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II

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Table des matières

Lorsqu’elles parvinrent à Paris le 10 octobre, le légat était arrivé depuis une semaine. C’était ce cardinal Caprara, que Bonaparte avait désiré expressément avoir auprès de lui, dont il avait connu et protégé la famille à Milan, dont il avait pu apprécier la modération et l’adroite prudence pendant les secousses de la Révolution et les changements qui avaient fait alterner en Italie le régime ancien et le nouveau. Bien qu’âgé de 68 ans et d’une santé affaiblie, le vieux cardinal n’avait pas hésité à prêter son concours, cédant moins à des velléités tardives d’ambition, qu’à une sorte d’entraînement exercé sur lui par l’ascendant du Premier Consul. Il avait été encouragé par Consalvi et le Pape, qui comprenaient la nécessité de ménager la bonne volonté du maître de la France et de se la concilier dans l’application du Concordat.

Sur leur appel, Caprara avait quitté son évêché de lesi pour se rendre à Rome le 20 août. Les fonctions de légat a latere auraient pu lui être confiées par un simple bref: le Pape avait néanmoins décidé d’employer les formes les plus solennelles. Il réunit le 24 un premier consistoire pour la nomination, et un autre le 28 pour la remise de la croix d’argent que les légats font porter devant eux, en signe de la part de dignité pontificale qui leur est déléguée. Pie VII remit lui-même la croix et embrassa le nouveau légat. Tous les cardinaux présents avaient répondu en chœur. Comme ce second consistoire était public, Cacault, accompagné des membres de sa mission et des principaux Français habitant la ville, vint y assister dans des places distinguées. Il fut témoin de l’émotion du Saint-Père, qui le fit mander et l’entretint après la cérémonie. Le Pape avouait ne pas ignorer que le Concordat lui avait suscité bien des ennemis, et il en parla comme s’il avait surtout en vue les Napolitains, qui réveillaient en ce moment leurs anciens griefs contre le Saint-Siège. Il sentait son isolement et sa faiblesse; il laissait entendre qu’il comptait se voir soutenu par le bras puissant du Premier Consul. Cacault le lui promit et, écrivant le même jour sur la cérémonie et sur les dispositions du Pape et de son entourage: «Après les avoir embarqués, disait-il, comme ils le sont maintenant, et élevés au-dessus de leur portée en les associant à nos destinées, ils ont droit maintenant à l’appui décidé et ferme du gouvernement français.»

Un dîner d’apparat, offert par Cacault aux personnages de la cour romaine, ayant terminé ces manifestations extérieures, Caprara avait préparé rapidement son départ. L’approche de la mauvaise saison le pressait d’autant plus, qu’il comptait cheminer à petites journées. Afin d’éviter la traversée des grandes Alpes, son projet était de passer par le Tyrol, Augsbourg et Bâle, et d’entrer en France par l’Alsace. Dans ce voyage, il ne pouvait être question de l’ancien train, large et fastueux, qu’un légat menait autrefois quand il se rendait à son poste. L’effort que le trésor pontifical faisait aujourd’hui était bien mince en comparaison des frais qu’il prodiguait dans le temps où la Papauté paraissait aux yeux du monde dans sa puissance et son éclat. Tout ce qui semblait inutile avait été retranché. Le cardinal n’avait pour sa suite que le personnel très restreint de sa légation, et le petit nombre de voitures indispensables pour le transporter. Parti de Rome le 5 septembre, il commença par des retards et n’atteignit que le 13 Bologne, où il fut rejoint le 16 par les brefs qui l’accréditaient et par les premières facultés dont il devait faire usage. Ce fut aussi dans cette ville que, pour abréger un voyage qui se faisait si lentement, il changea son itinéraire et se décida pour la route habituelle du mont Cenis. A Florence, il avait été l’objet des attentions de l’Infant; à Milan, il reçut un accueil empressé de Murat et du gouvernement cisalpin. Les honneurs qui lui étaient préparés d’après des ordres venus de Paris, avaient été inaugurés dans la Cisalpine; ils se continuèrent dans la Savoie française, par la rencontre des détachements de cavalerie qui devaient l’escorter pendant les principales étapes. Caprara prit un peu de repos à Lyon, et par le Bourbonnais arriva à Paris le 4 octobre. Il avait passé un mois en route.

