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Table des matières

Le Concordat venait d’être achevé ; la journée du 10 septembre 1801, où les ratifications avaient été échangées à Paris, marquait la fin régulière de cette lente et laborieuse négociation. Toutefois, à se renfermer dans le point de vue purement diplomatique, si les rôles de Pie VII et de Bonaparte paraissaient épuisés, devant l’un comme devant l’autre s’ouvrait une nouvelle carrière, semée d’obstacles certains et prévus, qu’il serait encore difficile de surmonter. Ainsi la vacance de tous les anciens sièges devait être obtenue par le Pape, même au prix de mesures rigoureuses si la persuasion ne suffisait pas. De son côté, le Premier Consul était dans l’obligation de faire voter le Concordat par les assemblées politiques, et dans une autre partie de sa tâche, où il ne pourrait même se dispenser de recourir souvent au Saint-Siège, il était tenu d’éteindre le schisme des constitutionnels et de pourvoir à l’organisation religieuse de la France.

Ces soins divers, également nécessaires, allaient occuper en même temps son activité.

Il n’aurait pas été possible de s’affranchir du vote du Corps législatif. La constitution de l’an VIII était formelle sur ce point; elle voulait que tout traité fût «proposé, discuté et décrété » comme une loi. Déjà, le premier traité du Consulat, celui de Lunéville, avait subi cette épreuve; et comme il se terminait par une stipulation secrète, transférant en Allemagne l’indemnité du grand-duc de Toscane, tout dans les assemblées s’était passé alors en comités secrets; le public n’avait été informé du scrutin favorable que par une proclamation datée du même jour, 19 mars 1801. Si le second traité, celui de Florence, n’avait pas encore été voté, c’est que la clôture de la session ordinaire avait dû entraîner un ajournement. La convention avec le Saint-Siège n’échappait pas à la règle commune. Les caractères très particuliers qui s’y montraient ne l’empêchaient pas d’être de la nature des traités; ils n’avaient d’autre effet que d’éveiller des préventions, propres alors à toute affaire religieuse, et que Bonaparte connaissait d’avance, ayant réfléchi depuis longtemps aux moyens d’atténuer la mauvaise volonté du Tribunat et du Corps législatif et, en la devançant, d’arriver peut-être à la prévenir.

D’autre part, l’extinction du schisme avait toujours été envisagée par Bonaparte comme une des conditions évidentes du rétablissement du culte catholique. Il fallait qu’avec les évêchés, les paroisses occupées en ce moment par des constitutionnels cessassent d’être dissidentes et fussent ramenées à l’unité. Cette œuvre, ne paraissant pas pouvoir être accomplie par de simples ordres de l’autorité civile, devait être le fruit de ménagements, de mesures concertées de conciliation. En suivant cette marche, Bonaparte ne se souciait aucunement des doctrines du schisme, condamnées à Rome comme étant, en plusieurs points essentiels, contraires à la hiérarchie et aux principes de l’Église. Les nouveautés subversives de la Constitution civile du clergé ne comptaient presque plus d’adhérents parmi les fidèles: abolies par une législation postérieure, elles étaient tombées dans le mépris ou l’oubli du public. Ce qui subsistait réellement du décret abrogé de 1790 était un clergé, encore assez nombreux, composé de prêtres qui ne s’étaient pas rétractés, surtout d’un épiscopat qui, incapable de se recruter sérieusement, tentait néanmoins de lutter contre le discrédit et de se montrer animé d’une vie apparente et factice. Tous ces ecclésiastiques ne se trouvaient séparés de l’Eglise romaine que parce qu’ils disaient avoir obéi à la loi; ils s’étaient toujours présentés comme des partisans zélés de la Révolution, à laquelle le Consulat lui-même devait son origine. A ce titre, ils rencontraient des soutiens parmi ceux qui, même sans religion, étaient partisans ou prôneurs des idées nouvelles; ils avaient droit à la protection du gouvernement, qui se sentait la charge et le devoir de les rattacher à l’Église, quoique seulement par des voies honorables.

