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III

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Table des matières

Pendant les journées qui restaient à courir avant le 18 brumaire, tous les préparatifs se rapportant à la religion s’effectuaient en même temps. Ainsi la réception du légat avait été étudiée dès son arrivée; elle était le préliminaire obligé de l’exercice de ses fonctions, qui, selon les usages gallicans, ne pouvait autrement devenir permis et régulier. Un mémoire proposant les formalités et le cérémonial avait été rédigé sur-le-champ par Bernier, dont l’activité avait reçu d’abord cette occupation flatteuse: ce travail était fondé sur la double qualité dont Caprara venait de s’annoncer revêtu. Dans une première audience, de forme ordinaire, le cardinal présenterait à la fois ses lettres de créance comme nonce et sa bulle comme légat. Les lettres seraient remises sur place à Talleyrand et, à peine vérifiées par lui, permettraient à Caprara d’user sans délai des pouvoirs purement diplomatiques de sa nonciature. Quant à la bulle, comme elle ne pouvait être reçue sans l’examen approfondi, exigé par la coutume et bientôt par le règlement, elle passerait entre les mains de Portalis; et, sur son rapport, un arrêté des Consuls rendu en Conseil d’État, en autoriserait l’exécution. Cet arrêté serait lu dans une seconde audience, nécessairement retardée, qui serait publique et solennelle: Caprara devrait y prononcer le serment d’usage et y être définitivement admis en qualité de légat a latere. Ce système de deux audiences successives ne pouvait être agréé par Bonaparte. Outre que les lettres de nonciature ne devaient sans doute pas échapper au placet, il ne convenait pas de mettre le cardinal en mesure d’agir comme nonce dans la moindre de ses deux qualités, avant de pouvoir agir dans la principale comme représentant la personne du Pape. La bulle, envoyée directement à Portalis, a en effet été l’objet d’un rapport, remis dès le 15 octobre au Premier Consul. Portalis se bornait à rappeler avec plus de détail les usages cités sommairement par Bernier, et à en reproduire les principaux dans un projet d’arrêté qui devait être soumis au Conseil d’État.

La réception du légat était donc ajournée par nécessité ; mais, par nécessité aussi, ses travaux apostoliques devaient commencer sur-le-champ, en fait, sinon en droit.

Lors de sa visite du 6 octobre aux Tuileries, Caprara avait été invité à se concerter au plus tôt avec Portalis sur la plainte que les évêques constitutionnels venaient d’élever à propos du bref qui les pressait de descendre de leurs sièges usurpés, de ce bref où Spina avait pris sur lui d’insérer la rétractation. L’entretien avec Portalis avait eu lieu le lendemain: on avait discuté, sans parvenir à s’entendre, sur les termes de cette rétractation, que le Premier Consul, avant même de la connaître, avait déclaré ne vouloir jamais admettre. En apprenant la démarche du légat, les évêques restés à Paris depuis leur concile avaient craint de paraître obéir au bref et de confesser l’illégitimité de leurs fonctions, s’ils en faisaient un abandon pur et simple; ils avaient aussitôt rédigé des démissions en forme particulière, témoignant hautement qu’ils faisaient le sacrifice volontaire d’un épiscopat parfaitement valable. Leur hâte était si grande, que dès le 12 octobre le Moniteur enregistrait quarante et une de ces démissions. Elles étaient, pour le plus grand nombre, destinées aux métropolitains, parce que c’était par eux que les institutions canoniques avaient été conférées: selon le conseil de Grégoire, aucune n’était adressée au Pape.

