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III

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Table des matières

L’application du Concordat, tout en étant l’objet avoué et certain de la mission de Caprara, n’en faisait pas exclure les affaires temporelles sur lesquelles le Saint-Siège devait s’entendre avec la France. Prises dans leur ensemble, ces affaires étaient de nature et d’importance très diverses. Celles qui avaient été confiées jusqu’alors à Spina avaient été rappelées par lui dans l’audience du 30 septembre. Les principales se rattachaient, soit aux conséquences encore subsistantes de la République romaine, soit au séjour encore présent des troupes françaises dans l’Etat pontifical: elles sortaient, il est vrai, de la classe des affaires courantes et journalières, mais comportaient simplement quelques instructions particulières, prudentes et précises. Il n’en était pas de même des difficultés de territoire. La cour de Rome y trouvait en ce moment un tel intérêt, qu’elle voulait s’en réserver à la fois la solution et la direction. Les pouvoirs qu’elle était dans le cas de conférer en cette matière ne seraient donc pas véritables; Rome regardait même comme une garantie utile, qu’ils parussent encore plus inefficaces qu’ils ne l’étaient en réalité. Pour les exercer, elle avait d’abord pensé à les ranger entièrement à part et à en rendre dépositaire un nonce qu’elle entretiendrait à Paris, à côté du légat. Elle avait cru que cette nonciature pourrait être attribuée à Spina, qui, de fait, était déjà nanti d’une autorité à peu près équivalente. Puis, on avait été retenu par la réflexion que ce serait placer Spina dans une situation fausse vis-à-vis de Caprara, et surtout l’exposer au mécontentement et au refus de Bonaparte. On s’était donc arrêté à une combinaison assez étrange, qui cumulait dans Caprara les deux qualités, cependant distinctes, de légat et de nonce. Il serait l’un pour le temporel et l’autre pour le spirituel. Le bref du 4 septembre, qui l’investissait solennellement de la légation, était accompagné d’un autre bref, daté de ce jour, qui lui conférait en même temps une nonciature ordinaire.

Ces précautions exceptionnelles avaient leur origine dans le traité de Tolentino, qui en 1797 avait distrait du Saint-Siège les légations de Bologne, de Ferrare, et celle de Ravenne, appelée plus communément la Romagne. Pie VI avait toujours regardé cette convention comme frappée de nullité, parce qu’elle était l’œuvre de la force des armes, et que la violence à laquelle il avait cédé lui avait ôté le droit de donner un consentement valable. Il en était d’ailleurs empêché par le serment solennel de maintenir l’intégrité de ses États. Le même raisonnement s’était continué sous le Pape actuel, qui avait dû mettre au rang de ses devoirs l’obligation de tout tenter pour rentrer en possession du pays cédé. Les trois provinces passaient pour les meilleures par la fertilité du sol et le nombre des habitants; elles passaient aussi pour indispensables par leurs ressources à l’existence même de la monarchie pontificale. C’est à ce titre que Pie VII, dès son avènement, les avait réclamées de la générosité de l’Empereur, qui les avait conquises sur les Français. La bataille de Marengo ayant renversé les situations militaires, il avait paru que la demande ne devait plus être adressée à Vienne, mais à Paris. Elle avait été toutefois ajournée, afin d’éviter le reproche de subordonner à des calculs territoriaux le rétablissement du culte catholique en France. Elle n’avait été portée au Premier Consul que lorsque le projet de Concordat avait paru à peu près sur pied, et que l’état des pourparlers de paix avec l’Autriche avait fait craindre une attribution définitive des Légations à la Cisalpine. L’attribution n’avait pas été faite par le traité de Lunéville; et, depuis ce moment, il avait transpiré que l’extension de la Cisalpine de ce côté rencontrait un adversaire chez Talleyrand, qui, par des vues politiques différentes de celles de Bonaparte, conseillait de ne pas compromettre la France dans l’agrandissement ou même dans le soutien de cette république, qui ne pouvait se passer de protecteur.