A Verceil, Bonaparte avait fait peu mention des constitutionnels, comme s’il ne pensait pas à les comprendre dans la convention religieuse dont il traçait et posait les bases. Interrogé par le cardinal de Martiniana, il s’était borné à reconnaître que les sièges ne seraient pas conservés à leurs évèques. Ce propos avait été mal interprété par le vieux cardinal, lorsqu’il avait écrit que le Premier Consul ne voulait pas même entendre parler des intrus; assurance dont le Pape n’avait été désabusé qu’après les premières semaines, et qui, à l’origine, avait contribué à lui faire accueillir avec empressement les propositions françaises. La négociation une fois engagée à Paris, Talleyrand s’était efforcé d’y introduire la cause des constitutionnels. Dans une seconde rédaction du Concordat, revisée d’après ses idées particulières, une exhortation pontificale, qu’il convenait selon lui de destiner aux anciens évêques pour les exciter à se démettre, devait être. adressée également aux nouveaux évêques créés en vertu de la Constitution civile. En même temps, ce second projet était communiqué en confidence à Grégoire, comme au représentant le plus autorisé, au patriarche de la secte. Mais Grégoire avait déplu quand, revenant à un système recommandé autrefois par lui dans une visite à la Malmaison, il avait insisté sur l’adoption d’un des modes primitifs d’élection pour les évêques, et prétendu le substituer au droit plus récent de nomination. Or de ce droit le Premier Consul se prévalait fermement, et il en considérait l’usage comme lui permettant seul le renouvellement de l’épiscopat, objet principal d’un accord avec le Saint-Siège. En vain Spina avait objecté que le sort des évêques constitutionnels regardait uniquement l’État: Pie VI, disait-il, ne s’en était occupé que pour les condamner; tout ce qu’on pouvait attendre du Pape actuel serait un témoignage d’indulgence envers ceux d’entre eux qui donneraient les gages de désaveu et de repentir, prescrits par la discipline de l’Église. Cette observation de Spina n’avait eu d’autre effet que de faire retoucher et atténuer les termes de l’article du projet de convention. Désormais, les évêques constitutionnels s’étaient trouvés confondus avec les évêques légitimes sous l’expression de «titulaires à quelque titre que ce soit», et ensuite sous celle, moins explicite, de «tous les titulaires». Consalvi, pendant sa mission à Paris, ayant été dans le cas de se servir du mot vide et nu de titulaires, s’était préoccupé d’empêcher toute équivoque; il avait obtenu de Bernier, le 9 juillet, une note expliquant que ce mot «ne renferme que ceux qui sont canoniquement institués». Néanmoins, à peine le Concordat était-il signé, que Bonaparte, se ravisant, se dégageait de cette interprétation et déclarait entendre par titulaires même les évêques constitutionnels. Joseph, de son côté, allait jusqu’à dire que, s’il avait pu supposer que ces évêques seraient exclus, il n’aurait jamais consenti à donner sa signature.

Au fond, il n’était question jusqu’ici que d’obliger le Pape à accorder une marque de considération à des ecclésiastiques chez qui il ne reconnaissait pas le caractère épiscopal. Par cette raison, Consalvi faisait observer que le bref d’exhortation demandé pour les évêques constitutionnels ne pourrait être semblable à celui qui était destiné aux évêques légitimes. D’ailleurs, même sous cette forme particulière, le cardinal ne pouvait rien stipuler en leur faveur, n’ayant reçu de Rome aucun pouvoir concernant leurs personnes. Tout ce qu’il pouvait faire alors était la promesse de recommander au Pape d’user, à leur égard, de toute la condescendance permise par les lois de l’Église. II fut entendu, non sans peine, que la nécessité de ce bref serait exposée à Rome, de manière à n’être pas refusée et que les termes en seraient conçus dans l’esprit le plus charitable. Ce n’était pas tout: Bonaparte se proposait d’aller bien au delà. Résolu désormais à réunir les deux clergés, en les mêlant, en les fondant ensemble, il voulait commencer cet amalgame par l’épiscopat. Déjà, au mois de janvier, il avait annoncé cette intention devant Spina, quoique en passant et sans insistance. Depuis, surprenant Consalvi par un propos soudain, il témoignait de la volonté bien arrêtée de réserver sept ou huit sièges à des constitutionnels. Consalvi ayant répliqué que de tels choix étaient impossibles, puisqu’il s’agissait de schismatiques: «Ils ne le sont plus, reprit vivement Bonaparte, s’ils acceptent le Concordat.» Puis, interrompant le cardinal au milieu de ses raisonnements: «Que doivent-ils faire, dit-il brusquement, pour être réconciliés avec le Saint-Siège?» Comme Consalvi alléguait qu’ils devaient confesser leurs erreurs et se soumettre aux jugements de l’Église, Bonaparte s’éleva avec force contre toute espèce de rétractation; pour réconcilier, l’adhésion au Concordat devait suffire. Un homme qui se rétracte, ajoutait-il, se rend méprisable; il se met en révolte avec l’esprit de son temps et celui de la Révolution; il s’avilit au point de ne plus pouvoir être placé dans les nouveaux diocèses.

