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IX
L’ATELIER DES FLEURISTES

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Table des matières

«Les fleurs ne brillent qu’un matin, Les vôtres seront immortelles.»

Poésies fugitives.–SAINT-LAMBERT.

Les ateliers de fleuristes ont une physionomie qui leur est propre. Il suffira de décrire celui où nous suivons Aline pour se faire une idée de ces sortes d’établissements.

L’appartement dans lequel nous pénétrons se compose de plusieurs chambres: le logement particulier de la patronne et le magasin où sont entassées pêle-mêle les boîtes à fleurs, avec un comptoir, un bureau et quelques chaises composant tout l’ameublement de– cette pièce réservée au public, enfin l’atelier.

Imaginez une énorme pièce, dont le centre est occupé par une table, formant un vaste rectangle, l’établi. Les ouvrières serrées les unes contre les autres sont assises à l’entour. Chacune a devant elle une feuille de papier, en manière de tapis, sur laquelle sont étalées, avec un soin méthodique, et divisées, par petits tas distincts, toutes les matières dont se composeront les fleurs qu’elles confectionnent.

Il faut connaître cette branche d’industrie pour savoir l’infinité des produits qu’elle emploie.

Aussi ne ténterai-je pas de les énumérer ici.

Disons seulement que la patronne fleuriste se procure en gros les matières premières, c’est-à-dire la mousseline, les couleurs, l’empois, les ceps, les queues, la cannetille, les bobines de soie, etc., et les apprêts pour fleurs, savoir: les boutons, les feuilles, dont il y a une multitude d’espèces, la mousse etc.

Voyons maintenant quelles sont les attributions des personnes employées dans l’atelier.

Tout n’est pas roses dans le métier, il est surtout certains travaux que les hommes seuls sont appelés à effectuer, j’ai désigné: l’apprêt, le découpage et le trempage.

L’apprêt consiste dans l’empesage de la mousseline.

Le découpeur, comme son nom l’indique, découpe, au moyen d’emporte-pièces de tous les calibres possibles, les pétales des fleurs. Sur une masse de plomb est étalée la mousseline à taillader et le travailleur frappe à coups de maillet sur les emporte-pièces.

Les pétales ainsi obtenus sont livrés au trempeur. Celui-ci a préparé ses nuances, et, la teinture une fois exécutée, il s’agit de procéder au séchage.

Ce dernier résultat s’obtient en disposant les pétales humides sur des claies.

Une fois secs, les pétales devront encore subir un autre degré de main-d’œuvre, avant d’être livrés à l’ouvrière. Je parle du gaufrage.

Souvent les apprenties se livrent à ce travail, qui n’exige aucune habileté. Les pétales sont enfermés dans des moules ad hoc et, au moyen de la presse ordinaire, on leur imprime la forme voulue.

Ici le rôle de la fleuriste commence, nous abordons l’art.

Les unes composent les fleurs, d’autres, les monteuses, exécutent les tiges, les branches, disposent les feuilles et, trompant la nature, font éclore ici une corolle, plus bas un bouton.

Chaque tiroir de l’établi marque la place d’une ouvrière, c’est là qu’elle serre l’ouvrage abandonné le soir pour être continué le lendemain.

Voyons-la à l’oeuvre.

Entre le pouce et l’index de la main gauche, elle saisit un cep préalablement cotonné; de la droite, avec ses pinces, elle prend dans le tas un certain nombre de boutons, munis de queues imperceptibles. Il s’agit de les fixer au bout du cep.

La bobine est à droite, enfilée dans une tige de fer plantée verticalement sur un disque de plomb. Ah! l’instrument n’a pas d’autre appellation, c’est le plomb.

On n’a qu’à tirer sur la soie légèrement, elle se déroule et la bobine tourne avec un bruit rauque. Un mouvement de doigt a suffi, crrrrr. les boutons ou pistils sont attachés.

Le tour des pétales est venu, de rechef les pinces en empoignent un; vite, au pot de pâte. le voilà collé et à sa place auprès des boutons, un second succède et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il y en ait le nombre exigé.

Dessous eet assemblage, on–ajustera le culot ou calice.

