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VII
CES MESSIEURS FONT LA NOCE!

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Table des matières

«Inter pocula… »

Il fut décidé à l’unanimité qu’on se rendrait à Châtenay, avant de rejoindre Paris, pour sceller la réconciliation des dissidents, le verre en main.

–En route, mes amis, dit Canulard. Je ne sais si vous êtes comme moi, j’ai une soif!

–Et moi, donc, interrompt La Consolation: aussi quelle idée de s’embarquer ainsi sans bidons!

–Brisebois, toi qui connais le pays, tu vas nous conduire dans un bon endroit, hein? continue Canulard.

Brisebois se fit fort de mener la petite troupe chez un certain marchand de vin du pays, qui vendait, parait-il, d’excellents produits et possédait, de plus, une femme charmante qui se laissait volontiers pincer la taille par les consommateurs.

Agnelet, Gustave et Fortuné sentaient aussi le besoin de se réconforter, après les émouvantes péripéties qu’ils venaient de traverser.

On atteint Châtenay, en devisant, et Brisebois ne tarde pas à montrer aux jeunes gens l’auberge de la Bonne Franquette, dont il a vanté l’hôtesse.

On entre bruyamment dans une salle ténébreuse et basse. Deux longues tables, garnies de bancs de chaque côté, composent tout l’ameublement du local. Les murs blanchis à la chaux sont constellés de devises grivoises, de dessins burlesques, de fantaisies obscènes. C’est l’album des voyageurs. On devine, en parcourant ces improvisations fantastiques, qu’étudiants, étudiantes et artistes ont tenu à laisser là, après boire, comme une manière de souvenirs.

–Je ne sache rien de plus bigarré que ce mur, dit Canulard, en montrant à ses amis les illustrations murales de la pièce.

–Si ce n’est, cependant, le monument d’Héloïse et d’Abailard au Père-Lachaise, ajoute La Consolation.

–Oh! le lugubre personnage. Voilà toujours de ses comparaisons, à ce vieux croque-mort

–Or ça, la petite mère, qu’allez-vous nous servir? demande Brisebois à la maîtresse de l’auberge.

–Une omelette au lard, si vous voulez, répond une petite femme rondelette, coiffée d’un madras à raies jaunes, comme les paysannes en portent aux environs de Paris.

–Va pour l’omelette, répète Gustave.

Brisebois ne paraît pas trop souffrir de sa blessure, il suit la petite mère de la Bonne Franquette pour donner un coup d’œil à l’omelette et préparer les apéritifs.

Pendant ce temps, les étudiants examinent les caricatures et les inscriptions de la salle. Subitement un grand bruit se fait à côté, il semble que ce soit de la vaisselle qu’on casse, puis des cris succèdent. On reconnaît la voix de Brisebois prononçant un: mille tonnerres! accentué.

On se précipite dans la pièce voisine.

Tout simplement, Don Juan, au lieu de surveiller la cuisine, a serré de trop près la petite mère, et celle-ci n’a trouvé rien de mieux, en résistant à son séducteur, que de l’envoyer cogner une pile d’assiettes fèlées et hors d’usage, qu’elle portera, bien entendu, sur la note, comme dégâts volontaires!

–Elle est charmante, mes amis, cette petite paysanne, articule Brisebois, c’est pourtant comme cela qu’on fait l’amour à la campagne. Ah! tenez, voici une bouteille d’absinthe que j’ai prise au bon coin et un alcarazas.

Ces messieurs se servent. Un premier verre est absorbé, on redouble. Fortuné seul observe que, n’étant pas rompu à ce breuvage, il s’en tiendra là. Brisebois, Canulard et La Consolation se versent une troisième lampée.

–C’est un excès, disent-ils.

Quant à La Consolation, une quatrième absinthe ne lui fait pas peur et il vide le flacon sans sourciller.

Les médecins prétendent que tout individu ayant ingurgité un verre d’absinthe est momentanément privé d’une portion de ses facultés, delà mémoire surtout, tandis que le système nerveux se trouve considérablement surexcité. Ce liquide provoque donc, en quelque sorte, une ivresse sui generis particulièrement terrible, et son usage constant amène dans le cerveau des désordres graves.

La Consolation était un de ces jeunes abrutis comme il s’en rencontre malheureusement en trop grand nombre. Depuis plusieurs années il avait satisfait son penchant immodéré pour l’absinthe et en était arrivé, par suite, à un point de décrépitude phénoménale.

Ce malheureux, déjà tout ankylosé, semblait hideux à Fortuné, et lorsqu’il le vit porter son cinquième verre à ses lèvres, en tremblotant comme un petit vieux, il lui fit horreur.

