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Table des matières

La paix générale, dès le jour où la nouvelle des préliminaires de Londres en apporta l’assurance aux Tuileries, avait réveillé le désir, toujours vif et présent, de faire connaître au public la convention avec le Saint-Siège. Ce n’était pas la première circonstance favorable qui avait semblé se présenter. Si, au mois d’août, il avait été matériellement praticable de profiter de l’Assomption pour échanger les ratifications et en révéler le sens, Bonaparte aurait beaucoup sacrifié à la promptitude; il aurait consenti à souffrir quelques indices de précipitation, pour ménager à son œuvre religieuse l’appui et le couronnement d’une fête aussi mémorable. Il avait suffi d’un retard de peu d’heures dans l’envoi d’un courrier, pour faire évanouir cette espérance, à supposer que, faute de temps, elle n’eût pas été illusoire et impossible à réaliser. Depuis, Bonaparte avait attendu une occasion nouvelle, sans rêver cette fois d’en faire usage avant que tous les préparatifs fussent réellement achevés. C’est ainsi que le 1er vendémiaire il avait laissé passer la fête de la fondation de la République: il comptait maintenant sur la journée du 18 brumaire.

Un anniversaire, même quand la célébration d’un événement aussi considérable que la paix générale devait en augmenter la solennité, n’était qu’une des conditions de publicité que Bonaparte se proposait de rencontrer. Une autre, aussi nécessaire à ses yeux, serait de dévoiler le régime religieux, tout d’un coup, dans son ensemble et d’une seule pièce.

Ce plan s’était mûri depuis longtemps dans son esprit. Il en avait même entretenu plusieurs fois Mgor Spina. Cette grande affaire du rétablissement du culte en France, telle qu’il l’envisageait et telle qu’elle s’avançait à sa conclusion, devenait de plus en plus son œuvre personnelle. Convaincu qu’elle était au rang de ses premiers devoirs, il en avait pris hardiment l’initiative: maintenant, au milieu de l’indifférence d’une partie notable de la nation, du mauvais vouloir de la plupart des membres du gouvernement, il s’attachait à la pensée que seul il pouvait continuer à la diriger et la conduire à terme. Les pouvoirs à cet effet ne lui faisaient pas défaut: il n’avait pas à les chercher; il les trouvait sous sa main. Le régime du culte catholique antérieur à la Révolution était réglé par de grandes ordonnances de la monarchie, telles que celles d’Orléans, de Moulins, de Blois, de Melun, celle de 1695, d’autres plus circonscrites et moins connues: le régime nouveau ne devait-il pas être réglé par les mêmes moyens? Sans hésiter, Bonaparte regardait ces actes de gouvernement comme dépendant de la part de souveraineté dont le chef de l’Etat était resté en possession: il en avait hérité de ceux qui l’avaient précédé ; il en devait compte à ceux qui seraient ses successeurs. Il est évident que le Premier Consul ne pensait aucunement à ce titre d’évêque «extérieur» dont les générations précédentes avaient flatté la royauté, titre d’ailleurs qui n’avait jamais eu que le sens d’un simulacre et qui était au nombre des destructions qui ne pouvaient être regrettées. Il puisait son autorité spéciale dans le droit ecclésiastique établi en France depais des siècles et qui avait cours dans les Etats chrétiens. Il s’en était donc nanti, et montrait que l’heure était venue de l’exercer pleine et entière.