La demande des démissions n’avait pas été faite par le gouvernement, ce soin ayant été réservé à Pie VII, au cas où les évêques n’en auraient pas pris l’initiative; pourtant l’insistance que le Premier Consul avait mise à obtenir un bref à leur intention, l’obligeait à s’entremettre pour régler la manière dont ces démissions seraient annoncées à Rome. Portalis, n’ayant pu faire fléchir le légat, prit le parti de s’entretenir directement avec les évêques qui venaient de se démettre. Comme, guidé par Bonaparte, il se joignait à eux pour repousser tout désaveu, on ne discuta qu’un simple avertissement de déférence envers le Saint-Siège. Après de laborieux essais de rédaction, on s’accommoda d’une formule qui, soit clairement, soit sous un voile transparent, permettait aux constitutionnels de prétendre que leur épiscopat était irréprochable. Les démissions furent présentées comme entièrement «libres» ; l’obéissance et la soumission au Pape furent déclarées conformes «aux canons et aux saints décrets de l’Eglise». Les évêques adhéraient à la convention religieuse, mais se bornaient à une profession en ces termes: «Notre foi est celle des Apôtres. Nous voulons tous vivre et mourir dans le sein de l’Eglise catholique, apostolique et romaine, et dans la communion du Saint-Siège, centre de l’unité.» A ces protestations, qui n’impliquaient ni regret ni désaveu du passé, Grégoire et Moïse avaient fait quelques additions, accentuant encore leur caractère, qu’ils prétendaient vraiment épiscopal.

Lorsque Caprara reçut ces formules captieuses pour les transmettre à Rome, il affecta de ne faire que cette courte réponse: «J’ai reçu, Monsieur, le papier que vous avez joint à la vôtre. Je m’empresse de vous assurer que j’en ferai l’usage convenable; en attendant, que j’ai l’honneur d’être, etc.» L’évêque devenait un «monsieur» et la démission «un papier». En vain Portalis, pour compenser une sécheresse aussi peu conciliante, avait-il, de son côté, adressé un accusé de réception aux «révérendissimes évêques», accompagné d’un éloge de leurs personnes, l’irritation des constitutionnels avait été extrême. Elle s’était même avivée pendant les visites, le plus souvent individuelles, que ces mécontents avaient continué à rendre au légat sur le conseil de Portalis. Non seulement elles ne leur avaient pas été rendues, mais à plusieurs reprises, notamment le 13 octobre, le légat, ayant entrepris de convaincre ses visiteurs de la nécessité de se prêter aux satisfactions indiquées dans le bref, s’était attiré la réplique que les sièges occupés en 1790, même quand les titulaires étaient vivants, étaient réellement vacants, puisqu’ils avaient été déclarés tels par la loi, et que la juridiction des nouveaux évêques était aussi pure que celle des anciens. Le légat avait même vu, le 20 octobre, l’intrus de Paris, Royer, se livrer à la bravade de se présenter à lui en habits épiscopaux et suivi de son clergé. Pris en corps et comme parti, les constitutionnels se montraient encore plus sûrs d’eux-mêmes. Grégoire, parlant au nom du groupe des Réunis, aurait voulu que le bref, qu’ils trouvaient si inconvenant, fût interdit par le gouvernement qui ne l’avait pas examiné et reçu; il en avait écrit le 18 octobre à Portalis, sans pouvoir en obtenir une réponse selon son désir. Il oubliait que Bonaparte avait commencé par manifester sa satisfaction pour les sentiments charitables, exprimés par le Pape; il est vrai que c’était après une première lecture du bref, avant que Spina y eût reproduit la demande jusque-là suspendue de la rétractation. Par contre, les évêques constitutionnels essayaient de faire appel à l’opinion contre le Saint-Siège. Le numéro de leurs «Annales» paru le 31 du mois, racontait leurs entrevues avec Caprara sur le ton de l’ironie et de la dérision. «On ne parle pas d’absolution, disait le récit, à des gens qui n’en veulent pas, qui ne se repentent pas et qui sont bien décidés à ne pas changer de conduite.» Un pareil langage visait à rendre le cardinal ridicule.

Peu de jours après, les évêques constitutionnels restés en province faisaient parvenir à Paris des démissions semblables. Tous avaient cherché à se créer un mérite par le prompt abandon de fonctions qu’en réalité ils n’étaient plus capables de remplir. L’épiscopat schismatique, demeuré en place, aurait pu faire obstacle à la réorganisation religieuse; il se trouvait ainsi supprimé. Le gouvernement recueillait cet avantage sans avoir eu à intervenir d’une manière ostensible, et en s’abstenant de mesures que les circonstances présentes auraient rendues très impolitiques.

Ce n’était qu’un premier pas dans une voie qui restait encore embarrassée de difficultés, dont la principale était la part réservée par Bonaparte aux constitutionnels dans les nouveaux sièges. Jusqu’ici cette question si grave n’était qu’indiquée: la solution n’en avait pas encore été donnée à Rome. Il importait d’autant plus de la connaître, qu’elle risquait d’entraver la publication du concordat.