Enfin de petites bandes de papier vert, ou couleur bois, serviront à couvrir exactement la partie inférieure de la tige. En un instant cette dernière manipulation a lieu.

Avez-vous vu les Espagnoles tournoyer des cigarettes? si oui, si non; eh bien! je ne puis mieux comparer la dextérité avec laquelle les fleuristes procèdent à l’opération du passage au papier qu’à la façon dont les Andalouses roulent leurs cigarettes.

La fleur est terminée.

Or, l’ouvrière habile, en travaillant douze heures, parviendra peut-être à faire une grosse de ces fleurs, et elle aura gagné QUARANTE SOUS!

Telle est, de nos jours, la rémunération des labeurs de la femme.

Et dire que, huit paires de bottes passant sous les brosses du commissionnaire du coin, le décrotteur aura juste gagné cette somme-là.

La conclusion à tirer de cette comparaison vulgaire, c’est que le travail du décrotteur est payé ce qu’il vaut, tandis que celui de la femme ne l’est pas.

Avant de clore cette longue digression, que je supplie le lecteur de me pardonner, je voudrais dire un mot sur l’apprentie, un seul. Il s’agit d’étymologie; vous voyez que j’ai raison d’implorer votre indulgence, car je suis plus à plaindre qu’à blâmer.

Dans les ateliers, on nomme l’apprentie l’Arpette. Pourquoi? Parbleu! me répondra-t-on peut-être, c’est un mauvais anagramme, les mêmes lettres disposées autrement. Eh bien non, le mot A rpette est évidemment tiré du latin (ars signifie art, et petere arriver à) et puis d’ailleurs n’appelle-t-on pas encore l’apprentie l’attrape-science? Arpette est le terme scientifique, attrape-science en est la traduction....... .......................

A peine entrée dans l’atelier, Aline fut le point de mire vers lequel convergèrent tous les regards. Chaque ouvrière a quitté des yeux son ouvrage; ces demoiselles chuchotent entre elles et ricanent.

Aline devint rouge comme un coquelicot. Il y a huit jours un régiment ne lui eût pas fait baisser les yeux, aujourd’hui elle tremble en face d’un essaim de petites filles malicieuses; c’est qu’Aline vient, en quelque sorte, d’enchaîner sa liberté, elle ne s’appartient plus qu’à moitié, elle s’est placée sous la dépendance d’un maître, elle a peur!

Il fallut caser l’arrivante.

A celle-ci, la plus mauvais place à l’établi. Cela se conçoit, jusqu’à un certain point; au premier mouvement, elle montera en grade.

Il y eut un certain remue-ménage dont ces demoiselles furent très-satisfaites.

Enfin tout se calme, Aline est installée.

Madame Graindorge, la patronne, était la fille de ses œuvres. On racontait comment, de simple ouvrière, elle parvint à posséder une des maisons de fleurs les plus importantes de la place. Il faut dire aussi que madame Graindorge débuta dans, le bon moment: il y avait trente ans de cela, On voyait alors l’ouvrière succéder fréquemment au patron; la fondation d’un établissement n’exigeait pas un capital considérable, et, avec de l’intelligence, de l’activité et de l’honorabilité, on se faisait rapidement une clientèle.

Aujourd’hui, pour se lancer dans l’industrie, il faut de l’argent, beaucoup d’argent; à nos aspirations de luxe, à nos tendances de recherche, à nos yeux blasés, il faut des boutiques étincelantes de dorures, ruisselantes de lumière. Les Romains avaient les lois somptuaires, nous avons le stupide clinquant des villes et les prodigalités vaines des particuliers, suant l’insulte à la misère par tous les pores.

Mais comme le commerçant entend regagner d’un côté ce qu’il perd de l’autre, la marchandise se vend le double de ce qu’elle vaut. Tel est le résultat du progrès!

Or, madame Graindorge connut cette heureuse phase où le commerce florissait modestement dans ses sombres et étroites boutiques; elle avait horreur des inventions nouvelles et se fâchait, tout rouge, si, par hasard, ses ouvrières vantaient le luxe relatif de certains ateliers.

Bonne femme, au demeurant, madame Graindorge, simple dans ses goûts comme dans sa mise, approchait de la cinquantaine et, veuve depuis longtemps déjà, elle n’avait pas voulu s’engager dans de nouveaux liens.

