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AVANT-PROPOS

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Table des matières

Les difficultés qui ont ralenti et embarrassé la négociation du Concordat se renouvelèrent quand il s’est agi de l’appliquer; de nouveau elles ont mis en jeu les caractères de Pie VII et de Bonaparte, tels qu’ils s’étaient montrés dans leur diversité et leur opposition.

L’assimilation des conventions internationales avec les lois, prévue et exigée par la constitution, obligeait le Premier Consul à soumettre le Concordat à l’examen du Tribunat et au vote du Corps législatif. Dans ces deux assemblées siégeait une majorité hostile à un accord avec la Papauté ; en particulier les législatenrs, choisis dans les rangs d’une bourgeoisie appelée de toutes les parties de la France, reflétaient les différences locales qui se remarquaient dans le sentiment religieux de chacun, et où dominaient encore l’esprit de la philosophie et l’habitude de l’indifférence. Cette résistance contre le Concordat, connue à l’avance, était compliquée alors par une lutte politique, engagée contre l’ambition grandissante du Premier Consul. Pour soutenir ce conflit, devenu personnel, Bonaparte n’avait d’autres moyens légaux que l’article de la constitution qui renouvelait chaque année par cinquième la composition des deux assemblées, et la faculté de suspendre la proposition de tous les projets de loi, de les renvoyer, à son gré, à une autre session, soit ordinaire, soit supplémentaire. Une réunion supplémentaire ayant été convoquée pour le mois d’avril, Bonaparte eut l’idée, au dernier moment, de mieux assurer le succès de la loi du Concordat, en y faisant entrer les règlements préparés depuis plusieurs mois sur les cultes chrétiens. Ainsi la loi projetée devait désormais être composée de trois parties: le traité avec le Saint-Siège formait la première, les règlements sur les cultes catholique et protestants suivaient comme étant les deux autres. Sans doute ces règlements perdaient ainsi le caractère d’arrêtés consulaires; mais cet abandon d’une part d’autorité dont le Premier Consul était d’ordinaire si jaloux, outre qu’il devait être exceptionnel et momentané, avait l’avantage évident d’obliger ceux qui repousseraient le Concordat à se prononcer en même temps contre les vieilles libertés gallicanes, sanctionnées par les articles sur le culte catholique, et contre le principe nouveau de la pluralité des cultes, inauguré par les articles sur les cultes protestants. Il n’y avait là qu’une manœuvre contre les adversaires présumés du Concordat; il n’était pas entré dans la pensée du Premier Consul que la loi votée le 18 germinal an X, dont l’unique objet était de rendre nécessaire l’adoption du Concordat, pût être mal interprétée et même complètement dénaturée à la cour de Rome; et c’est cependant ce qui allait arriver.

