Читать книгу Essai sur l'histoire financière de la Turquie - A. Du Velay - Страница 3

INTRODUCTION BUT ET PLAN DE L’OUVRAGE

Оглавление

Table des matières

Parmi les écrivains qui se sont occupés de la Turquie, quelques-uns, et ce sont les moins nombreux, ont effleuré la question financière; les autres, c’est-à-dire le plus grand nombre, l’ont entièrement négligée. Ont-ils reculé devant l’aridité d’une telle étude, ou bien en ont-ils estimé la portée trop réduite et l’intérêt insuffisant? Toujours est-il que l’histoire financière de la Turquie restait à faire au moment où nous l’avons entreprise.

Au contraire de nos devanciers, nous avons pensé que les finances d’un pays offrent à l’historien les documents les plus précieux, comme aux législateurs et aux moralistes les enseignements les plus salutaires. Plus que jamais, en effet, les finances d’une nation sont considérées comme le pouls de son organisme tout entier, et leur diagnostic doit révéler infailliblement l’état général de sa constitution. Qu’est-ce qu’un budget bien équilibré, sinon l’expression d’une administration habile et consciencieuse? Que signifient les plus-values budgétaires, sinon qu’elles sont la résultante d’une sage distribution des impôts, de leur répartition équitable, d’un enrichissement continu du contribuable? — Heureux l’Etat où fonctionne une semblable administration; comme les organes d’un corps vigoureux et sain, les siens fonctionneront avec harmonie, aucun d’entre eux ne sera excédé au profit des autres, tous enfin affirmeront et de la souplesse et de l’énergie.

Voyez, d’autre part, ce pays où les finances languissent, où les déficits chroniques trahissent en haut le gaspillage des deniers publics, et en bas un appauvrissement continu du contribuable.

C’en est fait dans celui-ci de la vigueur et de l’activité que nous avons rencontrées dans le premier: nous n’allons y découvrir que des traces d’anémie, de démoralisation et de décomposition. Le contribuable y fléchira sous le poids des impôts arbitraires, manifestant hautement son mécontentement et son aigreur. Symptôme plus grave, le développement agricole et industriel y sera arrêté net: n’est-ce pas le paysan qui pâtit le plus de l’aggravation des charges fiscales? n’est-ce pas le commerçant qui se ressent le plus cruellement du ralentissement forcé de la consommation, causé par le malaise général? — Si aucune réaction ne se produit dans cet Etat, si la mauvaise administration fiscale poursuit son œuvre destructive, si quelque secousse violente ne l’arrache brusquement au mal qui le mine et le consume, c’en est fait de lui: il s’achemine tout droit vers la désagrégation et bientôt vers la mort.

Voilà pourquoi nous avons pensé que pour bien comprendre un peuple, en jauger la vitalité présente et mesurer les forces d’expansion à venir, il ne suffit pas de suivre les seules manifestations de sa vie politique, ses changements de gouvernement ou les actes qui en perpétuent le souvenir. C’est dans sa vie intime qu’il importe de pénétrer. Et de même que chez un industriel, ce sera sa comptabilité qui révèlera sous son vrai jour l’état réel de ses affaires, de même dans une nation ce sera l’étude de ses budgets, de ses conceptions diverses en matière d’impôts, de son système fiscal en général, de toutes les pratiques de son administration financière, qui viendra nous en affirmer la prospérité ou la décadence. — Telle est l’étude que nous avons entreprise pour la Turquie.

Plus que dans tout autre pays, les finances de l’empire ottoman, par les étapes tourmentées qu’elles ont traversées au cours du XIXe siècle et plus particulièrement dans la seconde moitié, par l’ensemble des intéressantes péripéties qui en composent l’histoire, peuvent offrir des horizons nouveaux aussi bien à l’économiste qu’à l’historien. Beaucoup d’événements obscurs et en apparence incompréhensibles s’expliqueront aisément et s’enchaîneront tout naturellement les uns aux autres après la lecture de cet ouvrage. Quant aux déductions qui résulteront de la synthèse générale de cette étude, elles seront nombreuses; mais entre toutes, la plus curieuse sans contredit, ce sera la constatation d’un progrès certain dans les éléments divers qui composent le statut financier de la Turquie. — Une telle affirmation semblerait suspecte et se heurterait à des dénégations sceptiques si nous ne nous hâtions de la compléter d’une digression nécessaire.

