Читать книгу Essai sur l'histoire financière de la Turquie - A. Du Velay - Страница 17

§ 2. — Après la guerre de Crimée.

Оглавление

Table des matières

Bien que la Turquie fut sortie victorieuse du formidable choc qu’elle avait eu à soutenir contre la Russie, grâce à l’intervention des armées française et anglaise, elle n’en était pas moins épuisée par cette lutte. Il est vrai que les puissances alliées avaient apporté à l’empire ottoman, avec le secours de leurs armes, celui de leurs millions; mais quand nous en arriverons, dans le chapitre suivant, à l’étude des emprunts ottomans, nous saurons alors que les deux emprunts conclus par la Porte au cours de la guerre, et de peu d’importance, furent loin de suffire aux frais nécessités par la grande mobilisation de ses armées. Aussi, la guerre terminée, les embarras du gouvernement arrivent à leur extrême limite. Si les armées avaient pu être licenciées, elles ne l’avaient été qu’avec une mince solde, juste de quoi ne pas laisser mourir de faim les soldats durant le long trajet que la plupart d’entre eux avaient à parcourir pour regagner leurs foyers. Victorieuses, les troupes n’en étaient pas moins mécontentes, et la manière dont elles furent traitées après la victoire inspirait à beaucoup de chefs des armées étrangères des réflexions peu bienveillantes, et pour les chefs qui les commandaient, et pour le gouvernement qui agissait à leur égard avec tant de sans-gêne.

L’état du commerce et celui de l’agriculture révélait une situation lamentable, que contribuait à aggraver encore l’instabilité insensée de l’instrument d’échange qui s’appelle la monnaie. Quatre groupes de monnaies circulaient parallèlement dans le pays, chacun d’eux jouissant d’une très inégale considération et possédant sur le marché des valeurs variables qui apportaient dans les transactions la plus regrettable confusion. On voyait d’abord les anciennes monnaies de billon frappées du temps de Mahmoud, dont quelques-unes avaient été retirées, mais qui circulaient néanmoins aussi nombreuses, car la surélévation fictive de leur valeur intrinsèque avait amené la contrefaçon. étrangère. Les anciens bechliks et altiliks de cuivre avaient été imités par des faux-monnayeurs habiles, et un stock considérable de ces monnaies avait été importé dans l’empire.

A côté d e ces monnaies de mauvais aloi, circulait le caimé. Loin d’en diminuer la quantité, le gouvernement, dans la détresse où se trouvait le Trésor, avait été forcé d’en continuer l’émission. La Banque de Constantinople n’existant plus, son cours ne pouvait plus être régularisé comme par le passé ; comme Les monnaies de cuivre, il subissait toutes les variations de cours que lui imprimait la spéculation acharnée des banquiers de Galata.

Les deux derniers groupes de monnaies circulant dans le pays étaient composés, d’une part, par les monnaies nouvelles frappées depuis 1844, et de l’autre, par les monnaies étrangères importées par le commerce ou la spéculation sur les divers marchés de l’Orient.

On évaluait, en 1854, à 200 millions de francs la quantité de monnaies nouvelles frappées par l’hôtel des monnaies à Constantinople. A première vue, il semblerait que le nombre de ces monnaies de bon aloi fùt suffisant aux besoins du commerce; et en fait, cette quantité aurait été assez grande pour parer à toutes les nécessités, si toutes ces monnaies étaient restées dans le pays. Mais soit qu’elles fussent détenues par les habitants du pays et enfouies dans leur trésor particulier, soient qu’elles aient été l’objet d’une spéculation particulière consistant à les expédier à l’étranger et à les échanger contre des monnaies d’un titre inférieur, il est certain que cette masse de monnaies récemment frappées avait disparu au fur et à mesure de sa sortie de l’hôtel des monnaies. En vain le gouvernement avait-il pris des mesures pour donner aux monnaies une valeur fixe et invariable, ou interdire la circulation des anciennes, le change n’en était pas moins instable, et chaque jour, plusieurs fois dans la même journée, il accusait les cours les plus différents, jetant dans le commerce l’incertitude, et avec elle la confusion.

