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VI
LE DUEL

Table des matières

«La raison du plus fort est toujours la meilleure.»

Fable du Loup et de lAgneau.–LA FONTAINE.

Je ne suis, en aucune manière, partisan du duel, surtout de ces duels, si fréquents de nos jours, où, pour un démenti fortement accentué en public, pour un mot malsonnant échappé dans le feu de l’improvisation, deux galants hommes vont se larder de coups de fleurets ou bien s’adresser une balle dans la tête. Le duel demeure l’excuse des bretteurs et des spadassins. Supprimez le duel, et cette catégorie de gens sans aveu et de coureurs d’aventures disparaîtra.

L’idée du duel réalisant cette pensée d’un profond philosophe, que j’ai placée comme épigraphe au commencement de ce chapitre, est-il rien de plus triste pour la conscience humaine!

Hors le cas d’une sœur séduite, d’une épouse insultée, d’une fille déshonorée, le duel est la négation flagrante de tous les principes de droit et de justice.

Se battre, lorsqu’on est rompu au maniement de l’épée, ce n’est plus du courage. Se livrer au fer d’un prévôt de première volée est insensé, c’est courir à une mort certaine.

D’un autre côté, organiser le duel à la façon d’un Canulard, est une infamie.

Voilà où je voulais en venir.

Aline était plongée dans la consternation depuis la malheureuse algarade survenue à cause d’elle entre Brisebois et Fortuné.

Pour la première fois peut-être, un homme avait pris sérieusement sa défense; pour la première fois, assurément, un homme se battait pour elle.

Fortuné vient de rehausser Aline à ses propres yeux.

Ce n’est plus la pauvre abandonnée des rues, oublieuse du passé, insouciante de l’avenir; toute l’épopée de sa vie lui apparaît, sombre, froide, décolorée.

–Pourquoi suis-je venue au monde? pense-t-elle; malheureuse moi-même, je fais le malheur de ceux qui m’entourent, de ceux qui m’aiment. Car ce jeune homme, Fortuné, il m’aime, lui. Oh! oui, il doit m’aimer, puisque moi je l’adore. à présent, je voudrais le lui dire, il ne me croirait pas. Le lui prouver? et comment faire pour cela?, , . Quitter cet affreux quartier latin, oublier mes anciennes amies, rompre avec mes habitudes de débauche, me remettre au travail, c’est cela.

Fortuné eut le soin de tromper Aline sur le jour et l’endroit où la rencontre devait avoir lieu, afin de déjouer les tentatives que la pauvre fille n’eût certainement pas manqué de faire pour contrecarrer les projets belliqueux des jeunes gens.

A l’heure dite, les combattants et leurs témoins se retrouvent dans le bois de Verrières.

La troupe s’arrête au milieu d’une clairière, les environs sont déserts, on peut là s’égorger à l’aise sans craindre les regards indiscrets.

–Voilà un charmant petit réduit, bien approprié pour la circonstance; que vous ensemble, messieurs? interpelle Canulard.

–Certainement, répond Brisebois, d’ailleurs j’ai hâte de terminer cette affaire, mes doigts se crispent d’impatience; l’heure de la réparation suprême est enfin arrivée.

Et le subversif personnage darde, sous son épais sourcil, un regard fauve.

Fortuné est ému, mais calme et digne. Il ne croit pas devoir répondre à l’apostrophe du bravache.

–Ah! ce n’est pas tout, réglons les préliminoires du duel, voici les armes.

Canulard sortit, d’une de ces boites dont les apothicaires se servent pour herboriser, trois paires de pistolets.

–Maintenant, continua-t-il, pour suivre les règles adoptées dans les duels sérieux, je propose de placer les deux adversaires à vingt-cinq pas l’un de l’autre. On donnera le signal: une, deux, trois, et au mot de trois les deux combattants feront cinq pas en avant et tireront.

Ces conditions acceptées, les témoins vérifient les pistolets; on constate qu’ils sont chargés.

Fortuné et le farouche brétailleur ont mis habit bas, ils s’avancent alors et choisissent chacun une arme au hasard. Ils s’alignent. Canulard, l’ordonnateur, compte les vingt-cinq pas, tout est prêt, on n’attend plus que les trois coups.