Néanmoins pour le moment, la principale entrave paraissait venir des démissions des évêques légitimes. Les réponses de ces évêques, que le Saint-Père s’était chargé de recueillir, étaient très en retard: à Rome, sur cette affaire, beaucoup de temps avait été perdu, des imprudences et même des maladresses avaient été commises.

Les lenteurs avaient d’abord tenu à des doutes sur la ratification du Concordat par Bonaparte. Talleyrand n’avait-il pas annoncé qu’elle serait refusée, si les brefs réclamés de Rome étaient rédigés «de manière à blesser l’honneur et la sensibilité des ecclésiastiques français» ? et Bernier n’avait-il pas insisté dans un sens semblable? Mais, comme on l’a vu, l’incertitude apportée à Rome par cette menace n’avait pas été de longue durée. Les ménagements que la prudence de Consalvi avait fait insérer dans les brefs, surtout dans celui destiné aux évêques constitutionnels, avaient été si indulgents, qu’on n’avait pas été surpris d’apprendre à Rome, dès le 11 septembre, que Bonaparte s’en était montré satisfait, puis, dix jours plus tard, qu’il avait souscrit sa ratification. La mise en demeure des titulaires émigrés d’avoir à se démettre était aussitôt devenue possible; elle l’avait été à Paris du jour même de l’échange des ratifications, à Rome du jour où la nouvelle de cet achèvement était parvenue; toutefois la suite de cette opération essentielle avait été singulièrement mal comprise et dirigée.

On avait eu le tort de commencer par l’Angleterre. Sans doute ce pays était le plus rapproché de Spina, celui où les demeures des évêques émigrés étaient le plus groupées et le mieux connues; Londres cependant, où ils étaient réunis pour la plupart, était le foyer le plus probable d’opposition; on devait prévoir que de là se répandrait l’exemple de la résistance religieuse et politique. Il aurait été sage d’ajourner l’envoi du bref à ces évêques, qu’on était sûr d’atteindre sans peine, et autant que possible, de finir par eux.

Les autres contrées, comme l’Espagne et surtout l’Empire, étaient celles où il aurait fallu agir dès le début. Peut-être aurait-on pu y prévenir moins difficilement les manœuvres royalistes; en tout cas on s’y serait ménagé le temps de lutter contre une cause certaine de lenteur, contre la difficulté des communications. Elle était là plus grande qu’ailleurs. On hésitait, en effet, sur les séjours actuels des évêques français, qui en avaient plusieurs fois changé ; et les moyens de correspondre avec eux y étaient singulièrement imparfaits. On pouvait en dire encore plus des pays voisinant l’Allemagne, de la Prusse et de la Russie, qui, fermés par mesure générale devant l’Émigration, ne s’étaient entrouverts que pour quelques prélats privilégiés. De tous ces divers côtés, la distribution du bref Tam multa aurait dû être d’autant plus promptement ordonnée, qu’elle devait subir des délais inévitables. Cependant, pouvait-on le croire? elle n’y était pas encore commencé. Mgor della Genga, nonce à Ratisbonne, attendait toujours les exemplaires authentiques du bref; à Madrid, le nonce, Mgor Casoni, bien qu’averti à l’avance par une lettre de Spina, ne pouvait faire qu’un usage timide d’une commission qui ne lui était pas encore adressée régulièrement de Rome. Car les envois aux évêques réfugiés ailleurs qu’en Angleterre, avaient été réservés et retenus par la chancellerie romaine; et le retard qu’elle continuait à apporter avec ceux mêmes qui vivaient dans le centre de l’Italie, et jusque dans la ville de Rome, semblait pour le moins étrange et sans motif apparent.

Pourtant un pareil retard ne pouvait être envisagé isolément; il avait un retentissement direct sur la bulle de la circonscription nouvelle. Pour se conformer exactement aux règles de l’Église, la suppression des diocèses supposait leur vacance; tous les sièges que la mort n’avait pas rendus libres, ne pouvaient le devenir que par la démission volontaire ou la destitution des titulaires actuels. Comme leur sort dépendait de leur réponse, tous auraient dù au plus tôt être interrogés officiellement, même ceux dont les diocèses étaient partagés par le cours du Rhin et à qui on ne demandait qu’une démission partielle, pour les paroisses situées sur la rive gauche du fleuve.