Quoi qu’il en fût de cette opposition présumée du ministre, le dernier mot sur le sort des Légations n’ayant pas été prononcé, Consalvi, lors de sa mission à Paris, n’avait pas renoncé à l’espérance, pourtant devenue si fragile, de voir les provinces perdues revenir à la fin au Saint-Siège. Toutefois, il avait trouvé la question religieuse si incertaine, si tendue, qu’il n’avait pu risquer de la compliquer en y introduisant la question de territoire. Le Concordat une fois signé, le cardinal, pendant la semaine qu’il avait encore passée à Paris, avait été repris d’une inquiétude qui avait commencé à l’agiter lors de la venue de Cacault à Rome. Ce diplomate s’était laissé aller à mentionner comme désirable une convention qui, en réglant les affaires temporelles pendantes, rétablirait régulièrement l’état de paix entre la France et le Saint-Siège. En l’écoutant, l’imagination de Consalvi s’était représenté le Pape mis prochainement en demeure de donner aux articles spoliateurs de Tolentino une confirmation, faisant disparaître les raisons de nullité qu’il importait de réserver pour le présent et de léguer à l’avenir. Des recommandations très strictes avaient été envoyées alors à Spina pour éviter toute convention d’ordre temporel. Au fond, les alarmes de Consalvi étaient vaines. Puisque Bonaparte déclarait le traité de Tolentino en pleine vigueur, c’est qu’il se reportait au jour où il l’avait conclu, et effaçait par la pensée ce que la révolution en avait fait, et ensuite la conquête et la domination autrichienne. Il jugeait donc superflu de se faire confirmer aussi bien la fin officielle de l’état de guerre avec Rome, que la cession des trois provinces. D’ailleurs, en ce qui touchait le rétablissement de la paix, qui aurait pu en douter, quand les deux parties venaient de se lier ouvertement par le Concordat?

Comme la crainte imaginaire de s’exposer à la demande si redoutée d’une confirmation de Tolentino était restée très vive chez Consalvi, le cardinal avait éludé tout discours pouvant amener à ce projet; il avait espéré repartir pour l’Italie sans en avoir fait naître l’idée, comptant qu’à Rome et de loin il pourrait mieux résister et se défendre, que de près et sous l’attaque directe du gouvernement. Ce fut le Premier Consul qui, de lui-même, se reporta aux conventions de 1797, en annonçant que la ville de Pesaro allait être évacuée par les Cisalpins et restituée au Pape, puisque, disait il, le traité de Tolentino ne l’avait pas détachée du Saint-Siège. La mention de ce traité était si directe, si positive, si absolue, que Consalvi se crut obligé d’avouer discrètement ce que sa cour en pensait. Il n’eut garde de parler de nullité : c’eût été un manque de respect vis-à-vis Bonaparte; il se contenta d’alléguer que le traité avait été rompu par les Français eux-mêmes, lorsqu’ils avaient détrôné Pie VI et fomenté la République romaine. Par là, il mêlait, à tout hasard, une pensée d’équité aux raisons de pure générosité qui étaient invoquées auprès de Bonaparte, comme elles l’avaient été autrefois auprès de l’Empereur. Jusqu’ici, en effet, la reprise des Légations n’avait pas été réclamée comme un droit; elle était sollicitée comme un bienfait, qui rendrait au Saint-Siège des ressources nécessaires à la vie de chaque jour. Même à ce moment, où une insinuation venait d’être tentée dans le sens de la justice, Consalvi crut rester sur le terrain le plus sûr, en adressant en personne un appel à la seule magnanimité de Bonaparte, faisant valoir la discrétion du Saint-Père, qui n’avait jamais fait dépendre la négociation religieuse de ses intérêts temporels. Le général n’en disconvint pas, quoique tout aussitôt il se mit à reprocher à la cour de Rome de n’avoir pas confiance en lui; puis, comme s’il rappelait les griefs qui au printemps dernier avaient motivé l’ultimatum remis par Cacault, il se plaignit de voir le Saint-Siège s’unir à d’autres puissances qu’à la République française. Il voulait d’abord éprouver l’amitié du Pape: s’il en était satisfait, il pourrait, dans un an ou deux, penser à une restitution. Ayant à ce moment prononcé le nom des Légations, il se reprit et ne parla que de la Romagne. «Non; répliqua Consalvi; vous avez d’abord dit les trois provinces.»