La durée de son séjour en France n’était pas déterminée; elle devait se prolonger aussi longtemps qu’il plairait au Premier Consul, qui ne pensait nullement à l’abréger, et se proposait même d’entourer le vicaire du Pape d’autant de marques de considération qu’au temps de la royauté. Déjà Consalvi, pendant sa mission à Paris, avait éprouvé les effets de ces égards concertés. Avec les mêmes vues politiques, Bonaparte voulait que Caprara pùt remplir un personnage dont l’importance au moins apparente et l’éclat public contribuassent à rehausser le gouvernement consulaire. Certain que la cour de Rome n’était pas en état de faire les frais de cette représentation, comprenant d’un autre côté que les convenances s’opposaient à un don annuel trop semblable à un traitement, il avait pris à sa charge les carrosses nécessaires aux sorties d’un légat, et le logement, qui devait être bientôt prêt dans le bel hôtel Montmorin.

Le premier souci et le premier devoir de Caprara étaient naturellement sa présentation au général Bonaparte. Elle ne pouvait être officielle, puisque les formalités d’une réception solennelle n’avaient pas été arrêtées et que le temps d’en faire usage n’était pas encore venu. Ce fut donc comme visiteur privé qu’il fut conduit le 6 aux Tuileries. Après un échange de compliments, le général mit l’entretien sur l’objet de la mission du légat. Instruit depuis l’avant-veille que des préliminaires de paix venaient d’être signés à Londres, il avait aussitôt décidé que l’annonce du traité prochain avec l’Angleterre serait célébrée le même jour que celle de la réorganisation religieuse. Comme, dans cette vue, le choix des nouveaux évêques devait être au moins commencé et rendu public, le Premier Consul aurait désiré que l’institution canonique qu’ils étaient tenus de recevoir, ne devînt pas une cause de délais; il proposait donc qu’au lieu d’être donnée à Rome par le Pape, elle le fût à Paris par les mains du légat; elle pourrait ainsi être immédiate. Caprara objecta qu’il n’était pas en son pouvoir de se substituer de cette manière au chef de l’Église, à qui le droit d’instituer appartient en propre; d’ailleurs, selon une remarque déjà faite expressément par Spina, la nomination des évêques était subordonnée au remaniement des diocèses, et l’étude de la bulle de cette nouvelle circonscription n’était pas achevée à Rome. Pour cette double raison, des retards étaient inévitables. Bonaparte, sans insister, parla alors des évêques constitutionnels. Son intention, disait-il, était de leur attribuer un tiers des sièges. Caprara s’étant récrié, il l’écouta avec calme et de manière à laisser supposer qu’il ne se refusait pas à des réflexions ultérieures. A ce premier moment, il s’appliquait visiblement à préparer le terrain, à laisser entrevoir des résolutions qu’il ne poussait pas jusqu’à un désaccord probable. Il finit l’entretien, en mentionnant que le bref remis par Spina aux évêques constitutionnels soulevait parmi eux les réclamations les plus vives; et, sans appuyer autrement sur cet incident, il en renvoya l’examen à des conférences avec le conseiller d’État Portalis, qu’il fit connaître comme destiné à traiter les affaires ecclésiastiques.

C’était de dessein préconçu qu’il avait confié ce rôle à un magistrat laïque. S’il ne pensait pas à rétablir un aumônier du clergé, s’il écartait de même tout autre ministre du culte catholique, ce n’était pas par le calcul, cependant fondé, que ce culte n’était pas alors le seul à organiser. Il obéissait à une raison plus forte, ou plutôt décisive, au sentiment du droit de la puissance civile, de laquelle il voulait faire dépendre toute mesure complétant l’œuvre du Concordat. Pour son auxiliaire dans cette tâche laborieuse et difficile, il avait trouvé Portalis, par une de ces rencontres heureuses qui lui ont souvent manqué dans d’autres circonstances, et qui cette fois répondait à ses désirs.

Portalis, âgé alors de 57 ans, avait été formé par l’exemple de son père et les leçons de l’université d’Aix-en-Provence; il avait acquis, avec la connaissance des lois civiles de son temps, celle des lois de l’Eglise telles qu’elles étaient comprises dans le monde parlementaire. Ses premiers écrits témoignaient de son goût pour les problèmes de la politique, mélangés de la philosophie qui était en pleine vogue. Pendant la Révolution, il avait été élu au Conseil des Anciens, où il s’était honoré en défendant les principes de modération et la cause des opprimés. Cette attitude, taxée de royalisme, l’avait fait déporter après le 18 fructidor; mais l’épreuve n’était pas rigoureuse, et pendant cet exil, passé dans une famille hospitalière, il avait composé un ouvrage sur «l’Usage et l’abus de l’esprit philosophique», qui a été publié tardivement sous la Restauration. Le Premier Consul rappela l’exilé en France et lui fit bientôt oublier des souvenirs et des regrets monarchiques, dont il ne lui demanda pas compte. Sur sa réputation de jurisconsulte, il fut adjoint en août 1800 à Tronchet et à Bigot de Préameneu pour préparer un code civil, et peu après il entra au Conseil d’État. Le discours sur le nouveau code, qu’il venait de prononcer au début de la session législative, l’avait fait particulièrement remarquer. Le Premier Consul, qui l’avait entendu pendant la discussion du Conseil d’État sur les titres du code, et qui avait discerné dans cette vive intelligence des qualités de mesure, de souplesse, de docilité, même des tendances religieuses bien rares parmi ses conseillers, n’eut pas de peine à le choisir pour l’occuper spécialement au rétablissement de la religion, le plus souvent avec lui, à l’occasion avec Caprara qui arrivait.