Cette action traditionnelle du législateur comportait maintenant d’autant plus d’étendue, que l’organisation religieuse elle-même s’était beaucoup développée et élargie. Le principal caractère de cette organisation dans la France d’aujourd’hui n’était plus le même que celui d’autrefois, quand la monarchie ne reconnaissait que l’exercice d’une religion unique et exclusive. La philosophie du siècle avait mis en honneur et revendiqué la pluralité des cultes; la Révolution l’avait établie dans la législation, toutes les fois qu’elle n’avait plus tenté d’anéantir les croyances chrétiennes. Il s’était formé de la sorte un nouveau principe de droit public, principe supérieur sur lequel les institutions religieuses actuelles devaient reposer et s’élever. Désormais leur fondement véritable était la liberté des cultes. Une pareille innovation n’aurait évidemment pas été dans le cas d’être négociée avec la Papauté, qui peut tolérer en silence que des autels dissidents se dressent en face des autels catholiques, mais qui jamais ne pourrait s’y prêter ouvertement, par des actes écrits ou des paroles formelles. On l’avait vu au mois d’avril dernier, lorsque le projet de convention avec le Saint-Siège rédigé par le gouvernement, avait été envoyé à Rome: la mention d’ «autres cultes», qui était apparue au milieu de variantes accommodantes proposées par Bernier, avait été aussitôt effacée par les cardinaux chargés d’un examen préliminaire. Au fond elle était déjà devenue superflue, puisque Talleyrand, pour qualifier le catholicisme, avait de bonne heure fait substituer au titre de «religion dominante», celui de «religion de la grande majorité des citoyens» ; ce qui, à tout prendre, réservait implicitement le droit de la minorité non catholique. En outre il avait, à deux reprises, confié à son auxiliaire dans ces questions, à d’Hauterive, le soin de préparer pour le Premier Consul un système qui permettait à toute association religieuse de se faire autoriser et protéger, moyennant certaines garanties offertes au gouvernement, et d’aller ainsi jusqu’au bout de la liberté des cultes.

En réfléchissant sur ce projet accessoire de son ministre, Bonaparte avait décidé aussitôt d’y apporter des restrictions. Tout en reconnaissant qu’un des grands principes de la société moderne est la liberté des cultes, il n’admettait pas que, dans l’application, elle fût indéfinie comme la liberté de conscience d’où elle dérive. Non seulement il ne regardait l’église constitutionnelle que comme une simple déviation qui devait être redressée, mais la véritable diversité, celle qui se retrouve dans les croyances et les pratiques, lui semblait une cause de division et de trouble qu’il ne convient pas de multiplier sans nécessité dans l’État. Or cette nécessité, imposée par les idées nouvelles, il ne l’a jamais aperçue réellement que dans l’autre culte chrétien, celui des protestants. Ce n’était pas qu’il négligeât la religion juive, qu’il méconnût en elle l’ancêtre du christianisme; mais il voyait s’élever contre ses sectateurs tant d’animosités, qu’il jugeait politique de renvoyer à un avenir indéterminé cette organisation particulière, que le petit nombre de juifs en France ne rendait pas urgente. Ainsi les deux cultes chrétiens, et un troisième, prévu mais différé, c’était tout ce que la liberté des cultes devait comporter pour le présent. Il est vrai qu’avec moins de circonspection, on n’en aurait pas trouvé alors un quatrième en exercice. En effet, les cultes révolutionnaires, outre qu’ils avaient été créés en opposition avec les dogmes chrétiens, et n’auraient pu sans scandale et conflit être maintenus à côté d’eux, étaient frappés de mort ou tombés dans un discrédit irrémédiable. On a vu que quelques observations de Spina dans son audience de congé, le 30 septembre, avaient provoqué l’assurance du Premier Consul que les derniers vestiges matériels des fêtes de l’Être suprême ou de la Raison allaient disparaître, et que les lieux publics seraient interdits aux théophilanthropes, ce qui revenait à dissoudre leurs réunions. Quant aux cérémonies décadaires, qui étaient instituées par une loi, il semblait préférable de laisser agir la concurrence du dimanche et des saints de l’ancienne semaine, pour amener, par le mépris et l’abandon, le moment opportun de l’abrogation légale.