Un écueil où tombent fréquemment les personnes qui observent l’empire ottoman, c’est de chercher à rapprocher ce pays des autres Etats européens, c’est de vouloir comparer sa Constitution avec celle de ses voisins, ses lois et ses habitudes avec nos conceptions modernes en la matière, en un mot d’essayer des assimilations entièrement illogiques, puisqu’aucune base, aucun point commun ne les unissent entre elles. En effet, la Turquie, bien que placée aux confins de l’Europe et considérée comme un Etat européen, forme en réalité un agrégat très hétérogène à côté des groupements voisins. La Turquie est une théocratie dans toute l’acception du mot, où la loi unique n’est autre que la loi révélée, c’est-à-dire le Coran, où tous les pouvoirs sont centralisés entre les mains de celui qui en est l’expression absolue en sa qualité de pontife suprême de la religion de Mahomet: le sultan. Or, le pays où seule la loi religieuse, fixée par les textes sacrés, domine, où l’action du législateur humain est limitée à l’exégèse de la loi révélée, ce pays est condamné infailliblement à l’immobilité. «La porte des gloses est fermée», a dit un jour la puissante corporation des Ulémas; ce qui veut dire que les interprétations nouvelles de la loi du Chéri sont à tout jamais interdites: telle elle a été léguée, telle elle restera immuable et impérieuse. Et en réalité le Coran s’est toujours dressé impitoyable contre les innovateurs qui ont tenté de secouer la Turquie de son immobilité en cherchant à l’entraîner dans la voie du progrès. On conçoit dès lors combien en Turquie tout acheminement vers le mieux sera lent et compliqué, toute évolution laborieuse et tourmentée. Aussi les quelques améliorations que nous relèverons dans son organisme financier, bien que très éloignées de ce qu’elles auraient pu être, n’en sont que plus curieuses et intéressantes à souligner. Elles viendront à l’appui de ce principe reconnu qui veut que la marche en avant de l’humanité s’accomplisse malgré les innombrables obstacles qui se dressent sur sa route. Voilà pourquoi, quel que soit l’écart qui existe entre l’état financier actuel de la Turquie et celui des autres nations de l’Europe, quelle que soit la grande étape qui lui reste encore à franchir pour acquérir un outillage financier à peu près complet, nous n’en devons pas moins éprouver quelque satisfaction, si nous parvenons à découvrir la trace d’un progrès réel, d’un mieux dans son administration financière et son système fiscal comparés avec ce que l’un et l’autre étaient vers le milieu du siècle dernier.

Ce court exposé laisse déjà deviner le but que nous poursuivons, notre méthode d’investigation et les points que nous nous sommes plus particulièrement efforcé de mettre en saillie au cours de cet essai: pénétrer les mœurs financières de la Turquie dans le passé et les suivre dans leurs évolutions successives durant le XIXe siècle; analyser les actes d’une gestion financière éclose au milieu de semblables mœurs, — gestion rudimentaire, il est vrai, mais suffisante quand elle se localisait, inhabile et insuffisante au contraire à dater du jour où l’empire, imitant l’exemple de ses. voisins, eut recours au crédit extérieur et assuma, avec une insouciance sans exemple, les charges d’une dette écrasante; — déterminer l’origine des crises à travers desquelles les finances ottomanes se sont alors débattues et où elles semblèrent à tout jamais compromises; mesurer l’étendue de leur répercussion sur les événements politiques de ce vaste empire; dégager enfin quelques enseignements utiles à ceux qui, désireux de poursuivre l’œuvre de réforme commencée, cherchent à en consolider les bases et à en assurer le développement: les leçons du passé les préserveront des écueils auxquels les efforts de leurs devanciers sont venus si souvent se briser, elles les mettront en garde contre les dangers qui peuvent menacer le succès de leur entreprise.

Notre but est à peine défini que nous voyons s’ouvrir devant nous un véritable dédale où il est très facile de s’égarer. Le champ des investigations en matière financière est, en effet, extrêmement vaste; des détails y abondent, souvent inutiles et alors toujours fatiguants: nous nous sommes appliqué à les élaguer de notre étude et à ne retenir que ceux qui pouvaient la fortifier. Et nous voici conduit à exposer le plan de notre ouvrage et les limites que nous avons tracées à nos recherches.