Si inquiétant qu’ait dû paraître le dessein de livrer plusieurs de ces sièges à des ecclésiastiques condamnés à Rome, il ne pouvait être exécuté immédiatement, puisqu’il fallait le concours du Pape qui aurait à les instituer. Aucun retard, au contraire, n’était admis pour le bref d’exhortation que Consalvi avait dû s’engager personnellement à faire adresser à ces évêques. D’autre part, Talleyrand et Bernier écrivaient à Rome que le gouvernement refuserait de ratifier le Concordat si la démarche réclamée du Pape prenait un aspect humiliant et offensant. C’était en partie pour faire rédiger un bref si délicat en sa présence et selon ses vues, que Consalvi avait hâté son retour. Le texte, préparé par Di Pietro, fut jugé assez important pour être soumis à la congrégation chargée de statuer sur la ratification pontificale. Il ne pouvait inviter des schismatiques à une démission véritable, qui aurait supposé une institution légitime; il devait seulement les presser charitablement de renoncer d’eux-mêmes à une usurpation qui les mettait hors l’Église. Là, du reste, se bornait l’exigence du gouvernement. Mais, aux yeux de la cour de Rome, l’abandon volontaire des sièges était seulement un premier pas qui ne pouvait faire rentrer dans l’unité ; il devait être accompagné d’une déclaration écrite de soumission à l’autorité et aux jugements du Souverain Pontife. Comme cette condition était précisément la rétractation contre laquelle le Premier Consul s’était prononcé avec tant de vigueur, elle était consignée à part dans une formule, adoucie autant que possible, mais dont les traits nécessaires étaient conservés, et qui ne devait être révélée qu’après que l’heure de l’exiger aurait sonné. Cette prescription essentielle était à peine indiquée dans le bref; elle était voilée et dissimulée sous des protestations d’une bienveillance toute paternelle, faisant un appel ému à des fils égarés.

Le bref était adressé à Spina, chargé de le notifier aussitôt après l’échange des ratifications du Concordat, et ensuite d’en assurer l’exécution. Le prélat avait cependant reçu une variante de cette pièce. Car l’affirmation répétée de Consalvi à Paris, qu’on ne pouvait prêter le nom d’évêques à des schismatiques, n’avait pas été maintenue à Rome en termes aussi absolus, quelques précédents ayant prouvé que la qualité épiscopale pouvait leur être attribuée, sous la réserve de la mentionner aussitôt comme illégitime. Ce tempérament suffisait pour que le bref pût être adressé aux constitutionnels eux-mêmes, et prendre ainsi une forme «directe», qu’on opposait à la forme «indirecte», qui était celle où Spina jouait le rôle d’intermédiaire. C’était cette seconde forme que Spina, mis à portée de choisir, avait préférée comme la mieux appropriée aux circonstances, et la moins compromettante pour le Saint-Siège.