Dire que Fortuné ne se sentit pas pris, en cet instant, d’un serrement de cœur inexprimable, serait mentir. Il pense à sa mère et porte instinctivement la main sur son cœur. C’est qu’il a logé en cet endroit une lettre, un adieu solennel adressé à cette mère, à ce père chéris qu’il va peut-être laisser dans le désespoir. Ce contact lui donne le frisson, un monde d’idées lui traverse le cerveau, mais il se dit qu’il doit être homme avant tout et considérer froidement le danger.

–Attention, crie Agnelet je donne le signal: une, deux.

–Permettez, interrompt Canulard, je m’aperçois que mon ami Brisebois est dans de déplorables conditions, le soleil lui donne en plein sur le visage. Il ne peut donc viser sûrement, tandis qu’il offre, comme une cible lumineuse, sa face à l’adversaire.

On change de place, en conséquence.

–Dépêchez, messieurs, vocifère Brisebois, en assurant son pistolet dans sa main, cette arme me brûle; je vais donc enfin assouvir ma soif de vengeance. mon adversaire tremble, je crois?

–Pas plus que vous, monsieur, réplique Fortuné en sentant la rougeur lui monter au front, trêve de sarcasmes.

–Prenez garde: une.

–Arrêtez, observe La Consolation; tout à coup, j’ai entendu quelqu’un marcher ici à droite, derrière les arbres.

–Mais non, mais non.

–Si, vous dis-je, quelque chose a remué.

Chacun dresse l’oreille. On écoute, on attend: rien. C’était une fausse alerte, un acousmate.

Pour la troisième fois, le signal est donné.

–Allons: une, deux, trois, cinq pas en avant, feu.

Les deux coups n’en font qu’un.

–Touché, s’écrie Brisebois.

–Qui touché? demande Canulard.

–Moi, parbleu!

Fortuné jette à terre son pistolet et s’élance vers Brisebois tandis que les quatre-témoins s’empressent autour de ce dernier.

–Où touché? disent-ils en chœur.

–Là! là! et Brisebois indique le creux de son estomac.

On tâte, on regarde l’endroit par où a dû pénétrer la balle. Rien. pas la moindre blessure.

–C’est trop fort, reprend La Consolation, ce que c’est que l’idée. Mais tu n’as rien reçu. Il faut recommencer.

Brisebois persistait à dire qu’il avait senti quelque chose le toucher là; puis il est obligé de se rendre à l’évidence.

On décide qu’une seconde épreuve aura lieu.

Le signal est donné de nouveau. Les deux détonations retentissent. Personne n’est blessé.

Agnelet et Gustave sont d’avis que les champions se sont battus vaillamment. D’après eux, l’honneur est sauf. A quoi Canulard répond:

–Comment, messieurs! mais il n’y a pas encore eu de sang versé. Dans les cas de cette nature, il reste à tenter l’épreuve suprême. A cinq pas de distance. C’est ici un de ces duels à mort, vous entendez!

Sur le terrain on se pique d’amour-propre, comme partout. D’ailleurs, Fortuné veut en finir. Il se saisit d’un des pistolets qui restent, en disant à Brisebois:

–Allons, monsieur, en place. je vous attends.

Brisebois n’est plus aussi gaillard, cependant la contenance de Canulard le rassure.

Les trois appels se font entendre, et presque de suite les deux pistolets tonnent à la fois.

Brisebois pousse un cri et chancelle.

–Blessé!

–Comment! dit Canulard.

En effet, il est blessé à la main, son pistolet vient d’éclater. Brisebois est relevé par les jeunes gens. Canulard n’avait pas cru devoir apporter des appareils de pansage, mais Gustave avait été plus avisé. Aidé de ses amis, il retire de la main du malheureux plusieurs éclats de bois et de fer. L’opération terminée, les bandelettes posées, on déclare la plaie peu grave, mais assez cependant pour que le duel ne puisse se prolonger.

Canulard jette Brisebois dans les bras de Fortuné, comme c’est la mode; la réconciliation a lieu, l’honneur est déclaré satisfait.

La jeunesse d'une femme au quartier latin

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