Nous disions plus haut que la Turquie est une théocratie absolue dont la loi suprême est le Coran. Par conséquent, les innovations y apparaissent sinon impossibles, du moins entourées d’énormes difficultés. Elles impliquent, en effet, l’idée de la sécularisation des lois. Aussi tous les réformateurs se sont heurtés au principe théocratique et ont eu à lutter contre l’antagonisme de ses défenseurs, qui reconnaissaient en ces innovations des émanations d’un principe nouveau diamétralement opposé à celui qui avait régi pendant plus de douze siècles la vie de l’Islam, la soumettant aux règles immuables de la loi religieuse.

S’ensuit-il qu’aucune tentative n’ait eu lieu pour arracher l’empire à cette immobilité à laquelle le principe même de son existence semblait le condamner pour toujours? — Cette tentative s’est en effet produite; un effort considérable a été donné dans le but d’entraîner la Turquie dans un courant de progrès moderne, et l’ensemble de ces tentatives et efforts, connu sous le nom de Tanzimât, tendant à une œuvre encore inachevée, mais qui se poursuit toujours, a laissé dans ce pays une si forte empreinte que nous sommes conduit à en relever les principaux traits historiques. De même que la Révolution ouvre à la France une ère entièrement nouvelle, de même en Turquie, le Tanzimât a engagé l’empire dans une orientation sensiblement opposée à celle qui existait dans le passé. Le Tanzimât joue un rôle d’une telle importance au point de vue financier qu’il influence et la division de notre étude et le plan général de notre ouvrage. — Mais avant de l’esquisser, le lecteur nous saura gré de lui donner quelques éclaircissements sur l’origine même de ce mouvement réformiste.

Tant que la Turquie resta plus ou moins isolée à l’extrémité de l’Europe, qu’à l’aide de ses seules forces elle réussit à assurer son intégrité territoriale et à tenir tête à ses ennemis, le rôle des grandes puissances se borna à celui de l’expectative: une intervention de leur part dans ses affaires intérieures ne pouvait se concevoir, pas plus qu’elle n’eût été acceptée par elle. La révolte de Méhémet-Ali en 1831 et ses victoires successives en Syrie allaient modifier cette situation. Pour se fortifier contre son redoutable vassal, nous voyons tout d’abord le sultan Mahmoud signer un traité d’alliance offensive et défensive avec l’empereur Nicolas, traité connu sous le nom d’Hunkiar-Iskélessi. Protection insuffisante, puisque le même Méhémet-Ali continue la série de ses exploits et anéantit, en 1839, les armées ottomanes dans la sanglante bataille de Nazib. Le sultan Mahmoud expirait quelques jours après avoir appris la triste nouvelle de sa défaite, et son successeur, le sultan Abd-ul-Medjid, adressait un appel désespéré à l’Europe. L’Europe intervenait aussitôt: Méhémet-Ali était ramené en Egypte et la Turquie sauvée d’un démembrement. Mais en échange de cette intervention, l’intégrité de l’empire ottoman se trouvait du coup placée sous la protection des grandes puissances; désormais elles auront le droit d’adresser à la Porte des conseils et elles en useront pour lui tracer le plan des réformes dont elles étaient unanimes à reconnaître l’opportunité. Pour la première fois aussi, la question d’Orient était posée.

La Turquie possédait alors un homme d’Etat remarquable dans la personne de Reschid pacha. Ce sera lui qui inspirera au jeune sultan Abd-ul-Medjid, quelques mois à peine après son avènement au trône — le 3 novembre 1839 — le Hatti-Chérif de Gulkhané, dont la publication marque l’origine du mouvement réformiste. La charte de Gulkhané, comme on s’est plu à dénommer le Hatt mémorable, sera suivie, seize années plus tard, du non moins célèbre Hatti-Humayoun, dont le traité de Paris de 1856 atteste l’importance et la gravité, puisqu’il le mentionne dans ses stipulations, et que les puissances contractantes, la France, l’Angleterre et la Russie, «constatent la haute valeur de cette communication».

Ces deux hatts, suggérés surtout dans le but d’améliorer le sort pitoyable des raïas, donneront naissance à un certain nombre de réformes, dont les chrétiens de l’empire ne seront pas les seuls à bénéficier. En effet, les améliorations qui seront introduites à leur suite s’appliqueront plus spécialement au système fiscal, et c’est en qualité de contribuables que Turcs aussi bien que raïas en recueilleront les bienfaits. La charte de Gulkhané marque réellement la fin d’un régime: complétée par le Hatti-Humayoun, elle inaugure une ère nouvelle pour les finances de la Turquie.