Communiqué à la Malmaison, le bref indirect y avait rencontré un plein assentiment. Bonaparte s’était attendu à des paroles sévères; il était agréablement surpris par un langage charitable et accueillant, qui contrastait avec les censures flétrissantes de Pie VI. L’impression de bonté qu’il recueillait à la surface du bref, lui avait dès l’abord fait illusion sur le désaveu sous-entendu qui était imposé séparément aux constitutionnels, sur la répugnance silencieuse mais évidente du Pape à les admettre dans le nouvel épiscopat. Il arriva même à Bonaparte d’ajouter devant Spina que, si les constitutionnels se montraient récalcitrants, il cesserait de les soutenir. Ces éloges paraissaient excessifs à Talleyrand, qui, dans sa clairvoyance malveillante, laissait entendre que le bref ne pourrait être bien apprécié qu’après que les intéressés en auraient pris connaissance.

Là en effet était l’écueil, et Spina dut s’en apercevoir dès qu’il s’occupa d’exécuter le bref. Il aurait pu se contenter d’une remise collective, au moins à ceux des évêques qui, ayant figuré dans le concile de la secte, s’étaient attardés à Paris, les uns pour se tenir à la disposition des contradicteurs qu’ils provoquaient à des conférences publiques où ils ne les rencontraient pas; les autres, en plus grand nombre, pour être sur place lors de la publication du Concordat, dont ils étaient impatients de connaître le détail. Spina se décida à faire imprimer le bref, pour le distribuer isolément à chacun des évêques, quel que fût le lieu de leur séjour. Ce texte contenait maintenant l’équivalent de la formule de rétractation qui d’abord avait formé une annexe et comme une sorte d’article secret; ce qui fait supposer que Spina avait trouvé moins d’inconvénients à en découvrir immédiatement le sens, qu’à en faire attendre la formule précise. Commençant ses envois individuels par Royer, le métropolitain intrus de Paris, il l’invitait, le 29 septembre, à écrire au chef visible de l’Église, et à lui témoigner une soumission filiale. «Adhérez librement, disait-il, aux décisions du Saint-Siège relatives aux affaires ecclésiastiques de France et abandonnez le siège que vous occupez... Cette déclaration sera l’objet d’une lettre française ou latine que je suis chargé de transmettre.» La série des exemplaires du bref fut envoyée aux autres évêques constitutionnels dans les jours suivants.

La réponse à la première de ces démarches, à celle tentée envers Royer, fut rapide et véhémente. Elle consista surtout dans des «observations», rédigées par Grégoire au milieu d’un accès de vive indignation. Ce chef de parti, resté pénétré de rancune contre les dispositions du Concordat dont il avait reçu la confidence, avait essayé de recomposer le comité directeur qu’il avait formé sous le nom d’Évêques réunis; il venait, avec quelques-uns de ses confrères, de témoigner au Premier Consul la crainte d’être abandonné par son gouvernement et à cette occasion avait reçu des éloges que la politique présente pouvait seule inspirer. D’autre part, pour soulager discrètement et mettre à couvert sa conscience, il avait étudié en commun une «déclaration intime au sujet des entreprises de la cour de Rome et des libertés de l’église gallicane». Aujourd’hui, sous la forme imprimée des observations, le bref envoyé à Royer devenait l’occasion d’un véritable réquisitoire. Ce bref, disait-il, introduit en France sans l’autorisation du gouvernement, ne faisait qu’attiser les querelles religieuses au lieu de les éteindre. Malgré l’annonce contraire du Premier Consul, le bref exigeait la soumission à ces arrêts de Pie VI qui avaient répandu partout le trouble et la division; il outrageait l’épiscopat fidèle aux lois et à la patrie, parce que, à l’exemple des saint Augustin, des saint Chrysostome, de la succession des évêques pendant douze siècles, ce corps avait été institué selon le droit ancien, sans la nouveauté des bulles de la chancellerie romaine. Que signifiait l’absolution proposée par Rome? On n’absout que des coupables, et il n’y en avait pas. On voulait frapper de nullité tous les actes des constitutionnels et condamner leurs personnes sans les entendre. On n’avait d’éloges, continuait Grégoire, que pour les évêques qui,, désertant leurs sièges, avaient fui en pays ennemi. Les évêques qui les avaient remplacés étaient prêts à tous les sacrifices, mais refusaient de souscrire aux calomnies portées contre eux. Ils reconnaissaient dans le Pape «une puissance de juridiction et d’honneur», tout en étant résolus à garder intactes les libertés de l’église gallicane. Le Pape aurait un moyen simple de rétablir la paix, si, renonçant à mettre des différences offensantes entre les divers évêques, il instituait également les uns et les autres, puis leur commandait le silence sur les dissentiments passés.