Le récit de cet entretien de la dernière heure fut envoyé aux nonces le 29 août. Il était rédigé avec un relief qui en grossissait l’importance, avec des détails dont Bonaparte n’a guère dû se souvenir, et dont Consalvi se prévalait pour expliquer ce que les agents du Saint-Siège étaient tenus de savoir sur le problème changeant et obscur des Légations. Tout en faisant un usage très prudent de ces renseignements confidentiels, les nonces devaient, à l’occasion, s’en inspirer au milieu des négociations qu’ils voyaient depuis plusieurs mois en cours entre Bonaparte et les cabinets de Pétersbourg et de Londres.

Désunies par les manies ambitieuses de Paul Ier, la Russie et l’Angleterre s’étaient rapprochées depuis sa mort et avaient renoué leurs relations le 17 juin. Toutefois, les pourparlers de paix que chacune avait commencés en particulier avec la France, se poursuivaient séparément; ils n’avaient qu’un trait commun, l’envie de restreindre la force grandissante et devenue irritante du général Bonaparte. A cet égard, les efforts des deux puissances ne pouvaient manquer de se rencontrer sur plusieurs points du monde; mais ils n’agissaient pas de concert et selon un plan combiné. Les Anglais, privés par la défaite des Autrichiens de l’aide de leurs alliés sur le continent, avaient surtout en vue les intérêts de leur commerce et cherchaient des avantages maritimes et coloniaux. Ils les cherchaient jusqu’en Amérique et en Asie. En Europe ils ne voulaient plus souffrir les Français sur la Méditerranée, et pour acheter leur retraite, ils consentaient à abandonner eux-mêmes Malte, dont ils s’étaient emparés, et l’Égypte, qui était à la veille de capituler entre leurs mains. Par contre, les troupes françaises, cantonnées au midi de l’Italie pour se tenir à portée de l’Égypte, devaient évacuer la position de Tarente, ainsi que la place d’Ancône, qui leur servait d’étape et de soutien. La Méditerranée allait redevenir ce qu’elle était avant la guerre, avant l’entreprise de Bonaparte en Orient. Au fond les Anglais ne s’étaient pas sérieusement occupés du continent: si un mot avait été dit sur la position des Français en Hollande, c’était sans insistance; il en avait été de même du Piémont, dont le nom n’avait été prononcé devant M. Otto que par une sorte de complaisance, apparente et momentanée, pour la cour de Russie.

Car c’était cette cour qui avait pris un rôle de protecteur et de champion dans les affaires purement européennes. N’ayant pas de conquête à conserver ni d’avantage réellement particulier à ménager, elle affectait de s’intéresser, en partie du moins, aux affaires d’ordre général, depuis que des projets d’alliance avaient été ébauchés entre le Premier Consul et Paul Ier. Une entente sur l’organisation de l’Empire et de l’Italie était restée en discussion avec le nouvel empereur Alexandre; cette entente était débattue bien plus vivement que le rétablissement de la paix, qui, dans l’état actuel des rapports entre les deux pays, ne semblait plus qu’une formalité. Ces pourparlers, retardés et contrariés par l’humeur hautaine de l’envoyé russe, M. de Kolytchev, par celle plus malveillante encore de M. de Morkov, son successeur, se continuaient néanmoins et aboutissaient, non à des faits, mais à des promesses sans grande portée. Il en était ainsi de l’Italie, principal terrain de l’intervention russe. La restauration du roi de Sardaigne, objet le plus aigu des désaccords, était renvoyée à des arrangements futurs; ce qui n’empêchait pas Bonaparte de déclarer tout haut sa volonté de ne pas se dessaisir du Piémont et d’y compléter l’administration française. A l’égard des Deux-Siciles, le retrait des troupes françaises postées à Tarente, étant la conséquence de l’abandon forcé de l’Égypte, n’avait de la part de la France que l’apparence d’une concession. Pour le reste de la péninsule, la stipulation était purement illusoire; elle prévoyait «un concert intime pour terminer à l’amiable les affaires ultérieures de l’Italie et celles du Saint-Siège sous le rapport politique». La phrase concernant le Saint-Siège, ajoutée sans doute à la demande de M. de Morkov, pouvait passer pour une réminiscence de la note de la fin de mars, où M. de Kolytchev réclamait la médiation russe «pour la paix avec le Pape», ce qui lui avait attiré cette verte réplique: «La paix avec Rome est faite.» Pas plus aujourd’hui qu’alors, la démarche russe ne devait avoir d’effet sur la destinée des Légations. Consalvi se trouvait avoir donné une instruction bien inutile, lorsque, dans sa circulaire du 29 août, en parlant de ces provinces, il les recommandait tout particulièrement à l’attention de ceux des nonces qui avaient occasion de fréquenter des réprésentants de la Russie, ou des diplomates pouvant avoir de l’influence sur ces représentants. L’occasion, prévue en secret, ne paraît pas s’être présentée. De même que l’Angleterre, la Russie s’était abstenue de s’entremettre dans les arrangements sur les Légations, qui de fait semblaient déjà incorporées à la Cisalpine.