Le régime antérieur à la charte de Gulkhané, qui embrasse l’histoire de l’empire ottoman depuis la prise de Constantinople jusqu’à la mort du sultan Mahmoud, en 1839, devrait former ainsi une première division naturelle de notre ouvrage. Mais cette période est très vaste et elle comprend des époques sensiblement les mêmes. C’est le régime de la féodalité militaire, de son omnipotence ininterrompue et souveraine: époque de violence et d’arbitraire et de vie au jour le jour, telle du reste que l’histoire du régime féodal dans les autres pays nous permet de la concevoir. Il ne pouvait évidemment y être question d’organisation financière dans le sens propre du mot. Les procédés fiscaux appliqués alors dépendaient bien plus du caprice et du hasard que du respect de lois régulières et justes. Mais à cette incohérence continue elles doivent précisément leur caractère d’uniformité. C’est pourquoi il nous a paru inutile de remonter bien avant dans l’histoire ottomane, alors que le règne du sultan Mahmoud, celui-là même qui anéantissait cette féodalité en détruisant son rempart, les Janissaires, nous offre un terrain d’observation suffisamment vaste pour nous permettre de mettre en relief les caractères généraux du régime financier qui dominait alors. En analysant l’administration financière, le système fiscal sous le règne de ce sultan, en pénétrant les habitudes du Trésor, les expédients auxquels il a recours et la façon dont est traitée la matière imposable, nous aurons présenté au lecteur un tableau suffisamment complet, assez abondant de détails, pour qu’il comprenne le régime financier de la Turquie jusqu’à l’origine même du Tanzimât.

Voici qu’à cette longue suite d’abus, à ces vices constitutionnels auxquels la féodalité militaire avait donné naissance, la charte de Gulkhané essaye d’apporter des palliatifs. Elle proclame bien haut l’urgence des réformes et en esquisse le plan général. Mais avant que le Tanzimât n’ait pénétré profondément les mœurs en leur laissant son empreinte ineffaçable, il s’écoulera une période de tâtonnements et d’incertitude: celle d’une gestation des plus laborieuses. L’œuvre de la réforme et les bonnes dispositions du sultan Abd-ul-Medjid vont se trouver aux prises avec les habitudes héréditaires; la lutte s’engage avec des usages solidement établis, des intérêts engagés. Les institutions religieuses se coaliseront enfin pour lui barrer la route et entraver sa marche en avant.

C’est bien une période intermédiaire qui commence, dont le terme sera marqué par la mort du sultan réformateur.

Elle comprend tout le règne d’Abd-ul-Medjid. Epoque curieuse, qui se signale par une foule de faits importants. Au premier rang, la guerre de Crimée et la proclamation du Hatti-Humayoun; ensuite nous verrons apparaître les premières banques, se conclure les premiers emprunts. Elle se ferme sur la constitution du grand conseil de réformes et par la réunion, dans la capitale, d’une commission financière chargée de la réorganisation des finances de l’empire, commission à laquelle l’Angleterre, la France et l’Autriche attachent une telle importance que chacune y délègue un de ses hauts fonctionnaires.

L’historique de cette période sera tracé dans la seconde partie de notre ouvrage.

Le sultan Abd-ul-Aziz est monté sur le trône en 1861. Sous son règne, le Tanzimât va poursuivre résolument l’application des réformes promises et tenter la régénération financière de l’empire. Les premiers budgets apparaissent enfin; la Banque Impériale Ottomane sera créée, et avec elle, d’autres sociétés financières verront le jour. Surmontant son aversion instinctive, la Turquie concèdera la construction de ses premières lignes ferrées. — Admise de par le traité de Paris dans le concert européen, elle occupe désormais une position privilégiée à côté des autres nations. Cette situation nouvelle, jointe aux efforts que déploient son gouvernement pour transformer son organisme financier, lui procureront des facilités d’argent à l’étranger et donneront naissance à un crédit dont elle usera sans modération. L’ère des emprunts périodiques s’ouvre avec le règne d’Abd-ul-Aziz. Tout fait prévoir que la Turquie sera rapidement débordée et qu’elle va ployer sous le poids d’une dette qui grandit démesurément. Le glas de la banqueroute sonne le 6 octobre 1875.

Cette période, la plus intéressante de toutes, fera l’objet de la troisième partie de notre étude.

