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JEUNESSE D’UNE FEMME

Table des matières

I
ÉTUDIANTS ET ÉTUDIANTES

Table des matières

«Plus de travers et de ridicules que de vices.»

Horace.–GEORGES SAND.

Nous ferons connaissance, sans plus de préambules, avec un des personnages importants de ce récit:

Fortuné Rigobert, fils d’un obscur pharmacien de Saint-Malo, venait d’arriver à Paris, non point pour s’initier, comme on pourrait le supposer, aux mystères du codex et à l’interprétation des formules de l’akologie auprès des maîtres, mais pour suivre les cours de la Faculté de médecine. En effet, bien qu’ayant grandi dans le laboratoire d’un pharmacien, Fortuné professait un mépris inconcevable pour tout ce qui sentait l’apothicaire. Selon lui, la mixtion des drogues n’était qu’un métier et l’officine une boutique; et puis, aujourd’hui, les enfants ne voulant plus embrasser la carrière de leur père, l’ambition les pousse particulièrement vers l’inconnu.

Fortuné Rigobert ne faisait donc que suivre les tendances du jour.

L’honnête pharmacien de Saint-Malo, avant d’expédier son fils à Paris, s’est préoccupé de lui aplanir les difficultés d’une installation, en l’adressant à l’un de ses confrères de la capitale avec un mot de recommandation. Mais le jeune homme, ayant perdu en route la lettre paternelle, jugea plus simple de pourvoir, soi-même, à sa direction. Tant il est vrai qu’à peine échappé à la tutelle de la famille, une soif irrésistible de liberté porte, sans cesse, l’homme à s’affranchir de tout ce qui peut entraver son libre arbitre!

Fortuné s’est dit:

–J’entends faire mes affaires moi-même. Maintenant que je suis libre, je n’ai besoin de personne.

S’il avait eu l’expérience, son raisonnement n’eût pas manqué tout à fait de sens commun.

En débarquant à Paris, Fortuné a pris un fiacre et dit au cocher:

–Menez-moi au quartier latin.

Sur ce vague indice, le cocher arrête ses chevaux en plein boulevard Saint-Michel et demande au voyageur où il veut descendre. Fortuné indique un hôtel quelconque aux environs de l’École de Médecine.

C’en fut assez, l’intelligence d’un cocher va jusqu’à comprendre des désirs ainsi manifestés: il conduit notre jeune homme rue de l’École-de-Médecine, àl’hôtel du Périgord.

Au premier coup d’œil, les garçons de l’établissement jugent qu’ils sont en présence d’un étudiant frais débarqué, et le bagage de Fortuné est transporté, incontinent, dans un cabinet, au cinquième étage, la dernière pièce qui restât vacante dans l’hôtel.

Il n’y avait pas à choisir. Fortuné se récrie sur l’exiguïté du lieu, sur son peu de clarté, mais on lui prouve que, chaque chambre étant ainsi disposée, il ne gagnera guère au change; en conséquence, il arrête le local et prend aussi sa pension dans la maison.

Nous ne nous appesantirons pas davantage sur les fades péripéties de l’installation de l’étudiant, c’est au milieu de ses futurs commensaux que nous le retrouverons.

Dès l’abord, notre néophyte fut tout bête lorsqu’il prit place à la tablé d’hôte de sa pension. Il regarde ces figures de jeunes gens, les unes après les autres, en se demandant s’il a réellement devant lui des étudiants.

De fait, ces messieurs confabulaient de bien d’autres choses que de leurs études. Il sembla même à Fortuné entendre certains propos qui le firent rougir jusqu’au bout de ses chastes oreilles. Ce fut bien pis lorsqu’une dame, fort élégamment mise du reste, et qui s’était assise juste à ses côtés, lui demanda, avec un sans-gêne inqualifiable, la cuillère avec laquelle il venait de manger son potage.

Fortuné était confondu.

Dans chaque réunion d’hommes, il y a toujours un intrigant, ou un fat, plus intrigant, ou plus fat que les autres, qui vise à la dictature. Une fois reconnu, cet oppresseur ne tarde pas à choisir sa victime, c’est-à-dire un plastron, et, par suite d’une fausse direction de l’esprit humain, le plastron d’un seul ne tarde pas à devenir la risée du plus, grand nombre.