Portalis ne fut nommé régulièrement que le 8 octobre. La veille, un arrêté avait déterminé d’une manière générale les attributions d’un conseiller d’État chargé des cultes. Ce service, dont il eût été imprudent d’accentuer alors l’importance, ne pouvait former un ministère à part; il devait être rattaché à un ministère en activité, qui était naturellement celui de l’Intérieur. Une pareille dépendance ne devait avoir d’effet que dans les premiers temps. Comme Portalis travaillait «directement avec les Consuls», elle fut bientôt regardée comme une complication superflue et, en fait, ne tarda pas à disparaître. D’après les termes de l’arrêté, le conseiller chargé des cultes présentait tous les projets de lois, de décrets, de décisions les concernant, proposait les nominations dans les divers clergés, entretenait avec ces clergés une correspondance journalière qui était son occupation habituelle. A l’égard de la cour de Rome, il examinait tous les actes envoyés en France par la chancellerie pontificale, avant qu’ils fussent rendus publics. Quant aux rapports politiques avec le Saint-Siège, ils continuaient à appartenir au ministre des relations extérieures, qui ne s’ingérait plus dans les questions concernant le régime des cultes. De ce côté les conflits d’attributions devaient être rares; ils devenaient au contraire assez fréquents avec le ministre de la Police, quand il s’agissait de réprimer les délits imputés à des ecclésiastiques.

Avec Caprara, la fonction de Portalis était d’entretenir au nom du gouvernement les relations en forme, et plus particulièrement de faire connaître et de surveiller dans leur exercice les facultés dont le Pape avait muni son légat.

Ces facultés, telles que Caprara venait de les apporter avec lui, n’étaient pas encore complètes. Elles étaient cependant plus nombreuses et plus étendues que les facultés ordinaires; elles comprenaient des moyens de remédier aux maux que la Révolution avait multipliés dans le clergé. Par suite, les instances des postulants, au lieu d’être toujours renvoyées comme cas réservés au jugement de Rome, paraissaient pouvoir être souvent instruites et décidées sur place.

De ces maux les plus fréquents étaient les désordres des ecclésiastiques qui s’étaient mariés ou avaient publiquement renoncé à leur état. Au fond, il s’agissait d’une série d’affaires de conscience, dont l’examen devait avoir lieu selon les circonstances et les individus; elles n’étaient pas de nature à trouver place dans le Concordat. Talleyrand, néanmoins, avait fait insérer dans plusieurs projets un article obligeant le Pape à une mesure générale d’indulgence et de conciliation; et cet article n’avait été retiré qu’à la dernière heure, sur la promesse positive de Consalvi qu’il serait remplacé par un bref, conçu dans un esprit semblable. Les dispositions de cet acte pontifical, daté comme les autres du 15 août, n’ayant point donné à Paris une entière satisfaction, il avait été convenu qu’elles ne seraient point publiées; qu’elles seraient modérées et complétées dans la pratique, qui était confiée nominalement à Spina et devait en réalité passer bientôt aux mains du légat. Le bref aux évêques constitutionnels devait aussi faire l’objet de la même transmission, avec la différence qu’il était déjà distribué, et que, cette fois, la tâche du légat était réduite à en suivre l’exécution. Les facultés se taisaient sur la Promesse de fidélité, édictée par le Premier Consul, et qui était restée en vigueur parce que le Concordat, qui lui substituait le serment de l’ancien régime, n’était pas encore connu du public. Par contre, elles s’appliquaient à la formule ayant précédé la Promesse; au serment de haine à la royauté et à l’anarchie, dont le souvenir, à peu près éteint dans la vieille France, demeurait très vivace dans les départements belges, où il entretenait d’ardentes controverses. Il était temps d’apaiser ces querelles. Un bref dans ce sens, daté du 18 juillet 1801, avait été envoyé au nonce à Cologne, Mgor della Genga, dont dépendait la Belgique; mais Spina avait conseillé de suspendre les mesures prescrites et de les réserver au cardinal Caprara.

