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VIII
L’OUVRIÈRE

Table des matières

«La faim regarde à la porte de l’homme laborieux, mais elle n’ose pas y entrer.»

FRANKLIN.

Aline, ne comprenant rien à l’absence prolongée de Fortuné, se rend au café Mazarin, pensant qu’il s’y trouvait peut-être. Elle rencontre seulement Olympe. Cette dernière était aussi sans nouvelles de Gustave. Rapprochant, de cette double disparition, celle de Brisebois et d’Agnelet, un cruel pressentiment s’empare d’Aline. Elle ne douta plus que les jeunes gens n’eussent donné suite à leur résolution de se battre.

–Hélas! pensait-elle, Fortuné m’a trompée. Ce n’était pas pour demain. Aujourd’hui même, il s’est livré aux coups de l’atroce Brisebois. En cet instant mon pauvre Fortuné est blessé, mort peut-être Oh! cette perspective est affreuse!...

Toute la journée, Aline erre, comme une âme en peine, promenant son anxiété de l’hôtel du Périgord au café Mazarin, du café Mazarin à l’hôtel du Périgord. Elle inspecte un à un les établissements du quartier et réclame Fortuné à tous les échos. Enfin, de guerre lasse, et prenant son courage à deux mains, elle se décide à monter dans la chambre du jeune homme et à l’attendre.

La pauvre fille pleura beaucoup, elle ne songea guère à dîner; il faisait nuit depuis longtemps qu’elle était encore assise, sur un canapé de cette chambre, plongée dans une sorte de stupeur.

Tout à coup, on fait du bruit à la porte; comme mue par un ressort, Aline se lève, se précipite en avant et tombe dans les bras de Fortuné, en versant un torrent de larmes.

–Qu’as-tu donc? demande-t-il avec vivacité.

–Rien, laisse-moi pleurer, ça me soulage. Tu n’es pas blessé, n’est-ce pas, oh! parle, parle vite?

–Rassure-toi, il ne m’est rien arrivé.

–Au moins est-ce bien fini, dis, tu ne t’absenteras plus? promets-le-moi!

–Je te le promets.

–Sais-tu que tu m’as fait une fière peur; partir ainsi, sans rien dire, un grand jour. méchant, va. c’est que je ne puis plus vivre sans toi, Fortuné, à présent.

Cette soirée fut pour Aline la plus belle de sa vie.

Les deux amants firent des châteaux en Espagne. Aline parla de se remettre au travail, de quitter la rive gauche; Fortuné, de son côté, ne voyait pas trop quelle utilité il y avait pour lui d’habiter en face de l’Ecole de médecine. Au surplus ses débuts orageux dans ce coin de Paris ne contribuaient pas peu à lui faire prendre en grippe le quartier latin.

Fortuné est dans l’âge des promptes décisions, ses réflexions sont vite faites.

Il demande sa note au maître-d’hôtel, prépare ses malles et se dispose à partir le lendemain. Aline, de son côté, a payé, avec l’argent de Fortuné, la chambre qu’elle occupe dans une maison voisine, son bagage est bien mince, ça ne vaut pas la peine d’en parler.

Néanmoins elle va chercher un jupon, deux faux-chignons, une boite de poudre de riz, une autre de rouge et deux serins dans une cage: le mâle et la –femelle!

–C’est tout? dit Fortuné, dès qu’Aline eut déposé dans sa chambre ce qu’elle appelait ses meubles.

–Avec la toilette que j’ai sur moi, oui, c’est tout!

Fortuné n’en revint pas. Il ne comprenait pas qu’on pût vivre dans de telles conditions, portant pour ainsi dire ses. seules richesses sur soi.

La misère venait de lui apparaître dans toutes ses horreurs!

Il fut résolu que le lendemain Fortuné irait enfin visiter les personnes que son père l’avait engagé à voir dès son arrivée dans la capitale. Pendant ce temps Aline se mettrait en quête d’une chambre-garnie pour Fortuné. Il lui fallait encore trouver de l’ouvrage.

Laissons Fortuné à ses affaires pour suivre Aline.

Depuis plus de deux ans, elle n’a pas traversé les ponts. Ceci peut sembler étrange à quelques-uns excepté aux gens qui connaissent les femmes du quartier latin et leurs habitudes.

Ces derniers ont sans doute rencontré, comme moi, de ces pauvres filles qui ne sortaient jamais de la rue, qu’elles avaient prise en affection; bien plus, qui allaient régulièrement chaque jour, depuis le matin jusqu’au soir, dans le même caboulot, où le temps est employé invariablement à jouer au piquet, à boire de l’absinthe et à faire les cartes.