Ces «observations», datées du 3 octobre, avaient le caractère à la fois d’une protestation et d’un manifeste. Elles furent rendues publiques dans un numéro des «Annales». Ce journal, qui était celui de la secte, reproduisit aussi les lettres que Grégoire et Le Coz avaient écrites à Mgor Spina en recevant le bref. Le ton, toujours très vif, devient souvent acrimonieux. Les deux ecclésiastiques s’irritent surtout de voir méconnaître leur qualité épiscopale. Il est vrai que, si le bref «direct» qui la leur concédait, leur avait été notifié, il aurait, selon les probabilités, soulevé au moins autant de colères; l’épithète «illégitime» aurait sans doute paru aussi injurieuse que l’omission du nom d’évêque. L’attitude la plus blessante fut celle de Desbois, qui renvoya le pli à Mgor Spina sans l’avoir ouvert. «Je ne laisserai, disait-il, ignorer cette intrigue ni au gouvernement ni au Tribunat.»

Avant d’avoir essuyé ces résistances, Spina, qui devait remettre la suite de l’affaire au légat prêt à arriver, avait dû s’occuper aussi de la démission des évêques légitimes.

Le bref qui les concernait, appelé «Tam multa» par ses premiers mots, portait la date du 15 août, comme le bref destiné aux constitutionnels, et était composé selon un procédé semblable. Les sentiments de charité envers ceux qui avaient succombé au schisme, étaient naturellement remplacés par des louanges envers ceux qui s’étaient tenus droits et fermes, au prix d’un long exil. Ces évêques étaient adjurés de se démettre entre les mains du Pape. Mais la sanction cette fois n’était pas dissimulée. Elle consistait dans une mise en demeure de répondre par écrit dix jours après la réception du bref: si ces lettres étaient dilatoires, elles seraient interprétées comme un refus, et alors le Pape se verrait dans la nécessité de passer outre aux obstacles qui s’opposaient au bien de la religion. La rigueur de cet avertissement était tempérée et adoucie par l’expression répétée des regrets du Saint-Père, de ses témoignages d’admiration pour la conduite courageuse de ces défenseurs de la foi, enfin par sa conviction qu’ils sauraient consentir à un suprême sacrifice en renonçant d’eux-mêmes à leurs sièges.

De même que, pour les constitutionnels, la distribution de ce bref devait commencer à Paris dès que le Concordat serait ratifié. Spina, étant le premier à connaître cette ratification à laquelle il concourait en personne, avait été chargé des évêques légitimes les plus rapprochés. C’étaient d’abord dix de ces prélats qui étaient restés en France ou y étaient rentrés depuis peu. Leur présence sur le territoire était un gage de leurs réponses favorables: celles de sept d’entre eux, vivant à Paris ou aux environs, arrivèrent en effet rapidement et furent mentionnées avec éloge dans le Moniteur du 29 septembre; elles furent bientôt suivies des démissions de leurs trois confrères, retournés en province.

Les autres évêques auxquels Spina avait commission de faire parvenir le bref, étaient émigrés en Angleterre. Avertis à l’avance que la démission de leurs sièges leur serait demandée, ils avaient déjà reçu les conseils du cardinal Maury, qui leur recommandait de ne pas agir isolément et de se concerter, soit en se réunissant dans une sorte de concile spontané, soit, ce qui était assurément plus praticable, en s’entendant par lettres sur une conduite commune. Quelques-uns des plus disposés à la résistance venaient de correspondre à cet égard avec leurs collègues réfugiés en Espagne et en Allemagne.