Ces pouvoirs spéciaux, semblables entre eux par leur objet, avaient été rédigés par Di Pietro et soumis à la congrégation restreinte, formée à la fin de juillet pour étudier la ratification du Concordat. Ils étaient sortis de cette préparation beaucoup moins amples en réalité qu’en apparence, et pouvaient être subdélégués, parce que cette latitude avait été réclamée expressément par Bonaparte; dans leur ensemble, ces pouvoirs étaient loin d’investir le légat d’une autorité égale à celle du Pape, dont il représentait la personne. Ils étaient restés limités à un certain cercle de cas prévus. Toutes les fois qu’il y avait doute, Caprara était tenu d’en référer à Rome. Cette précaution avait paru nécessaire pour le protéger tout ensemble contre la faiblesse de son caractère, aggravée par l’âge, et contre la volonté impérieuse du Premier Consul.

L’envoi de ces premières facultés était accompagné d’instructions écrites, que Consalvi avait jugées nécessaires, ayant été à portée, pendant son séjour à Paris, de mesurer les embarras qui attendaient le futur légat, surtout à ses débuts. En première ligne, le serment qu’on prétendait lui imposer. Comme les précédents à cet égard, recherchés par Di Pietro, n’étaient pas concordants et paraissaient discutables, Caprara devait, s’il le pouvait, éluder cette formalité ; sinon, il s’efforcerait de la restreindre à un simple engagement de quitter sa fonction dès qu’il en serait requis, et de s’abstenir de tout acte contraire à l’État. En tout cas, il lui était interdit de jurer obéissance aux lois de la République et aux libertés de l’église gallicane, les unes et les autres pouvant se trouver en opposition avec la doctrine catholique. Une autre obligation du légat avait été annoncée, c’était celle de soumettre ses facultés au gouvernement. Caprara, après avoir tenté également de se soustraire à cette autre sorte d’assujettissement, devait commencer par produire le bref qui énonçait ses pouvoirs en termes très généraux et sans rien spécifier; à moins, toutefois, qu’il estimât préférable d’entrer aussitôt dans quelques détails, par crainte que l’on exagérât son autorité et qu’on le crût capable de se prêter à tout ce qui lui serait demandé.

Instruit ainsi de la manière de se comporter avec les exigences prévues du gouvernement, Caprara recevait aussi quelques règles de conduite envers les deux clergés. En ce qui concernait les évêques légitimes, leur démission volontaire ou forcée introduisait dans leurs diocèses un état de vacance, qui devait se continuer jusqu’à l’installation de nouveaux titulaires. Pendant cet intervalle, l’administration diocésaine ne pouvait rester à l’abandon. Elle ne pourrait être dévolue, selon l’usage, à des vicaires capitulaires, Rome regardant les chapitres comme ayant perdu leur existence et plus détruits qu’ils ne l’étaient en réalité. Caprara confirmerait donc les vicaires généraux de l’ancien épiscopat s’il les trouvait en exercice; autrement, il en désignerait de nouveaux, qui, sans porter le nom d’administrateurs apostoliques, en auraient implicitement le caractère. A l’égard des évêques constitutionnels, les instructions ne prévoyaient que des questions d’attitude et de langage. Le légat, à la différence de Spina, ne fermerait pas à ces évêques tout accès à sa personne; il se montrerait courtois à leur endroit, tout en évitant de leur faire supposer qu’il leur reconnaissait la qualité vraiment épiscopale. S’il ne parvenait pas à éloigner toute controverse avec eux, il ne laisserait pas sans réplique le sophisme dont ils se prévalaient actuellement, quand ils soutenaient que l’ordination suffit à conférer la juridiction, et qu’ainsi ils avaient eu le droit d’occuper leurs sièges.

L’assistance permanente et quotidienne que Caprara devait trouver autour de lui, consistait naturellement dans le personnel de sa légation. Les principaux: Sala, son secrétaire, et Mazio, on maître des cérémonies, devaient bientôt prendre sur lui une certaine influence et à l’occasion le remplacer. On pouvait citer aussi les abbés Ducci et Vadorini, secrétaires privés, et trois secrétaires spéciaux pour l’usage du français. Tout ce monde avait été choisi par Caprara lui-même, sans grand discernement. En voyant ces auxiliaires partir de Rome, Consalvi avouait en faire assez peu de cas.