Or, parmi les habitués de l’hôtel, il y avait un tyran et un martyr.

Les tyrans de cette espèce n’éprouvent jamais un besoin plus violent de torturer leur victime que lorsqu’un récipiendaire est admis dans leur cénacle. C’est une manière de souhaiter la bienvenue à l’étranger et de se poser.

Depuis le commencement du diner, le bourreau épiait le moment propice pour frapper le patient.

–Vous ne soufflez pas mot, aujourd’hui, cher M. Agnelet; vos lauriers d’hier soir vous ont-ils, à ce point, empêché de dormir, que vous devanciez l’heure où Morphée vous tend habituellement ses bras?

–Tiens, tiens, répètent en chœur nos jeunes gens, quelle est donc cette énigme? Une aventure piquante, Brisebois? nous sommes tout oreilles.

–Priez le héros de l’anecdote de vous ouvrir son cœur, continue l’oppresseur; s’il y met de la franchise, vous rirez.

–Messieurs, c’est une plaisanterie, dit à son tour la victime.

–Or ça, reprit Brisebois, puisque l’honorable préopinant se retranche derrière une modestie outrée, je vais vous conter le fait, oyez et savourez la chose: Hier, au sortir de cette salle de nos festins pantagruéliques, le tendre Agnelet.

Un rire homérique de l’assistance accueillit ce détestable ana.

–.le tendre Agnelet, dis-je, suivait, recueilli et pensif, le chemin du Luxembourg, lorsque, près des eaux limpides de la fontaine de Médicis, je le vois saisir par le bras, le croiriez-vous, messieurs? une faible femme. Vous narrer le sujet de l’entretien n’est pas mon affaire. Mais, ce que je sais et ce que j’ai vu, de mes yeux vu, c’est la fin tragique de ce petit mélodrame.

–Voyons, voyons, répètent toutes les voix.

–J’ai vu, messieurs, le poing de la belle Omphale s’abattre vigoureusement sur le chapeau d’Hercule, de telle sorte que la tête de notre pauvre ami, transformée, sans qu’il s’y attendit, en dynamomètre, rentra dans le susdit chapeau comme dans un étui, et l’inconnue de courir, rapide et légère, et d’échapper à son infâme séducteur, après cette aimable coquetterie.

La dame bien mise, qui mange son potage avec la cuillère de Fortuné, se tient les côtes, tant son hilarité est grande. C’est un feu roulant d’éclats de rire, à droite et à gauche.

Fortuné seul ne trouve pas l’histoire d’une gaîté folle; il lui semble que M. Agnelet est peut-être bien malheureux et, à coup sûr, fort confus. Quant à M. Brisebois, il lui apparaît sous la forme d’un gredin de la plus dangereuse espèce. Le sourire de ce despote lui faisait froid dans le dos et chacune de ses paroles alambiquées lui donnait la chair de poule.

–Maintenant, Agnelet, reprit un des étudiants, grand diable à poils roux, nous diras-tu quel est ce minois charmant? j’admets qu’il doit être tel pour avoir pu fixer ton choix, dont le goût n’est douteux pour aucun de nous.

–Messieurs, puisque vous me mettez au pied du mur, je n’hésiterai pas à vous ouvrir mon cœur, comme on l’a dit si cruellement. N’avez-vous donc jamais aimé?

–Ah! jamais, mon cher, au point de sacrifier au sentiment le moins neuf de mes chapeaux, interrompt Brisebois; mais à propos, Agnelet, mon ami, dites-nous donc ce que vous entendez par amour.

–Pour moi, messieurs, l’amour ce n’est pas cet instinct bestial qui porte naturellement deux êtres de sexe différent l’un vers l’autre; je nie l’existence de l’amour chez les individus de l’espèce animale. Il est inné, au contraire, dans l’homme, un besoin constant d’épancher son cœur auprès d’une femme qui éprouve, vis-à-vis de lui, le même désir; lorsque ces deux êtres se sont rencontrés et qu’ils se sont compris, ils s’aiment. Alors l’homme prend, à perpétuité, sous sa protection, la créature faible, et la créature faible, la femme, signe un bail à vie avec son défenseur.