Le Hatti-Humayoun, publié après la guerre de Crimée, s’était préoccupé de cette situation si tendue, de ce danger de plus en plus grandissant qui menaçait d’une ruine complète le commerce et l’agriculture, et avec eux le crédit de l’Etat. Les articles 24 et 25 étaient ainsi libellés:

«On s’occupera de la création de banques et d’autres institutions semblables pour arriver à la réforme du système financier et monétaire, ainsi que de la création de fonds destinés à augmenter la source de la richesse publique et matérielle de l’empire. On s’occupera également de la création de routes et canaux, qui rendront les communications plus faciles et augmenteront les sources de la richesse du pays. On abolira tout ce qui peut entraver le commerce et l’agriculture. Pour arriver à ces buts, on recherchera les moyens de mettre à profit les sciences, les arts et les capitaux de l’Europe, et de les mettre ainsi successivement à exécution.»

En ce qui concernait la création de routes et de canaux, il n’y fallait guère songer, dans l’état de pénurie où était le Trésor. Il restait la réforme monétaire et financière. Nous savons que pour apporter un peu d’ordre dans les finances, il avait été institué une commission de réformes financières qui s’était transformée en conseil de réformes en 1860. Quant à la réforme des monnaies, il ne pouvait y avoir qu’une banque solidement constituée, fondée à l’aide de puissants capitaux, qui serait capable de l’entreprendre et de faire disparaître le caimé dont la quantité croissante menaçait le pays d’une crise sérieuse.

La création de cette banque paraissait facile. Le gouvernement n’avait pour ainsi dire que l’embarras de choisir entre les propositions diverses qui lui étaient soumises chaque jour. C’étaient d’abord les principaux banquiers de Galata qui offraient au gouvernement de la constituer; il y avait aussi les anciens négociateurs du projet Trouvé-Chauvel qui ne renonçaient pas à leurs espérances; enfin un groupe anglais s’était formé, et c’était lui qui semblait avoir le plus de chances de faire accepter ses propositions par le gouvernement. Ce furent en effet ces derniers qui l’emportèrent.

Les deux premiers emprunts ottomans, comme nous le verrons plus loin, avaient été contractés en Angleterre; le second, il est vrai, n’avait pu l’être qu’avec la garantie collective des deux puissances alliées, la France et l’Angleterre; mais les fonds produits de cet emprunt, comme ceux provenant du premier, étaient anglais et exclusivement anglais; d’autre part, le nouveau grand-vizir, Reschid pacha, qui jouissait de la confiance pleine et entière du sultan, affichait des préférences anglaises, surtout depuis que M. Thouvenel, ambassadeur de France à Constantinople, avait rompu ouvertement avec lui à la suite de divergences de vue au sujet des provinces moldovalaques. Dans de telles circonstances, il était naturel que le groupe anglais l’emportât sur tous les autres concurrents.

Création de l’Ottoman Bank

L’Ottoman Bank sortit des négociations entamées par ce groupe, et une charte royale de Sa Majesté Britannique, en date du 24 mai 1856, en sanctionna la création. Son siège social était fixé à Londres; mais elle établissait son comptoir principal à Constantinople et se hâtait d’ouvrir des succursales dans les principales villes du Levant. La succursale de Smyrne fut créée en septembre de la même année.

Le capital de la Banque Ottomane était de 500,000 livres sterling, avec faculté de pouvoir le porter à 2 millions de livres. Elle avait la liberté d’opérer dans toute la Turquie, l’Egypte exceptée. Comme genre d’opérations, la Banque s’organisait comme banque de dépôts, de circulation, d’escompte, et comme caisse commerciale,

Au 31 décembre 1856, année de sa fondation, soit après un semestre d’existence, elle donnait un dividende. Le rapport des directeurs, communiqué aux actionnaires le 20 mai 1857, accusait un bénéfice net de 31,479 liv. sterl. permettant la distribution d’un dividende de 15 shillings, soit 10 0/0 sur le capital versé.

Comme on le voit, les débuts de cet établissement permettaient d’augurer d’un brillant avenir. Ce sera cette même banque qui se transformera plus tard et deviendra la Banque Impériale Ottomane.

Mais malgré la puissance de ses fondateurs, l’intelligence de sa direction, la force de ses capitaux, le nouvel établissement de crédit fut impuissant à conjurer la crise née de l’anarchie monétaire dont nous avons parlé précédemment. Il viendra néanmoins en aide au gouvernement, pourra lui consentir quelques prêts temporaires; il apportera un appui nouveau au commerce et lui ménagera quelques facilités pour ses remises à l’étranger; quant au caimé, sa circulation ne fera qu’augmenter, et il faudra l’intervention de la Banque Impériale Ottomane pour le réduire d’abord et ensuite le faire disparaître entièrement.

Essai sur l'histoire financière de la Turquie

Подняться наверх