A peine cette loi était-elle connue, et d’abord sous la forme de projet imprimé, qu’un bruit, répandu jusqu’à Rome, prêtait à Bonaparte le calcul insidieux de représenter le Pape comme ayant collaboré à celle des trois lois qui organisait le culte catholique. Ce faux bruit venait surtout d’Allemagne, quoiqu’en France il ait été partagé un moment par Caprara, abusé par une première impression, dont il reconnut aussitôt le caractère soudain et irréfléchi. Il a fallu que dans l’entourage du Pape on se fît une opinion bien exagérée de la crédulité publique, pour qu’une illusion aussi invraisemblable ait pu séduire et troubler les esprits. Cependant Cacault, à Rome, avait, sans hésiter, pris sur lui d’affirmer que les articles organiques ne pouvaient être que l’œuvre personnelle et sans partage de Bonaparte; et peu après, Portalis, dans un mémoire officiel, devait écrire: «Le Concordat est un traité ; les articles organiques sont une loi: il est impossible de confondre des objets qui ne se ressemblent pas.» Ce qui est surprenant, c’est que le discours de ce même Portalis sur l’organisation des cultes, ait été signalé pour deux passages paraissant confirmer pleinement la supposition dont le Pape se plaignait. On verra qu’ici encore, la transformation trop tardive en loi des arrêtés primitifs sur les cultes, explique ces phrases malencontreuses, dont Portalis n’a certainement pas saisi la portée. On verra aussi que, dans l’allocution du 24 mai annonçant le Concordat en consistoire, le Saint-Père, sous l’émotion de ce qu’il se voyait imputer, s’est attaché à définir la part véritable qu’il a prise dans les actes rétablissant le culte catholique, et à exclure par là tout ce qui ne lui appartenait pas. Sans cette urgente préoccupation de marquer où s’arrêtait réellement sa responsabilité, n’est-il pas vraisemblable que Pie VII se serait renfermé dans le système de tolérance passive, adopté pendant si longtemps à l’endroit des ordonnances royales qui ont réglé le culte, et même à l’endroit de l’édit de Nantes qui accordait à l’hérésie une condition légale? Il n’avait pas été, du reste, sans prévoir ce nouveau règlement, rédigé en dehors de lui; et quand, dans son allocution, il a parlé d’articles «à nous inconnus», il n’a pu se référer qu’au sens et à la teneur de ces articles, non à leur existence, qu’une série d’indices et même une communication directe faite à Caprara, lui avaient successivement révélée. Après tant de rumeurs trompeuses sur l’origine et la provenance de la loi de germinal, le Pape ne pouvait suivre l’exemple du passé, en se contentant du silence; il se sentait tenu en conscience d’annoncer publiquement des réclamations contre la loi organique. Il l’a fait avec mesure, en recourant à l’intermédiaire conciliant du légat, et, sans arguer la loi de nullité, s’est borné à demander des corrections. On verra quel a été le sort des réclamations, et comment, après les avoir reproduites en personne à l’occasion du voyage pour le sacre, le Pape a dû abandonner cette voie sans issue, et revenir à l’ancienne pratique de supporter ce qui ne se pouvait empêcher.