Il était évident qu’à Paris Caprara aurait à se renseigner auprès de Spina sur l’état actuel des affaires, à provoquer et à écouter ses conseils. Spina ne se croyait plus dans la situation modeste et presque embarrassée qu’il avait adoptée par prudence et par nécessité quand, un an plus tôt, il était venu de Verceil. Les pouvoirs, dont il avait alors été privé, lui avaient été envoyés récemment de Rome: suspendus pendant la mission de Consalvi, ils venaient de servir pour échanger les ratifications du Concordat. Dans cette occasion, le prélat avait cessé d’être un simple porte-parole du Saint-Siège, il s’était montré avec le caractère d’un diplomate accrédité. C’est précédé du souvenir encore vivant de cette journée, qu’il parut aux Tuileries, dans une audience privée, sollicitée par lui comme la dernière, et qui lui fut accordée le 30 septembre. Il fut accueilli avec assez de confiance apparente pour se croire autorisé par moments à interroger, à prendre même quelque initiative dans la succession de sujets qui se multipliaient d’ordinaire quand on causait avec Bonaparte. Il aurait souhaité voir Bernier recevoir un titre équivalent à celui d’ «aumônier du clergé » dans l’ancien régime. Il proposait, comme premier remède aux inconvénients d’une viduité prolongée dans les diocèses dont les évêques étaient morts, la nomination immédiate aux trois grandes métropoles vacantes de Lyon, de Tours et de Rouen. Sur ces deux points il ne put se faire écouter. Bonaparte annonçait qu’il confiait les cultes au conseiller Portalis; quant à des nominations anticipées et partielles, il ne les admettait pas, et attendait la bulle de nouvelle circonscription pour nommer à la fois à tous les diocèses. Par contre, Spina sollicita et obtint l’enlèvement des inscriptions et emblèmes révolutionnaires qui en plusieurs endroits s’étalaient encore sur les temples; il ne fut pas moins heureux en demandant que les réunions des théophilanthropes fussent interdites, un arrêté du lendemain leur ayant fermé les édifices nationaux. Puis, le Premier Consul renouvela de bonnes paroles sur certaines affaires temporelles que Spina avait été chargé de traiter à Paris, et qui concernaient les prétentions des Français acquéreurs de biens nationaux romains, les objets d’art destinés aux musées de France, les dépenses de la garnison d’Ancône. Enfin on parcourut le cercle des questions européennes auxquelles Rome prenait intérêt. On discourut longuement sur le sort de l’ordre de Malte, des électorats ecclésiastiques dans l’Empire, du Piémont, sur les désordres religieux dans la haute Italie. L’entretien, toujours cordial, avait duré deux heures. S’il s’était continué aussi longtemps, s’il avait passé en revue tant de sujets divers, c’était apparemment parce que les intentions du Premier Consul et même certains de ses propos devaient être répétés bientôt devant Caprara. Mgor Spina a dû le comprendre; mais n’était-il pas en droit de croire qu’il avait reçu du Premier Consul quelques marques suprêmes de considération personnelle, et qu’au terme de sa mission il se trouvait sur un tout autre pied qu’au commencement?

Pendant les semaines écoulées depuis le départ de Consalvi, Spina avait représenté provisoirement la cour de Rome: il n’était donc pas surprenant que Bernier fût demeuré auprès de lui, non plus comme négociateur, mais comme modérateur et conseiller. Un rôle semblable allait-il être conservé à l’abbé auprès d’un personnage beaucoup plus considérable, auprès du cardinal-légat? Bonaparte paraît avoir jugé utile et commode de laisser à Bernier cette mission confidentielle. Tandis que les rapports officiels avec le légat devenaient le partage de Portalis, l’abbé aurait à gagner la confiance du vieux cardinal, à donner le premier pli à son esprit en l’inclinant dans le sens désiré par le gouvernement. Il avait acquis l’expérience du caractère italien; de plus, il connaissait toutes les péripéties de la négociation du Concordat, l’explication et la portée de chacun des articles. Bien qu’il n’eût pas toujours fait preuve de tact et de délicatesse, il était propre à tenir fidèlement le langage qui lui serait dicté, à servir d’intermédiaire, quand un ecclésiastique aurait chance d’être mieux écouté qu’un magistrat laïque. Toutes ces raisons concouraient à faire attribuer à Bernier un genre d’occupation qui convenait à ses habitudes d’activité et à ses espérances ambitieuses. Pour commencer, une somme de 24000 francs lui avait été confiée, afin de traiter convenablement le légat dès son arrivée, et servir d’introduction auprès de sa personne.

Histoire du rétablissement du culte en France (1802-1805)

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