L’omelette au lard apportée, chacun se venge sur la pièce de résistance d’une demi-journée d’abstinence. L’adéphagie est générale. On s’échauffe en parlant. Brisebois a le verbe très-haut.

–Il s’en est fallu de bien peu que je ne goûtasse pas ce soir à cette délicieuse omelette, fit-il.

–Ton adversaire pourrait en dire autant, murmura Canulard.

–Possible, mais je vous communiquerai, en confidence, qu’à la deuxième reprise une balle est passée bien près de mon oreille.

–Bah!

–Certainement, je l’entends encore siffler.

Canulard se mit à rire.

–Tu doutes? continua Brisebois, en lançant un regard oblique.

–Non, mais tu nous affirmes cela drôlement.

–Comment, prétendrais-tu que j’ai l’air d’un idiot? Quand je te dis que j’ai entendu passer la balle à deux doigts de mon oreille.

–Mon cher Brisebois, poursuit Canulard, avec un geste de dénégation, conte-nous cet épisode à jeun, autrement je dirai.

–Quoi? répétèrent tous les jeunes gens.

–Eh bien! parle, répond Brisebois, dont les yeux lui sortent presque de la tête, explique-nous le sens abstrus des mots que tu viens de prononcer.

–Oui, parle, interrompt La Consolation qui revient d’un long assoupissement.

–Non, je préfère ne rien dire.

–Alors tu te rétractes? Et Brisebois s’était levé en prononçant ces dernières paroles d’un air courroucé, mais ses absorptions réitérées l’ont alourdi et il retombe comme une masse sur son siége.

L’étudiant est indisposé. Il sort sous le prétexte de humer l’air des champs.

Les têtes se montaient; Gustave, Agnelet, Fortuné lui-même ne sont plus maîtres d’eux.

Les folies commencent.

–Mes chers amis, dit Canulard, en montant sur la table, je vous propose, pour nous distraire, de mettre la ville de Châtenay à sac pendant une heure et de débuter par la cave et la cuisine de la turne où nous sommes.

–C’est cela, c’est cela, hurlent les acclamateurs, appelons les mécontents du pays à l’insurrection.

–Courons sonner le tocsin.

–A l’hôtel de ville!

–Et des armes?

–Nous en avons. les pistolets.

–Oui, vidons l’arsenal.

Et l’on se rue sur la boîte en fer-blanc déposée par terre à côté de Canulard.

Ils faisaient un tel tapage, que le propriétaire de la Bonne-Franquette survient et s’écrie, avec effarement:

–Je vous en prie, messieurs, le monde s’ameute à la porte. Du calme, je vous en supplie.

Ces mots sont accueillis par un hourra.

–Allons haranguer la foale, s’écrie-t-on; un tambour pour convier les vilains au Forum.

Canulard saisit triomphalement un chaudron.

–Tiens, Agnelet, dit-il, bachine le rappel.

On se précipite au dehors. Comme l’annonce le maître de l’auberge, une cinquantaine de villageois et d’enfants se pressent à la porte de la Bonne-Franquette, se demandant quelle peut être la cause de tant de tintamarre.

Les jeunes gens sont entourés, les femmes se serrent les unes contre les autres en chuchotant, les bambins sautent de joie en répétant:

–Des saltimbanques! des saltimbanques!

–Y vont-y nous faire des tours? demande un gros paysan à son voisin.

–J’pensons ben que c’est ça, répond le voisin d’un air bête.

–Oh! alors, j’vas qu’rir Janneton, qu’aime tant r’luquer les hercules en caneçon. J’ai jamais compris la passion qu’Janneton a pour les hercules en caneçon.

–Ah! ah! ah! moi j’me méfierais à vot’ place de c’te passion là, père Cornardin.

Pendant que le père Cornardin est allé quérir Jeanneton, Canulard s’est juché sur une chaise, devant la porte de l’auberge; la foule grossit, le flot monte et Agnelet tape toujours sur son chaudron comme un forcené. La Consolation s’est entortillé dans la nappe qui avait servi au repas, après l’avoir préalablement pailletée de taches de vin et de placards de moutarde. Quant à Gustave, il a déniché, dans le pétrin de l’établissement, une petite réverve de farine mise dans un sac, il s’en saisit.

Fortuné avise un cor de chasse suspendu par l’anguichure à un clou et l’embouche.

–Assez de musique, crie Canulard, je vais faire mon speech.