En attendant que de cette manière le territoire de la France, soit ancien, soit agrandi par la conquête, fût entièrement débarrassé de ses divisions diocésaines et qu’il devînt possible d’y tracer définitivement les diocèses nouveaux, rien n’aurait dû empêcher de les étudier et de les préparer à l’avance. Ce travail préliminaire avait été entrepris par Bernier; et il aurait sans doute été achevé par lui si, soumis à Talleyrand à l’état de simple aperçu, il n’avait été l’objet d’une inadvertance et emporté hâtivement, tel quel, par un courrier du ministre. A Rome, cette ébauche de bulle ne pouvait être complétée sans embarras et sans lenteurs particulières. Les cardinaux n’avaient pu s’en occuper avant d’avoir pourvu aux soins les plus pressés, à la ratification du Concordat et aux brefs qui devaient l’accompagner; quand ils avaient pu s’appliquer à ce nouvel ouvrage, ils s’étaient vus arrêtés à chaque pas par des difficultés nombreuses qui auraient dû leur être épargnées. Ils avaient été obligés d’en référer à Paris pour faire rectifier la liste des évêchés, dressée trop à la hâte et inexactement, puis pour réclamer des renseignements sur les limites de chacun des nouveaux diocèses, et sur les paroisses destinées à les composer. Ils devaient en outre se consulter et décider si, en consentant à comprendre Avignon et le Comtat dans la nouvelle circonscription, ils ne compromettraient pas tout droit à une indemnité pour la perte de ces anciennes possessions du Saint-Siège.

L’achèvement de la bulle pouvant se prolonger encore longtemps, l’imagination romaine avait cherché les moyens de diminuer les inconvénients de ce délai. On a vu qu’un de ces expédients était venu de Spina, qui, dans l’audience du 30 septembre, avait proposé au Premier Consul de remplir dès à présent les métropoles vacantes par mort, celles de Lyon, de Rouen, de Tours, auxquelles on pouvait adjoindre l’administration des évêchés voisins dont les titulaires n’étaient pas encore dépossédés. Quand la nouvelle circonscription aurait été mise en vigueur, ces prélats provisoires auraient été maintenus, soit en passant sur d’autres sièges, soit en conservant les mêmes avec les remaniements nécessaires de territoire.

Aucun de ces moyens termes ne pouvait satisfaire Bonaparte; il se refusait à toute nomination anticipée et demeurait fermement décidé à présenter l’épiscopat nouveau le même jour que le Concordat, comme un corps entier, vivant et agissant. Il fallait que cette résolution fût réellement inébranlable, puisque les conséquences s’en prononçaient plus clairement de jour en jour et que, devenues nuisibles, elles conduisaient maintenant à une incertitude croissante sur la date du 18 brumaire. D’un autre côté, depuis le 21 octobre, les retards prévus de la bulle étaient annoncés comme devant être de longue durée par les dépêches de Cacault envoyées de Rome.

Pour essayer de sauver la date du 18 brumaire, Bonaparte, comme dernière ressource, avait pensé à se servir de la personne du légat. Le 30 octobre, il lui fit remettre par Bernier une note, où, sous forme de questions, il l’invitait en réalité à se substituer au Pape. On lui demandait s’il pourrait certifier que la circonscription nouvelle serait admise à Rome telle qu’elle était proposée par le gouvernement; s’il pourrait aussi conférer l’institution aux nouveaux évêques ou, sinon, se porter garant qu’elle serait accordée par le Saint-Père, même si quelques-uns des élus étaient choisis dans l’église constitutionnelle? Assurément ces questions, dont la dernière était la plus importante, seraient devenues très embarrassantes, si Bonaparte, changeant d’avis, n’avait renoncé presque aussitôt à réclamer au légat les réponses. En conférant avec Portalis, il avait fini par reconnaître ce que Spina lui avait affirmé sans le démontrer suffisamment, c’est que les sièges ne peuvent être remplis avant d’avoir été érigés; que, sans la bulle de circonscription, les nominations épiscopales, quelles qu’elles soient, ne peuvent être régulières. Le 18 brumaire avait donc été abandonné ; il est probable, d’ailleurs, que les préparatifs de l’organisation religieuse, surtout en ce qui concernait les constitutionnels, n’auraient pas été assez avancés dans leur ensemble pour mettre cet anniversaire à profit. Le jour le plus rapproché qui s’offrait désormais était Noël; néanmoins, malgré l’espace de près de deux mois qui séparait de cette fête, il parut nécessaire de convaincre la cour de Rome que, dans ses réponses tant sur la bulle que sur la nomination des constitutionnels, elle devait renoncer aux habitudes d’une lenteur qui reprenait dès qu’elle n’était plus stimulée ou contrainte.