Aucune instruction ne leur était venue directement de Louis XVIII. Ce prince, en apprenant à Varsovie la signature du Concordat, s’était indigné et était demeuré encore plus perplexe qu’irrité. Sans doute il était convaincu que toute convention avec l’usurpateur était nulle; que le serment qu’il avait reçu des évêques gardait toute sa force: qu’aucune puissance ne pouvait sans jugement les dépouiller de leur juridiction. S’il avait été certain de voir ces principes appuyés par l’unanimité de l’épiscopat, il n’aurait peut-être pas hésité à protester hautement. Mais, de même que dernièrement, lorsque la Promesse de fidélité à la constitution avait remplacé les anciennes formules de soumission exigées du clergé, les évêques avaient discuté entre eux et s’étaient divisés: il était à craindre aujourd’hui qu’un désaccord semblable s’élevât quand ils auraient à résoudre la question bien autrement grave de leur démission. Le souverain légitime du royaume de France ne pouvait aller au-devant d’un échec personnel, en donnant un ordre qui ne serait pas obéi, ou même en usant d’une insinuation qui ne serait pas écoutée. Écrivant le 28 août, dans la basse Saxe, à l’archevêque de Reims et à l’évêque de Boulogne, qu’il avait constitués en conseil ecclésiastique, sur la première nouvelle de la mission confiée à Spina, il se bornait à les interroger sur ce qu’ils pouvaient savoir des sentiments de leurs collègues, émigrés comme eux; il désirait, disait-il, en avoir connaissance pour s’en inspirer. Un double de cette lettre confidentielle avait été envoyé à l’évêque de Nancy, qu’il regardait comme son représentant à Vienne, et au cardinal Maury, qui, sans autant de réserve et de mesure, prétendait parler résolument au nom du roi à Rome.

Le même jour, Louis XVIII avait écrit à son frère en Angleterre. Sa répugnance à s’engager sur le terrain de la protestation formelle était encore plus marquée: «Le clergé, disait-il, est une de nos meilleures armes; mais, pour qu’elle ait tout son effet, il faut que les évêques restent bien unis.» Afin d’éviter de les sonder lui-même sur leurs intentions, il voulait se servir de l’intermédiaire des deux conseillers de son conseil ecclésiastique. «Je leur recommande de s’entendre avec les évêques réfugiés en Angleterre; mais il ne faut pas que vous fassiez de démarche vis-à-vis d’eux. Les raisons qui m’empêchent d’agir directement sont les mêmes pour vous. Il suffit que vous soyez instruit, afin que vous puissiez répondre aux questions et aux consultations que vraisemblablement on vous fera.»

Avec ces évêques Spina n’eut pas à se mettre en rapports personnels, ainsi qu’il le faisait en ce moment avec les constitutionnels. Ce soin regardait Mgor Erskine, dont la présence en qualité d’agent pontifical était tolérée par le gouvernement anglais. Le prélat transmit le bref par des envois individuels, cherchant sans doute à prévenir ainsi la réunion du groupe d’évêques émigrés qui se trouvait être le plus nombreux en Europe, puisqu’on en comptait dix-huit, logés pour la plupart à portée les uns des autres, dans la ville de Londres. Ils s’assemblèrent néanmoins chez M. de Dillon, archevêque de Narbonne, pour discuter ensemble la demande de démission. M. de Dillon, qui les présidait, exposa que le bref exigeait la vacance simultanée de tous les diocèses. Quelles étaient les raisons d’une mesure si extraordinaire? Le Pape ne les faisait pas bien connaître; il avouait seulement avoir subi à cet égard une véritable contrainte. D’autre part, la sanction dont toute réponse négative ou simplement dilatoire était menacée, n’était-elle pas un abus évident de pouvoir? «Le Pape, disait-il, n’ignore pas qu’il ne peut, de sa seule autorité et sans un jugement canonique et régulier, destituer un évêque.» Ce raisonnement était celui qui pouvait toucher de plus près les assistants et être le mieux compris. Il fut combattu par l’archevêque d’Aix, M. de Boisgelin, très supérieur à M. de Dillon par l’esprit et les connaissances, et qui avait autrefois tenu le premier rang parmi les évêques députés à l’Assemblée constituante. M. de Boisgelin ne pouvait admettre que le chef d’un diocèse donnât l’exemple de manquer à l’obéissance due au Souverain Pontife. Puis, M. de Dillon rappela la fin de la lettre qui avait accompagné le bref, quand Mgor Erskine annonçait que le Pape recommandait au Premier Consul les démissionnaires, soit pour une nouvelle nomination, soit pour des moyens de subsistance, et il s’ éleva avec force contre une proposition de cette nature, aussi vaine que déplacée et humiliante.

