’agenouillant devant elle.

Elle se tourna vers lui, et voyant bien qu’il ne la bravait pas, elle se jeta sur son cœur en lui disant:

–Oh! Daniel, comme je vous aime!

Un seul regard amoureux de Daniel avait tout effacé, comme un rayon de soleil qui brûle les nuées.

–Vois-tu, reprit Daniel, en pressant la main qu’il avait tenaillée, et en baisant la joue qu’il avait souffletée, ce n’est pas ma faute: quand la fureur me prend, je ne suis plus maître de moi. Une autre fois, ne sois pas si douce quand tu me verras sombre. J’ai vécu avec des coquines qui m’ont forcé à les battre, c’est une mauvaise habitude, mais je ne recommencerai pas.

Il se passa quelques jours sans trouble. Daniel ne retourna pas jouer, il se montra plus tendre que jamais avec Clotilde.

La pauvre fille avait été fortement secouée par cette horrible scène. Tous les matins elle allait à la messe, priant pour lui et priant pour elle.

Quand on croit à Dieu et à l’amour, on croit à tout. Mademoiselle de Monville ne doutait pas que Daniel ne redevînt à tout jamais l’amoureux qui l’avait séduite.

Un soir qu’elle s’était endormie sur ce beau rêve, elle fut réveillée brusquement par M. de la Chesnaye qui revenait du club.

–J’ai joué, dit-il en la regardant avec des yeux égarés.

–Et vous avez perdu, dit Clotilde, se levant à demi, effrayée de sa pâleur et de son expression.

–Oui, j’ai perdu; pourquoi ne m’as-tu pas empêché d’aller jouer?

–Pourquoi? le savais-je! ne m’avez-vous pas dit que vous alliez souper chez des amis?

–Si tu n’étais pas si bête, tu aurais deviné que j’allais jouer. Je vous ai déjà dit que vous me portiez malheur.

–Daniel! Daniel! de grâce, ne me tuez pas par vos paroles.

Et, sans le vouloir, Clotilde sanglota.

–Allons, s’écria Daniel, la voilà encore qui ouvre ses fontaines.

–N’est-ce pas bien gai de vous voir toujours dans la fièvre du jeu?

–N’est-ce pas bien gai de vous voir toujours dans les larmes? – Voyons, changez-moi de figure. Riez.

–Vous croyez donc que je n’ai pas de cœur? Vous me prenez donc pour une poupée?

–Oui, une poupée, une poupée qui dit toujours la même chose, une poupée que j’ai envie de briser sous ma main.

Et, disant ces mots, Daniel, exaspéré par la douceur de Clotilde, lui prit le bras et la secoua rudement.

–Encore! dit-elle, avec une vraie dignité blessée.

–Des manières! reprit-il, en montant dans sa colère.

Il la traîna hors du lit et la jeta sur la peau d’ours qui était à ses pieds.

Mademoiselle de Monville ne put s’empêcher de crier.

Deson côté, M. de la Chesnaye ne put s’empêcher de la battre. Et cette fois elle fut battue par un fou furieux.

Quand elle tentait de se relever, Daniel la rejetait en ’arrière.

Vainement lui demandait-elle grâce de la voix la plus douce d’une amoureuse, il n’écoutait que sa colère.

Enfin, il vit toute l’horreur de son action; mais cette fois il ne se jeta pas aux genoux de mademoiselle de Monville pour lui demander son pardon, il courut dans sa chambre pour saisir son révolver.

Était-il de bonne foi vis-à-vis de la mort?

Il sortit en toute hâte pour aller chez Devisme acheter des cartouches; il ne voulait pas que la matinée se passât sans en finir.

L’air vif rasséréna son esprit, il jugea que tout n’était pas perdu encore. Ce jour-là, le ciel était bleu, le soleil égayait Paris; nul, hormis lui, n’avait envie de mourir. Il se résigna à vivre, quoiqu’il se trouvât indigne de vivre.

Il rencontra un de ses amis, un huitième d’agent de change, qui lui parla du jeu de la Bourse.

Daniel pensa qu’en effet là était le vrai jeu. L’ami, qui cherchait à faire des courtages, lui donna la conviction qu’un joueur qui a beaucoup d’estomac retourne toujours le roi au jeu de la Bourse: c’est une question de temps.

Une fois encore Daniel jura qu’il ne jouerait plus dans les cercles, il se promit d’écrire à sa tante, de lui demander vingt mille francs et de refaire sa fortune sur le trois et cinq, par des achats à prime ou des arbitrages.

La figure éplorée de mademoiselle de Monville tourmentait son esprit, mais elle l’aimait tant qu’il n’aurait qu’un mot à dire pour sécher des larmes et faire le beau temps dans son cœur.

Il aurait bien voulu retourner chez lui pour la consoler; mais son ami le boursier l’entraîna chez Bignon pour déjeuner et pour le familiariser avec le langage de la coulisse qui est, d’ailleurs, le langage des coulisses: de l’argent, encore de l’argent, toujours de l’argent.

Il était une heure quand M. de la Chesnaye rentra chez lui. La femme de chambre qui lui ouvrit cacha sa figure comme pour cacher ses larmes. Il passa outre sans la questionner.

Il alla droit à la chambre de Clotilde, quelque peu surpris de ne pas voir la table servie dans la salle à manger.

–Clotilde, lui dit-il d’une voix douce avant d’entrer, comme pour lui prouver qu’il avait bien voulu oublier ses torts à lui-même.

Clotilde n’accourut pas à sa rencontre selon sa coutume.

Il franchit le seuil de la chambre avec une vague inquiétude, avec un triste pressentiment. Clotilde n’était pas là.

–Où est-elle donc? se demanda-t-il en avançant vers le lit.

Sur ce lit encore tout défait, il vit une lettre bordée de noir. Il reconnut l’écriture de Clotilde.

–Pourquoi bordée de noir? murmura-t-il, Clotilde n’était pas en deuil.

Cette lettre était pour lui, il brisa le cachet avec une vive émotion.

La lettre était d’autant plus éloquente qu’elle ne renfermait que trois lignes: «Adieu, Daniel, je vous ai bien aimé et je vais mourir en disant votre nom, mais au moins je ne serai plus battue que par les vagues.

» CLOTILDE.».

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