Bonaparte, se souvenant de la scène à laquelle il avait eu recours devant Spina pendant la négociation religieuse, lorsqu’il avait affecté de s’emporter contre les atermoiements apparents de la cour de Rome, jugea à propos de recommencer avec Caprara. Par son ordre, Portalis se rendit à la légation le soir du 31 octobre, à une heure tardive. Il venait avertir que le légat était attendu le lendemain à la Malmaison, et se mit alors, comme à l’avance, à énumérer et à détailler les griefs contre des délais qui contrariaient, disait-il, la politique du Premier Consul. De ces propos qui se prolongèrent, ressortait l’affirmation, nécessaire à renouveler, que les constitutionnels devaient avoir une part assurée dans le nouvel épiscopat. Le lendemain, Caprara, s’étant rendu avec Portalis à l’audience assignée, fut accueilli par des reproches ardents contre sa cour. Bonaparte se montrait très animé : on tentait de le prendre au piège en suspendant les demandes de démission; on voulait le traiter en enfant en persuadant au Pape de refuser l’institution aux constitutionnels. Comme après cet éclat, il semblait se calmer un peu, Caprara essaya de justifier l’entourage du Saint-Père. «Je n’admets pas les excuses, répliqua Bonaparte en l’interrompant; je ne fais d’exception que pour le Pape, envers qui j’ai respect et amitié.» Caprara ayant alors insinué que le meilleur témoignage de cette amitié serait d’ôter au Saint-Père la douleur de voir des constitutionnels parmi les évêques nommés: «J’en nommerai quinze, dit Bonaparte avec feu; je ne céderai pas d’une ligne sur cette résolution.» Il était disposé d’ailleurs à ne point désigner les chefs de secte; quant à des actes de soumission envers le Saint-Siège, «il y a, reprit-il, de l’orgueil à les demander, de la bassesse à s’y prêter.» Puis, devançant toute réponse, il s’étendit sur les conditions de l’institution canonique et finit en disant: «Les évêques ne font-ils pas la profession de foi et ne prêtent-ils pas serment au Pape?» Sur la réponse affirmative de Portalis, il continua: «Cette marque d’obéissance au Saint-Siège vaut bien mille soumissions.» Et, revenant aux retards de Rome et se tournant vers le légat: «Faites en sorte que la bulle de circonscription arrive tout de suite; que mes mesures n’aient pas le sort des brefs de démission, qui, à la date du 21, n’étaient parvenus à aucun des évêques émigrés en Allemagne.»

Ce fut la fin de cette orageuse audience du 1er novembre; toutefois, pour bien prouver au légat que sa personne n’était pas en cause, Bonaparte le retint à dîner, et dut même le faire dégager d’une invitation chez Joseph. Depuis 5 heures, qui était le moment ordinaire des repas, jusqu’à 10 heures dans la soirée, il parcourut avec lui tous les sujets politiques et d’économie publique. Au milieu de cette variété de langage qui suivait avec peine le mouvement précipité de sa pensée, quelques mots furent dits en passant sur la Romagne et même sur les Légations, sans qu’il fût possible d’en rien conclure.

Dans l’audience, pendant que Bonaparte s’élevait avec force contre tout le personnel du Saint-Siège, il avait nommé Spina. «Que fait-il donc ici?» avait-il dit, en revenant sur une insinuation qui remontait à son premier entretien avec Caprara et que celui-ci avait réussi à esquiver. Il était clair aujourd’hui qu’on avait hâte de voir le légat livré à lui-même, et d’écarter de lui les conseils d’une expérience qui connaissait les dehors et les dessous des affaires religieuses et qui à ses dépens avait appris à se diriger dans le monde consulaire.

