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III
UNE NUIT AU QUARTIER LATIN

Table des matières

«Puis le hoquet du vin et la tête qui vacille; «voilà tout.»

Contes fantastiques.–JULES JANIN.

–Ah çà! j’espère bien que nous allons nous restaurer maintenant, demande Olympe, mon œsophage est dans un état de vacuité complet.

–Tiens, c’est une idée, interrompit Aline, moi aussi, je mangerais bien un morceau. Va pour le restaurant et vive là Restauration!

–Allons, pas de cris séditieux, dit Gustave. Monsieur-Fortuné, mettez-moi la belle Aline sous votre bras et de ce pas venez au Grand Café Mazarin, la soupe à l’oignon nous réclame.

Les deux couples se dirigent du côté de l’Odéon; jamais Fortuné ne s’était trouvé à pareille fête.

–Si je m’étais permis, se disait-il à part soi, dans cette bonne ville de Saint-Malo, la millième partie des incartades de ce soir, j’étais un homme perdu de réputation, les mères de famille eussent défendu à leurs filles de danser avec moi; mais, à Paris, ni vu ni connu; ce soir je me vautre dans le ruisseau, demain je m’adonise, je papillonne, sémillant, fraîchement ganté et cravaté coquettement, dans un salon du meilleur monde. Cependant, je n’en serai ni plus ni moins mauvais sujet que je ne l’eusse été à Saint-Malo.

Aline avait ses vues sur Fortuné, et, tandis que celui-ci savoure le bonheur d’être enfin libre de jeter son bonnet par-dessus les moulins, elle songe que ce jeune homme remplacerait bien l’autre. L’autre avait définitivement quitté Paris aux vacances. Reçu avocat, il était retourné dans son département, disant adieu aux caboulots du quartier latin et à l’inconsolable Aline.

En peu de temps on parvint sous la colonnade de l’Odéon. Ce soir-là on jouait le Marquis de Villemer, et messieurs les étudiants étaient en train d’élever sur le pavois l’auteur de la pièce.

La place de l’Odéon est encombrée de monde, et les cris: Vive Georges Sand! nie Racine! (Georges Sand demeurant rue Racine) dominent tous les autres cris.

–Évitons cette cohue, avise sagement Gustave, il y aura bientôt de ce côté un affreux gâchis, et comme nous voulons nous amuser ailleurs qu’au dépôt de la Préfecture ou dans le cloaque du corps-de-garde de la place Saint-Sulpice, passons outre.

Bien leur en prit d’agir ainsi. Quelques minutes plus tard, la place de l’Odéon se transformait en un vaste champ clos où les horions pleuvaient de toutes parts, vainqueurs et vaincus roulaient dans la poussière. Mais, comme est de raison, l’autorité mit fin au désordre qu’elle venait de causer, en arrêtant quelques tapageurs.

Dans la rue Dauphine, au fond d’une cour, est situé le Grand Café Mazarin. En plein jour on n’y voit pas clair, mais le soir, en revanche, on peut y lire son journal, grâce à de nombreux becs de gaz qui vous tirent la langue.

Nos quatre jeunes gens entrèrent là comme chez eux. Gustave donne un formidable coup de pied dans le bas de la porte vitrée pour l’ouvrir, façon de pénétrer quelque part qui dénote un habitué. Ces dames se précipitent dans la salle où l’on soupe, on renverse deux ou trois chaises en passant, Fortuné marche sur les pattes d’un chat de l’établissement, qui se plaint à sa manière, et des quatre coins du café, on entend:

–Ah! les voilà. Par ici, Aline. Bonsoir, Olympe. Tu viens bien tard, Gustave.

Ces dames, ces messieurs se secouent les mains mutuellement à se démancher les poignets, Fortuné serre les phalanges de tout le monde, sans oublier le garçon, car c’est une habitude passée dans les mœurs de l’endroit.

–Une soupe à l’oignon, messieurs?

–Oui, garçon, et une absinthe, avant.

Fortuné regarde Aline avec terreur. Cependant c’était bien elle qui venait de commander.

–Eh quoi, lui dit-il, vous prenez de l’absinthe à minuit!

–Ça vous étonne, cher ami? mais sachez donc qu’ici une femme qui se respecte boit cinq ou six absinthes en vingt-quatre heures, joue au piquet toute la journée et mange à minuit une soupe à l’oignon, précédée de l’absinthe traditionnelle.

–Madame prend une absinthe aussi?