Le tracas des affaires lui suffisait.

–Tenez, mademoiselle, fit-elle, en s’adressant à Aline, voilà un modèle, des pétales et le reste. essayez.

Aline ne sait plus comment s’y prendre, et ses nouvelles compagnes la regardent du coin de l’œil. Elle fait contre mauvaise fortune bon cœur et se met à l’œuvre «en ahanant,» ses doigts ne marchent pas, ses petites mains crispées se mouillent de sueur, il s’en fallut de bien peu que la pauvre fille ne fondit en larmes.

Incontestablement, il plane, dans l’air des ateliers, certain mauvais esprit. On y est ordinairement moqueur, égoïste, jaloux; c’est souvent aussi une école de mœurs relâchées, la jeune fille s’y corrompt facilement ou achève de s’y perdre; il suffit d’une brebis galeuse pour gâter le troupeau. Mais hâtons-nous d’ajouter qu’il y a partout de braves cœurs.

Aline trouva ce brave cœur à côté d’elle: sa voisine de gauche, une petite créature blondoyante de dix-huit ans, accorte, frisée et rose, à lamine éveillée, aux yeux vifs, à la bouche souriante, eut pitié de son embarras et lui indiqua la manière de procéder.

–Ah! v’là Henriette qui fait sa jordonne à présent, c’est toujours comme ça qu’elle est avec les nouvelles.

Aline s’est dit, en examinant celle qui vient de prononcer ces paroles:

–Elle ne me plaît pas, cette femme-là, elle a l’air faux d’abord, et puis sa voix nasillarde est peu sympathique.

En effet, madame Biscotte, sorte de première ouvrière, de factotum femelle, de dame de confiance de madame Graindorge, espèce de surintendante d’atelier, avait, à ces différents titres, la haute main sur ces demoiselles et ne mâchait pas ce qu’elle voulait dire. Elle exerçait une active surveillance autour des ouvrières et se montrait fort sévère à l’endroit des flâneuses et des gâcheuses. Malheureusement, elle, madame Biscotte, avait son côté faible, et ce côté menaçait de devenir de plus en plus faible à force d’assauts. Madame Biscotte ne sut jamais résister aux billets de spectacle et à la goutte après son café.

Les observations de madame Biscotte n’empêchèrent pas l’obligeante voisine d’Aline de lui donner encore quelques conseils.

–Je vous remercie, mademoiselle, dit Aline, en regardant avec affectation l’affreuse Biscotte; à présent je m’y remets, ça va tout seul.

Aline se rassurait. On finit même par ne plus faire attention à ses mouvements, et les conversations reprirent leur petit courant habituel.

Saisissons au vol quelques bribes de ce babillage d’atelier:

–Dites donc, madame Biscotte, fit Henriette, avez-vous été à l’Ambigu voir la dernière pièce?

–Non, mademoiselle, je ne suis pas assez riche pour me payer de ces plaisirs-là. C’est bon pour celles qui ont des amoureux.

–Moi, je n’ai pas d’amoureux, répond la jeune fille, que cette allusion transparente plonge dans un visible embarras.

–Avec ça, nasille madame Biscotte en ricanant, on ne vous voit peut-être pas, quand vous quittez le soir l’atelier; un blond attend mam’zelle au coin. là, près du marchand de vin.

–Ah! bah! un blond! s’écrient toutes les voix. Oh! contez-nous cela, madame Biscotte. Elle ne le disait pas, Henriette.

–Mais je vous assure que non, répond celle-ci, je ne connais pas de jeunes gens blonds.

–Ta, ta, ta! eh bien, je vais tout raconter.

–Racontez, madame Biscotte, racontez.

–Eh bien, mademoiselle, que voilà, était attendue tout à l’heure par son freluquet. Oh! il est peut-être-bien encore sous les fenêtres.

–Bah! allons voir.

Et toutes les petites curieuses de se précipiter à l’envi du côté de la fenêtre, en répétant:

–Montrez-nous-le, madame Biscotte, montrez-nous-le.

–Tenez, voyez-vous le soupirant?. Il regarde par ici; à présent, direz-vous que je mens, mademoiselle?