Comme résumé des véhémentes déclarations du Premier Consul, une note en forme dut être préparée le 3 novembre. Portalis se plaignait de l’absence de la bulle de circonscription qui paralysait le gouvernement. «On ne peut nommer à des titres ecclésiastiques qui n’existent pas encore; et des règlements qu’on publierait avant l’existence du clergé pour lequel ils sont faits, ne seraient qu’un ouvrage d’ostentation. » Après ce préambule, où, comme on le voit, l’on parlait librement et officiellement à la cour de Rome du règlement sur le culte catholique, Portalis réclamait l’envoi immédiat de la bulle, sans attendre les réponses des titulaires, qu’il était inutile de connaître, puisque par leur silence ou leur refus ils ne pourraient empêcher la nomination de leurs successeurs. Ce nouvel épiscopat, dont il était déjà question, serait choisi parmi les évêques soit anciens, soit constitutionnels, et parmi les ecclésiastiques dépourvus de l’ordre épiscopal. A l’égard des constitutionnels, le Pape devait se souvenir que, d’après «les maximes de France», il est «collateur forcé » ; qu’il ne pouvait donc refuser l’institution canonique; qu’il serait d’autant moins fondé à la contester, que ces évêques n’ont fait qu’obéir aux lois, et aujourd’hui, en s’adressant au Pape pour se faire instituer, «ils rendent, par ce seul fait, un hommage solennel aux principes de l’unité catholique et reconnaissent l’état présent de la discipline.» Lorsque l’église gallicane sera ainsi nommée et instituée, le gouvernement veut qu’elle «sorte toute formée de ses mains, dans le même jour et pour ainsi dire dans le même instant» que la convention religieuse. Il «aurait désiré que la journée du 18 brumaire pût être consacrée à célébrer la paix de l’Église comme elle le sera à célébrer la paix de l’Europe». A défaut de cette date, le Premier Consul fait choix de Noël, et ne doute pas que le courrier qui va être expédié ne. rapporte la bulle, impatiemment attendue.

Cette note, dont l’objet le plus apparent était l’envoi à Paris, sans nouveaux délais, de la circonscription diocésaine, n’était pas moins importante par ce qu’elle disait des constitutionnels. Caprara fut invité par Portalis à la faire parvenir à Rome; mais, par crainte de paraître y donner ainsi une marque d’approbation, il crut devoir se récuser. Il fallut recourir à l’intermédiaire de Talleyrand et adresser la note à Cacault, qui, chargé de la notifier directement à Consalvi, reçut à cet effet une dépêche particulière de Portalis. En même temps que ce courrier de gouvernement, il partait pour l’Italie un autre messager, celui que Caprara avait fait préparer, et dont il résolut de se servir dans une circonstance grave où il jugeait indispensable de faire de son côté le récit des derniers incidents et d’y joindre ses conseils.

On retrouvait dans ces conseils la règle générale de conduite dont Spina s’était inspiré, quand, au mois d’avril, il avait envoyé à Rome le dernier projet de Concordat rédigé par le gouvernement. Il recommandait alors à sa cour de faire toutes les concessions pouvant s’accorder avec les lois de l’Église. Caprara, de même, essayait aujourd’hui de faire comprendre qu’il fallait seconder, en ce qu’elle avait de juste, l’ardeur du Premier Consul, impatient de publier au plus tôt l’organisation religieuse; que Consalvi devait envoyer à Paris la bulle des nouveaux diocèses sans attendre les réponses des titulaires des anciens; qu’il devait enfin se hâter de mettre ces titulaires en demeure de se prononcer. Le légat lui-même, au risque d’un double emploi, se décidait à faire distribuer le bref de démission aux évêques réfugiés dans l’Empire, et aussi en Espagne, où l’envoi en avait été simplement annoncé par Spina. Quant aux constitutionnels, il s’en tenait à ses instructions de la première heure, qui ne prévoyaient pas la nomination de ces évêques à de nouveaux sièges, et ne croyait devoir proposer aucun avis.

Histoire du rétablissement du culte en France (1802-1805)

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