Le garçon s’est adressé à Olympe.

–Oui, je tords le col au perroquet ce soir, et toi. Tatave?

–Ça va sans dire. et notre ami Fortuné aussi.

L’affreux breuvage boueux et vert-de-grisé est apporté et ingurgité incontinent.

Olympe riait et chuchotait avec son amie depuis l’arrivée de la bande au café. Fortuné crut même s’apercevoir qu’il était le sujet de leur entretien à voix basse. Il pensa ensuite s’être trompé.

Ces dames le prièrent de vouloir bien servir.

Fortuné, nous l’avons dit, après ses libations répétées, n’avait plus un sentiment bien net des objets qui l’environnaient. Néanmoins, il s’efforce de saisir la louche et de faire la distribution du potage acrocome.

Les mets dans lesquels, à l’instar des Italiens, nos frères, nous avons l’habitude de glisser du parmesan, ou du gruyère, sont d’une répartition désagréable, aussi Fortuné avait-il beau lever le bras en l’air, il ne parvenait pas à faire lâcher prise aux filaments.

Sa maladresse augmenta l’hilarité des deux jeunes femmes et la gaité devint générale lorsqu’elles eurent désigné le bras du pauvre garçon.

–Dites donc, mesdames, s’écrie un des consommateurs que nous reconnaissons pour M. Brisebois, le matamore dont il a été parlé au premier chapitre de ce roman, un homme met habituellement ces choses-là sur son cœur ou au panier aux ordures, mais jamais, oh! non, jamais.

–Brisebois a raison, hasarde une voix de fausset, partie d’une table du fond. Monsieur est pour sûr quelque grand guerrier de la tribu des Hurons, en villégiature à Paris, et voilà sans doute un des nombreux trophées qui ornent habituellement sa ceinture de combat.

Fortuné, n’y était plus.

–J’ai peut-être bien quelque chose au bout du nez, se dit-il.

Et, lâchant la cuillère pour s’assurer du fait:

–Rien au bout du nez cependant, je me serai trompé!

Alors les rires redoublent et les quolibets.

Fortuné, n’y tenant plus, demande de quoi il s’agit.

–Tâtez-vous, lui dit Olympe, regardez-vous.

–Il la verra, disent les uns.

–Il ne la verra pas, disent les autres.

–Il la voit… Il ne la voit pas… Il l’a vue…

–Quoi?

–Votre mèche, parbleu!

–Ma mèche!

–Eh oui, votre mèche.

–Mèche de qui?. mèche de quoi?.

–Ah! j’y suis.

–Non, vous n’y êtes pas.

–Vous allez voir qu’il faudra la lui mettre sur une assiette.

–Ah! pas sur la mienne surtout, sait-on seule–ment d’où ça sort!

La bouche de Fortuné se pince, il n’est pas content. Aline a prise de son embarras et lui indique un bouton de s manchettes auquel pend une de ces touffes de faux cheveux dont les femmes de notre siècle ont la fureur d’accompagner leur coiffure.

Ce fut pour Fortuné un trait de lumière.

Il se rappelle de suite sa chute à Bullier et le chignon dans lequel il s’est empêtré les mains. Une des mèches ornant le chignon est demeurée accrochée à sa manchette.

Fortuné rit de bon cœur de l’aventure et jette à terre l’objet de sa mystification. Aline s’en saisit et dit en le serrant dans sa poche:

–Ça peut toujours servir.

On ne se souvint bientôt plus de l’incident et Aline a déjà demandé plusieurs fois à Fortuné s’il ne songe pas au repos.

–Il est tard, le Mazarin va fermer, nous ferions bien de nous retirer. moi, je vais me coucher.

Aline, en parlant ainsi, lançait à Fortuné un de ces regards qui vont droit au cœur d’un adolescent.

Fortuné tressaillit:

–Comment, déjà, vous nous quittez?. Il va fal loir nous séparer?

–Oui, répond Aline, à moins que. à moins que vous ne me reconduisiez chez moi.

–Allons donc, ma chère, s’écrie Olympe en éclatant de rire, vas-tu faire la mijaurée? Tu vois bien que monsieur est trop aimable pour te laisser seule à cette heure, et puis tu ne demandes pas mieux que de rester avec lui. N’est-ce pas, Tatave?

–C’est évident, répond Gustave avec conviction, un galant homme ne saurait conspuer u femme à cette heure indue.

Fortuné se sent bien embarrassé. Reculer lui parait impossible, ridicule; d’un autre côté, Aline ne lui déplaît pas.