Aline traverse donc le Pont-Neuf, pour la première fois depuis qu’elle s’est fixée au quartier latin, et remonte la rue Saint-Denis, s’arrêtant chaque fois qu’elle aperçoit sur les murs de ces petits carrés de papier sur lesquels on lit:

«On demande des ouvrières.

Tout en observant les petites affiches, Aline examine les écritaux jaunes portant la mention: Chambre meublée à louer, présentement.

Elle entre dans vingt loges de concierges et visite au moins une dizaine de chambres, avant de rencontrer quelque chose d’à peu près convenable. Enfin, au coin de la rue du Petit-Lion-Saint-Sauveur, elle arrête, pour35francs par mois, une chambre modeste, mais proprement meublée, et donnant sur la rue, au quatrième étage.

–On prendra possession ce soir même de cette chambre, fit Aline, en remettant un denier à Dieu au portier.

La main velue du préposé du cordon frissonna au contact des libéralités d’Aline.

–C’est entendu, madame, répondit-il, ma femme va épousseter les meubles et donner un coup de balai; ce soir la chambre sera prête.

Restait pour Aline la grosse question de trouver un atelier. Les petites affiches portaient: on demande des ouvrières fleuristes, telle rue, tel numéro; mais partout où la jeune–femme se présentait, on lui répondait, en lui fermant la porte au nez:

–Des ouvrières, nous en regorgeons, nous sommes au complet.

Voilà! messieurs les patrons et mesdames les patronnes apposent bien des avis pour réclamer des ouvrières, mais ensuite ils omettent de retirer leurs affiches, en sorte que le pauvre monde, se mettant en campagne sur ces indices trompeurs, est bafoué et conspué de la belle manière. Il faudrait aviser.

Aline ne perd pas courage; elle se rappelle que les patrons fleuristes déposent leurs cartes chez deux marchands d’apprêts pour fleurs (maison Denis, ou Au petit canon) chaque fois qu’ils ont besoin d’ouvrières. Voilà des bureaux de placement où l’on est pourvu gratis. Une mesure recommandable, celle-là.

Aline a recueilli quelques adresses et, sur ces indications, la première fleuriste chez qui elle se présente lui promet de la prendre à l’essai. Il est entendu qu’elle commencera le lendemain.

Le soir Fortuné se transporte dans la petite chambre de la rue St-Denis. et Aline lui demande l’hospitalité!

Cela se fit tout naturellement.

On ne se remet pas au travail aussi facilement qu’on pourrait le supposer. Rien n’est plus funeste, pour les jeunes gens, que d’abandonner leur état. Les doigts se rouillent, on oublie enfin.

Voyez le jeune soldat, à son retour du régiment, il vous dira combien sont rudes ses premières journées.

Justement Aline se trouvait dans ce cas, elle sortait d’un régiment où l’on ne se couvre pas de gloire: du refugium hideux que la corruption crée à la femme!

Depuis quatre ans, elle n’avait pas touché une fleur. Aussi vit-elle arriver, avec une certaine appréhension, l’heure de rentrer dans son ancienne condition d’ouvrière. Ce matin-là, elle n’ajuste pas le faux-chignon sur sa tête, la boîte à poudre de riz n’est plus ouverte, le jupon empesé reste suspendu à son clou. Ayant, pour toute coiffure, ses cheveux à elle, un foulard jeté sur le cou et un tablier, Aline s’approche de Fortuné qui dormait encore et l’embrasse sur le front.

–Qu’est-ce que c’est? fit le jeune homme réveillé en sursaut.

–C’est moi qui te dis adieu.

–Comment, déjà levée!

–Eh oui, mon ami, je suis même en retard, l’atelier ouvre à sept heures.

–Vraiment! mais sais-tu que tu es très-gentille comme cela.

–Tu trouves?

–Certes.., on te prendrait pour une petite pensionnaire. à la bonne heure, voila une coiffure comme je les aime. Ah çà! dis-moi, et tu rentreras ce soir.?

–A huit heures.

–Et tu auras gagné?

–Trente sous, peut-être, mais je perds mon temps à causer. Adieu et à tantôt.

En sortant, Aline fit quelques menus achats pour compléter son équipement. D’abord un panier, destiné à contenir le frugal déjeuner de l’ouvrière, ensuite une paire de ciseaux et des pinces, les deux seuls instruments que la fleuriste soit tenue de se procurer à ses frais.

Ainsi munie, elle se présente à l’atelier.

La jeunesse d'une femme au quartier latin

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