Depuis l’année 1860 jusqu’à nos jours, les finances ottomanes ont parcouru une sorte de courbe dont le sommet marquerait le point culminant des crises qu’elles ont traversées. A ce sommet devrait être inscrite la date du 6 octobre 1875. Les finances de la Turquie pouvaient-elles, en vérité, supporter un choc plus rude que celui de la banqueroute? — Oui, certes, et c’est la guerre, guerre désastreuse s’il en fût, qui apportera à la crise une intensité extraordinaire. Au lendemain du traité de San-Stefano, tout semble irrémédiablement perdu: le gouvernement ottoman est aux prises avec un ennemi impitoyable, la Russie; l’empire subit un démembrement désastreux; il est contraint de souscrire au payement d’une lourdé indemnité de guerre. La paix est à peine signée que les négociations commencent avec ses créanciers antérieurs. Enfin le décret de Mouharrem est promulgué, un concordat intervient entre ces derniers et la Turquie: une fois de plus le crédit de l’empire est sauvé.

L’étude de cette période forme la quatrième division de notre ouvrage.

Le décret du 8/20 décembre 1881, connu sous le nom de décret de Mouharrem, — nom du mois de sa promulgation — est sans contredit l’acte le plus considérable en matière financière qui soit émané du gouvernement ottoman. Tout d’abord, il règle l’ancienne dette de la Turquie et fixe le sort de ses porteurs; il institue ensuite le conseil d’administration de la dette publique, auquel est dévolue la gestion des revenus affectés à la garantie de cette dette. Grâce à lui, nous verrons combien est étendue la sécurité qui l’entoure aujourd’hui. Ce conseil européen va jouer désormais un rôle prépondérant dans les affaires financières du pays, non pas seulement par la valeur et la sûreté que son institution apporte à son crédit, mais surtout par la part qu’il prendra dans son relèvement économique aussi bien que financier. Si le décret de Mouharrem marque bien la fin d’une crise, — et de la crise la plus aiguë qu’ait jamais traversée le crédit d’une nation — il inaugure aussi une période d’apaisement et de régénération pour les finances turques. Enfin, le décret ne sanctionne pas seulement un arrangement intervenu entre la Porte et ses créanciers, il crée, en plus, l’institution financière qui manquait au pays, et à l’aide de laquelle ses finances vont pouvoir s’améliorer sans interruption et atteindre l’état où nous les trouverons aujourd’hui.

Le décret de Mouharrem mérite donc qu’on s’y arrête, qu’on en dégage les traits essentiels et qu’on pénètre dans ses dispositions les plus originales. Cette analyse nous occupera dans la cinquième division de cet ouvrage.

Voici que l’administration de la dette publique ottomane a déjà rempli la mission que lui délimite le décret de Mouharrem pendant une période de vingt années. Son rôle est à ce point profitable aux intérêts du pays, elle lui rend de tels services, que le gouvernement ottoman va successivement l’élargir et donner à sa gestion une extension de plus en plus vaste, en lui attribuant de nouvelles et très importantes missions. — En étudiant cette gestion, d’une part, et de l’autre, ces attributions étrangères au décret qui ont été dévolues à cette administration, aucun événement financier de quelque importance ne pouvait nous échapper. Emprunts nouveaux, conversions, constructions de chemins de fer, l’administration de la dette est mêlée à tout; bien plus, elle devient le pivot principal de toutes les combinaisons financières.

Cette étude, qui absorbera la sixième et dernière division de notre ouvrage, prendra une place considérable, d’autant plus méritée que c’est l’étude de cette période qui nous permettra de mettre en évidence les différences assez sensibles qui existent entre l’administration financière et le système fiscal de l’empire ottoman, comparés, l’une et l’autre, avec l’état dans lequel nous les avons rencontrés au commencement du siècle. Cette comparaison nous donnera la conclusion de notre ouvrage.

Il ne reste plus qu’à placer notre travail sous la bienveillance du lecteur. Si quelques lacunes viennent à le surprendre, s’il éprouve quelque déception, qu’il veuille bien se souvenir combien les enquêtes sont laborieuses et compliquées en Turquie. Les documents financiers y sont tout particulièrement rares et d’une communication difficile. En général, toutes les recherches s’y effectuent sous des regards soupçonneux, et sont ainsi entourées d’énormes difficultés. Par contre, nous nous estimerons amplement récompensé si notre livre parvient à lui suggérer quelques déductions utiles, et à jeter un peu de lumière sur un passé confus et des questions obscures pour le plus grand nombre.

Essai sur l'histoire financière de la Turquie

Подняться наверх