A côté de la religion, la politique s’était mêlée à ce débat, qui fut vif et se prolongea pendant une seconde séance. On parla des droits du roi, du serment qui liait les évêques à sa personne. Le plus ardent fut l’évêque d’Arras. Il était devenu le confident du comte d’Artois, réfugié alors à Édimbourg; il le conseillait et l’encourageait dans ses menées les plus secrètes, comme il devait faire plus tard lors de la conspiration de Georges. L’évêque s’emporta contre l’usurpateur, qui n’exigeait la vacance des sièges que pour les remplir de ses créatures, qui voulait dominer ét s’asservir la puissance de l’Église catholique, après l’avoir reniée en Égypte en exaltant la doctrine de Mahomet. A ces violences, M. de Boisgelin dut objecter la réponse qu’il avait adressée autrefois à Louis XVIII lui-même, et répéter que le service du roi, si respectable qu’il fût, devait passer après celui de Dieu.

Le vote pouvait être prévu, les évêques étant venus à ces réunions avec une opinion faite à l’avance. Treize entendaient ne pas renoncer à leurs diocèses. Ils s’adjoignirent M. Des-gallois de La Tour, dont la voix ne pouvait être comptée; car, nommé par le roi à Moulins, il n’avait pas été institué par le Pape, et n’avait pas le pouvoir de prendre parti sur un siège qui ne lui appartenait pas encore. L’un d’eux, M. de La Marche, évêque de Saint-Pol-de-Léon, ne s’était décidé que parce qu’il s’était engagé à suivre l’avis de la majorité. Et pourtant, au dire de M. Otto, envoyé de la République à Londres, c’était un «prélat très âgé, et estimable par son zèle pour les malheureux et même pour nos prisonniers, à qui il fait distribuer souvent des secours». Les partisans de la démission avaient pour chef M. de Boisgelin. Ils n’étaient d’abord que quatre, dont un autre archevêque, celui de Bordeaux: leur nombre fut porté à cinq par le retour presque immédiat de l’évêque de Troyes, absent momentanément d’Angleterre. Mgor Erskine reçut presque aussitôt les cinq démissions.

Dans une dernière réunion, tenue le 23 septembre, les évèques opposés au bref arrêtèrent les termes d’une lettre au Pape. Elle fut collective, quoique Mgor Erskine eût pris soin d’avertir qu’elle devait être particulière à chacun. Elle fut dilatoire, quoique précisément toute demande de délai eût été expressément interdite. Les évêques n’entraient dans aucun développement; ils se bornaient à prétendre qu’ils ne comprenaient pas comment le délaissement de tous les sièges en France pouvait être utile à la religion. Puisque, dans des circonstances aussi déplorables, ils étaient persuadés du contraire, ils suppliaient le Pape de s’expliquer à cet égard et, en attendant, de suspendre l’effet annoncé de ses résolutions.

Malgré les preuves d’une double désobéissance qui étaient contenues dans la lettre, Mgor Erskine ne se crut pas autorisé à refuser de la recevoir. Il la remit avec les démissions à M. Otto, à qui précédemment les exemplaires du bref avaient été envoyés de Paris. Il était entendu que ces pièces seraient transmises à Rome par Mgor Spina.

Histoire du rétablissement du culte en France (1802-1805)

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