–Je ne suis pas amoureux d’elle, cependant, pensait-il. Baste? qu’importe après tout? c’est comme cela qu’on bâcle les affaires à Paris, à la vapeur; et puis un jeune homme de mon âge n’a que faire d’être éperdûment épris pour trouver un certain charme à passer la nuit dans les bras d’une jolie femme.

Il fallait que les fumées du punch et de la bière eussent diablement monté au cerveau du pudique et timide Fortuné pour qu’il raisonnât ainsi.

Enfin ils s’arrachent à leur déduit et sortent du café. Olympe et Gustave prennent à droite, Aline entraîne Fortuné du côté de l’hôtel du Périgord, en lui disant:

–Eh bien, es-tu satisfait de notre soirée?

–Chère petite femme, tu es une sirène, une charmeuse de serpents; toi et la liberté, voilà ce que j’admire le plus dans Paris, a répondu Fortuné.

–Tu sais, j’aime pas les compliments; quand un homme me glisse de ces choses-là, je le prends de suite en horreur. Je préfère le solide. Sais-tu quel est l’homme dont je deviendrais amoureuse folle, tout de suite? c’est celui qui me payerait mon terme et ma pension.

Aline termine cette profession de foi comme on est arrivé à la porte de l’hôtel.

Le garçon de guet dans la loge demande à madame si elle reste, afin d’inscrire son nom sur le registre de police.

–Oui, garçon, répond négligemment la donzelle, et vous savez, je mettrai mes bottines à la porte.

Sur ce, la fille d’Ève, leste et rieuse, grimpe les cinq étages qui mènent à la chambre de l’étudiant. Fortuné la suit avec émotion, il ne pouvait s’imaginer encore qu’une femme osât s’introduire, avec un pareil sans-façon, dans la chambre d’un jeune homme qu’elle connaissait de la veille.

La suite lui réservait bien d’autres surprises.

Vous me répondrez à cela qu’en pareille matière l’apprentissage est court, qu’on se familiarise vite avec les mœurs du demi-monde.

Triste vérité!

–Mon cher, dit Aline à Fortuné ébahi, comme il ne fait pas chaud ici et que je me suis éreintée, je vais immédiatement prendre possession du lit, si ça ne te déplaît pas.

Et la nymphe se débarrasse prestement des voiles que la pudeur ne permet pas aux Anglaises de nommer.

Ne sachant plus quelle contenance tenir, Fortuné erre ça et là dans les coins de la chambre, sans hasarder le moindre regard du côté d’Aline. La friponne s’amuse de cet embarras. Tout d’un coup elle pousse un cri de douleur.

–Mon Dieu, qu’y a-t-il? Et Fortuné s’est rapproché avec hésitation.

–Ah! là, là, aïe! aïe!

Aline désignait en même temps une de ses épaules de Vénus Aphrodite.

–Eh bien, quoi?

–Comment, quoi! Mais je me suis enfoncé une épingle, là, tiens; si vous étiez moins gauche que vous ne l’êtes, vous m’eussiez évité cet accident. Mais décidément ils sont d’un bête achevé à Saint-Malo, pense Aline; et elle s’est déjà glissée sous les couvertures.

Il se fit un silence. A bout de ressources, l’étudiant se laisse tomber sur un siége.

–Dites donc, est-ce que vous avez le projet do passer la nuit sur votre fauteuil? interrompt Aline avec une certaine aigreur.

–Moi. oui. non. je ne sais pas, répond Fortuné en balbutiant.

–Oh! c’est trop fort, à la fin; mais vous êtes fou; si je raconte cette histoire demain au déjeuner, croyez-vous que l’on en fera des gorges chaudes!. La lumière gêne monsieur, je vais l’éteindre. Pour l’amour de Dieu, couchez-vous, on gèle dans ce lit.

Fortuné céda plus encore cette fois à la crainte du ridicule qu’à tout autre sentiment.

Le lecteur devine le reste. Aline était une de ces femmes comme on en rencontre en grand nombre au quartier Latin, ne considérant le sexe fort qu’au point de vue de l’intérêt, comme une chose que l’on exploite, une médecine que l’on avale par nécessité. Elle n’avait pas encore connu l’amour, aussi ne pouvait-elle comprendre que le cœur d’une créature quelconque battît auprès d’un autre être: la timidité de Fortuné, elle la prenait pour de la aucherie.

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La jeunesse d'une femme au quartier latin

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