–«Nobles, bourgeois, roturiers et manants, nous vous convions ici, nous réservant d’obtenir subséquemment la permission de M. et madame le Maire, pour vous faire savoir que le célèbre anthropolicéphale, c’est-à-dire homme à plusieurs têtes, de Carpentras, vient de faire son entrée dans les murs de cette ville. Cette créature extraordinaire et amphibie dévore tous les matins à son déjeuner trois enfants à la croque-au-sel; ne vous sauvez pas, sensibles mères de familles, l’anthropolicéphale ne mange pas les enfants de tous les pays, ce sont les enfants de Carpentras seulement qu’il aime, et chaque jour, par le chemin de fer, il nous arrive deux douzaines de bourriches de ce légume. Vous êtes émerveillés, n’est-ce pas? honnêtes laboureurs, hommes des champs intègres, populations clairvoyantes des campagnes; mais vous le serez bien davantage lorsque vous aurez vu le monstre, qui fait visite en ce moment aux autorités locales. En avant, la musique!»

Fortuné sonne du cor avec furia, Agnelet tape comme un sourd sur le chaudron et Gustave lance sur la plèbe des poignées de farine.

Les paysans ne trouvent pas cette dernière plaisanterie de leur goût, ils se croient volés et la foule murmure.

–«Vous murm arez, je crois, observe Canulard, «Turba murmurât, mussitat.»

Nous laisserons orateur poursuivre son discours abracadabrant pour informer le lecteur que le garde-champêtre et le tambour de ville se sont rendus dare dare chez le maire, afin de l’avertir de ce qui se passe devant l’auberge.

–M. le mare, bredouille le garde-champêtre tout essoufflé, je viens vous dire que l’on a introduit une bête vénémeuse sur la commune.

–Qu’est-ce que cela signifie? répond l’autorité constituée.

–Ah! je ne sais plus quel nom baroque qu’ils donnent à cet animal.

–Je crois me rappeler qu’il appellent ça un entrepôt de. de je ne sais quoi, hasarde le tambour.

–Comment, un entrepôt. sur la commune! mais nous n’en voulons pas, nous protestons, jamais! Voyons, vous parliez d’un monstre, d’un animal, Barnabé, et votre confrère, le tambour de ville, dit tout autre chose.

–J’vas vous expliquer en deux mots, m’sieu le mare: c’est queuques malfaiteurs, queuques repus des villes qui ont réuni la populace devant la Bonne Franquette. Y tapent sur la vaiselle de l’établissement, y soufflent de la trompette et y font des discours à perte de vue sur une grosse bête qu’est ben sûr muchée queuque part dans Châtenay.

–Allons, je vois ce que c’est, répond l’écharpé, courez avec votre camarade, prenez des témoins et verbalisez contre ces gens, et puis, s’ils n’ont pas de papiers, amenez-les-moi.

En conséquence, le garde-champêtre prit en passant ses insignes et retourna, suivi du tambour, du côté de nos écervelés.

A la vue des agents d’exécution, la foule s’ouvre aux cris de: «Voilà la garde, voilà la garde!»

–Par ordre du mare, j’ordonne à la populace de rentrer incontinente dans ses foilliers. Les ceux et les celles qui n’obtempéreront pas, ils y seront contraints susséquemment.

En entendant la phrase sacramentelle, la foule se disperse comme par enchantement.

Et dire qu’il se trouve dans les villes des originaux sur qui de semblables arguments produisent un effet diamétralement opposé.

Ce sont de mauvais citoyens, ceux-là.

A la bonne heure, les patriotes de Châtenay!

Restaient les auteurs du hourvari incriminé.

Barnabé s’avance, avec majesté, au-devant de Canulard toujours grimpé sur sa chaise.

–Moi, Barnabé, garde-champêtre, et mon subalterne, le tambour de ville, vous sommons de nous exhiber vos papiers et ceusses des personnes qui vous accompagnent.

–Honorables fonctionnaires, repond Canulard à cette interpellation, voulez-vous vous donner la peine d’entrer dans l’auberge, nous serons mieux qu’ici pour causer, sans ambages.

Barnabé entre le premier et se campe fièrement, la main appuyée sur la poignée de son sabre-briquet.

–J’attends, fit-il.

–Mon vieux brave, voulez-vous trinquer avec nous? interrompt Gustave, en riant et en frappant sur la bedaine de Barnabé, qui n’a pas l’air de goûter cet alibiforain!

Le garde-champêtre est atterré. Un pareil manque de respect l’a confondu. Lui, Barnabé, revêtu de ses insignes, s’entendre appeler mon vieux! et recevoir une claque sur l’abdomen!