Puisque la liberté des cultes devait être mise en évidence par l’organisation de la religion protestante, placée en pendant et sur la même ligne que celle de la religion catholique, Bonaparte n’avait attendu que la signature du Concordat pour faire recueillir des renseignements auprès de protestants notables. Le ministre de l’intérieur, Chaptal, devait les appeler de province, à moins de les trouver en nombre suffisant, réunis à l’avance à Paris, et là leur poser des questions, dont plusieurs, sur la hiérarchie des ministres protestants, leurs moyens d’existence, leurs relations avec l’étranger, étaient dictées par le Premier Consul lui-même. Cette enquête n’ayant pas été conduite par Chaptal avec la célérité voulue, le soin d’en faire le rapport avait passé entre les mains de Portalis, dont le titre de conseiller chargé des cultes était devenu la première manifestation officielle de la pluralité des cultes, introduite dans le nouveau code religieux. La réponse du groupe de protestants formé en ce moment à Paris, avait paru animée d’un désir d’entente d’autant plus large et facile, que les démarches faites envers eux devaient exciter dans ces esprits, aigris par la persécution, une agréable surprise. «Nous craignions, écrivait Portalis le 24 octobre, de trouver en eux des contradicteurs; nous n’en aurons fait, je l’espère, que des obligés et des amis.» A la suite d’une conférence tenue avec eux le 26, et d’entretiens avec le Premier Consul, il avait rédigé un projet d’organisation de leur culte, où il s’appliquait à tracer pour les deux églises, calviniste et luthérienne, des règles communes et uniformes, dont quelques-unes étaient même empruntées au projet en préparation pour le culte catholique. Les consistoires étaient maintenus à peu près dans l’état où ils venaient de se reconstituer d’eux-mêmes; les pasteurs, qui venaient aussi de reparaître spontanément, étaient provisoirement confirmés. Avec ces éléments fondamentaux, l’établissement des protestants, quoique sujet à revision, pouvait dès à présent faire figure à côté de celui dès catholiques, sans que la comparaison fît ressortir un contraste ou une exception pouvant déplaire.

En réalité, toutefois, c’était le catholicisme que Bonaparte avait vraiment en vue, quand il avait exprimé, à diverses reprises, la volonté ferme, invariable, de ne faire connaître le rétablissement du culte que complet et dans toutes ses parties. Précisément parce que la religion catholique était celle, au moins nominale, de la nation presque entière, contemporaine de ses premiers âges, professée par les Consuls, encore dominante en fait, sinon en droit, elle était celle qui devait reprendre place parmi les institutions de la France refaite et réorganisée. Dans l’édifice religieux elle paraissait comme le corps principal, dont le protestantisme serait une simple annexe. Mais si le Premier Consul, avec son esprit juste et pénétrant, avait compris que le Saint-Siège devait concourir à cette tâche, à la fois sociale et religieuse, il lui paraissait néanmoins nécessaire que l’intervention du chef de l’Eglise ne fût pas exagérée ou dénaturée. Le Concordat n’était pas un ouvrage ultramontain, consacrant en France l’autorité souveraine de la Papauté. Il ne devait pas paraître sous cet aspect, qui aurait singulièrement accru le nombre déjà certain de ses adversaires. Pour prévenir une pareille méprise, il fallait que tout ce qui devait accompagner cette convention, en fixât le sens et la portée. Lorsque Bonaparte avait décidé de donner au rétablissement du culte catholique un caractère imposant, ou, selon son propre langage, l’éclat d’un coup de théâtre, retentissant au milieu d’une journée de fête, il s’était proposé moins de saisir et de captiver les esprits par les formes solennelles d’un traité passé avec le Saint-Siège, que par le vivant spectacle de l’église gallicane, remise en activité avec tous ses organes et reprenant aussitôt son rôle traditionnel dans la société française. Cette impression d’ensemble, conforme à l’importance du traité et, d’autre part, propre à prévenir les critiques de détail et les reproches sans fondement, ne pouvait être obtenue que par la connaissance simultanée de tout ce qui restait à faire: par le règlement qui compléterait le régime ecclésiastique, par la circonscription remaniée des diocèses, par le renouvellement de l’épiscopat, qui, en excluant les royalistes, en admettant quelques constitutionnels, porterait un coup évident, peut-être décisif, au schisme et à la monarchie des Bourbons.

Pour que cet ensemble, particulier au catholicisme, pût être prêt pour la date du 18 brumaire, c’est-à-dire du 9 novembre, il importait de se hâter. Entre cet anniversaire et le 3 octobre, jour où les préliminaires signés à Londres avaient pu être connus à Paris, l’intervalle n’était que d’un mois. Bonaparte s’était donc appliqué activement à un ouvrage devenu si pressant. En même temps que le règlement sur les églises protestantes, celui sur le clergé catholique avait été mis à l’examen. C’était même la partie la plus urgente de l’établissement religieux, celle qui non seulement restait de beaucoup prépondérante en France, mais celle dont les divers éléments étaient alors assez rassemblés sous la main, pour qu’il fût possible d’en commencer utilement l’étude.

Histoire du rétablissement du culte en France (1802-1805)

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