L’amour, à la façon des bêtes, c’est de l’animalité.

–Oh! oh! de la morale transcendante! Mais dans quelle communauté de cénobites avez-vous fait vos humanités, mon pauvre Agnelet? Savez-vous que votre définition de l’amour serait à sa place dans une conférence de père jésuite, lancée entre deux anathèmes à l’adresse de la société moderne?

Je plains la jeune fille qui s’amouracherait de vous, si votre amour se borne à des épanchements du cœur et à de vaines protestations. Mais la famille, pauvre Agnelet, qu’en faites-vous? et la culture de ce jardin de l’hymen, le «multipliez,» c’est, palsembleu, un article important du bail!

Il se trouva des thuriféraires pour applaudir la tirade de Brisebois.

Durant le débat, Fortuné a lié conversation avec son voisin de droite, et la dame à la cuillère, assise à sa gauche, trouve le moyen d’adresser au nouvel étudiant une foule de questions auxquelles ce dernier répond, non sans embarras, mais assez galamment, sans doute, car la dame devient de plus en plus communicative.

Une chose étonnait considérablement Fortuné, c’est la façon cavalière avec laquelle ces messieurs traitaient cette dame. Presque tous la tutoyaient, elle appelait l’un mon chat, l’autre mon ange, celui-ci mon bébé, celui-là vieux monstre.

Au moment où l’on désertait la table et où Fortuné se levait, la dame à la cuillère regarda si tendrement le pauvre garçon, qu’il fut comme pétrifié. Il avait un pied en l’air, ce pied retomba. Et dire que si ce pied ne fût pas retombé, Une partie des destinées de Fortuné ne se fussent pas accomplies!

–Vous êtes pressé, monsieur? murmura doucereusement la sirène.

–Oh! non, madame, seulement je suis arrivé depuis peu de jours à Paris, où je ne connais personne, et, à cette heure, je remonté chez moi, pour me livrer à la lecture.

–Pauvre jeune homme, vous devez vous ennuyer à mourir. Comment, vous n’allez pas à Bullier? Je suis sûre que vous n’avez même pas encore de maîtresse?

C’en fut trop; au contact de cette tangente, Fortuné, de rouge qu’il était, devint écarlate. Notre drôlesse se réjouit intérieurement du trouble qu’elle jette dans cette âme toute neuve et ses paroles tombent comme autant de gouttes d’huile sur le brasier qu’elle vient d’allumer.

–Allons, allons, dit-elle, je veux être votre cornac, menez-moi à Bullier ce soir, je vous promets que vous y serez plus gaiement que dans votre petite chambre.

Fortuné n’était pas habitué à une telle privauté de la part d’une femme; il n’eut pas le courage de refuser l’aimable invitation et suivit son cornac.

–Je tiens mon jeune homme, pensa la belle; à présent tâtons le terrain, la bourse d’abord.

Aline, c’était le nom de l’enchanteresse, avait dix-neuf ans à peine. Grande, élancée et brune, l’incarnat de son visage se mariait agréablement avec le beau noir de ses sourcils arqués sous lesquels brillaient, ombragés par de longs cils, des yeux mutins et spirituels. Deux ou trois petites mèches assassines se jouaient en tire-bouchons sur le front de la jeune femme. A tout prendre Aline était jolie, et les veilles et la misère n’avaient pas encore creusé leurs rides profondes sur son visage.

Elle se pendit au bras de son cavalier et, tout en remontant la rue de l’École-de-Médecine et le boulevard Saint-Michel, pour se rendre à Bullier, elle fit causer Fortuné.

–Ah çà! dites-moi, comme nous sommes destinés à nous voir fréquemment et que peut-être nos relations revêtiront un caractère plus intime, vous ne trouverez pas étrange que je vous appelle par votre petit nom. moi, je me nomme Aline.

–Et moi Fortuné.

–Un joli nom, pour un jeune homme. Eh bien, Fortuné, puisque vous vous en remettez à moi du soin de votre conduite, je veux, ce soir, vous mettre en rapport avec la meilleure société du quartier; au bal, je vous présenterai.

En devisant de la sorte, ils ne tardèrent pas à atteindre le bal Bullier

La jeunesse d'une femme au quartier latin

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