Le dissentiment avec Rome à propos de la loi organique n’a pas été le seul; il a été singulièrement aggravé par un désaccord contemporain sur la manière d’éteindre le schisme. Le lendemain du 18 brumaire, Bonaparte, trouvant le clergé divisé, avait voulu se conformer à son égard au principe de rapprochement et de fusion, d’où il faisait sortir la société nouvelle. Dans les ecclésiastiques constitutionnels il avait vu, non les survivants d’une doctrine dépérissante et incapable de se ranimer, mais des hommes défendus par une foule de partisans de la Révolution, parce qu’ils avaient obéi à ses lois et restaient fidèles à ses maximes. Il lui avait paru tout ensemble politique et équitable de les protéger. Quand, ayant conclu le Concordat, il eut besoin de leurs démissions, il avait cru les rendre plus faciles en sollicitant le Pape de les y exhorter charitablement, comme il faisait pour les évêques légitimes. Cette précaution était demeurée inutile, les constitutionnels s’étant d’eux-mêmes démis de leurs sièges, sans faire intervenir directement la cour de Rome dans ce sacrifice, en apparence volontaire. Les choses sans doute en seraient restées là, si, pour consommer la disparition du schisme, le Premier Consul ne s’était persuadé qu’il fallait amalgamer les deux clergés dans les paroisses et les diocèses, et, pour commencer, mêler quelques consitutionnels au nouvel épiscopat. Il croyait s’appuyer ainsi sur des précédents, dont il connaissait imparfaitement le détail et s’exagérait singulièrement la portée. Cette procédure une fois adoptée, il allait s’y tenir avec la persévérance la plus tenace. Or il rencontrait une vive répugnance chez le Pape, qui, après avoir résisté de son mieux, n’avait cédé que moyennant plusieurs conditions, déclarées également indispensables. A la soumission aux jugements de l’Église sur les affaires ecclésiastiques de France, c’est-à-dire aux brefs de Pie VII contre la Constitution civile du clergé, qui était déjà réclamée comme nécessaire pour la réconciliation ordinaire et courante des constitutionnels, le Saint-Père avait ajouté pour les candidats aux sièges d’autres demandes: l’exclusion des chefs de secte, et en général de ceux qui seraient reconnus indignes; l’obligation de désavouer toute participation au dernier concile et aux synodes qui en avaient préparé la réunion à Paris. C’était infliger aux constitutionnels une humiliation qui, bien que dénuée de pénitences, leur paraissait insupportable; ils la repoussaient d’autant plus obstinément qu’ils se sentaient soutenus par le Premier Consul, qui déclarait suffisante la simple adhésion au Concordat et ne voulait entendre à aucune rétractation. Naturellement Portalis avait fini par tenir le même langage que le maître. En vain le légat, dans l’espérance de voir abandonner les constitutionnels, avait-il essayé de laisser dans le doute l’autorité qu’il avait reçue de l’aire exécuter les conditions de nomination imposées par le Pape aux constitutionnels, puis celle de les faire profiter du droit d’institution, qui lui avait été attribué exceptionnellement en faveur des nouveaux évêques. Entraîné par une sorte de surprise à convenir de cette double délégation, Caprara s’était, par contre, déclaré résolu à la remplir dans toute sa rigueur. On verra comment, après avoir renoncé à écarter les constitutionnels qu’il estimait le moins acceptables, il a été dupe d’un subterfuge et a pu instituer sans qu’il y ait eu rétractation. Le Pape ne tarda pas à être détrompé par des pamphlets injurieux, où plusieurs de ces évêques se vantaient hautement de n’avoir pas renié leur passé, et par leur conduite dans leurs diocèses prouvaient qu’en fait ils n’avaient aucunement renoncé à leurs erreurs. La douleur du Pape fut extrême; sa conscience lui reprochait une condescendance où il voyait l’origine d’un manquement si scandaleux aux lois de l’Église. Au milieu de cette peine et de cette sorte de remords, il se demandait s’il n’avait pas le devoir de traiter ces évêques comme des relaps, et de leur interdire la juridiction. Aussi, quand il se décida à se rendre en France pour le sacre, il rangea au premier rang des avantages religieux qui pouvaient compenser un service si éclatant, la promesse que ces obstinés ne seraient plus appuyés, s’ils étaient mis en demeure de souscrire la rétractation à laquelle ils prétendaient s’être toujours soustraits. On verra dans quelle mesure cette espérance a pu être réalisée; comment elle ne l’a pas été sans effort et sans l’arrière-pensée que leur sincérité n’était pas complète.

Ainsi, tandis que Bonaparte réussissait, surtout par la force de son prestige personnel, à imposer le Concordat aux assemblées qui ne l’approuvaient pas, deux épreuves se mêlaient à la joie du Pape, pendant qu’il assistait au rétablissement du culte catholique en France. L’une a été la surprise de se voir attribuer une part dans les articles organiques compris dans la loi qui sanctionnait le Concordat, et par suite l’obligation de réclamer publiquement contre ces articles auxquels il restait étranger. L’autre est venue du chagrin qu’entretenait l’attitude des constitutionnels nommés et institués dans de nouveaux sièges, et se faisant gloire de n’être jamais revenus de leurs égarements. Le premier de ces sujets d’affliction a dégénéré bientôt en cette patience prolongée et cette sorte d’accoutumance silencieuse, qui s’est perpétuée pendant la monarchie sur le régime du culte catholique. Le second n’a eu qu’un temps; mais s’il n’est pas devenu durable, il a du moins infligé une douleur beaucoup plus cruelle à la piété scrupuleuse de Pie VII et au sentiment profond de ses devoirs essentiels envers l’Église.

Histoire du rétablissement du culte en France (1802-1805)

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