Des préliminaires furent signés à Londres le 1er octobre, et la paix en forme avec la Russie, huit jours après. Ces deux conventions demeuraient volontairement incomplètes: elles réglaient en partie les difficultés; elles ne pénétraient pas au fond des dissentiments graves qui sommeillaient de tous côtés. Les ministres anglais, en particulier, n’auraient pu mettre un terme à la guerre, s’ils avaient voulu contester en Belgique et sur la rive gauche du Rhin, l’extension de la nation rivale, la position de ses troupes et son influence en Hollande, en Suisse, dans la haute Italie, sans parler du nouveau monde, où la Louisiane venait d’être cédée au commerce français. Ils ne pouvaient acquiescer à tant d’avantages accumulés par la République depuis dix ans; mais, à l’heure présente, ils avaient pris le parti de se taire et de laisser en suspens ces causes permanentes d’opposition. Jusqu’ici tout avait poussé à la guerre par une sorte d’impulsion fatale; aujourd’hui le vent avait tourné et les événements entraînaient vers la paix. La partie, qui avait duré si longtemps, semblait jouée avec ses profits et ses pertes: la continuer aurait paru en recommencer une autre, sans que peut-être les chances fussent sensiblement changées. En même temps qu’avec les grandes puissances, d’autres traités étaient conclus par la France avec la Bavière, le Portugal, les Etats-Unis, la Porte ottomane. Le Premier Consul pouvait donc annoncer au monde la grande nouvelle de la paix générale.

Toutes ces transactions restées précaires, qui donnaient l’illusion, sinon la réalité, de la paix rétablie sur les mers et sur le continent, étaient arrêtées et réglées lors de la venue de Caprara à Paris. Le vieux cardinal n’y avait pas eu plus de part que les nonces. Comme eux, il avait reçu la circulaire du 29 août, pour y puiser les seules instructions qu’il eût pu recevoir de Consalvi sur les Légations: même s’il avait été présent plus tôt à Paris, dans le centre des négociations, il n’aurait pas mieux réussi que les nonces à appuyer les intérêts du Saint-Siège. L’article qui réservait ces affaires «sous le rapport politique» n’aurait sans doute pas été inséré dans le traité avec la Russie, s’il avait été provoqué par l’influence directe de la cour de Rome. Il aurait pris alors un sens positif, tandis que, rédigé par une complaisance passagère pour M. de Morkov, il n’en avait que l’apparence. D’ailleurs le Premier Consul aurait-il pu souffrir que la cour romaine cherchât un soutien en dehors de lui-même?

Se regardant désormais comme le protecteur du Pape, il voulut, dès le 10 octobre, lui adresser un avis qui, s’il n’arrivait pas le premier, aurait au moins le mérite d’être direct et personnel, pour annoncer que la paix succédait partout à la guerre, «parce que, écrivait-il, je sais l’intérêt que Votre Sainteté prend au bonheur et à la tranquillité des nations.» Dans cette lettre, dont il sera reparlé, il donnait quelques marques de bonne volonté envers Pie VII; cependant rien sur les Légations, mais silence complet sur ce point, comme s’il ne devait plus en être question.

Histoire du rétablissement du culte en France (1802-1805)

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