–Cré nom! grince-t-il dans ses dents, vous allez me suivre chez monsieur le mare, tous les cinq, et je rédige procès-verbal.

Barnabé avait emporté sur lui tout ce qu’il fallait pour établir son procès-verbal. Il fe mit en devoir de le rédiger.

Canulard et ses amis sont trop surexcités pour calculer la portée de ce qu’ils font en cet instant.

Il eussent réfléchi, autrement, qu’onne doit jamais se gaudir aux dépens d’une autorité revêtue d’un mandat quelconque. Surtout d’un pauvre diable de garde-champêtre, que sa seule simplicité rend si recommandable.

–Vous voulez nos noms, n’est-ce pas? interpelle Canulard.

–Sans doute, répond le garde.

Ces messieurs donnent des noms si étranges que Barnabé sue sang et eau pour les écrire.

Qu’était devenu Brisebois durant ces scènes tumultueuses? Eh! pardieu, le lecteur se l’imagine:

En respirant l’air pur d’une espèce de jardinet situé derrière l’auberge, il a rencontré la maitresse du logis occupée à cueillir du cresson alénois.

–O tableau plein de charme et de poésie, s’était esclamé Brisebois en l’apercevant, je ne crains pas de casser les assiettes, ici; soyons chaleureux, et ma foi! à la campagne.

Le jeune homme s’approche en tapinois, prend en se baissant la campagnarde parla taille et imprime un brûlant baiser sur le cou de la faible femme.

–Laissez-moi, que je vous dis, ou ben j’appelle mon mari.,

–O femme adorable, reprend Brisebois, tu me repousses! mais, tu ne sais donc pas que depuis un an que je te connais, ton image n’a pas quitté mes yeux, je pense à toi le jour, la nuit, j’y rêve! Laisse-moi serrer cette taille de guêpe; laisse-moi presser ces lèvres purpurines sur les miennes; laisse moi.

Et la villageoise ne se défendait plus, elle laissait faire.

–Pas dans le jardin! murmura-t-elle, entre deux embrassements de Brisebois.

Cette nature de femme épaisse et sans poésie était vaincue.

Brisebois entraîna la virago, vous ne devineriez jamais où? Dans le poulailler!

La porte se referma sur le couple amoureux, et les innocents volatiles furent seuls témoins du reste. seulement, au bout de quelques instants, le coq chanta.

Un souvenir biblique me rappelle que ce chant est précurseur de trahison. Oh! perfide hôtesse de la Bonne Franquette, quel coup de dague dans le cœur de ton mari, s’il avait ouï le significatif appel du gallinacé.

Le fait est que le coq avait chanté trois fois, et que Brisebois, dénichait encore des œufs. Enfin, les cris de ses amis le ramènent au sentiment de la réalité; des pas précipités se font entendre dans le jardin.

Brisebois, soupçonnant quelque anicroche, comprend qu’il est urgent de se tirer de ce pas là et sort de l’antre de Cythère. Mais dans quel état! Du fumier des pieds à la tête. Les poules, au mépris de toutes les convenances, ont pondu autre chose que des œufs, en voltigeant au-dessus du trop tendre duo.

Il n’y a pas un instant à perdre.

Canulard et ses amis se trouvent aux prises avec le garde-champêtre. Le tambour de ville crie à l’aide! pour s’assurer des personnes des jeunes brigands.

–Ma foi, sauve qui peut! dit Brisebois en voyant la tournure que prenaient les choses.

Fortuné, La Consolation, Canulard, Agnelet et Gustave le suivent. On enjambe la haie qui limite le jardin, enfin on se jette à gauche sur un chemin qui conduit à la grande route.

On court pendant un bon quart d’heure, puis on s’arrête pour reprendre haleine et s’orienter.

On eût dit un équipage dévoyé consultant la boussole.

Brisebois a flairé Sceaux sur la droite, la petite troupe se met en marche.

Le parti le plus sage est évidemment de se rendre de suite à la gare pour prendre le premier convoi de chemin de fer à destination de Paris.

C’est aussi ce que firent nos jeunes étourneaux, et le hasard les protégea, car il arrivèrent juste assez à temps pour profiter d’un train.

–C’est égal, fit Canulard à ses amis, au moment où la locomotive sonna le boute-selle, les chats tenaient tout à l’heure nos personnes, et.

–Assez, assez, crient les jeunes gens, tu es à l’amende d’une bouteille de Champagne, pour cette infamie.

Maintenant qu’on était hors d’atteinte, on rit beaucoup de l’aventure, et le voyage de retour s’accomplit sans incidents dignes de remarque.

La jeunesse d'une femme au quartier latin

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