Henriette ne savait plus où se fourrer.

–Oh! qu’il est gentil! fit l’une des fleuristes.

–Oui, c’est un jeune homme bien, reprend une autre, il a un pince-nez.

–Et une chaîne, mazette! c’est un commis.

–Ou un clerc d’huissier.

–Encore un coiffeur.

–Peut-être un garçon de café.

–En effet, il a des crocno verno, ajoute une des espiègles qui avait remarqué les souliers vernis du jeune homme.

Aline machinalement regarde à la fenêtre, on lui montre l’individu en question, et, croyant le reconnaître:

–Non, se dit-elle, ce ne peut être. Cependant. mais oui. Agnelet. Ah ça! comment connait-il cette petite fleuriste? Ah! je le saurai.

Agnelet, c’est lui en effet, s’aperçoit qu’il est l’objet de l’attention des ouvrières et pense d’abord voir Aline parmi elles, puis il réfléchit.

–Une ressemblance, sans doute, comme on en voit tant, une ressemblance extraordinaire, cependant. Tiens, tiens, mais ceci pique ma curiosité. Il faut décidément que j’attende ces demoiselles à la sortie, car, si Aline se trouve effectivement là, elle me facilitera les moyens d’aborder cette petite blonde qui me repousse.

Le lecteur le prévoit, Henriette est la jeune fille avec laquelle Agnelet a eu maille à partir, au Luxembourg, dans une entrevue dont Brisebois, au commencement de ce récit, s’est plu à publier les pathétiques péripéties à la pension des étudiants.

Les ouvrières regagnent l’établi et madame Graindorge demande ce qui peut mettre ainsi son monde en émoi.

–Vous ne devez pas vous occuper, ici, mesdemoiselles, observe-t-elle ensuite, de ce qui se passe dehors. Vous avez le temps, une fois sorties, de penser à vos amoureux, et, si cela devait continuer, je me verrais forcée d’empêcher ces messieurs de venir ici à r avenir. C’est une honte, d’afficher ainsi une fenêtre. Si ce monsieur a quelque chose à dire à Henriette, pourquoi n’est-il pas monté.

–Il n’a rien à me dire, madame, répond Henriette en rougissant, je ne le connais pas et je ne veux pas lui parler.

–Allons, je n’entends pas vous confesser, seulement je vous engage à dire à vos amoureux de ne plus faire le quart sous mes fenêtres, sinon vous pourrez emporter vos pinces et vos ciseaux.

Aline a tressailli en entendant les sinistres paroles de madame Graindorge, elle tremblait pour son aimable voisine. D’un autre côté, connaissant le caractère d’Agnelet, elle savait bien que le jeune homme ne s’imaginait pas compromettre à ce point l’objet de ses poursuites, autrement il n’eût pas agi ainsi.

Prenant une résolution subite:

–A quoi puis-je m’exposer, se dit-elle, en avertissant Agnelet? à rien; il dira peut-être qu’il m’a rencontrée dans un atelier, , il n’y a pas de mal à cela. et Henriette ne sera pas mise à la porte.

A midi sonnant, les fleuristes prennent leur repas, les travaux cessent, c’est une manière de récréation qui coupe agréablement la journée.

–Voulez-vous que je vous monte quelque chose pour votre déjeuner, madame Biscotte, dit une des jeunes filles, en regardant le coucou ornant l’atelier, lorsqu’il fut près de tinter midi.

–Oui, apportez-moi pour deux sous de pommes de terre frites et une andouille. j’ai mon pain.

–Bon! et je partagerai avec vous, il me reste des haricots en vinaigrette.

–Moi je vais me régaler d’un petit suisse, fait une autre.

–Tu m’en donneras?

–Si tu me passes des haricots.

Et le petit noir. qu’est-ce qui paie le petit noir? interrompt une voix.

–J’offre le café, répond Henriette.

En un clin-d’œil l’atelier est désert, tout le monde est descendu. On se répand de ci, de là, dans la rue St-Denis. Chacun est allé aux emplies. Le jouvenceau ne stationne plus devant l’atelier, mais il fait le guet chez un marchand de vin. Aline l’aperçoit.

La jeunesse d'une femme au quartier latin

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